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La Coopération Multilatérale et la Question de l'Eau au Bassin du Nil

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par Christine A. ISKANDAR BOCTOR
Institut d'Etudes Politiques de Paris (IEP) - DEA (Master) en Relations internationales 2002
  

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CONCLUSION

Dans un cours d'eau qui touche dix Etats riverains, un accord intervenant entre deux de ces Etats ne constitue pas un règlement définitif. C'est en raison de cette situation invraisemblable que nous considérons que l'accord entre la République du Soudan et la République Arabe Unie sur la pleine utilisation des eaux du Nil de 1959 était une « solution d'attente », car un règlement durable du régime juridique des eaux du Nil exige une confrontation générale de tous les riverains nilotiques. L'aménagement d'un cours d'eau aussi important que le Nil doive en effet se réaliser en fonction de la situation d'ensemble de tous les Etats du bassin, afin que l' « unité hydrologique » puisse correspondre à une certaine unité politique et juridique. Le bassin du Nil constitue une entité hydrologique « offrant » une base exceptionnelle pour renforcer et stimuler la coopération profitable du bassin.  

Cette période transitoire, entre l'accord égypto-soudanais de 1959 et l'Initiative du Bassin du Nil, a connu plusieurs éléments modificateurs, voire révélateurs, poussant vers cette coopération multilatérale entre les « dix-Nil-s » nationaux. Quels sont ces éléments évolutifs ?. De tout ce qui précède dans ce mémoire, nous concluons que la question de l'eau a connu une triple évolution, aux niveaux politique et juridique, en ce qui concerne les défis internes et externes, et finalement, au niveau du concept de l'eau et de son évolution d'un bien vital commun à un bien économique.

L'évolution aux niveaux politique et juridique

La fin de la Guerre froide et l'arrivée au pouvoir des Nouveaux Leaders : Si la fin de la Guerre froide avait remis en cause et en valeur l'accord de 1959, l'arrivée des nouveaux leaders dans les pays en amont avait été un élément révélateur de la nécessité du recours à la coopération multilatérale. La période de la Guerre froide évoquait un cadre protecteur contre la non adhésion des pays fragmentés entre deux blocs contradictoires. Ce qui l'a gardé toujours un accord bilatéral pour un bassin qui passent par dix pays riverains. Dès la fin de la Guerre froide et la dislocation de l'Union soviétique, les pays nilotiques ont connu la fin des régimes contradictoires politiquement et idéologiquement. Nous pouvons dire que cette fin constate le début du chemin vers le devoir de coopérer.

Ensuite, l'arrivée au pouvoir des nouveaux leaders, avec une vision développementaliste pour leurs pays, a ouvert de plus la voie devant le devoir de coopérer. Ces leaders cherchent à obtenir la stabilité et la crédibilité de leurs régimes politiques. Ces deux objectifs ciblés engendrent un développement durable socio-économique. Et nous savons très bien que la condition primordiale pour le développement est la paix. La paix au niveau d'un bassin qui pénètrent dix Etats, ne se réalise que par la coopération entre eux, et que cette coopération ait l'objectif d'instaurer le développement socio-économique durable dans ce bassin271(*). Pas de développement sans paix et pas de paix sans coopération.

La descente du binôme Etat-Nation / Territoire : La préhension de la question de l'eau et le débat à propos de l'hydropolitique s'inscrivaient dans la perspective de compréhension du fonctionnement des Relations Internationales. En effet, l'équation est posée aux termes d'un rapport systématique entre le territoire et la souveraineté qui s'y exerce. Soit le fleuve s'inscrit à l'intérieur des frontières stato-nationales et relève alors de l'absolue souveraineté de l'entité ; soit le fleuve traverse une ou plusieurs frontières, il est dans ce cas source de conflits et de désordre, dans la mesure où il confronte plusieurs souverainetés stato-nationales. Après une longue période triomphante du phénomène de l'Etat-Nation, nous assistons à un decrescendo. La réalité des relations internationales est devenue plus complexe que ne le laisse supposer la représentation monolithique dont nous avons hérité du système westphalien. Il ne suffit plus de dire un Etat, une Nation, un territoire, une souveraineté pour rendre compte de cette réalité.

Cette réalité qui a commencé par la doctrine de la souveraineté territoriale absolue, doctrine Harmon, consiste à reconnaître à l'entité étatique, l'entière souveraineté sur les ressources hydriques présentes sur le territoire dont elle assure l'administration. La souveraineté territoriale absolue proclame qu'un Etat peut user des eaux sur son territoire de la façon qu'il estime la plus conforme aux intérêts nationaux, indépendamment des conséquences externes. Et puis, les règles d'Helsinki de 1966 ont remplacé la doctrine de la souveraineté absolue par la doctrine de l'intégrité territoriale, c'est-à-dire une souveraineté territoriale limitée. La doctrine de l'intégrité territoriale voit que tout Etat du bassin a droit, sur son territoire, à une part raisonnable et équitable de l'utilisation avantageuse des eaux du bassin hydrographique international. Enfin, la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation de 1997 a formalisé une nouvelle approche juridique au problème. Cette Convention a repris la définition du Bassin de Drainage International en reconnaissant le devoir de coopérer à sa protection et à sa mise en valeur. La Convention a transformé le principe de ne pas nuire à autrui vers un principe de coopération juste et équitable. Du point de vue du droit international des bassins fluviaux272(*), la convention de 1997 a baptisé le concept de coopération comme concept prédominant dans la résolution des tensions au niveau des bassins transfrontaliers.

L'évolution au niveau des défis internes et externes

Les défis internes : L'idée de la guerre de l'eau consistait un défi interne pour les riverains nilotiques mais aussi, une conséquence de l'instabilité politique, la politisation de l'eau et de la croissance démographique. La période de la Guerre froide jouait un rôle important dans l'efficacité de ces défis. Au Sud du Soudan, l'instabilité politique a empêché l'achèvement du canal de Jonglei, n'oublions le rôle des grandes puissances et des pays voisins. Au cas où des perturbations dans les relations entre les deux pays, le recours à l'eau comme carte de jeu serait fréquent. L'Egypte menace l'Ethiopie de rentrer en guerre s'il y a des barrages construits sur le Nil bleu, et lors de la déclaration du projet de la Nouvelle Vallée « Tochka », l'Ethiopie accuse l'Egypte d'utiliser plus que son quota. La croissance démographique et la nécessité du développement entraînent des projets hydrauliques, ce qui nécessite le changement de vision envers le Bassin. L'Egypte le voit selon l'angle de l'unicité, un barrage en amont influence directement sur les pays en aval.

Tous ces défis ont provoqué un grand défi, celui de la guerre de l'eau, n'a jamais existé au bassin du Nil mais, il est un bassin de discorde. Pas de doctrine commune, l'Egypte est pour l'intégrité territoriale et ses droits acquis, l'Ethiopie est pour la souveraineté territoriale absolue, et les pays en amont sont pour la doctrine de Nyréré et le refus des héritages colonisateurs, en considérant l'accord de 1959 l'un de ces héritages. Pas de coopération commune, puisque les Etats nilotiques n'étaient pas d'accord sur les idéologies, ils ne seront pas d'accord sur les moyens de régulation. La Commission Technique Mixte n'a pas réussi de se transformer vers une commission commune. L'Undugu n'a pas continué sous prétexte qu'il était imposé par l'Egypte et que l'Egypte exerce son influence sur les autres riverains. La discorde était un motif fort pour le déclenchement d'une guerre, surtout entre l'Egypte et l'Ethiopie mais, la rationalité dans la prise de décision était le protecteur. Les deux partenaires savent que de l'irrationnel de faire une guerre autour d'un bien commun surtout si l'un des deux est un pays en aval. De plus, le non-déclenchement montre que les différends se provoquent d'après des facteurs et des acteurs externes, voire l'effet de contexte.

Néanmoins, cette situation est considérée ancienne, elle a été renouvelée par le recours à la coopération multilatérale273(*). D'après les projets de l'Initiative du Bassin du Nil, l'Egypte a quitté l'unicité du bassin vers la reconnaissance de l'existence des bassins subsidiaires, et que les barrages sur ces sous-bassins ne la nuisent pas. A son tour, l'Ethiopie a quitté aussi l'idée de ne pas commencer aucune coopération sans la révision de l'accord de 1959.

Les défis externes : Après la fin de la Guerre froide, l'Afrique s'est trouvée devant une nouvelle concurrence franco-américaine, un rôle français ambigu envers le conflit aux Grands Lacs et un objectif américain, en attirant les nouveaux leaders, pour ses intérêts économiques. Nous considérons que l'Afrique comme cible à cette concurrence, était un élément catalyseur pour le recours à la coopération, en s'échappant d'une nouvelle polarisation. Ensuite, la sécurité alimentaire mondiale, la santé de millions d'êtres humains, l'équilibre des villes en développement et la sécurité économique, politique et militaire de plusieurs régions sont en jeu dans un contexte d'aggravation des situations de contrainte hydrique. La production alimentaire devra être triplée dans les pays en développement et quintuplée en Afrique et au Moyen-Orient, deux régions où la rareté des ressources en eau douce constitue déjà de sérieuses contraintes à la production agricole.

Avoir l'impression que la contrainte hydrique est devenue une crise commune, a ouvert la porte devant l'aspect transnational de l'eau. Chercher comment résoudre cette contrainte consistait un objectif commun de tous les pays et pas seulement des riverains concernés. La gouvernance de l'eau ne se réalise pas par les efforts étatiques mais par ceux de tous les acteurs. Donc, l'aspect transnational de l'eau était un mécanisme de la part des pays développés pour envisager les crises hydriques. Et nous voyons que la coopération considérait la bonne voie pour les riverains d'un seul fleuve, et considérés parmi les pays en développement, pour avoir une décision commune devant les mécanismes de cet aspect transnational. Autrement dit, le devoir de coopérer est un moyen préventif.

De plus, les politiques, adoptées par les mécanismes de cet aspect transnational, cherchent à réaliser les intérêts des pays riches. L'idée de la tarification de l'eau est sans doute contre l'intérêt des pays pauvres et marginalisés. Ce mécanisme aggrave le fossé entre les pays riche et pauvre, déjà redoublé par la mondialisation mais cette fois-ci, l'idée touche un bien vital, un droit pour n'importe quel être humain. Ne voyez pas que ce mécanisme aussi engendre un préventif, tel que la coopération entre acteurs pluriels pour un problème d'intérêt collectif. L'accès à la ressource est aussi une question d'éthique et doit en conséquence être considéré comme un droit fondamental à assurer à l'ensemble de l'humanité.

Selon Riccardo PETRELLA, l'accès de base à l'eau est un droit politique, économique et social fondamental, individuel et collectif, car de la jouissance de ce droit dépend la sécurité biologique, économique et sociale de chaque être humain de toute communauté humaine. Compétition ou coopération, aujourd'hui comme hier, définissent les deux grands pôles de tension autour d'une ressource essentielle à tous qu'il faut partager. L'eau n'a jamais été et ne sera jamais limitée à un espace exactement circonscrit par une autorité unique, à moins qu'un véritable gouvernement mondial puisse être envisageable, et a donc dû, à travers toutes les périodes de l'histoire, faire l'objet de négociations et d'aménagements. C'est probablement avec l'eau que la conscience de l'interdépendance à l'égard des ressources naturelles est apparue en premier274(*).

L'évolution du concept de l'eau d'un bien commun à un bien économique

L'ascension de l'eau comme bien économique : La mise en oeuvre des politiques de gestion de l'eau est un domaine qui suscite une intervention de la part d'agents étrangers et internationaux, aux différentes étapes du processus de décision. En effet, le fonctionnement du système international a été complexifié par la multiplication des acteurs internationaux. Dès lors, il est inadéquat de faire de l'institution étatique la composante exclusive des flux et de la circulation transnationale des biens matériels et symboliques, même dans le domaine de la gestion de l'eau. Ce qui caractérise récemment le facteur exogène de la gestion de l'eau est la multiplication et la diversification des centres de production et de diffusion des normes. Ainsi, le recours aux systèmes de représentation fondés sur le centrisme gouvernemental et le modèle hydraulique participent à la dé-légitimation de cet ordre, représenté par le triptyque « étatisme, centralisme et bureaucratie », au profit du « Nouvel ordre mondial », fondé sur le triptyque « économie de marché, pluralisme et démocratisation » ou le diptyque « libéralisation économique, libéralisme politique ».

Il existe plusieurs types d'acteurs et de milieux exogènes qui prennent part à la production des normes, à la circulation des biens matériels et symboliques dont l'objet est l'élaboration des politiques de gestion de l'eau. Il s'agit des organisations internationales et régionales, omnifonctionnelles et unifonctionnelles, des institutions scientifiques, des organisations non gouvernementales, et des services de coopération. Une telle norme implique la modification profonde des systèmes de préhension et de représentation de l'eau qui doit être affranchie de toutes les références morales, culturelles et éthiques pour être considérée comme une marchandise, un produit économique, susceptible d'être soumis aux lois du marché de l'offre et de la demande. Il s'agit d'engager l'élément « eau » dans une autre rationalité qui transcende à la fois la dimension nationale et la dimension culturelle.

Transcender la dimension nationale consiste à la fois pour le pays fournisseur d'accepter et de légitimer la décision d'aliéner une partie des ressources hydriques et pour le bénéficiaire d'accepter de se soumettre aux lois aléatoires d'un marché. L'eau devient une marchandise au même titre que le pétrole, engageant les gouvernements dans un nouvel équilibre des rapports de forces, entre les enjeux politiques et les enjeux économiques, la rationalité d'Etat comme garant des services vitaux et la rationalité commerciale.

En traitant l'aspect transnational de l'eau comme exemple d'un défi externe. Nous avions l'image que cet aspect est le résultat de normes tels que la gouvernance et le développement durable. Mais, la réalité c'est que cet aspect était une conséquence et il a provoqué une autre conséquence. L'aspect transnational a transformé l'eau d'un bien collectif à un bien économique. Il est pour la gouvernance de l'eau et le développement durable socio-économique mais pour les peuples qui possèdent les moyens financiers. Nous considérons que cette évolution est révolutionnaire ce qui a encouragé les pays de ne chercher que la coopération pour avoir un seul mot devant ces normes.

Viser la réalisation des buts communs fondés sur un développement socio-économique durable comporte, à mon avis, est une évolution. Elle incarne le changement dans les visions des riverains nilotiques envers le bassin du Nil. Une coopération bilatérale ne réalise pas les intérêts d'un bassin passant par dix Etats mais, c'est la coopération multilatérale qui établit une gestion commune pour ce bassin. L'accord de 1959 était la conséquence de l'effet de contexte pendant cette période, et visait les intérêts de deux pays seulement. Par contre, l'Initiative du Bassin du Nil a des buts communs à réaliser pour tout le Bassin et pour tous les pays nilotiques à savoir :

· Etablir un cadre institutionnel coopératif acceptable par tous les pays du Bassin ;

· Réaliser un développement socio-économique pour tous les pays et surtout les plus pauvres ;

· Préparer une « Vision commune » pour présenter les riverains nilotiques devant la communauté internationale et les forums mondiaux sur l'eau ;

· Mettre en oeuvre des projets régionaux communs d'aménagement des ressources en eau ;

· Protéger et améliorer l'environnement afin de contrôler la dégradation des sols, l'envasement et la pollution des lacs équatoriaux et du Nil blanc.

Pour conclure, puisque nous vivons la signature d'un protocole d'accord entre le gouvernement et les rebelles soudanais, et comment les dirigeants cherchent à réaliser la paix au Sud. Si le prix est son indépendance, quelle sera son attitude envers l'Initiative du Bassin du Nil ?.

* 271


Hypothèse I : La finalité de la coopération multilatérale est de favoriser l'action collective pour la réalisation de buts communs du développement durable.

* 272


Hypothèse IV :  Le principe de coopération devient prédominant, par le droit international des bassins fluviaux, en ce qui concerne la gestion des problèmes hydrauliques.

* 273




Hypothèse II : Le recours à la coopération conduit les élites à préférer le scénario préventif à celui de l'affrontement en cas de différends, et aide à dissoudre les tensions entre les acteurs concernés.

* 274


Hypothèse III : La coopération multilatérale oblige à réfléchir aux possibilités de participation commune entre acteurs pluriels autour de problèmes d'intérêts collectifs.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe