La Coopération Multilatérale et la Question de l'Eau au Bassin du Nil( Télécharger le fichier original )par Christine A. ISKANDAR BOCTOR Institut d'Etudes Politiques de Paris (IEP) - DEA (Master) en Relations internationales 2002 |
b) Les arguments de l'Ouganda : un pays aux sources équatorialesComme conséquence de la situation éthiopienne, du refus, envers l'accord de 1959, la Tanzanie, et puis l'Ouganda et le Kenya, ont déclaré la Doctrine de Nyréré61(*). Cette dernière refuse l'approbation de l'accord sous prétexte qu'il a été signé en absence de ces pays et pendant la période colonisatrice. Ceci a empêché la mise en oeuvre des projets développementalistes aux sources équatoriales. En 1953, les deux gouvernements, Egyptiens et Ougandais, se sont mis d'accord sur la construction d'un barrage et réservoir sur les chutes Oyen au lac Victoria, dans le but de produire de l'électricité pour l'Ouganda et réserver de l'eau pour l'Egypte et le Soudan au lac Victoria62(*). Mais selon cette doctrine, inventée par ces pays, tous les projets ont été bloqués. Pour conclure, la plupart des pays riverains se rendent compte que la façon dont les eaux du Nil sont utilisées actuellement est injuste, et ils réclament de nouvelles législations internationales et de nouvelles négociations auxquelles devront participer tous les pays riverains. Ils voient que cet accord bilatéral de 1959 traite la question hydraulique du point de vue technique et il ne présente pas une régulation régionale fondée sur l'intégration économique dans les divers domaines, c'est ce que nous allons le voir avec l'Initiative du Bassin du Nil. c) Le refus égyptien de la révision de l'accord de 1959L'Egypte, à travers les siècles, a été préoccupée, par le problème du contrôle des eaux du Nil. L'une des raisons de cette préoccupation est la nature irrégulière du cours d'eau. Durant les cents dernières années, le débit total annuel du Nil a varié entre 150 milliards de mètres cubes à son maximum et 42 milliards à son minimum63(*). L'Egypte voit que pas de sécurité militaire d'une nation au-delà de sa sécurité économique, et ce dernier signifie la sécurité alimentaire qui dépend essentiellement aux eaux. Pour chaque Etat, la production alimentaire locale fait partie de sa défense, prise dans son sens large ; car, même si cela coûte plus cher que des produits d'importation, cela ne contribue pas moins à renforcer son indépendance politique ; dans cette optique, la sécurité des approvisionnements en eau acquiert une importance considérable, quand bien même cette eau est utilisée dans une agriculture rémunératrice. Bref, la sécurité alimentaire et hydraulique soutiennent la sécurité nationale. Pour réaliser sa sécurité nationale, la politique égyptienne nilotique se fonde sur le principe des droits acquis, sur la nécessité de négocier avec l'Egypte concernant la construction des ouvrages qui peuvent influencer sur les débits du Nil, et sur le besoin vital d'augmenter le quota égyptien d'après des projets et des réservoirs hydrauliques au cas où la diminution des débits du bassin. Au Tigre et à l'Euphrate, l'Irak, pays en aval, estime que les deux fleuves sont internationaux et demande le respect des droits acquis. Il demande aussi que soit reconnue l'indépendance des bassins versants et s'oppose à la position turque mais aussi syrienne qui considère que le Tigre et l'Euphrate constituent deux branches d'un même bassin hydrographique, avec un partage équitable des eaux de chacun d'eaux doit être envisagé entre les trois Etats riverains. Pour la Syrie, l'Euphrate est un fleuve international et il doit y avoir respect des « droits acquis » et interdiction de tout aménagement qui modifierait le débit sans l'accord de l'ensemble des Etats riverains. Elle soutient « l'unicité » du bassin versant du Tigre et de l'Euphrate. De plus, la géographie du fleuve a imposé des limites et des restrictions au cadre de l'existence égyptienne : la longueur du fleuve a imposé une certaine diversité humaine et politique sur les Etats du bassin. Le géographe Gamal HAMDANE64(*) l'avait divisée en trois régions aquatiques à savoir : la source, le cours d'eau et le débouché. La première région est celle du plateau, des lacs et de l'Ethiopie ; le deuxième, le Soudan ; et le troisième, l'Egypte. Il soutient la règle qui dit que l'Egypte en tant qu'Etat du débouché, est la plus faible géographiquement en comparaison aux autres Etats qui disposent de la source et que celui qui possède la maîtrise sur les sources du Nil pourrait nuire l'Egypte. Il était logique donc que l'Egypte veille toujours à garantir le flux des eaux et à s'assurer de leur non exposition à la menace, ou à la maîtriser des sources du Nil ou du flux de ses eaux vers l'Egypte, de la part d'une force hostile quelconque. Le but de sécuriser les eaux du Nil a été toujours une des constantes de directives suprêmes de tout régime politique. Le fait que l'Egypte dépende des eaux du Nil et les autres Etats ne sont pas des sociétés nilotiques, tout ça a encouragé ces Etats à employer le Nil comme enjeu politique contre l'Egypte. Vraiment, il est très difficile d'arriver à un accord car la nature unidirectionnelle des externalités amont-aval fait qu'il est nécessaire de rechercher la coopération de biens multiples (l'eau et l'hydroélectricité par exemple) comme moyen de concrétiser ce jeu à somme positive. Mais, introduire des questions secondaires qui peuvent aider dans le cas d'un degré important d'externalités dans le sens où il existe des récompenses nécessaires à la coopération et des sanctions pour les défections, nécessite un cadre institutionnel plus élaboré, pendant cette période, inexistant. Bref, la position de l'Egypte est claire et se résume par un refus pur et simple de toute remise en question de l'accord de 1959. Le Ministère égyptien des Affaires étrangères reconnaît l'existence d'un ensemble de droits et de devoirs, qui ne peuvent être que favorables aux pays riverains situés en aval d'un fleuve : 1. Distribution et utilisation équitable des eaux ; 2. Protection des intérêts des autres pays contre toutes actions dommageables ; 3. Recours à la coopération ; 4. Respect des droits acquis ; 5. Juste compensation en cas de préjudice. La notion de droits acquis est le facteur-clé de la reconnaissance par les pouvoirs publics égyptiens des conventions et autres instruments du droit international. * 61 Mahmoud Samir AHMED, Les prochains conflits de l'eau au Proche-Orient, Le Caire : Dar El Moustakbal El Arabie, 1991, p. 33-34 (en arabe) * 62 Ibid., p. 445 * 63 Une moyenne annuelle du débit du fleuve, pendant la période de 1870 à 1952, s'élevait à 84 milliards de mètres cubes d'eau, moyenne qui fut prise comme base pour tous calculs futurs dans les négociations entre l'Egypte et le Soudan. * 64 Gamal HAMDANE, La personnalité de l'Egypte : réflexion sur le génie du lieu, Le Caire : Prisme (série 1), 1997, p. 225-300 (en arabe) |
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