b) « Campagne féminine » électorale
: Quand la voix du citoyen est portée par la voix des
femmes :
La période de la campagne électorale en
Mauritanie est marquée par une ambiance de festivité : de grandes
tentes se dressent dans les rues de la capitale, des voitures sont
mobilisées circulant en ville affichant les posters des candidats, des
festivités sont organisées au grand public sous les tentes qui
ornent les nuits de Nouakchott,... «Elles portent des voiles mauve clair
et des casquettes à l'effigie du futur président [...] La place
est envahie de jeunes filles, de jeunes femmes, de dames plus
âgées, de militantes. Certaines rient et d'autres chantent. Elles
discutent.
65. « Le mesrah, en arabe et en hassâniyya1,
désigne littéralement la scène, par extension le
théâtre. Pour les Mauritaniens, « être sur le mesrah
» signifie alors « être sous les feux de la rampe », ou,
en d'autres termes, appartenir à une certaine élite. On dit de
ces gens du mesrah, qu'« ils font le théâtre »,
qu'« ils s'affichent », qu'ils « vont paraître »,
qu'« ils brillent », expression surtout utilisée pour les
femmes alors désignées sous le terme de « mcha'ch'a»,
soit l'« étincelante », la « flambeuse ». Les
membres de cettejet-set se composent en Mauritanie d'hommes d'affaires, de
fonctionnaires bien placés et potentiellement gourmands, de femmes
riches, célèbres et charmantes et de leur cour. »
Céline Lesourd « Le mesrah. Regard sur la « culture
matérielle du succès » à Nouakchott »,
L'Année du Maghreb -2008
En un espace, en un instant un bout de Nouakchott semble mauve
de femmes. »66, cette description de l'espace urbain
nouakchottois représente parfaitement la ferveur féminine durant
cette période politique. Une présence publique des mauritaniennes
s'est développé dans les manifestations officielles ou
officieuses de manière à contrer leur discrimination au regard
des postes électifs.
Celine Lesourd nous offre dans son étude sur les
militantes politiques mauritaniennes en période électorale, une
vision du quotidien de ces femmes et la manière dont elles abordent
cette activité politique s'improvisant à peu prés toutes
comme des « directrices de campagne », une campagne qu'elles
mènent personnellement auprès des individus dans les salons, sous
les tentes érigées à cet effet, etc.
« En fin d'après-midi, après avoir
géré les affaires de la maison (le chauffeur ira chercher les
enfants à l'école, il faudra prévoir des collations pour
les visiteurs « politiques »), certaines militantes enfileront leur
plus beau voile/boubou pour aller faire du porte-à-porte et convaincre
ceux et celles qui seraient encore hésitants. »67 , on
retrouve ici l'organisation typiquement féminine des femmes
mauritaniennes engagées, jonglant entre les tâches domestiques et
les activités relevant de la sphère publique. Le statut des
femmes maures étant ambivalent, elles affirment bénéficier
d'une certaine autonomie et une émancipation que l'on ne rencontre pas
dans les autres ethnies ou pays arabes, et dans le même temps elles ne
rejettent pas leur fonction sociale de mère de famille qu'elles
qualifient de « chef de famille » pour maintenir cette image presque
mythique de la femme maure libre et puissante.
Elles suivent de prés l'évolution du processus
électoral et se tiennent au courant des alliances politiques et des
discours officiels pour établir des pronostics. La période de la
campagne électorale en Mauritanie constitue un événement
impliquant toutes les femmes quelque soit leur statut social, mais les plus
influentes et impliquées dans l'organisation de ces «
festivités politiques » sont les femmes riches appartenant à
un haut rang social. « Banderoles, posters, guirlandes, tentes, musique,
voitures fardées au couleur d'un candidat, la ville fête la
66. Céline Lesourd, « Femmes mauritaniennes et
politique. De la tente vers le puits ? », L'Année du Maghreb -
2007
67. Ibid. C.Lesourd
campagne »68, cette campagne devient un
événement mondain à travers lequel se déploie tout
le savoir-faire féminin mais aussi masculin mettant en évidence
une distribution des tâches pour mener à bien une période
qui concerne la collectivité.
On retrouvait déjà cette dynamique féminine
lors des anciennes batailles tribales lorsque les femmes maures vantaient le
courage des guerriers de leur clan à travers des poésies.
Aujourd'hui, les femmes remplissent une véritable
mission de marketing à travers les campagnes. Les mauritaniens affirment
que « la campagne ne se fait pas sans les femmes »69.
Certaines font dresser des tentes, d'autres payent des griots, les moins riches
participent au porteà-porte. L'agitation envahit jusqu'aux foyers. Mais
cette implication ne dépasse pas le cadre du soutient politique dans la
mesure où rares sont les femmes qui passeront de la campagne aux
responsabilités et des responsabilités aux hautes sphères
décisionnelles du pouvoir. C'est en ce sens que notre analyse nous
amène à dire que les femmes s'expriment en politique uniquement
d'un point de vu social («Les Mauritaniennes ont un mode de faire de
la politique au féminin. Des voies d'expression qui leur sont propres.
Le rôle féminin consiste surtout à « dire »,
à « faire circuler », à « organiser »,
à « téléphoner », à « visiter des
maisons », à « faire passer des tracts »... Les femmes
font un lourd travail de communication ».70).
Malgré l'ordonnance mise en place en 2006 par le
gouvernement de transition militaire (CMJD) relative à la promotion de
l'accès des femmes aux mandats électoraux et aux fonctions
électives (quota de 20 % ciblant les mairies et leurs
conseillés), la présence des femmes dans l'appareil d'État
et dans les organes officiels du pouvoir est resté très
symbolique. Depuis la mise en place de ce quota, on a assisté à
une prolifération de commentaires parfois révélant une
méconnaissance précise des textes : « un
député sur quatre sera une femme », « le sénat
comptera une vingtaine de femmes », « les femmes vont avoir plus de
pouvoir maintenant ! ».
68. Ibid C.Lesourd
69. ibid C.Lesourd
70. Ibid C.Lesourd
Une partie de l'opinion affiche une réelle
résistance à ce quota, dont Naha Mint Mouknass, présidente
de parti, ancienne conseillère à la présidence et ancienne
ministre des affaires étrangères71 a
déclaré à la presse son mécontentement : «
C'est une vaste blague [...]. Pourquoi pas un quota pour les handicapés
ou pour les jeunes de moins de 34 ans ? Je m'insurge contre les slogans creux
et irréfléchis. Je suis pour le mérite et pas pour qu'on
remplisse l'assemblée et les mairies par des femmes
quotaïsées »72. Le manque de formation est
systématiquement invoqué par les opposants au quota comme
l'indique ces témoignages de plusieurs femmes recueillis par Celine
Lesourd au cours de son enquête sur les femmes maure et la politique :
« Les femmes font déjà de la politique,
on est déjà là, c'est juste qu'on ne rentre pas dans les
cases statistiques des organismes internationaux qui ont décidé
que, avec tant de femmes dans les parades, la Mauritanie serait une vraie
démocratie... », « Ils ont décidé qu'il fallait
que les femmes fassent de la politique mais ! on en fait déjà !
[...] On ne peut pas dire que tout va bien ici... il faut nommer des
professionnels, élire des gens compétents mais toutes les femmes
ne sont pas prêtes [...] on impose mal [...] et trop d'un coup.
»
« Qui vont être les femmes de la politique ?
Des commerçantes illettrées ? Des femmes qui dorment toute la
journée ? Il n'y a pas un stock de femmes, formées et
compétentes, en Mauritanie qui peut prendre les places que Ely [soit le
CMJD et l'ordonnance] leur propose [...]. Qui va vraiment pouvoir faire
ça ? [...] Alors ça va être n'importe qui [...] et on dira
que c'est la faute des femmes ? »
Les discours contre la mise en place de ce quota
témoignent d'une préférence pour cette politique
informelle féminine qui serait plus légitime qu'une implication
officielle à travers des postes clés pour lesquelles elles ne
seraient pas assez compétentes.
Grâce à cette discrimination positive, neuf
femmes accèdent au sénat qui compte 56 membres ; soit une part
féminine de 16 %. Le phénomène est exclusivement urbain,
puisque c'est dans la capitale que ces chiffres gonflent car la loi stipule que
les listes sénatoriales doivent être conduites par une femme dans
les circonscriptions électorales de Nouakchott et la règle n'est
pas
71. Première femme à occuper ce poste dans le monde
arabe
72. Interview réalisée par Bios Diallo pour Jeune
Afrique n° 2390, du 29-10 au 4/11/2006.
valable à l'intérieur du pays. Par
conséquent, le sénat se féminise grâce à
Nouakchott (huit sénatrices sur neuf). A noter que 17 femmes sur un
total de 95 sièges (17,8 %) pénètrent l'assemblée
nationale. Quatre d'entre elles ont été élues à
Nouakchott (soit presque un quart). Là encore, l'effet urbain ne
peut-être nié. Néanmoins l'aspect paritaire de cette loi
reste relatif puisque même à Nouakchott, sur un total de 41 listes
en concurrence, seules quatre d'entre elles étaient dirigées par
une femme. La population féminine reste donc marginalisée de
l'entrée officielle en politique ce qui explique le maintient de cette
implication politique informelle des femmes leur garantissant une
présence dans les rouages du pouvoir politique en Mauritanie.
On peut parler d'une nouvelle forme de sociabilité, une
interconnexion entre les diverses catégories qui composent le paysage
politique et économique du pays formant cette pratique féminine
urbaine que l'on peut désigner de phénomène social total
dans la mesure où elle intègre la totalité des
réseaux sociaux mauritaniens. Pour comprendre la portée de ce
phénomène social, il est nécessaire pour nous ici de
présenter les logiques de ce mode de vie urbain renvoyant à une
hiérarchie sociale et à la formation d'un espace jouxtant entre
la scène politique et privée.
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