12.2. La theorie weberienne du processus de rationalisation
socio-culturelle de l'Occident.
Toujours dans son ouvrage Theorie de l'agir
communicationnel, Habermas accompagne cette reinterpretation langagiere du
concept de rationalite par une critique de la theorie de l'action de Max Weber
et de la theorie du systeme d'action de Talcott Parsons. C'est sa volonte de
reunir philosophie et sciences sociales par une theorie de la rationalite
communicationnelle qui pousse Habermas a reinterpreter les classiques de la
sociologie, comme it le fait du discours philosophique modeme. Au lieu de
presenter l'action sociale par laquelle se manifeste la Raison, comme le fait
Weber, par le biais des motivations et des orientations d'action d'un sujet
individuel, comme la manifestation d'une rationalite par rapport a une fin
et orientie par des valeurs, qui tient compte certes des valeurs
collectives dans ('orientation de l'action individuelle, mais qui donne
priorite a la Zweckrationalitat et qui par consequent reste
prisormiere d'une rationalite teleologique et instrumentale, Habermas souligne
1' importance de se pencher sur les proces d'intercomprehension langagiere
et d'entente communicationnelle. Selon Habermas, Weber voit juste dans sa
comprehension et sa presentation du processus de rationalisation
socio-culturelle de l'Occident, un processus qui ouvre le chemin a une
domination de la rationalite instrumentale et a un desenchantement
du
monde. Mais, comme Horkheimer et Adorno et leur
Theorie critique et dialectique de la relation sujet / objet, comme Marx et
Lukacs et leur concept deterministe de revolution proletarienne, une
theorisation des actes langagiers d'individus qui souhaitent
coordonner leurs plans d'actions et qui se referent a un monde vecu
commun manque a la pensee de Weber : langage, consensus et
monde vecu sont a la base des concepts d'agir conununicationnel et de
rationalite communicationnelie, et ils sont absents de la theorie monologique
et mentaliste du processus de rationalisation socio-culturelle occidentale
presentee par Weber. La principale erreur de Weber, aux yeux de
Habermas, est d'avoir fait de la rationalite par rapport a une fin
le point d'aboutissement du processus de rationalisation socio-culturelle
de 1' Occident, d'avoir adopte une perspective pessimiste face a ce
processus en le presentant unilateralement et sans nuance corrune le
desenchantement du monde provoquant perte de sens et de liberte et en n'ayant
pas tenu compte de la liberation du potentiel de rationalite contenu dans le
langage, une liberation rendue possible par ce passage des images
metaphysico-religieuses du monde, propres aux societes pre-moderns, a des
structures de conscience moderns. C'est par ce processus de
rationalisation, cette mise en langage du consensus normatif assure par le
sacra, ou comme dirait Durkheim ce passage d'une solidarite mecanique a
une solidarite organique, qu'eclatent ces images metaphysicoreligieuses
monolithiques en spheres de valeurs culturelles differencides et rendues
accessibles pour une critique langagiere de la part des sujets en interactions_
Ce sont les spheres de valeurs du vrai, du bien et du beau, presentees par
Habermas comme etant les spheres de valeurs cognitives-instrumentales,
morales-pratiques et esthetiques-expressives. Weber a souligne cette
differenciation, en la presentant comme l'apparition d'un polytheisme des
valeurs, mais it a ignore les potentiels de critique normative (de la sphere de
valeurs moralespratiques) et d'auto-critique subjective (de la sphere de
valeurs esthetiques-expressives) liberes par cet eclatement des images
metaphysico-religieuses des societes traditionnelles et mythiques, et it a fait
de la rationalite cognitive-instrumentale et de l'action rationnelle par
rapport a une fin le modele de rationalite hegemonique, incarne dans
l'entreprise capitaliste et dans l'Etat bureaucratique moderne et provoquant
perte de sens et de liberte.
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