Les grandes évolutions procédurales
Les specificites des plaidoiries d'Assises, au-delà du
lien qui les unit tant aux individus qu'à la matière penale, sont
intimement liees a l'histoire de la Cour elle-même dont il convient dans
un premier temps de rappeler les principales etapes afin de conserver a
l'esprit les differents contextes politiques, sociologiques et juridiques dans
lesquels ont oeuvre les avocats de 1808 a nos jours.
Il serait presomptueux et totalement illusoire que de tenter
un recensement exhaustif des reformes legislatives assorti de l'analyse de
l'impact produit sur l'evolution des methodes employees par les defenseurs ;
seul un panel generique est en consequence presente.
* Site Internet Association Lysias
*Au debut de la Revolution de 1789, les juristes
français furent animes par la volonte d'en terminer avec le droit
monarchique et marquerent leur preference pour le système anglais qui
connaissait le jury a la fois pour le renvoi des accuses devant la juridiction
de jugement et pour le jugement au fond.
De cette volonte emana l'esprit de la loi des 16-21 septembre
1791 qui institua un tribunal criminel departemental. Ce tribunal etait compose
de citoyens statuant sur la culpabilite et de juges qui, en cas de verdict de
culpabilite rendu par ces citoyens, prononçaient la peine. Ce tribunal
criminel deviendra en 1808 la Cour d'Assises.
Le code d'instruction criminelle de 1810 abandonna le principe
instaure du jury d'accusation investi de la mission de statuer en appreciant
les charges sur le renvoi devant la juridiction de jugement. Ce college de
citoyens, confondant charges et preuves, votait souvent le non-lieu,
c'est-à-dire l'arrêt des poursuites.
Le jury d'accusation fut remplace par la chambre d'accusation,
section de la cour d'appel composee de trois magistrats professionnels.
Le second empire erige l'instruction en une juridiction.
La separation des fonctions des jures statuant sur la
culpabilite et des magistrats statuant sur la peine instituee a l'origine va
evoluer pour tendre vers un echevinage progressif.
Une premiere loi, du 25 juin 1824, confia a la cour,
c'est-à-dire aux trois juges professionnels, le soin de statuer sur les
circonstances attenuantes. On avait constate, dans des affaires d'infanticide
que les jures preferaient nier la culpabilite pour empêcher les juges de
prononcer une peine qui, a l'epoque, etait insusceptible d'être humanisee
par la voie des circonstances attenuantes.
Comme cependant la loi de 1824 confiant les circonstances
attenuantes aux juges et que les jures n'etaient jamais sOrs qu'ils en feraient
usage, une seconde loi, en date du 28 avril 1832, attribua au jury, cette fois,
le droit d'appliquer les circonstances attenuantes. Les jures votant la
culpabilite pouvaient egalement eviter le prononce de la peine de mort.
La loi du 5 mars 1932 permit au jury, après avoir
statue seul sur le fait de se joindre a la cour pour la deliberation sur la
peine.
La loi du 25 novembre 1941 est a l'origine du
système actuel: juges et jures statuent ensemble, en un college unique,
sur le fait et sur le droit*.
Ces dispositions seront reprises par le code de procedure
penale de 1959 dont l'article 356 dispose: OE La cour et le jury
delibèrent, puis votent par bulletins ecrits et par scrutins distincts
et successifs, sur le fait principal d'abord et, s'il y a lieu, sur chacune des
circonstances aggravantes, sur les questions subsidiaires et sur chacun des
faits constituant une cause legale d'exception ou de diminution de peine
ç.
*L'instauration par l'ordonnance du 2 fevrier 1945 d'une
Cour d'Assises des mineurs marque la prise en compte de la specificite du
jugement des crimes commis par les adolescents de plus de seize ans. Les
règles procedurales subissent les amenagements lies la personnalite de
l'accuse notamment le huis clos, l'interdiction de la transcription des debats
dans la presse, la publicite de la seule decision et la composition
particulière de cette juridiction dont les assesseurs sont juges des
enfants. La formulation des questions posees s'adapte au jeune age de l'accuse
et interroge sur l'opportunite de prononcer une condamnation penale et
d'exclure l'accuse de la diminution de peine. Le president peut demander au
mineur de se retirer durant une partie des debats afin de lui eviter le
traumatisme lie a la lecture de rapports sur son histoire ou celle de sa
famille.
Cette procedure derogatoire tend a demontrer une volonte de
permettre au mineur criminel juge de subir minima les effets psychologiques
devastateurs lies au vecu de sa comparution devant la juridiction criminelle.
L'etat d'esprit que semble refleter de telles dispositions se doit d'être
aussi celui des defenseurs, qu'ils interviennent en partie civile ou en
defense: la technique juridique dejà peu presente alors qu'il s'agit de
s'adresser et de convaincre un jury populaire fait place a une emotion
suscitee, mesuree et pudique, respectueuse de l'immense detresse, inimaginable,
inconcevable detresse de l'accuse...face a la souffrance des victimes.
La loi du 15 juin 2000 sur la presomption d'innocence a
rendu possible l'appel interjete contre les arrêts rendus par les Cours
d'Assises. L'instauration de l'appel criminel traduit la reconnaissance des
dangers de l'affirmation consistant a exclure tout risque d'erreur d'une
decision emanant du peuple jugeant souverainement et justifiant la Cassation
comme seul recours possible.* La reforme tire les consequences de l'inexistence
d'une garantie importante de bonne justice, la carence de double degre de
juridiction, alors même que les peines encourues et
effectivement prononcees justifient, au contraire, davantage de securite et a
pour objectif d'y remedier.
Même si, comme nous l'evoquerons dans la partie de ce
chapitre consacre aux perspectives d'evolution du droit et de la procedure
penale, elle concourt a l'affaiblissement des jurys populaires
*Site Internet Criminocorpus
*Guide des archives judiciaires et pénitentiaires JC
Fary
L'appel criminel se caracterise par son caractère
specifiquement non hierarchique : exerce devant une Cour d'Assises differente
de celle ayant statue en premier ressort mais ne constituant pas un second
degre de juridiction.
Cet appel circulaire de << seconde chance ç
reconnaIt que la justice, quelque soit l'organisation et la composition des
tribunaux est faillible : Mieux vaut deux declarations de culpabilite de deux
juridictions differentes, mais de même nature, avant de considerer un
homme coupable.
L'instauration de ce recours englobe dans une loi de renfort
sur la presomption d'innocence semble implicitement viser a limiter les risques
d'erreur judiciaire et va dans le sens d'une prise de conscience et de
responsabilite du legislateur face a l'impact humain des decisions rendues.
L'appel du ministère public sur une decision
d'acquittement etant prohibe par la loi, deux declarations de culpabilite
peuvent aboutir desormais a la condamnation d'une personne se proclamant
innocente. Mais force est de constater que la question de l'innocence se pose
de façon marginale en Assises, le travail de la defense est le plus
souvent axe sur le quantum de la peine. Le sort de l'accuse peut être
aggrave par appel du ministère public. La difficulte et l'ampleur de la
tâche de l'avocat ne s'en trouve en rien diminue. En revanche, le
caractère securisant de l'appel pour l'accuse lui-même et cet etat
de droit peut produire quelque effet sur sa psychologie et son comportement
durant les debats ; sous reserve d'une pedagogie adaptee employee en amont.
Les statistiques demontrent qu'en grande majorite (92%) les
cours d'assises d'appel confirment le sens de la culpabilite choisi par les
premiers jures.* La voie de l'appel est utilisee a 23% des arrêts rendus
en premiere instance en 2009, que ce soit a l'initiative de l'accuse ou du
ministère public.
Obtenir une intime conviction inverse a celle des premiers
jures relève en grande partie des secrets de l'alchimie judiciaire.
L'irrationnel critère geographique semble demontrer son incroyable part
de verite : Bordeaux serait moins sevère que Perigueux. NImes, plus
qu'Avignon. Ou Albi, plus que Toulouse, etc. Seule la cour d'appel de Paris, ou
les presidents d'assises tournent, echappe a ce hit-parade. Les chiffres, en
revanche, montrent le poids que peut avoir la seule decision de faire appel
d'un verdict. Le risque n'est jamais absent même si le taux national
d'acquittement passe de 6,2% en premiere instance a 9% en appel.
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