2.2.2. La question des interactions
Dans un premier temps, intéressons-nous à la
qualité des interactions au sein de l'équipe.
« Une interaction est d'abord un
échange entre membres du groupe [...] Elle suppose donc
une communication (...)» (Mucchielli, 1980) or,
celle-ci est fonction du nombre de membres du groupe ainsi que de son
homogénéité.
P Qualité des interactions et nombre de
membres du groupe
R. Mucchielli20, dans son ouvrage sur le travail en
équipe (Mucchielli, 2007) cite plusieurs résultats
d'expérience ayant prouvé la relation entre qualité des
interactions et nombre de membres du groupe. Voici ce qu'il en ressort :
? « Plus le groupe est nombreux,
moins les membres sont satisfaits parce que les difficultés de
communication s'accroissent (...)
(Golembiewski, 1962 ; Thomas et Fink, 1963)
? Plus le groupe est nombreux, plus il y a
de chances pour que se forment des sousgroupes et des cliques. (Hare, 1952 ;
Berkowitz, 1963)
20 Op. Cite. p. 46.
? Plus le groupe est nombreux, plus les
problèmes interpersonnels prennent
d'importance, au détriment de
l'unité d'action dans la
réalisation de la tâche. » (Deutsch et
Rosenau, 1963 ; Hackman et Vidmar, 1970)
Selon les mêmes chercheurs, la taille optimale d'une
équipe serait de trois à douze membres. Nous pouvons donc
considérer comme normal qu'une équipe de soins rencontre des
difficultés en termes de communication, celle-ci étant toujours
constituée d'un collectif supérieur à douze
membres.
P Qualité des interactions et
homogénéité des membres du groupe
Attachons nous désormais à
l'homogénéité. Selon Anzieu et Martin, «
l'efficacité des communications dans un groupe requiert
une certaine homogénéité des membres
[...] homogénéité du niveau de culture et
des cadres de référence mentaux
(l'homogénéité intellectuelle est moins
importante) (...) »21 .
S. Moscovici22 (Anzieu, 1968), quant à lui,
fait remarquer l'importance de «
l'homogénéité des systèmes de
valeurs ». Selon lui, chaque individu ou chaque sous-groupe apporte
son propre système de valeurs et celui-ci est unique ; la confrontation
de ces systèmes à l'intérieur du groupe conduit
généralement à une dégradation, voir à une
rupture des échanges au sein de l'équipe.
Les difficultés de communication rencontrées dans
les services de soins peuvent également s'expliquer par ces
postulats.
Le << système de valeurs » d'un groupe peut
aussi être appelé << code des valeurs »,
c'est-à-dire les règles de conduite qui apparaissent au sein du
groupe. Ces règles permettent de déterminer quels sont les
comportements ou opinions qu'il convient de suivre au sein du groupe : elles
introduisent donc la notion de conformité. Or, ce qui est conforme l'est
en fonction de normes.
21 Op. Cite. p. 208.
22 Op. Cite. p. 208-209.
Le fondement psychologique pour l'établissement de
normes est « la formation de cadres de référence communs
en tant que produit de l'interaction des
individus. »23. Tout est donc
étroitement lié : la communication est moins importante lorsque
le groupe est nombreux, le produit des interactions est donc plus faible, et
l'homogénéité des cadres de référence est
donc plus difficile à obtenir ; c'est ce qui se passe au sein d'une
équipe exerçant en service de soins.
Une homogénéité des cadres de
référence et systèmes de valeurs apparait difficile
à obtenir sans que l'équipe pluridisciplinaire n'y travaille
réellement. Certes l'ensemble des professionnels de santé
revendique des valeurs humanistes ; que l'on soit médecin, infirmier,
aide-soignant, cadre de santé ou autre, le patient est au centre des
préoccupations. Cependant, chacun s'est construit différemment et
ne possède pas le même « groupe de
référence ».
Ce groupe participe à la construction des
identités professionnelles et sociales : de manière plus ou moins
consciente, chacun possède la culture24 (opinions, principes,
valeurs, langage et buts) du groupe de référence auquel il se
rattache.
Or, cette identification « est
considérablement favorisée par l'existence de
filières promotionnelles instituées permettant de planifier
l'accès à ce groupe » (Dubar,
2002)25. Il convient donc de nous arrêter
sur les différences d'accès aux professions de santé.
D'une part, les médecins suivent un cursus universitaire :
celui-ci assoit le savoir médical fondé sur la recherche
scientifique et permet une reconnaissance de la profession.
D'autre part, les personnels paramédicaux sont
formés en écoles et instituts. Ce sont « des milieux
fermés, propices au développement
d'une culture propre » (Hart, et al.,
2002)26.
23 Coindre, Brigitte. 2007/2008.
Cours de psychologie sociale. Licence AGES. Marseille.
24 La culture est un ensemble de croyances, de modèles,
de représentations et d'habitudes qui guident inconsciemment les
manières de penser et les conduites des individus qui participent
à cette culture. Par définition elle s'acquiert par
l'expérience. Une culture professionnelle se développe par les
études et la formation ainsi que dans la pratique du métier.
Mucchielli, Alex. 1985. Les mentalités. Paris:
Presses Universitaires de France (PUF), 1985. p. 127 pages. pp.7-23. Coll. Que
sais-je?. 978-2130388340.
25 Dubar, Claude. 2002. La socialisation.
Construction des identités sociales et professionnelles. Paris:
Armand-Colin, 2002. p. 255. ISBN 2-200-26448-8.
26 Hart, Josette and Mucchielli, Alex. 2002.
Soigner l'hôpital. Diagnostics de crise et traitements de
choc. Rueil-Malmaiison : Lamarre, 2002. p. 167. Coll. Gestion des
ressources humaines. ISBN 2-85030-715-7. p.150.
Enfin, si nous retenons les infirmiers, leur savoir n'est pas
reconnu comme scientifique puisqu'il n'est pas encore officialisé par la
faculté.
Ces différences de formation impliquent une
différence de références. Celle-ci est amplifiée
par la pratique du métier. En effet, à l'heure actuelle, les
médecins disposent de temps consacrés à la recherche, ce
qui n'est pas le cas des professions paramédicales. De ce fait, les
médecins se retrouvent fréquemment pour remplir leur mission de
recherche et développent des normes « médicales ». Les
paramédicaux, quant à eux (notamment les infirmiers), sont
payés pour une production de soins et non de travaux de recherche. Leur
quotidien est au chevet des patients, et c'est auprès d'eux qu'ils
développent leurs propres normes.
Au sein de l'équipe pluridisciplinaire, nous nous
retrouvons face à deux groupes de référence : les
médecins et les personnels paramédicaux27. Chacun
d'entre eux possèdent son propre système de normes et sa propre
culture. Une enquête menée pour le Ministère de l'Emploi,
de la Cohésion sociale et du Logement et le Ministère de la
Santé et des Solidarités vient appuyer cette idée ; voici
ce que l'on peut y lire : « en milieu hospitalier,
c'est l'esprit de corps qui est
souvent évoqué comme constituant un principe
d'union et d'alliance supérieur
à l'esprit d'équipe »
(Gheorghiu, et al., Juin 2005)28.
Il existe à l'intérieur d'une équipe
de soins plusieurs systèmes de référence
différents.
Etablir des normes passe par le produit des
interactions. Travailler sur les interactions et la qualité de la
communication permettrait-il d'améliorer l'esprit
d'appartenance29 à l'équipe (en opposition à
l'esprit de référence) ?
27 Pour cette étude, nous distinguerons les
paramédicaux et les médicaux, mais il est fort à supposer
que dans une étude plus approfondie, on puisse révéler
l'existence de plusieurs groupes restreints au sein du personnel
paramédical.
28 Gheorghiu, Minhaï Dinu and
Frédéric, Moatty. Juin 2005. Les conditions du
travail en équipe. Conditions et organisation du travil dans les
établissements de santé. Ministère de l'Emploi, de la
Cohésion sociale et du Logement et Ministère de la Santé
et des Solidarités. s.l. : Centre d'études de l'emploi (CEE),
Juin 2005. p. 289, Post enquête. n°49. p.13
29 Nous faisons ici référence au « groupe
d'appartenance » ; groupe dans lequel s'exerce la relation de travail, en
l'occurrence l'équipe. Celui-ci se distingue du « groupe de
référence » qui fournit à l'individu ses valeurs, ses
opinions, ses comportements et ses normes.
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