Section II- Principales conclusions
Nous observons un lien étroit entre la façon
dont la question des déchets est gérée au niveau de chaque
environnement, et la façon dont les entreprises prennent des initiatives
de responsabilité sociale et environnementale en matière de
déchets en général et des déchets d'emballages en
particulier.
Dans un environnement bien organisé (juridiquement et
institutionnellement), avec des résultats positifs (objectifs clairs et
précis, taux d'enlèvement et de valorisation très
élevés), Total France engage de nombreuses initiatives dont elle
tire une certaine légitimité. Ce n'est pas le cas en Côte
d'Ivoire où la gestion des déchets constitue un véritable
casse-tête.
Ces observations sont illustrées à travers les
conclusions suivantes de notre analyse comparative sur les critères
déterminants retenus comme pouvant influencer le comportement des
organisations.
Conclusion 1 : Impact de la non-application du
dispositif réglementaire existant, absence de précision dans les
lois et règlements, faiblesse du dispositif d'enforcement.
Ainsi le dispositif réglementaire actuel en Côte
d'Ivoire ne facilite par une gestion optimisée de l'environnement en
général (Cf. Annexe IX), et des déchets urbains
en particulier. Les textes de lois et les décrets manquent de
précision et n'incitent, ni ne contraignent les opérateurs
économiques à s'impliquer de façon directe aux processus
d'élimination des déchets. La formulation d'une loi peut
empêcher la réalisation des performances escomptées et les
interprétions que peuvent en avoir les acteurs.
Or, une institution satisfait aux trois
caractéristiques suivantes (Mzoughi et Grolleau, 2005) :
1) l'existence d'un système de règles formelles
généralement visibles et/ou informelles,
2) l'existence d'un système d'"enforcement",
c'est-à-dire d'un système veillant à l'application, au
contrôle des règles préalablement définies, et aux
éventuelles sanctions en cas de non-conformités,
3) ces deux systèmes d'origine humaine régissent
ou gouvernent des interactions entre deux entités, en
général des organisations.
Par conséquent, quand l'un de ces piliers est quelque
peu défaillant, l'ensemble du système ne fonctionne pas dans sa
pleine performance.
Conclusion 2 : Impact de l'instabilité et
difficulté de coordination des instances institutionnelles.
Le cadre institutionnel est très instable en Côte
d'Ivoire suite à des restructurations récurrentes et le
chevauchement des tâches entres différents intervenants. Cette
situation n'impose ni ne suscite aux organisations des critères sur
lesquelles celles-ci peuvent fonder une certaine légitimité.
Or en l'absence d'un cadre institutionnel stable, clair et transparent pour
tous, il est difficile pour des organisations de prendre des initiatives. Les
entreprises ont besoin d'institutions, systèmes stables et
légitimés des règles, de normes et de valeurs, pour
stimuler, encadrer et légitimer les engagements sociaux et
économiques. Les entreprises agissent pour rechercher une
légitimité. Et la légitimité des entreprises
naît au sein d'un environnement institutionnalisé,
c'est-à-dire un environnement qui impose des exigences sociales et
culturelles, qui les pousse à jouer un rôle
déterminé et à maintenir certaines apparences
extérieures.
Conclusion 3 : Impact de l'inexistence d'un
secteur industriel affecté à la valorisation des déchets,
du système de financement des déchets non équilibré
et de l'absence de ressources additionnelles.
Les opérateurs économiques ne sont pas
engagés de façon légale dans le processus de traitement
des déchets d'emballage. Cela relève du ressort de l'Etat qui n'a
pas réussi à mettre sur pied un système de financement
équilibré et durable. Les déchets n'ont pas encore acquis
une dimension économique en ce sens qu'ils peuvent favoriser le
développement d'un tissu économique autour de la valorisation et
du recyclage. Le cadre légal, institutionnel et économique ne
favorise pas le développement d'un tissu industriel autour du recyclage.
Les activités de recyclage ne relèvent que du secteur informel,
non équipé et non expérimenté, ne
bénéficiant pas du soutien de l'Etat. Par conséquent,
toute entreprise qui voudrait, dans le cadre d'une démarche RSE, engager
des actions en faveur du traitement de déchets et de leur valorisation
ne peut bénéficier de l'appui des partenaires compétents
et spécialisés. Or il est de coutume que les entreprises
s'appuient sur des partenaires privés ou publics sérieux et bien
organisés pour des actions RSE qui ne relèvent pas directement de
leurs compétences ou de leurs métiers.
Conclusion 4 : Impact lié la faiblesse du
dispositif normatif et absence d'un dispositif
d'écolabellisation.
En France où il existe un cadre normatif dynamique et
incitatif, où il existe un dispositif d'écolabellisation, les
entreprises s'engagent davantage dans des initiatives RSE, et sont permanemment
en quête de plus de légitimité auprès des parties
prenantes, bien au-delà de leurs obligations légales (Cf.
Annexe VIII). En Côte d'Ivoire, le cadre réglementaire est
incomplet en l'absence de loi sur la normalisation, et l'absence de
promotion de normes dans les marchés publics pour inciter les
opérateurs à se conformer aux normes, l'accès aux
marchés et aux ressources n'est pas conditionné par le respect
des normes.
Le décret n°2002-196 du 02 avril 2002 fixant les
modes de preuves de conformité aux normes rendues d'application
obligatoire n'est pas encore en application. Le niveau de sensibilisation des
citoyens aux questions environnementales et aux normes est très bas. Cet
état de lieu n'est pas incitatif pour les entreprises, car elles ne sont
nullement contraintes à le faire, et ne peuvent y consolider leur
légitimité.
Conclusion 5 : Impact de l'absence d'implication
légale des producteurs et autres agents économiques dans le
processus de gestion des déchets
Le principe de Responsabilité Elargie du Producteur
(REP) en vigueur dans la législation en France impose à tout
porteur de projet d'intégrer la question de gestion des déchets
dès la phase de conception des produits et services à
commercialiser. Cette responsabilité incite les entreprises à
prévenir la production de déchets à la source, à
promouvoir la conception de produits dans le souci du respect de
l'environnement.
En Côte d'Ivoire, l'Etude d'impact environnemental, bien
qu'existant, ne contraint pas toutes les entreprises à avoir des
préoccupations environnementales permanentes quant à la gestion
de leurs déchets. Quand une organisation ne dépend pas des
acteurs de son environnement (Etat, parties prenantes) et que sa
pérennité ne dépend pas de son aptitude à
gérer des demandes (exigences légales ou nécessités
de légitimité) de groupes différents, en particulier ceux
dont les ressources et le soutien sont déterminants pour sa survie,
elles ne s'engagent pas dans des domaines ne relevant pas de ses contraintes ni
de ses compétences.
Conclusion 6 : Impact du niveau d'implication
des citoyens dans le processus de gestion des déchets, de l'absence de
politique et de dispositions d'information, et de la sensibilisation des
citoyens et des acteurs de la société civile.
En France, s'impliquer de façon visible dans la gestion
des déchets pour une entreprise semble aller de soi. Les citoyens sont
suffisamment sensibilisés aux questions environnementales et au geste de
tri. Pour une entreprise, participer de façon active, bien
au-delà des obligations légales, constitue un meilleur moyen
d'améliorer son image, d'avoir plus facilement accès aux
ressources (marchés) et de trouver une légitimité
auprès de ses publics.
Ceci n'est pas le cas en Côte d'Ivoire où le
principe « information et participation » en vertu duquel «
toute personne a le droit d'être informée de l'état de
l'environnement et de participer aux procédures préalables
à la prise de décision susceptibles d'avoir des effets
préjudiciables à l'environnement. » est bien inscrit dans le
Code de l'Environnement, mais le niveau de sensibilisation environnementale
reste très faible. Les questions environnementales n'occupent pas une
place prioritaire dans les décisions politiques et stratégiques.
Ainsi au bout de notre analyse et des résultats de
notre travail de recherche, nous pouvons affirmer que les facteurs qui
déterminent le comportement des entreprises multinationales selon
qu'elles sont installées dans un espace géographique ou dans un
autre relèvent des conditions de l'environnement où elles
exercent leurs activités. Elles sont totalement insérées
dans la société, ses lois, ses valeurs et sa culture. Les
conditions de l'environnement où elles évoluent ne peuvent
être séparées des représentations qu'elles en ont et
qui déterminent leurs initiatives et leurs actions RSE. Par
conséquent ces entreprises intègrent les valeurs dominantes du
contexte sociétal dans lequel s'exercent leurs activités. Et au
sein des dispositifs en place, les dirigeants mettent en oeuvre des
stratégies d'image et de conformité symbolique ou affective avec
ces valeurs afin d'assurer la légitimité de l'entreprise.
Ce système d'explication s'applique à la
question de la gestion des déchets d'emballages a sein de deux filiales
du groupe Total. Les divergences observées dans les initiatives RSE
trouvent leurs explications dans les contingences de leur environnement
respectif et qui se traduisent particulièrement par :
· L'importance accordée aux déchets varie
d'un système à un autre. Ceci se traduit par les
différences observées dans le cadre juridique et les outils
institutionnels mis en place pour la gestion des déchets dans les pays
du Nord et ceux du Sud.
· La diversité des circuits d'élimination
et de valorisation des déchets est frappante entre les deux
environnements. Si en France, la mise en décharge ne constitue qu'un
maillon de la chaîne d'élimination des déchets (recyclage,
valorisation énergétique, incinération), elle constitue en
Côte d'Ivoire le principal circuit d'élimination des
déchets.
· La valeur accordée aux déchets : si
dans les pays développés l'on arrive à accorder une valeur
économique aux déchets, l'on peine encore dans les pays du Sud
à organiser la filière de valorisation de déchets. Bien
que les discours des politiques connaissent une évolution ces
dernières années, les actions concrètes tardent à
être mises en place.
· L'implication des acteurs privés dans
l'économie des déchets observée dans les pays
développés peine à devenir une réalité dans
les pays en voie de développement. Cette situation est d'autant
contradictoire que ces pays connaissent des taux de chômage très
élevés et un déficit de recettes fiscales. Les politiques
mises en place ne favorisent pas, ni n'encouragent l'émergence d'un
secteur privé compétitif dans le recyclage et la valorisation des
déchets.
Toutefois, la prise de conscience des faiblesses d'un
système, d'une organisation n'a d'importance que si cela conduit
à l'amélioration continue du dispositif nécessaire
à son meilleur fonctionnement.
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