1.2. Les réunions d'éthique
1.2.1. L'histoire
Au début, la difficile prise en charge d'un patient qui
a confronté l'équipe à de nombreuses
incompréhensions mutuelles. D'un côté, les médecins,
et de l'autre, l'équipe soignante... Qui n'a pas vécu une telle
<< séparation de pensée » au sein d'un service de
soins ? Notre vocabulaire est pourtant bien le même, mais quel sens
mettons-nous derrière les mots ?
Face à la détresse morale de certains membres du
personnel et à la demande constante de l'équipe soignante
d'organiser une rencontre pour parler de ce patient, l'équipe
médicale et le cadre de santé ont décidé de mettre
en place des << réunions d'éthique ». Elles auraient
lieu environ une fois par mois et permettraient d'échanger sur des
situations complexes, situations fréquentes en service de
réanimation.
L'histoire commençait bien... En 2003, une
étudiante cadre de santé, issue du même service, mettait en
évidence dans son mémoire que ces réunions avaient conduit
à une « synergie de l'équipe
pluridisciplinaire». (Par synergie, elle entendait
complémentarité des acteurs, partage des valeurs, partage de la
décision, communication, cohésion et sens du soin). (Galland,
2002- 2003)2
2 Galland, karin. 2002-2003. Mots pour mots:
réflexion et dynamique d'équipe. Marseille: IF-CS AP-HM,
2002- 2003.
Ces réunions étaient animées par le chef
de service, et co-animées par un des chefs de clinique. Pour y avoir
participé activement, nous pouvons dire à quel point il
était difficile de s'exprimer pour le personnel paramédical. De
plus, il semblait parfois exister une « vérité
éthique » délivrée par le corps médical. Dans
un tel contexte, il ne s'agissait plus de réunions, mais de cours
magistraux. Cet état de fait a conduit le personnel paramédical
à ne plus se rendre à ces rencontres, qui de plus, se
déroulaient sur leur temps personnel. Une phrase prononcée par un
infirmier à cette époque nous semble assez bien résumer
cette situation : « Venir sur mes heures de repos pour
m'entendre faire la
morale...J'ai autre chose à
faire. ».
Et c'est la fin de l'histoire... Aujourd'hui, triste
réalité, ces réunions ont disparu. Au moins avaient-elles
le mérite d'exister. Que s'est-il passé ?
1.2.2. Divergence d'objectifs et de perceptions
En nous basant sur certains résultats de
l'enquête de terrain conduite par l'étudiante cadre de
santé, nous pouvons mettre en évidence des points de divergence
entre l'équipe médicale et l'équipe paramédicale
:
? Les objectifs attribués à ces réunions
: pour les médecins, il s'agissait de « régler des
situations conflictuelles et des problèmes de décision de prise
en charge », pour les soignants, ces réunions
avaient pour ambition de « parler des situations difficiles
», « améliorer la qualité des soins
» et « évoquer les droits des patients
».
? La perception de ces réunions : du point de vue
médical, elles étaient « un espace de régulation
des conflits », du point de vue paramédical, elles
représentaient « un lieu
d'échange
».
Nous tenons à nous arrêter sur le champ lexical
employé par chacune des catégories socioprofessionnelles : d'une
part, nous entendons « régler » et «
réguler », ce qui nous renvoie à la
règle, à l'ordre et à la conformité, d'autre part,
il s'agit de « parler », « évoquer
» et « échanger », c'est à dire exprimer sa
pensée et communiquer.
Nous constatons donc à quel point la
vision3 de ces réunions était très
différente au sein des groupes médical et
paramédical.
D'autres résultats ont montré que ces
réunions augmentaient le niveau de connaissance de l'équipe ; les
acteurs, au travers de discussions, apprenaient à mieux se
connaître. Certains se sont rendu compte qu'ils travaillaient «
à côté » de telle personne, mais pas «
avec » cette même personne.
A l'heure où nous parlons, le personnel soignant n'est
plus le même à plus de 60% ; nous pouvons donc penser que
l'équipe est retournée à son état initial où
chacun pensait qu'elle ne communiquait pas assez.
|