III.4. La place de la femme dans l'organisation de
l'Etat congolais
Influencé par l'élan de la communauté
internationale, la République Démocratique du Congo n'est pas
restée en marge du processus global de lutte pour le repositionnement
des femmes.
Dès le lendemain de son accession au pouvoir, le
président Mobutu lançait le slogan homme nouveau, femme
nouvelle qui se contenait dans un programme d'action. C'est ainsi que par
exemple dès 1966, Madame Sophie KANZA fut nommée au gouvernement
en qualité de Ministre des affaires sociales et que le droit
de vote fut accordé aux femmes en 1967.
Le besoin d'intégrer la femme à la vie nationale
se fait sentir de plus en plus et implique plusieurs acteurs dans cette lutte.
Ici, contrairement à la société traditionnelle où
les structures sociales étaient principalement initiatrices des
relations selon le genre, on note dans la reconstruction sociale des sexes
l'implication de l'Etat, des acteurs sociaux mais aussi, des femmes
elles-mêmes.
Dans le manifeste de la N'Sele, publié le 20 Mai 1967,
il est stipulé que " la femme n'a pas la place qui lui revient dans la
société, qu'elle porte en elle les espoirs de toute la nation,
que son rôle dans l'éducation des enfants est
irremplaçable. Le M.P.R. entendait ainsi mener une politique
d'émancipation de la femme.
Certaines politiques ont été menées au
niveau de l'Etat pour mettre fin à la marginalisation constatée
des femmes et permettre ainsi leur participation à la vie nationale. A
l'issue du Dialogue Inter Congolais, l'Accord global inclusif, le décret
portant attribution des ministères et la Constitution de transition ont
à travers les textes qui régissent la transition, consacré
cette volonté de l'Etat à promouvoir la lutte contre les
inégalités de genre.
III.5. Place de la femme au sein des communautés
locales congolaises
Les communautés locales restent les véhicules
culturels auxquels les femmes elles-mêmes participent à la
base. Dans celles-ci chevauchent normes coutumières et
étatiques. Si au niveau national, la culture étatique connait des
influences exogènes de manière significative, il n'en est pas le
cas pour les communautés locales qui parfois résistent aux
dispositifs étatiques de promotion de la condition féminine.
Les schémas sociaux au niveau local entrent souvent en
contradiction avec ceux du niveau national. La culture de l'Etat qui milite
pour la promotion de genre est parfois différente des valeurs sociales
véhiculées dans la plupart de groupes sociaux congolais. Les
femmes ont des rôles que leur reconnaissent ces groupes sociaux et qui ne
correspondent pas souvent à ceux qui sont dictés par les
politiques étatiques de Genre. Le consensus social ne se dégage
pas facilement, dans ces conditions, et cela va en défaveur des
femmes.
Toutefois, le contexte et les besoins spécifiques des
femmes peuvent contribuer à une révisitation de leurs
rôles. Des stratégies ont été mises sur pieds,
surtout dans les zones sortant des conflits pour impliquer davantage de femmes
dans le processus de paix par rapport aux besoins qui s'affichaient. Ce qui a
permis une facilité d'appropriation des initiatives féminines par
les femmes des communautés locales.
Les femmes rurales comme victimes directes des conflits
armés se sont impliquées dans les initiatives féminines
comme bases (noyaux) de différentes associations des femmes. Elles ont,
pour leur part, formé des cadres d'action dont les Comités
d'Alerte pour la Paix (CAP) et les Noyaux Clubs d'Ecoute des femmes rurales
(NCE) sous les impulsions respectives du Réseau des Femmes pour la
défense des Droits et la Paix « RFDP » et de
l'AFEM-SK. Ces cadres créés par les femmes rurales se sont
développées progressivement en de systèmes
« d'alerte », de « médiation »
et de « lobby » au sein des communautés.
Dans la commune d'Alunguli, les CAP et les NCE ont
dénoncé les violations et engagé des dialogues avec les
politiques locaux, les groupes armés locaux et les combattants
individuellement. Ces dialogues ont débouché sur le
désengagement de certains combattants qui se sont retirés des
groupes armés. Les CAP d'Alunguli ont également fait des SIT-IN
à la MONUC et aux bureaux des responsables locaux dont l'administrateur
du territoire et les chefs coutumiers pour demander l'implication effective de
la communauté internationale et des institutions politiques dans la
recherche de la paix.
Au sein des communautés locales, il s'est
observé un engagement des femmes à titre individuel et collectif
pour la recherche d'une paix durable.
A la cité Kalima dans le territoire de Pangi et
à Elila dans le territoire de Kailo, les femmes se sont
décidées de briser les clivages ethniques et ont mis sur pied des
plates-formes de paix. Les unes et les autres ont engagé des dialogues
avec leurs maris sur les enjeux de la cohabitation pacifique et elles ont
réussi à convaincre leurs maris à se désengager des
bandes armées. Ces hommes désengagés sont devenus des
promoteurs de la paix au sein de leurs communautés et se sont
associés aux activités de médiation de leurs femmes. Cela
a permis la réouverture du marché et des écoles dans ces
entités qui étaient occupées par les combattants Mai Mai.
Au village de Makola à 38 Km de la ville de Kindu, au
sein du territoire de Kailo les femmes ont initié des comités
locaux pour la paix avec la mission de réconcilier les différents
milieux divisés par les conflits fonciers ayant entrainé la mort
des personnes innocentes. Ces comités locaux ont joué le
rôle de médiateurs dans les milieux divisés par les
conflits. Cela a permis la réunification communautaire.
Le niveau de connaissance des instruments juridiques internes
et internationaux est encore très bas. Nos enquêtes ont
révélé que les femmes paysannes n'ont pas la
maîtrise des instruments juridiques internes et internationaux qui
consacrent leurs droits de participer au même titre que les hommes
à la gestion de la cité et au processus de paix.
A la limite, elles connaissent les grands titres de ces
instruments mais le contenu leur échappe. C'est le cas également
d'autres couches sociales des femmes comme les femmes porte-faix. Bien qu'elles
soient en milieux urbains et groupées en Association, elles ont peu de
connaissances sur les différents textes protégeant les droits des
femmes.
Les dispositions légales sur la parité contenues
dans la Constitution de la R.D.Congo, la Convention sur l'Elimination de toute
forme de discrimination à l'égard des femmes
« CEDEF », la Résolution 1325 du Conseil de
sécurité des Nations Unies, restent méconnus de toutes ces
forces vives au Maniema. Seules les femmes élites au sein de la
société civile en ont la connaissance. « ...Ces
différents textes juridiques devaient pourtant être la bible des
femmes pour un activisme balisé et bien argumenté »,
s'est exprimée une enquêtée en réagissant à
la question relative au niveau d'appropriation des instruments juridiques par
les différentes couches sociales des femmes au Maniema.
On serait tenté de lier cet écart de niveau des
connaissances entre les femmes leaders et les femmes à la base à
la différence du niveau d'instruction entre ces deux groupes des femmes
mais cette raison ne semble pas évidente.
L'analogie faite aux institutions coutumières où
les membres des communautés dont la plupart n'a jamais été
à l'école. Ils maîtrisent tout le contenu culturel et le
transmettent des générations en générations. Ceci
montre que l'acquisition des connaissances sur les droits et les devoirs par un
peuple est une question d'éducation et de sensibilisation plutôt
qu'une question d'instruction.
Il sied également de mentionner que cet activisme dont
font montre les femmes au sein de la société civile, se trouve
menacé par la discontinuité et le manque d'identité
observé dans le chef de ces dernières. Il ne s'observe pas
encore, à Kindu, une démarcation nette entre les femmes
politiques et les femmes leaders de la société civile.
Tantôt femmes politiques, tantôt femmes de la société
civile, l'engagement des femmes leaders de la société civile
reste perplexe et conditionné par les enjeux du moment.
Etant donné que les résultats des
élections de 2006 n'ont pas permis une représentation
équitable des femmes dans les instances de prise des décisions,
les politiques puisent les femmes dans la société civile pour
remédier à l'exigence de la parité. Du fait qu'il existe
un écart d'atouts entre les femmes au sommet généralement
instruites et assez visionnaires et les femmes à la base
généralement sous instruites, le fait pour les femmes leaders de
la société civile de quitter leurs structures pour des postes
politiques crée un vide et affecte sensiblement la structure.
Nos enquêtes ont attesté qu'une fois dans la
politique, au lieu d'accompagner et de porter les sensibilités et la
vision de la société civile dont elles sont l'émanation,
ces femmes qui jadis étaient leaders de la société civile
se désolidarisent quasi totalement d'avec leurs bases. Il suffit
cependant que, leur mandat politique arrive à terme pour qu'elles
reviennent à leur base en se réclamant de la
société civile. Cela frise un certain opportunisme et ce
basculage des femmes entre le politique et la société civile
prouve à suffisance que malgré les exploits dont elles font
montre, le leadership des femmes au Maniema se recherche encore.
Le manque de l'union et de l'unité au sein des
mouvements des femmes au Maniema se veut aussi une sérieuse menace
quant à leur avenir. Le conflit de leadership y entraîne la
fragmentation des organisations et des collectifs et cela fragilise
sensiblement la lutte des femmes pour la paix. Au lieu que les femmes
conjuguent des efforts pour renforcer les cadres déjà existants,
il s'observe une multiplication des associations et des collectifs avec comme
conséquence la dispersion des efforts.
Aussi, les clivages ethniques et idéologiques
prennent-ils au piège les femmes du Maniema. Du fait de cela, leur
participation est dérisoire parce que le subjectif l'emporte sur
l'objectif. Quand il s'agit par exemple de désigner une
déléguée pour représenter l'organisation ou le
collectif à telle ou telle autre assise, il s'en suit presque toujours
une polémique.
Les femmes enquêtées ont déclaré
qu'au sein de leurs structures, le choix des déléguées se
fonde souvent sur les affinités et les considérations ethniques
plutôt que sur le mérite et la compétence.
La conséquence de cela est que les femmes perdent
parfois certains enjeux parce qu'elles n'ont pas été
judicieusement représentées.
La protection des intérêts individuels au
détriment des intérêts collectifs est également une
grande menace à l'émergence des organisations des femmes parce
qu'elle est souvent à la base de trahison quand il s'agit de certains
enjeux.
Faut-il dire aussi qu'il ne s'observe pas, dans la ville de
Kindu, de collaboration entre les organisations des femmes impliquées
dans la défense de droits et la paix et d'autres structures des femmes
comme l'Association des Femmes commerçantes du Congo
« l'AFECCO ». Or, cette complémentarité
devrait être capitalisée par les unes et les autres comme une
ressource pour le succès des femmes et leur développement
harmonieux.
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