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La réalisation judiciaire du principe de l'impartialité du juge béninois

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par Ulrich DJIVOH
Université d'Abomey-Calavi - DEA en droits de la personne humaine et démocratie 2009
  

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Sommaire

Introduction

PREMIERE PARTIE : L'IMPARTIALITE FONCTIONNELLE DU JUGE

CHAPITRE 1 : LE PRINCIPE DE L'INTERDICTION DU CUMUL DES FONCTIONS DE JUSTICE

SECTION 1 : l'interdiction du cumul de différentes fonctions dans une même cause

Paragraphe1 : Le pré-jugement nuisible, exclusif de l'impartialité

Paragraphe 2 : Le pré-jugement inoffensif justifiant le cumul

SECTION 2 : L'interdiction du cumul de fonctions similaires à des degrés différents

Paragraphe 1 : Le principe du double degré d'instruction

Paragraphe 2 : La dualité de juridiction

CHAPITRE 2 : LES LIMITES INHERENTES A LA PROHIBITION DU CUMUL DES FONCTIONS DE JUSTICE REPRESSIVE

SECTION 1 :La double mission d'investigation et de juridiction du juge d'instruction.

Paragraphe 1 :La non stigmatisation du cumul des fonctions du juge d'instruction

Paragraphe 2 : La nécessité d'une réforme de l'instruction

SECTION 2 : Le juge des enfants : juge d'instruction et de jugement

Paragraphe 1 : Une impartialité sacrifiée

Paragraphe 2 : La nécessité d'une réforme de la juridiction pour mineurs

DEUXIEME PARTIE : L'IMPARTIALITE PERSONNELLE DU JUGE

CHAPITRE 1 : DES GARANTIES OUVERTES CONTRE LA PARTIALITE

SECTION 1 : La garantie contre le pré-jugement explicite : la récusation

Paragraphe 1 : L'utilité certaine de la récusation

Paragraphe 2 : Les limites de la récusation

SECTION 2 : La garantie contre le pré-jugement implicite : le renvoi

Paragraphe 1 : La notion de renvoi d'une juridiction à une autre

Paragraphe 2 : L'exercice du renvoi face au risque d'un pré-jugement secrètement porté

CHAPITRE 2 : LA RESPONSABILITE DES JUGES POUR VICE DE PARTIALITE

SECTION 1 : Une responsabilité pénale quasi inexistante

Paragraphe 1 : La responsabilité pénale limitée de droit des juges

Paragraphe 2 : Une irresponsabilité pénale de fait

SECTION 2 : Des responsabilités civiles et disciplinaires de faibles portées

Paragraphe 1: La portée limitée de la responsabilité disciplinaire des juges Paragraphe 2 : La responsabilité civile des juges : un mécanisme à dynamiser

CONCLUSION

BIBLIOGRAPHIE

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION :

Il faut tuer le juge. L'idée selon laquelle il faut faire disparaître l'institution judiciaire est à défendre, depuis que la justice a épousé le sentimentalisme

S'il est bien une détestable vérité que, « selon que vous soyez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir »1(*), il n'en demeure pas moins que le justiciable, nourrit en son juge l'espérance d'une impartialité à son égard. « L'impartialité est l'âme du juge »2(*), et lui impose de ne pas céder, ni à la tentation du corporatisme, ni aux influences de son milieu de culture, de ses conceptions intimes, encore moins à la démagogie. L'impartialité est bien la vertu attachée par essence à la fonction de juger, car aucune justice digne de ce nom, ne peut s'accommoder de quelque soupçon de partialité3(*). Reconnaissant l'importance d'un tel devoir, même les écritures saintes ne l'ont épargné. La bible lui recommande : « tu ne biaiseras pas avec le droit, tu n'auras pas de partialité, tu n'accepteras pas de cadeaux, car le cadeau aveugle les yeux des sages et compromet la cause des justes...»4(*).

Le juge, autorité investie du pouvoir d'arbitrer et de départager sans parti pris, est appelé à trancher les conflits qui lui sont soumis, « en s'efforçant de tenir la balance au milieu sans privilégier une partie au détriment de l'autre »5(*). Cependant, cela est pénible mais il faut le reconnaitre, les juges, font périodiquement montre, d'une partialité avérée, avouée, et même revendiquée, constamment et largement relayée par les médias6(*) . De plus, « à côtoyer de trop près les rouages de la machine judiciaire, on perd beaucoup d'illusion sur la nature de cette Thémis aux yeux bandés qui tient dans ses mains la balance et l'épée : symboles de son impartialité. On s'aperçoit qu'il lui arrive de soulever discrètement le bandeau et de guigner à droite et à gauche... »7(*).Ces accusations de partialité qui sont constamment lancées, doivent rappeler à l'homme de robe son devoir d'infaillibilité et de protecteur intrépide de l'innocence.

L'impartialité est un souci, celui de toute personne ayant pour fonction de porter un regard de « juge » sur une personne, une chose ou un évènement. Elle est une condition de l'exercice respectueux de la déontologie de toute tâche, qui consiste à évaluer, estimer, apprécier. Cette exigence d'impartialité réclamée dans tout domaine d'activité8(*) nécessitant l'exercice d'un droit de regard, est par essence attachée à une fonction propre à la sphère juridique. Il s'agit de la fonction de juger. Elle fait l'objet d'une application qui peut varier d'un système juridique à un autre. Il s'en suit que «la réalisation judiciaire du principe de l'impartialité du juge béninois » est un aspect particulier dudit principe, présentant ses propres spécificités et méritant que l'on s'y intéresse.

Le juge peut être appréhendé comme un magistrat de l'ordre judiciaire, professionnel ou non9(*). Plus précisément, le juge est désigné comme un magistrat de l'ordre judiciaire doté d'un pouvoir juridictionnel, qui est celui de dire le droit et de trancher des litiges10(*). Le terme magistrat est issu des mots latins « mag, magnus » qui signifient « grandeur, puissance, force » et de « magis, magister » dont le sens est « le maître, le chef »11(*). Il traduit l'idée d'une haute fonction publique, une fonction d'autorité, et désigne certains groupes de personnes qui exercent une fonction juridictionnelle. « Si au sens large, on appelle magistrat, toute personne investie d'une autorité juridictionnelle, administrative ou politique, au sens restreint ce terme ne désigne que les magistrats de carrière, c'est-à-dire les personnes qui concourent à rendre la justice comme juges ou comme membres du ministère public... »12(*). Le juge est donc un magistrat ayant pour mission de trancher des litiges. Il est encore qualifié de  magistrat assis , parce qu'il adopte la position assise pour rendre sa décision après avoir délibéré, soit « sur le siège », soit dans la salle des délibérations ou salle des délibérés13(*). Le juge tranche et sa fonction est de décision et d'adjudication : donnant raison à l'un, il donne tort à l'autre. Il ne lui revient pas de conseiller les parties sur la conduite à tenir, ni de prévoir des difficultés ultérieures, ni d'exercer une mission de médiation ou de bons offices14(*).

L'impartialité, quant à elle, est une notion qui implique un droit à la fois substantiel et fondamental, auquel toute personne peut prétendre, et qui doit être assuré par les pouvoirs publics constitutionnels, administratifs et juridictionnels15(*). Paul ROBERT voit en l'impartialité, tout ce qui est objectif, équitable16(*), donc contraire à l'attitude de celui qui prend partie pour ou contre une chose, un groupe, sans souci de justice, ni de vérité. Pour Gérard CORNU, l'impartialité désigne une « absence de parti pris, de préjugé, de préférence, d'idée préconçue, exigence consubstantielle à la fonction juridictionnelle dont le propre est de départager des adversaires en toute justice et équité »17(*). Elle est requise du juge, aussi bien dans les débats, que lors de la reddition de la décision.

Le juge est impartial lorsqu'il réussit à considérer l'affaire d'une manière anonyme et à remettre en cause tout préopiné ou toute idée préconçue. L'impartialité du juge est porteuse de l'obligation pour ce dernier de ne pas prendre parti dans le règlement de la cause qui lui est soumise. Le doyen PRADEL, pour sa part, définit l'impartialité comme un principe conduisant « à éviter que le juge succombe aux pressions ou invitations des tiers, d'une part, qu'il ne fasse pas intervenir ses préjugés, convictions ou pressions, d'autre part ». Ainsi, le juge doit être seulement « une machine à juger »18(*).

L'impartialité est comme l'indépendance, une exigence que se doit de remplir la juridiction appelée à connaitre d'une cause, dans un État démocratique. Même si les liens entre les deux notions sont forts, il n'en demeure pas moins que l'impartialité doit être distinguée de l'indépendance des juges.

En effet, «si l'indépendance est pour les juges un droit, leur impartialité est un devoir »19(*), et s'il faudrait considérer l'impartialité comme une vertu, c'est que l'indépendance est un statut pour les juges20(*).Pour Franz MATSCHER, être indépendant, signifie avant tout le fait de ne pas être soumis à des ordres ou à des instructions, tel l'obligation qu'aurait un juge de justifier devant une instance supérieure toutes les décisions qu'il a eu à prendre21(*). L'indépendance peut a contrario être conçue comme « une situation qui met le juge en état de prendre ses décisions uniquement sur la base du droit et suivant sa conscience ». Elle peut être organique ou structurelle22(*), comme elle peut être procédurale ou fonctionnelle23(*). Dans l'ensemble, l'indépendance du tribunal exige le refus d'une quelconque immixtion extérieure ou des pressions contre les juges, dans l'exercice de leur office24(*).

Quant aux liens entre les deux notions, il est évident que l'indépendance met aux prises le juge avec les pressions extérieures alors que l'impartialité implique les pré-jugements et partis pris, dans son for intérieur. L'indépendance est davantage liée à l'organisation et au fonctionnement interne des juridictions, plutôt qu'aux qualités personnelles du juge. En ce sens, elle est un statut, contrairement à l'impartialité qui est une vertu25(*). Parce que l'indépendance est un droit et l'impartialité, un devoir26(*), le juge reste créancier de son indépendance et débiteur de son impartialité. Mais il n'en demeure pas moins que les liens unissant les deux notions sont si forts, que la Commission européenne des droits de l'homme, a qualifié ces liens de « connexité fonctionnelle». En effet l'indépendance sert à garantir l'impartialité du juge et même si cette dernière est plus large que la première27(*), l'indépendance est un préalable à l'impartialité28(*).

Cerner la notion d'impartialité, nous amène à la distinguer d'autres concepts tels, la neutralité, l'équité ou l'objectivité.

Le LAROUSSE considère, qu'avoir le sens de l'équité, c'est avoir le sens de la justice, de l'impartialité29(*). Mais cette définition ne rend pas plus facile la distinction qu'il y a lieu d'opérer entre équité et impartialité. L'équité désigne la disposition, à faire part égale, à reconnaitre impartialement le droit de chacun30(*), mais l'impartialité fait l'objet d'une réglementation plus ou moins stricte et précise à la différence de l'équité. Celle ci semble plus extrême que l'impartialité, qui amène à trancher sans parti pris une cause, sur la base du droit. L'équité dépasse une simple application de la loi et considère que le juste n'est pas forcément lié à la règle de droit. Ainsi, l'on peut être partial, et ne pas se conformer à la loi, dans un souci d'équité. C'est peut être dans ce sens, que l'on considère l'équité comme une « réalisation suprême de la justice pouvant dépasser les prescriptions légales, ce qui fait que la partialité peut parfois prendre le visage de l'équité »31(*).

L'impartialité se distingue de la neutralité, qui traduit le fait d'être neutre, c'est-à-dire être objectif, impartial32(*). La neutralité, consiste dans  «le fait de s'abstenir de prendre parti, de s'engager d'un côté ou de l'autre »34(*).Si la notion d'impartialité commande celle de la neutralité, inversement l'absence de neutralité induit l'absence d'impartialité35(*). La différence avec l'impartialité est de taille d'autant plus que, de manière stricte, la neutralité « semble bien incompatible avec la fonction de juger, qui consiste à trancher, à affirmer par voie de décision son opinion en faveur de l'argumentation développée par l'une des parties ». On en déduit que l'acte juridictionnel pris par un juge impartial n'est pas neutre36(*). La neutralité s'apparente tout comme l'objectivité beaucoup plus à la passivité. L'objectivité est une disposition d'esprit de celui qui voit les choses comme elles sont, qui ne les déforme pas. Pendant que l'objectivité est un état d'esprit, l'impartialité est un impératif déontologique. De plus, la partialité est un véritable obstacle à l'objectivité37(*).

La « réalisation » quant à elle, est l'action de concrétiser38(*). Elle traduit l'expression de tout ce qui transcende les aspects purement théoriques. Elle implique, un accomplissement, une exécution, donc une mise en oeuvre autre que textuelle de l'impartialité. Cette réalisation est ici judiciaire, c'est-à-dire appartenant à la justice et donc opposé au législatif et à l'administratif39(*). La réalisation judiciaire prend le sens ici d'une concrétisation du principe de l'impartialité du juge devant les tribunaux judiciaires. Mais cette réalisation sera toutefois limitée aux magistrats du siège. En effet, la garantie du droit à l'impartialité, « ne vise que les juges et non les représentants de l'accusation » d'autant plus que, sous peine de violer les droits de la défense, le ministère public n'a pas une obligation d'impartialité, il est une partie principale au procès sur qui pèse plutôt un devoir d'objectivité40(*).

L'étude d'un tel sujet est digne d'un intérêt à la fois scientifique et pratique. En effet, si aucune justice démocratique ne peut s'accommoder de soupçons de partialité, c'est bien parce que ce dernier entraine le ruine de tout l'édifice social. « Que celui-ci rôde dans le palais, et c'est un pan entier de l'édifice patiemment construit qui risque de s'effondrer. Que le citoyen perde confiance en son juge, et c'est la légitimité même de ce dernier qui est alors remise en cause »41(*). L'intérêt de ce sujet est donc pratique et d'une importance capitale, car il touche les fondements même de toute l'organisation judiciaire et par conséquent la paix sociale et l'essence même de la vie en société. L'enjeu que cette étude représente pour toute la société est donc considérable42(*). Cet intérêt n'est pas que pratique, il est aussi théorique et scientifique. Pour preuve, une telle étude permettra de démontrer la juridicité ou non du principe de l'impartialité du juge en droit positif béninois. Elle permettra au justiciable de cerner les différents contours de son droit à l'impartialité, afin d'envisager les différentes possibilités de réalisation ou de mise en oeuvre de ce droit.

La philosophie qui fonde le mécanisme de l'impartialité remonte loin, puisqu'elle atteint les fondements même du système démocratique. Le principe de l'impartialité tire en effet ses fondements de l'adage anglais selon lequel « il ne suffit pas que justice soit faite, il faut que cela se voit ». C'est donc la confiance que les tribunaux se doivent d'inspirer aux justiciables dans une société démocratique, qui a fondé la nécessité de consacrer l'impartialité des juges43(*). C'est ce qui a poussé la plupart des États démocratiques à instituer le mécanisme de l'impartialité, en tant que principe cardinal gouvernant le bon fonctionnement du service public de la justice.

Historiquement, le droit à l'impartialité a fait son apparition sous les auspices d'un droit plus vaste, celui du procès équitable. L'équité s'est en effet, enrichie, d'un sens encore plus particulier avec les théories contemporaines des droits de l'Homme et la protection internationale à laquelle ces droits ont donné lieu à la suite de la deuxième guerre mondiale44(*). L'équité ne sera plus conçue comme correctif de la règle de droit applicable à la solution matérielle du litige. Ce qui compte désormais, c'est l'équité du processus délibératif que constitue le procès dans la recherche de cette solution ; c'est la garantie que la décision prononcée par le juge « au nom de la justice » le sera bien dans des conditions d'impartialité du juge, répondant à l'exigence de validité universelle, qui seul rend le jugement légitime et acceptable au regard du contrat social45(*). C'est ainsi que le droit au procès équitable, puisque renvoyant irrémédiablement à la notion de justice, a très vite été considéré comme un référent majeur des sociétés démocratiques. Le but qui lui a été assigné était de définir les paramètres d'une « bonne administration de la justice »46(*). C'est dans ce sens que les différents instruments internationaux  dont la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, ne considèrent un procès comme équitable que lorsque la cause des parties, est entendue publiquement, dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial, établi par la loi. L'impartialité est ainsi devenue une qualité que doit remplir toute juridiction appelée à connaitre d'une cause.

Le Bénin n'est pas resté en marge d'une préoccupation aussi sensible que celle de l'impartialité. Divers instruments internationaux régulièrement ratifiés et consacrant le droit à un procès équitable ont transposé le respect de ce droit dans l'ordonnancement juridique béninois. Ainsi, aux termes des dispositions du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, « tous sont égaux devant les tribunaux et les cours de justice. Toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial »47(*). La charte africaine des droits de l'Homme et des peuples, en son article 7.d montre que le continent africain48(*) n'est pas resté en marge d'une telle consécration49(*). Le législateur béninois, résigné à ses vieux codes de procédure civile et pénale, n'a pas expressément consacré le droit à un juge impartial, même s'il a toutefois mis en place un certain nombre de garanties50(*) pour réduire les risques de partialité.

Dans le cadre de cette étude, on s'interroge essentiellement sur les dimensions de l'impartialité du juge.

En effet, le principe de l'impartialité du juge est à la fois un droit procédural et substantiel, dont il convient de s'interroger sur la consistance, d'en déterminer la teneur et d'en cerner les contours. Le fait pour le juge d'avoir exercer une fonction lors d'une instance donnée, peut faire naitre des risques pour lui d'utiliser les pré-jugements qu'il s'est forgé, s'il venait à connaitre en une autre qualité de la même cause. Dans ce sens, l'interdiction d'un cumul des fonctions judiciaires semble être un axe majeur de la protection de l'impartialité du juge. Mais quelle est l'étendue de ce principe ? N'existe-t-il pas en droit positif béninois des cas de cumul, qui semblent limiter la portée du principe de l'interdiction du cumul des fonctions judiciaires ? La preuve en est que, le juge d'instruction est une juridiction investie d'une double mission à la fois d'investigation et de juridiction. Tout comme lui, le juge des enfants, véritable juridiction d'instruction et de jugement est un cas concret de cumul de fonctions judiciaires, qui mérite une attention particulière. En outre, le législateur béninois, a dans sa volonté de garantir l'impartialité, mis à la disposition des plaideurs des outils de contrôle de la partialité des juges, tel le mécanisme de la récusation. Mais il ne suffit pas de mettre en place un outil procédural, encore faudrait il en mesurer la portée, voir l'efficacité. Au demeurant, existe-t-il une possibilité de poursuivre les juges  et ce, pour vice de partialité? Bref, quelles sont les dimensions de l'impartialité du juge ?

S'il faut s'interroger sur les dimensions de l'impartialité, la Cour Européenne des Droits de l'Homme nous donne une première approche de résolution du problème. Souvent saisi de contentieux nécessitant l'interprétation et l'application du principe de l'impartialité, elle en a dégagé une signification à la fois originale et très riche51(*). Il s'agit des deux conceptions que l'on peut avoir de la notion : l'impartialité objective et l'impartialité subjective52(*).

Selon une jurisprudence constante de la Commission et de la Cour de Strasbourg, l'impartialité subjective désigne une absence de parti pris chez le juge, et elle doit être supposée, faute de preuve contraire. La démarche subjective consiste ainsi, à essayer de déterminer ce que le juge pensait dans son for intérieur, en telle circonstance. Elle est garantie par des règles processuelles permettant de récuser le juge, et celui qui n'en fait pas usage ne peut après arguer d'une violation de son droit à l'impartialité53(*). L'impartialité objective, quant à elle, a trait aux apparences, puisque les parties doivent « avoir l'impression que le juge était impartial » et renvoie à « la connaissance que le juge avait eu du litige avant d'en être saisi sur le plan contentieux », telle l'interdiction pour un même juge, dans une même cause de juger à deux degrés différents54(*). L'impartialité objective, est garantie par un corps de règles objectifs organisant par exemple, en droit répressif, la séparation des fonctions de poursuite, d'instruction et de jugement55(*). En effet, il ne suffit pas que justice soit rendue, mais il faut qu'elle ait aussi l'apparence d'avoir été bien rendue. Cette apparence nécessite que différents acteurs, chargés de différentes missions et donc sans avoir eu un pré-jugement prématuré aient jugé, en fonction de tous les éléments du dossier qui leur ont été présenté.

Il faut cependant reconnaitre l'insatisfaction que recèle la terminologie utilisée, car c'est bien à partir d'éléments eux-mêmes objectifs, que la CEDH, décèle la partialité subjective du juge. Ceci a conduit une partie de la doctrine inspirée par le professeur GUINCHARD, à proposer de distinguer entre une « impartialité fonctionnelle» et une « impartialité personnelle » du juge56(*). Dans le premier cas, la question de l'impartialité du juge se pose à raison de l'exercice même de ses fonctions, indépendamment de ses convictions personnelles. Dans le second cas, c'est indépendamment des fonctions exercées, et en raison de ses traits propres, que l'impartialité du juge doit être appréciée57(*).

Ce sont ces différentes constatations qui nous amènent à épouser les distinctions jurisprudentielles dégagées par la CEDH. Il s'agira ici de greffer à l'évolution de l'objectif au subjectif, une distinction selon qu'il y a impartialité liée à l'exercice de la fonction ou une impartialité personnelle58(*). Il s'agira donc pour nous d'adopter la démarche classique, comparable à celle de la CEDH, en examinant d'une part l'impartialité fonctionnelle du juge (première partie), et d'autre part l'impartialité personnelle du juge (seconde partie) en tant que les deux premières et principales dimensions du concept d'impartialité.

* 1 Jean de la Fontaine. Les animaux malades de la peste.

* 2 FRANCILLON (J.), (préface de), L'impartialité du magistrat en procédure pénale, Paris, LGDJ, 1998

* 3 ibidem

* 4La traduction oecuménique de la Bible, DEUTERONOME, Chap. XVI verset 19, Paris, éd. Le CERF, p 228

* 5 ASSOUMOU (C.E.), les garanties d'impartialité du juge dans le code de procédure pénale, mémoire de DEA, Université Yaoundé II, 1998, p 7

* 6 JOSSERAND (S.), L'impartialité du magistrat en procédure pénale, Paris, LGDJ, 1998, p 2

* 7 BILLON (Y) et D. (Ph), « Attitudes du public face à la justice pénale et vision du monde » in RSC, 1984, p 480, cité par JOSSERAND (S.), op. cit., p 10

* 8Hors de la sphère juridique en effet, de multiples domaines d'activité réclament l'impartialité de leurs acteurs. Le professeur, dans l'appréciation qu'il porte sur le travail de son élève, ne doit pas s'attacher à d'autres considérations que la valeur de la réflexion menée. L'éthique impose à l'historien, dans la recherche et l'analyse du passé, de ne pas travestir la vérité des faits, pour en tirer des conclusions au service d'une idéologie. Il appartient encore au critique d'art d'ignorer les diverses influences extérieures destinées à obtenir de lui un compte rendu de l'oeuvre élogieux ou acerbe.

* 9 GUILLIEN (R.), et VINCENT (J.) (Sous la direction de), Lexique des termes juridiques, Paris, Dalloz, 14ème édit., 2001, p 321

* 10 CORNU (G.), (sous la direction de), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 7°éd, 2004, p 512

* 11 AHOUANDJINOU (G.C.), Le privilège de juridiction des magistrats dans les législations des pays de l'Afrique de l'ouest francophone, Thèse de doctorat unique en droit, Chaire Unesco/ FADESP/Université d'Abomey- Calavi, 2009, p 60

* 12 Décision DCC 02-0940 du 13 Août 2002, Cour constitutionnelle du Bénin AGBLO G. L. Léonard, Recueil des décisions et avis, année 2002, 4ème trimestre ,décembre 2003, p 389

* 13 AHOUANDJINOU (G.C.), op. cit., p 60

* 14 OST (F.), «  Juge-pacificateur, juge-arbitre, juge-entraineur. Trois modèles de justice », in Fonction de juger et pouvoir judiciaire. Transformations et déplacements, Bruxelles, Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 1983, p 584

* 15 http://www.droitconstitutionnel.org/congresmtp/textes7/MOUANNES.pdf.

* 16 ROBERT (P.), Dictionnaire Le Nouveau petit Robert, Paris, SEJER, 2004, p 1316

* 17 CORNU (G.), (Sous la direction de), Vocabulaire juridique, Paris, PUF, 1996, p 458

* 18 PRADEL (J.), Procédure pénale, Paris, CUJAS, 2006, p 41

* 19 PRADEL (J.), op. cit., p 41

* 20 GUINCHARD (S.) et FERRAND (F.), Procédure civile. Droit interne et droit communautaire, Paris, Dalloz, 28ème édit., 2006, p 561

* 21 MATSCHER (F.), «  la notion de tribunal au sens de la Convention Européenne des Droits de l'Homme » in les nouveaux développements du procès équitable au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, Bruxelles, BRUYLANT, 1996, p 35

* 22 L'indépendance organique résulte des règles inhérentes à la composition du tribunal ainsi que de celles touchant la nomination des magistrats, leur révocabilité et la durée des fonctions qu'ils exercent.

* 23 L'indépendance procédurale implique quant à elle, « le loisir d'accomplir des fonctions juridictionnelles », plus précisément, l'exemption de toute ingérence extérieure à la juridiction

* 24 GUILLERE-MAJZOUB (F.), la défense du droit à un procès équitable, Bruxelles, BRUYLANT, 1999, p 45

* 25 GUINCHARD (S.), «  Indépendance et impartialité du juge. Les principes de droit fondamental », in L'impartialité du juge et de l'arbitre. Étude de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 2006, p4

* 26 PRADEL (J.), op. cit., p 41

* 27 MATSCHER (F. ), op. cit., p 36

* 28 GUINCHARD (S.), op. cit., p4

* 29 LAROUSSE , dictionnaire de poche, Paris, éditions Larousse, 2009, p 678

* 30 LALANDE (A.), vocabulaire technique et critique de la philosophie, 3e éd , PUF, 1993, cité par ASSOUMOU (C.E.), op.cit., p9

* 31 THIEBERGE. GUELFUCCI (C.), `'libres propos sur la transformation du droit des contrats'' in, Revue trimestrielle de Droit civil, 1997 p 357-385, cité par ASSOUMOU (C.E.), op.cit., p 9

* 3233 LAROUSSE, op. cit., p 545

* 34 DE PONTBRESSIN (P.), « la neutralité du juge » in  Le procès équitable et la protection juridictionnelle du citoyen, Bruxelles, BRUYLANT, 2001, p 79

* 35 http://www.droitconstitutionnel.org/congresmtp/textes7/MOUANNES.pdf.

* 36 DE PONTBRESSIN (P.), « la neutralité du juge » in  Le procès équitable et la protection juridictionnelle du citoyen, Bruxelles, BRUYLANT, 2001, p 79

* 37 ASSOUMOU (C.E.), les garanties d'impartialité du juge dans le code de procédure pénale, mémoire de DEA, Université de Yaoundé II, 1998, p 9

* 38 LAROUSSE, op. cit., p 300

* 39 CORNU (G), op. cit., p 453

* 40 ASSOUMOU (C.E.), les garanties d'impartialité du juge dans le code de procédure pénale, mémoire de DEA, Université de Yaoundé II, 1998, p8

* 41FRANCILLON (J.), (préface de), L'impartialité du magistrat en procédure pénale, Paris, LGDJ, 1998.

* 42 FRANCILLON (J.), (préface de), L'impartialité du magistrat en procédure pénale, Paris, LGDJ, 1998

* 43 QUILLERE-MAJZOUB (F.), La défense du droit à un procès équitable, Bruylant, Bruxelles, 1999 ;p51

* 44 CADIET (L.), Découvrir la justice, Paris, Dalloz, 1997 , p34

* 45 CADIET (L.), op cit., p 35

* 46 QUILLERE-MAJZOUB (F.),op. cit., p17

* 47 Cf. Article 14 du PIDCP

* 48 Le continent européen était aussi dans cette vague de légalisation du droit à un procès équitable. En effet, seulement deux ans après l'adoption de la DUDH, l'Europe s'était déjà doté d'une convention protectrice du droit à l'impartialité du tribunal. Ce droit est consacré à l'article 6.1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits et des libertés fondamentales, plus connu sous le nom de la Convention Européenne des Droits de l'Homme (CEDH)

* 49 Cette disposition prescrit en effet le droit à être jugé dans un délai raisonnable par une juridiction impartiale

* 50 Le mécanisme par exemple de la récusation ou celui du renvoi tel que mis en place par le code de procédure pénale participe de la protection de l'impartialité en droit répressif béninois

* 51 SERMET (L.), Convention européenne des droits de l'homme et contentieux administratif français, Paris, ECONOMICA, 1996, p 223

* 52 MATSCHER (F.) «  la notion de tribunal au sens de la Convention Européenne des Droits de l'Homme » in les nouveaux développements du procès équitable au sens de la Convention européenne des droits de l'homme, Bruxelles, BRUYLANT, 1996, p 42

* 53 MATSCHER (F.), op. cit., p 42

* 54 MATSCHER (F.), op. cit., p 42

* 55 DEBOVE (F.) et FALLETTI (F.), précis de droit pénal et de procédure pénale, Paris, PUF, coll. MAJOR, 2e édit. , 2001, p 291

* 56 GUINCHARD (S.), «  Indépendance et impartialité du juge. Les principes de droit fondamental », in L'impartialité du juge et de l'arbitre. Étude de droit comparé, Bruxelles, Bruylant, 2006, p 26

* 57 GUINCHARD (S.), op. cit., p 25

* 58 GUINCHARD (S.), op. cit., p27

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"Là où il n'y a pas d'espoir, nous devons l'inventer"   Albert Camus