Section II. La nécessité de l'existence
de limites à la propriété
intellectuelle.
Tant qu'ils permettent une meilleure diffusion de la
connaissance au sein de la société humaine, les droits de
propriété intellectuelle sont en conformité avec la notion
d'intérêt général au sens de l'Islam. Par contre,
à partir du moment où les intérêts privés
prévalent sur l'intérêt général, et que les
droits de propriété intellectuelle sont un frein à la
diffusion de la connaissance, ils deviennent alors contraire à la
Shari'a.
Pour Steven Jamar134 il est essentiel de prendre en
compte l'intérêt général dans
l'interprétation des lois sur la propriété intellectuelle
afin de maintenir l'équilibre entre l'intérêt des ayant
droits et celui des usagers des biens de propriété
intellectuelle. Comme il l'explique cet équilibre est essentiel :
132 Khoury, Amir. Dubai's new intellectual property based
economy. John Marshall review of Intellectual Property Law. n°84, 2009.
133 Page 109, § 3.
Traduction: « Par la création d'un
modèle économique de plusieurs couches d'incitations, qui
couplé avec des investissements à long terme dans des
infrastructures en relation avec l'industrie créative, Dubaï a
effectivement tracé une nouvelle voie « du développement
» ».
134
Voir note supra 84.
« If public interest is drawn too broadly and too
powerfully, it can be abused to remove protections for intellectual property on
the grounds that the whole society has need of or could benefit by unrestricted
use of the item. On the other hand, too narrow or restrictive a conception of
public interest can lead to imbalance in favor of private rights against the
public interest or welfare. »135
Les droits dont jouissent les créateurs sont
justifiés par le bénéfice que la population retire des
créations. Si ces créations ne sont pas diffusées, les
droits n'ont plus aucune justification. Il faut alors que l'Etat prévoit
des limitations à ces droits afin de maintenir l'équilibre.
Par exemple, Qaiser Ikbal136 rappelle que les pays
occidentaux ont fait pression sur les pays émergeants, et notamment sur
l'Inde, afin que ceux-ci abandonnent leur industrie du médicament
générique et protègent mieux les brevets sur les
médicaments. Cependant, si cette contrefaçon était aussi
développée, c'était notamment à cause du prix
exorbitant exigé par les laboratoires des pays occidentaux pour faire
usage de leurs brevets.
Dans cette situation, on est évidemment en face d'un
abus des ayants droit. Si l'on ne peut bien entendu pas attendre des personnes
privées qu'elles prennent en compte d'autres intérets que les
leurs, il est néanmoins de la responsabilité des Etats et des
instances internationales de créer des limites à ces droits afin
de mieux prendre en compte l'intéret général.
Le droit de l'OMC permet aux Etats de créer des
exceptions aux droits prévus par les ADPIC137. Cela reste
cependant un mécanisme d'exception, les mesures
135 Page 7, § 4.
Traduction: « Si l'intér/t
général fait l'objet d'une application trop large ou trop forte,
il peut en ~tre fait un abus afin de faire disparaitre la protection de la
propriété intellectuelle parce que l'ensemble de la
société aurait un besoin ou pourrait bénéficier du
libre usage du bien. D'un autre côté, une conception trop
étroite ou restrictive de l'intérit général peut
mener à un déséquilibre en faveur des droits privés
et contre l'intérit ou le bienttre général. »
136
Voir note supra 89.
137 Par exemple pour les brevets : « Article 30
Exceptions aux droits conférés
Les Membres pourront prévoir des exceptions
limitées aux droits exclusifs conférés par un brevet,
à condition que celles-ci ne portent pas atteinte de manière
injustifiée à l'exploitation normale du brevet ni ne causent un
préjudice injustifié aux intérêts légitimes
du titulaire du brevet, compte tenu des intérêts légitimes
des tiers. »
prises sur cette base souffriront donc toujours d'une
insécurité juridique certaine et leurs effets seront
nécessairement limités.
Par contre, il est aussi permis à un Etat de faire
usage de licences obligatoires pour ses propres besoins dans le domaine des
brevets138. Ces licences obligatoires peuvent même être
utilisées pour les besoins d'autres Etats qui ne disposent pas d'une
capacité de production suffisante dans le cas des
médicaments139.
Des limitations sont aussi possibles dans les autres domaines
de la propriété intellectuelle. Ainsi pour le droit d'auteur,
l'article 13 de l'accord ADPIC prévoit que des dérogations
peuvent être prévues par les Etats.
De façon général, il est permis aux Etats
dans l'accord instituant l'OMC, et dans les ADPIC, de déroger à
leurs obligations. Les conditions sont assez strictes, mais la jurisprudence
les a aujourd'hui assez clairement définies, diminuant de facto
l'insécurité juridique pesant sur l'usage du mécanisme
d'exception.
Ainsi, le droit international contient des mécanismes
d'exception permettant de maintenir l'équilibre entre les
intérêts des personnes privées et l'intérêt
général. Les Etats musulmans doivent donc les mettre en
application dans leurs lois afin de garantir l'intérêt
général. Ainsi sera permise une parfaite compatibilité
entre leur droit de la propriété intellectuelle et la Shari'a.
138 Article 31 de l'accord ADPIC.
139 Décision du conseil général de l'OMC du
6 décembre 2005.
|