La Coopération Multilatérale et la Question de l'Eau au Bassin du Nil( Télécharger le fichier original )par Christine A. ISKANDAR BOCTOR Institut d'Etudes Politiques de Paris (IEP) - DEA (Master) en Relations internationales 2002 |
INTRODUCTIONLe bassin du Nil se caractérise par une crise de surplus, celle-ci nécessite une gestion commune. Cette nécessité reflète l'importance de l'existence d'une coopération multilatérale entre tous les Etats riverains et pas entre deux ou trois des pays, c'est-à-dire le dépassement de l'accord bilatéral de 1959 vers une coopération multilatérale entre tous les Etats nilotiques, afin de résoudre la question des quotas et réaliser la gestion commune. Selon ces résultats, la question de départ cherche à savoir comment le passage d'une coopération bilatérale (l'accord égypto-soudanais) de 1959 vers une coopération multilatérale (l'Initiative du Bassin du Nil) de 1999 a été affecté par l'évolution de la question de l'eau au bassin du Nil ? Nous considérons que l'évolution de la question de l'eau est la variable principale, et le passage vers la coopération multilatérale est la variable dépendante de cette évolution. Donc, les hypothèses essayent de répondre à la question de départ en proposant des réponses, restent à vérifier : Hypothèse I : La finalité de la coopération multilatérale est de favoriser l'action collective pour la réalisation de buts communs du développement durable. Hypothèse II : Le recours à la coopération conduit les élites à préférer le scénario préventif à celui de l'affrontement en cas de différends, et aide à dissoudre les tensions entre les acteurs concernés. Hypothèse III : La coopération multilatérale oblige à réfléchir aux possibilités de participation commune entre acteurs pluriels autour de problèmes d'intérêts collectifs. Hypothèse IV : Le principe de coopération devient prédominant, par le droit international des bassins fluviaux, en ce qui concerne la gestion des problèmes hydrauliques. Tout au long de la période transitoire entre les deux accords, bilatéral et multilatéral, la question de l'eau a connu plusieurs défis internes et externes, considérés comme un élément révélateur pour les pays nilotiques vers une coopération multilatérale, regroupant tous les Etats riverains. Un fleuve international qui passe par dix pays ne peut pas être géré d'après un accord bilatéral, il faut le consensus de tous les pays pour régler les problèmes de la gestion et des quotas. Ce but ne se réalise qu'après une coopération multilatérale sinon ce sont les différends qui dominent comme le cas entre l'Egypte et l'Ethiopie1(*). De cette situation inacceptable de la part de tous les riverains, la problématique consiste à montrer pourquoi l'épuisement de l'accord égypto-soudanais de 1959 qui a été tellement refusé de la part de l'Ethiopie, et pourquoi la nécessité d'une coopération multilatérale, voire l'Initiative du Bassin du Nil de 1999. Mais ces deux pourquoi vont être traités d'après la question comment. Comment l'évolution de la question de l'eau au bassin du Nil a poussé vers cette Initiative ?. Quel est le rôle de l'effet de contexte pendant et après la fin de la Guerre froide, l'effet de transnationalisation de la question de l'eau, et l'effet des défis internes et externes ?. Pendant les périodes, dites de la guerre de l'eau, comment les Etats ont-ils réussi de les dépasser, selon le choix rationnel d'Allison, vers une période de coopération ?. Comment cette initiative arrivera-t-elle à résoudre le problème initial de ce bassin, celui du partage des quotas ?, se transformera-t-elle vers un accord-cadre pour ce bassin ?. Comment cette Initiative incarne-t-elle la réaction des pays nilotiques envers les nouvelles normes adoptées par les bailleurs de fonds, voire la tarification de l'eau par la Banque mondiale ? La question de l'eau fait ainsi intervenir les
ambitions politiques des Etats, les perceptions de la menace, leurs
priorités spatiales de développement, et à ce titre
constitue une véritable question géopolitique et
géoéconomique, au sens de rivalité portant sur des enjeux
territoriaux. Tous les défis internes se mêlent avec les
défis externes, pour faire sortir des stratégies
coopératives de la part des pays riverains. « En devenant un
bien rare, gaspillé par certains, trop cher pour d'autres,
convoité par beaucoup, l'eau prend à l'horizon du
XXIème siècle, un caractère stratégique
potentiellement déstabilisateur » a écrit le
journaliste Jean-Paul BESSET un article intitulé l L'eau sera-t-elle l'enjeu de futures guerres, comme le pétrole a pu l'être ? L'eau : le choc pétrolier du XXIème siècle ?. Il ne faut pas oublier l'idée de la guerre de l'eau. Si rien n'est fait pour lutter contre la menace du stress hydrique, les prochains conflits pourraient avoir lieu autour de la question de la maîtrise de l'eau. Comme le pétrole, elle pourrait devenir aussi un motif de guerre ou de paix dans la mesure, où, en 2025, les 2/3 de la population mondiale vont être en situation de stress ou de contrainte hydrique2(*). Le partage de l'eau dans cette région, non seulement du Nil, mais aussi du MENA3(*), est une condition préalable à la stabilité et à la paix entre les Etats riverains. Désormais, tout le monde en convient : la question de l'eau est devenue l'un des enjeux géopolitiques et géoéconomiques déterminants pour l'avenir du Moyen-Orient et l'Afrique du Nord déjà hautement instable. C'est le cas du Nil où les projets d'infrastructures en Ethiopie inquiètent les pays de l'aval, en Mésopotamie où l'Irak et la Syrie ne contrôlent pas les sources des grands fleuves qui irriguent, au Proche-Orient où la question est centrale dans le conflit israélo-arabe. Cette situation s'explique par l'absence de traité régissant les modalités de partage des eaux des fleuves multinationaux entre les pays de la région, toutes les tentatives de négociations lointaines ayant échoué en raison de la volonté de chacun des pays de garder le contrôle entier sur l'eau, préoccupation essentielle d'aujourd'hui et enjeu primordial pour demain. Si le règlement paraît une question de coopération, le schéma explicatif sera les théories de la coopération4(*), qui cherchent à expliquer pourquoi les acteurs coopèrent5(*) ?. La question introductive du débat théorique sur la coopération concerne les conditions de possibilités de sa mise en oeuvre : A quelles conditions la coopération entre Etats peut-elle émerger ?. Des théories ont essayé à répondre à ces questions. Les acteurs coopèrent car, pour eux, la coopération est comme absence de guerre et comme gestion raisonnable des conflits. Ils choisissent la coopération plutôt que le conflit, par réelle rationalité. La coopération est alors le fruit d'un comportement raisonnable. La seconde insiste au contraire sur l'intérêt des acteurs à la coopération. L'absence de conflit réduit l'incertitude, le comportement coopératif à l'égard d'autrui apporte une avantageuse stabilité. Cette hypothèse montre la coopération comme résultat d'un calcul d'intérêt, comme un moyen d'obtenir une chose dans une relation « donnant donnant » plutôt que comme une fin en soi6(*). Quant à la théorie du comportement coopératif7(*), donnant donnant8(*), un excellent moyen de promouvoir la coopération est d'apprendre aux acteurs à se préoccuper du bien-être d'autrui. L'altruisme est donc une motivation pour agir. Le critère moral de « donnant donnant » est la règle d'or : ne fais pas aux autres ce que tu n'aimerais pas qu'ils te fassent. Il devrait toujours coopérer, puisque la coopération est ce que l'on attend de l'autre joueur. Il existe trois manières d'encourager la coopération mutuelle : augmenter l'importance de l'avenir par rapport au présent ; modifier les gains des acteurs et leur enseigner des valeurs, des faits et des savoir-faire qui favoriseront la coopération. L'analyse de Robert AXELROD montre qu'une bonne stratégie donnant donnant est caractérisée par quatre qualités qui en garantissent le succès. Une bonne stratégie doit être courtoise : confrontée à un joueur coopératif, il est nécessaire de répliquer. Elle doit aussi pouvoir répondre aux provocations : face à une action hostile non sollicitée, il faut réagir. Elle doit être indulgente : après avoir ainsi réagi, il faut revenir à la coopération. Enfin, elle doit être facilement compréhensible : les autres joueurs doivent pouvoir anticiper les conséquences de leurs actions. Elle coopère tant que l'autre coopère, et dès que l'autre trahit alors les représailles sont immédiates. Donc, nous avons choisi cette théorie pour les raisons suivantes : - La coopération n'est pas un jeu à somme nulle ; - La coopération commence par le bas, par la participation de la société ; - La coopération réalise des buts communs ; - La coopération reflète l'interdépendance des biens collectifs, voire l'eau ; - La coopération est le scénario préférable en cas de différends ; - La coopération incarne la participation commune entre acteurs pluriels autour de problèmes d'intérêts collectifs ; - La coopération cherche à affaiblir l'ennemi, car c'est un facteur de survie, en le contournant par la coopération ; - La coopération n'est ni moins noble, ni moins intelligente ou moins efficace que la compétition ; - La coopération n'est pas possible lorsque chaque acteur cherchait un meilleur profit que l'autre à tout prix ; - La coopération signifie rechercher une définition partagée du travail de chacun. Sans doute l'ennui avec donnant donnant, c'est qu'une fois qu'une querelle naît, elle peut continuer indéfiniment9(*). Donnant donnant, dans le cadre de la Théorie des Jeux, il s'agit d'un jeu où un joueur commence par coopérer puis répète systématiquement ce qu'a fait l'autre joueur au coup précédent (coopération, s'il y a eu coopération, défection, s'il y a eu défection). Mais si le programme est à la fois bienveillant, susceptible, indulgent et transparent10(*), alors, bien que non idéale, la stratégie du donnant donnant conduise à faire émerger des comportements coopératifs. La Théorie des Jeux : de la co-opération à la coopération11(*) La coopération désigne une opération de co-opération particulière, dont l'issue résulte d'une action résolument conjointe de plusieurs agents : une coopération constitue du reste l'enjeu caché de nombreuses situations de co-opération. Il s'agit, en effet, du dernier degré d'un mode d'organisation de la co-opération qui commence par la coordination et dont la réalisation peut être le fruit de ce Schelling appelle une coopération tacite, c'est-à-dire la préférence d'un comportement peu coopératif qu'un conflit militaire. Un germe de coopération existe dans toute co-opération volontaire. Co-opérer signifie mettre en oeuvre des opérations finalisées qui interfèrent dans un espace commun. Le passage de la co-opération à la coopération nécessite d'introduire ce que Schelling appelle une stratégie indirecte de coopération. L'introduction des stratégies indirectes est obtenue en modifiant la définition du concept de stratégie. Dans sa définition classique, une stratégie directe est un plan d'action dont la mise en oeuvre dépend du choix du joueur au moment où débute le jeu, indépendamment de toute autre considération. Une stratégie indirecte s'entend également comme un plan d'action complet décidé au début du jeu mais dont la réalisation se trouve soumise à conditions. La proposition conditionnelle peut être la suivante : « Si le joueur 2 choisissait sa stratégie, alors je choisirais ma stratégie » Donc, mon comportement coopératif dépend de ce qui est pris à l'initiative par l'autre partenaire. Ainsi, apprenons-nous que la co-opération engendre la coopération et même la renforce. Si la mutation d'une stratégie non coopérative vers une stratégie coopérative peut paraître moins facile et par conséquent moins probable que l'inverse, tout dépend enfin de compte de la comparaison entre la valeur d'un paiement certain associée au comportement non coopératif et la variation de la valeur du paiement associée à la coopération. Bref, les deux concepts majeurs de la théorie des jeux sont les solutions et les stratégies12(*). Vers le multilatéralisme
Selon Marie-Claude SMOUTS, le multilatéralisme est un discours13(*)qui n'a pas seulement une valeur descriptive mais qui exprime également un projet politique. Le multilatéralisme véhicule une valeur, un constat et un projet : la valeur « universaliste » postule l'égalité et l'unité ; le constat relève l'indivisibilité de l'espace : le territoire des Etats s'avère désormais trop étroit pour traiter des problèmes communs ; le projet consiste à « construire du sens commun » entre tous les acteurs insérés dans les mécanismes de coopération multilatérale. Selon Robert COX, son projet de `nouveau multilatéralisme' est de ne plus construire le multilatéralisme par le haut mais poser la question du comment vivre ensemble. Sa finalité est normative : justice, équité, connaissance et respect de l'autre14(*). Le moyen privilégié est la représentation et la prise en considération de tous les acteurs, y compris les plus faibles. Selon Susan STRANGE15(*), le grand défi à relever pour la coopération multilatérale, est la construction d'un consensus sur des questions politico-économiques que le système interétatique est désormais incapable de gérer, dans un contexte d'asymétrie croissante entre les forces dominantes et les groupes dépendants. Donc, le multilatéralisme est une forme institutionnelle élémentaire de la vie internationale moderne, une forme que les Etats ne créent que lorsque leurs attitudes et comportements se conforment à certains critères ou principes. Ces principes sont au nombre de trois, soit la non-discrimination, l'indivisibilité et la réciprocité16(*). Les théories sur le multilatéralisme Les réalistes conçoivent traditionnellement le multilatéralisme comme un ensemble d'ententes plus ou moins provisoires entre Etats souverains ayant temporairement les mêmes intérêts, pour la réalisation de leurs objectifs communs. Dans cette optique, les institutions multilatérales ne sont pas indépendantes des Etats qui leur ont donné naissance. Elles en dépendent pour leurs ressources et elles leur servent d'instruments pour la mise en oeuvre de leurs politiques communes. Un certain nombre de paradigmes, en opposition avec le réalisme, peuvent être rangés sous le chapeau de l'institutionnalisme libéral. Ces paradigmes distinguent tous l'avènement d'institutions multilatérales qui transformeraient l'ordre mondial en amenant progressivement le système étatique sous une forme quelconque de réglementation autoritaire17(*). C'est ainsi que selon David MITRANY, par exemple, la source par excellence du multilatéralisme se trouve non pas dans les organisations à caractère politique, mais dans les organismes fonctionnels et techniques qui s'occupent activement de questions économiques, sociales et culturelles (Low Politics) Les néo-fonctionnalistes et les partisans du transactionnisme ont apporté une autre contribution importante à la théorie sur la multilatéralisme : ils estiment que les Etats ne sont pas les seuls acteurs importants du multilatéralisme puisque, selon eux, il faut tenir compte d'éléments de la société civile. Les néo-fonctionnalistes ont inventé le concept de débordement (Spillover) pour rendre compte de l'importance et de l'autorité accrue des institutions multilatérales. Bref, nous pouvons reconnaître au moins huit caractéristiques18(*) du multilatéralisme : 1. Le besoin de relations sociales réciproques et de coopération ; 2. Une infrastructure ou un fondement idéologique ; 3. Des coutumes, des normes et des attentes ; 4. Des dispositifs réglementaires et des lois ; 5. Des réunions ou ligues (forums) ; 6. Des vecteurs d'échanges par le biais desquels les activités multilatérales concrètes s'exercent ; 7. Un élément normatif moteur (l'évitement des conflits, l'amélioration du bien-être collectif) ; 8. Le leadership des grandes puissances ou hégémoniques. Néo-régionalisme19(*) versus multilatéralisme Le régionalisme peut être compris comme l'ensemble des actions destinées à constituer ou à conforter la dimension régionale des interactions socio-politiques, en particulier en affirmant leur cohérence et leurs spécificités culturelles, et en renforçant leur capacité de régulation en accédant à une forme d'autonomie politique. Les coopérations inter-régionales prennent des formes bilatérales ou multilatérales ; elles regroupent un nombre limité de régions ou répondent au contraire à une vocation plus générale. Le néo-régionalisme se distingue en premier lien par un principe de légitimité fondé sur l'internationalisation économique. Ses modalités d'action se déplacent également du terrain législatif (fédéralisme) ou partisan (régionalisme politique) vers le registre des politiques publiques, plus proche en cela du régionalisme fonctionnel. Mais les relations intergouvernementales ont cédé la place à des réseaux d'action collective, associant des acteurs privés et des autorités publiques de statuts différents dans des coopérations se jouant des frontières. Les formes d'identification sont plus cumulatives qu'exclusives, et les identités régionales, nationales et transnationales tendent à s'assembler. C'est le régionalisme qui fait les régions, et non l'inverse20(*). Plusieurs phénomènes influencent le développement de la coopération multilatérale en matière de sécurité hydraulique. Le retrait ou la diminution potentielle de la rivalité Est-Ouest dans la région africaine, due à la fin de la Guerre froide ; l'émergence de la doctrine coopérative rationnelle chez la plupart des dirigeants africains ; la volonté d'assurer la stabilité hydraulique pour favoriser la croissance économique sont autant des facteurs qui influencent positivement sur le choix de la coopération multilatérale. La persistance de la bipolarité dans le système international expliquait l'absence d'une coopération multilatérale jusqu'à tout récemment en Afrique de l'Est. Les relations bilatérales servant mieux les intérêts américains, les Etats-Unis s'opposaient à toute forme de multilatéralisme21(*). De ce panorama théorique sur la coopération multilatérale, nous concluons que la stabilité d'une région dépend de l'obtention des gains mutuels par ses acteurs, surtout s'il y a des tensions sur un bien considéré collectif ou commun, comme l'eau. Ces gains demeurent l'objectif ciblé par une coopération, voire multilatérale regroupant tous les partenaires concernés. Cette coopération n'est pas un jeu à somme nulle. Généralement, tous les acteurs doivent obtenir des résultats honorables ou, au contraire, modestes. Car le choix de coopérer ou non, même au premier coup, dépend de la stratégie adoptée par l'autre. Elle révèle quatre propriétés qui contribuent à la réussite d'une stratégie coopérative : éviter les conflits inutiles en coopérant aussi longtemps que l'autre acteur coopère, faire preuve d'indulgence et avoir un comportement transparent afin que l'autre acteur puisse s'adapter à votre mode d'action. Une fois établie sur la base de la réciprocité, la coopération peut se protéger contre l'invasion d'autres stratégies moins coopératives. Mais il faut prendre en considération qu'il n'est pas nécessaire que les bénéfices des acteurs soient comparables, mais mutuelles. Il n'est pas du tout nécessaire que les profits soient symétriques. Il n'est pas nécessaire de supposer que les acteurs sont rationnels, parfois l'effet de contexte est le déterminant. Il n'est pas nécessaire que ceux-ci cherchent à maximiser leurs récompenses. Une analyse définitive selon des équations mathématiques n'existait et n'existe jamais dans les sciences sociales, et surtout, si nous étudions le comportement des acteurs dans les Relations Internationales, toujours des résultats relatifs. Notre ambition ici n'est tant d'évaluer les théories de coopération, mais davantage de fournir un cadre théorique aux éléments qui composent notre approche empirique qui guident l'évolution de la coopération hydraulique au bassin du Nil, voire du bilatéralisme vers multilatéralisme. Nous n'oublions cependant pas que les capacités prédictives des sciences sociales sont pour le moins limitées et ne visons ici qu'à fournir les clés d'une meilleure compréhension du comment le passage vers une coopération multilatérale a été affecté par l'évolution de la question de l'eau au bassin du Nil. Pour aborder la question de ce mémoire, nous allons évoquer, tout d'abord, l'accord égypto-soudanais de 1959, comme exemple de la première coopération bilatérale au Bassin après la décolonisation de ses pays riverains, et les points de vue étatique et juridique internationale envers cet accord ; en passant ensuite en revue les stratégies des pays riverains envers les défis internes et externes ; et enfin, en étudiant l'Initiative du Bassin du Nil (IBN), la première expérience d'une coopération multilatérale entre les pays riverains du Bassin, ainsi le rôle des partenaires internationaux. Le partage de ce mémoire dépend de deux types de références (primaires et secondaires) : Les références primaires - Document de l'accord entre la République du Soudan et la République Arabe Unie sur la pleine utilisation des eaux du Nil (connu sous le nom de l'accord égypto-soudanais de 1959) ; - Documents des règles d'Helsinki de 1966 et de la convention sur le droit relatif aux utilisations des cours d'eau internationaux à des fins autres que la navigation de 1997 ; - Dossier de presse et un rapport national abordant l'exemple du Projet de Tochka « la Nouvelle Vallée » ; - Documents de l'Initiative du Bassin du Nil (IBN) et ses projets régionaux et sub-régionaux. Les références secondaires - Articles de périodiques : En français, il y a Afrique 2000, Cahiers français, Etudes, Etudes internationales, Futuribles, le Courrier UNESCO, les Cahiers de l'Orient, Limes : revue française de géopolitique, Monde arabe / Maghreb - Machrek, Politique africaine, Problèmes économiques, Politique étrangère, Politique internationale, Politique internationale « Québec », Ramsès 2001, Revue internationale et stratégique. En anglais, il y a Canadian Water Resources Journal, Foreign Policy, Orient, Review of International Studies, The Journal of Modern African Studies. Enfin, en arabe, il y a Al-Siyassa Al-Dawlya « Politique internationale », Hewarate wa Monakashate « Dialogues et Discussions », Roaa Afrikiya « Perspectives africaines » Nous avons consulté les périodiques qui sont en français à la Bibliothèque du Troisième Cycle et celle du Saint-Guillaume de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris. Pour celles qui sont en anglais, nous les avons consultées à la Bibliothèque du Centre d'Etudes Africaines (EHESS). Finalement, pour celles qui sont en arabe, nous les avons consultées à la Bibliothèque de la Faculté d'Economie et de Sciences Politiques - Université du Caire.
- Ouvrages : Ils étaient consultés à la Bibliothèque du Troisième Cycle et celle du Saint-Guillaume de l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, à la Bibliothèque de la Faculté d'Economie et de Sciences Politiques - Université du Caire, à la Bibliothèque de l'Institut du Monde Arabe (IMA), à la Bibliothèque du Centre d'Etudes Politiques et Stratégiques Al-Ahram, et à la Bibliothèque du Centre d'Etudes et de Documentation Economique, Juridique et Sociale (CEDEJ) au Caire. - Thèses et mémoires : Ils étaient soutenus soit à l'Institut d'Etudes Politiques de Paris, soit à la Faculté d'Economie et de Sciences Politiques - Université du Caire. - Congrès : Ils traitaient les sujets suivants COMESA 2000 au Caire, l'Afrique et la Mondialisation au Caire, la Politique Etrangère Egyptienne dans un Monde Changeant au Caire, et le Droit de l'Eau au Liban. - Rapports : Nous avons traité deux rapports du gouvernement québécois sur l'aspect transnational de l'eau, le rapport annuel de 1996 de la Banque mondiale, le rapport annuel de 2001 des indicateurs du développement de la Banque mondiale, et le Factbook de 2001 du Central Intelligence Agency. - Sites de l'Internet : L'Initiative du Bassin du Nil ( www.nilebasin.org), la Banque mondiale ( www.worldbank.org), l'Agence Canadienne pour le Développement International ( www.acdi-cida.gc.ca), le Programme de Coopération FAO / OAA ( www.fao.org), les Nations Unies ( www.un.org), le Cabinet des Ministres égyptiens ( www.sis.gov.eg), le Ministère québécois des Relations Internationales ( www.mri.gouv.qc.ca), le Central Intelligence Agency ( www.cia.gov), et d'autres sites. - Entretiens : Nous avons interviewé Dr Abd El Malek OUDA, professeur africaniste à la Faculté d'Economie et de Sciences Politiques - Université du Caire ; et M. Ayman El Sayed ABD EL WAHAB, chercheur africaniste au Centre d'Etudes Politiques et Stratégiques, journal Al-Ahram. En mobilisant les références, plusieurs obstacles ont été rencontrés. D'un côté, la difficulté de trouver les stratégies de tous les pays riverains en amont, ce qui est valable et riche concerne seulement l'Egypte, le Soudan et l'Ethiopie, rarement pour le reste des pays riverains. De l'autre côté, la difficulté de rencontrer les acteurs politiques soit au Ministère de l'Irrigation et des Ressources hydrauliques en Egypte, ainsi au Ministère des Affaires étrangères ; soit aux ambassades du reste des pays riverains établies en Egypte. Deux entretiens avaient été organisés, avec Dr Abd El Malek OUDA, professeur africaniste à la Faculté d'Economie et de Sciences Politiques, Université du Caire ; et avec M. Ayman El Sayed ABD EL WAHAB, chercheur africaniste au Centre d'Etudes Politiques et Stratégiques, journal Al-Ahram. En plus, il n'y a plus d'études analytiques concernant l'Initiative du Bassin du Nil, sauf un seul exposé a été présenté par le chercheur Ayman El Sayed ABD EL WAHAB dans un congrès intitulé l'Afrique et la Mondialisation, tenu au Caire du 12 au 14 février 2002. A la fin de cette introduction théorique, nous voyons l'importance de présenter la topographie du bassin du Nil22(*), le fleuve autour duquel tourne le sujet principal de ce mémoire. La fameuse phrase d'Hérodote, qui dit que l'Egypte est le don du Nil, n'est vraie que dans la mesure où l'Egypte peut garantir les sources du Nil. Le Nil est un des fleuves internationaux les plus importants du monde, il est le plus long fleuve du monde. Ces eaux baignent les territoires de dix Etats africains : la République Démocratique du Congo, le Rwanda, le Burundi, l'Ouganda, le Kenya, la Tanzanie, l'Erythrée, l'Ethiopie, le Soudan et l'Egypte. La distance entre les sources les plus lointaines du Nil, les affluents du Lac Victoria-Nianza, et la cité égyptienne de Rosette sur la rive méditerranéenne est d'environ 6.700 km. Le bassin du Nil s'étend sur près de 2.900.000 km2 soit environ un dixième de la superficie totale de l'Afrique. Les sources du Nil23(*) peuvent être divisées en deux groupes. Le premier groupe est composé du lac Victoria et de ses affluents (15%). Le second groupe est composé du lac Tana, du Nil bleu et des rivières Sobat et Atbara, dont les eaux ont toutes pour origine le Plateau éthiopien (85%). Les sources équatoriales du Nil se décomposent en deux groupes : a- Il comprend le lac Victoria-Nianza, le lac Edouard, le lac Albert, le lac Kioga et leurs affluents, débouchant tous les territoires du Congo, du Rwanda, de l'Ouganda et de la Tanzanie. Ils fournissent au cours du Nil 30 milliards de mètres cubes d'eau par an. b- Le groupe du fleuve Simliki, dont la plus grande partie débouche sur le territoire du Congo et de l'Ouganda. Le Simliki traverse le lac Albert, puis rejoint le premier groupe ajoutant au cours du Nil, au Nord du lac Albert, 8.5 milliards de mètres cubes d'eau. Au Nord du lac Albert, le Nil blanc traverse le fameux Sudd24(*) « Régions marécageuses » qui fait presque complètement stagner le cours du Nil. Cette stagnation, avec la très forte évaporation équatoriale, fait perdre au fleuve la plupart des eaux qu'il avait accumulées. Dès 50 milliards de mètres cubes accumulés seulement 14 milliards de mètres cubes arrivent à remonter vers le nord dans le tronc du Palmier, c'est-à-dire le Nil blanc au Soudan. Les sources du Plateau éthiopien se décomposent en trois groupes : a- La source principale est le Nil bleu lui-même, prenant son origine au lac Tana. Plusieurs autres affluents du Nil bleu forment son cours quand il atteint Roseires au Soudan, un agrégat de 54 milliards de mètres cubes. C'est la source principale du Nil, parce que rien n'est perdu par évaporation ni dans les marécages. b- La rivière Sobat et ses affluents apportent une masse de 13.5 milliards de mètres cubes. c- La rivière Atbara rejoint le Nil blanc à Atbara, au Soudan, avec une contribution de 12 milliards de mètres cubes. A la lecture de la carte du Nil, nous pouvons faire quelques remarques géopolitiques : le débit du Nil tout au long de l'année provient de la région du lac Victoria, tandis que la crue d'été annuelle provient de la région du Plateau éthiopien. La nature a voulu que les sources du Nil se situent dans des pays non arabes. L'Ethiopie peut exercer une pression sur le soudan et surtout vis-à-vis de l'Egypte, car 86% du débit du fleuve proviennent de la branche éthiopienne. Une puissance périphérique (l'Ethiopie) a la haute main sur une partie de la sécurité alimentaire en eau des pays arabes. Cette situation est ressentie et vécue par les Etats comme une menace, la sécurité hydraulique, voire la sécurité alimentaire, constituant une pierre angulaire de la sécurité nationale arabe25(*). Cette menace ne touche non seulement le cas du Nil mais, aussi celui de l'Euphrate et du Tigre, avec la Turquie, et celui du Jourdain, avec Israël. Il reste à signaler que cela ne veut pas dire pour autant que notre neutralité soit inévitable, car il serait illusoire, bien sûr, de penser qu'une analyse peut se faire sans prise de position même implicite au préalable : la neutralité de l'analyste est un des buts difficiles, voire inaccessibles.
* 1 Lammii GUDDAA, Ethiopie, conférence du Nil, 13 mars 1997, http://www.peacelink.it/anb-bia/nr324/f03.html (2 novembre 2001) * 2 Amy OTCHET, La guerre de l'eau n'aura pas lieu, le Courrier UNESCO, octobre 2001, http://www.unesco.org/courier/2001_10/fr/doss01.htm (16 novembre 2001) * 3 MENA: Middle East and North Africa / Moyen-Orient et Afrique du Nord. Elle comprend les pays suivants : Algérie, Arabie saoudite, Bahreïn, Cisjordanie et Gaza, Djibouti, Égypte, Iran, Iraq, Jordanie, Koweït, Liban, Libye, Malte, Maroc, Oman, Qatar, Syrie, Tunisie, Émirats arabes unis, et Yémen. Dans ----------, Dossier de la Banque mondiale sur la région Moyen-Orient et Afrique du Nord, Regional Brief, Washington: World Bank, 4 octobre 2001, http://lnweb18.worldbank.org/mna/mena.nsf/Attachments/French+Regional+Brief/$File/MNA+Brief-French.pdf (24 juillet 2002) * 4 Marie-Claude SMOUTS, La coopération internationale de la coexistence à la gouvernance mondiale. Les nouvelles relations internationales : pratiques et théories / ed. par Marie-Claude SMOUTS, Paris : Presses de Sciences Po, 1998, p. 142-149 * 5 Mohamed BEN SALEM, Hydropolitique israélo-palestinienne : aspects politiques et institutionnels de la gestion des ressources hydrauliques partagées entre Israéliens et Palestiniens, Mémoire de DEA de Relations Internationales, Institut d'Etudes Politiques de Paris, sous la direction de Didier BIGO, 2000, p. 12-14 * 6 Amélie BLOM, Frédéric CHARILLON. Théories et concepts des Relations Internationales. Paris : Hachette, 2001, p. 156-173 * 7 Robert AXELROD, Donnant donnant : théorie du comportement coopératif. Paris : Odile Jacob, 1992, p. 114-137 * 8 Donnant Donnant : Traduction française de « Tit for Tat », Dans ------------, L'économie mot à mot, Economie internationale, Problèmes économiques, La Documentation française, 14 août 2002, n° 2.772, http://www.ladocumentationfrancaise.fr/revues/pe/glossaire/glossd.shtml (22 août 2002) * 9 Robert AXELROD, op. cit., p.139 * 10 Robert AXELROD, op. cit., p. 173 * 11 Christian SCHMIDT, La théorie des Jeux : essai d'interprétation. Paris : Presses Universitaires de France, 2001, p. 247-274 * 12 Christian SCHMIDT, Prospective et théorie des Jeux, Futuribles, avril 1999, n° 241, p. 47-68 * 13 Jean-Jacques ROCHE, Relations internationales. 2e éd, Paris : Librairie Générale de Droit et de Jurisprudence, 2001, p. 187-188 * 14 Marie-Claude SMOUTS, op. cit., p. 153-155 * 15 Pierre DE SENARCLENS, La politique internationale. 3e éd, Paris : Armand Colin, 2000, p. 61-92 * 16 Brian L. JOB, Multilatéralisme et résolution des conflits régionaux : les illusions de la coopération, Etudes internationales, numéro spécial, décembre 1995, vol. XXVI, n° 4, p.667-684 * 17 Robert COX, Multilateralism and World Order, Review of International Studies, April 1992, vol. 18, n° 2, p. 169 * 18 Andrew W. KNIGHT, Multilatéralisme ascendant et descendant : deux voies dans la quête d'une gouvernance globale, Etudes internationales, numéro spécial, décembre 1995, vol. XXVI, n° 4, p. 685-710 * 19 Louise FAWCETT, Andrew HURELL. Regionalism in world politics: Regional organization and International Order. Oxford: Oxford University Press, 1995, p. 35-52 * 20 Richard BALME, Les politiques du Néo-régionalisme : action collective régionale et globalisation. Paris : Economica, 1996, p. 14-36 * 21 Michel FORTMANN, Stéphane ROUSSEL (dir.). Multilatéralisme et sécurité régionale, Etudes internationales, numéro spécial, décembre 1995, vol. XXVI, n° 4, p. 661-666 * 22 Cf. annexe I : Le bassin du Nil * 23 Nathania BERNESTEIN, Le Nil et la politique africaine de l'Egypte, Mémoire de DEA d'Etudes Politiques, Institut d'Etudes Politiques de Paris, sous la direction de Remy LEVEAU, 1989, p. 6-37. * 24 Le Sudd : C'est un mot arabe qui signifie barrage. Le sudd est le pays des ethnies Nuers, Dinkas, Shillouks, qui vient de la pêche et de l'élevage : une infinité d'îles et de terres basses de 40,000 km2, qu'on a nommé le Styx, tout comme le fleuve des Enfers de la mythologie grecque. * 25 Ashok SWAIN, Ethiopia, the Sudan, and Egypt: The Nile River dispute, The Journal of Modern African Studies, December 1997, vol. 35, n° 4, p. 675-694 |
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