Sources de divergences des pratiques des entreprises multinationales en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE) : cas des déchets d'emballages plastiques chez Total Côte d'Ivoire( Télécharger le fichier original )par Jean-Baptiste T. Foutchantse Ecole des Sciences Morales et Politiques d'Afrique de l'Ouest/Cerap-Inades, Côte d'Ivoire - Dess en Ethique Economique et Développement durable 2008 |
Résumé :Force est de constater une divergence notoire des actions de responsabilité sociale et environnementale des entreprises multinationales, selon l'espace géographique où elles déploient leurs activités. C'est le cas au sein des filiales (cas de Total France et Total Côte d'Ivoire) du groupe Total, 5èmegroupe pétrolier mondial et premier distributeur de produits pétroliers en Afrique, où nous avons constaté de fortes divergences sur des initiatives prises en faveur du traitement des déchets. Notre objectif de recherche est d'identifier les facteurs qui conduisent les entreprises multinationales à moduler leurs initiatives en matière de responsabilité sociale et environnementale en fonction des territoires où elles sont installées. Une analyse documentaire avec une approche comparative nous a permis de définir les critères déterminants et les variables communs aux deux environnements objets de notre étude. Il en ressort qu'en matière de responsabilité sociale et environnementale (RSE), les conditions de l'environnement ne peuvent être séparées des représentations qu'en ont les entreprises. Celles-ci, sous l'effet d'un isomorphisme, intègrent les valeurs dominantes du contexte sociétal dans lequel s'exercent leurs activités. C'est ce qui explique les écarts observés en matière de traitement de déchets d'emballages, particulièrement entre les filiales Total France et Total Côte d'Ivoire. Ces deux environnements diffèrent en matière de traitement de déchets par leur cadre réglementaire, institutionnel et normatif, par le pouvoir et la stabilité de leurs capacités institutionnelles, par leur dispositif économique, ainsi que par le degré d'implication et de sensibilisation des entreprises et des citoyens. Ces différents critères déterminent les contraintes ou les opportunités qui conduisent les entreprises à s'engager dans les actions de RSE (condition d'accès aux ressources, recherche de légitimité, recherche de satisfaction des parties prenantes de l'entreprise). Mots-clés : déchets plastiques, développement durable, entreprises multinationales, environnement, normalisation, ordures ménagères, pollution urbaine, recyclage, responsabilité sociale de l'entreprise, secteur informel. Introduction généraleIl est de coutume que les actions de responsabilité sociale de l'entreprise se déploient dans des secteurs prioritaires, où un fort besoin se fait sentir, où la seule action des pouvoirs publics ne suffit plus, et où une action, aussi minime parait-elle, aurait un fort impact auprès des parties prenantes et conférerait davantage de légitimité aux opérateurs économiques qui s'y engageraient. C'est le cas dans les pays pauvres en général, et en l'espèce celui de la Côte d'Ivoire où des actions en faveur de la santé (paludisme, VIH/Sida, épidémies, etc.), de l'éducation, de la culture, de la promotion des économies locales, constituent l'essentiel des actions de responsabilité sociale et environnementale. En côte d'Ivoire, la gestion des ordures semble être un problème récurrent et apparemment sans solution. Parmi les déchets observés, se pose de façon alarmante la question du traitement des emballages plastiques générés par les secteurs industriel et commercial, pour leur aspect non biodégradable. Si au sein de certains pays d'Afrique, le Gabon1(*) en l'occurrence, l'utilisation des emballages plastiques a été proscrite par décret, d'autres pays par contre ont pensé à des processus de valorisation et de recyclage en mettant sur pied des filières de récupération. Mais en Côte d'Ivoire comme dans la plupart des pays Africains, les déchets plastiques, comme bien d'autres déchets urbains, sont jetés dans des décharges sauvages, ou quand ils sont collectés, sont mis en décharge sans aucun traitement (Maury, 2007). A la faveur d'un stage effectué à Total Côte d'Ivoire, filiale du groupe Total, 5ème Groupe pétrolier mondial, il nous a été donné de constater qu'au sein de certaines filiales en Europe et plus particulièrement en France, des initiatives sont prises, bien au-delà du respect des obligations légales, en faveur de la protection de l'environnement. Ces initiatives portent sur la récupération et le traitement des déchets issus des activités de l'entreprise sur son réseau de stations-service et même au-delà, ainsi que des actions de responsabilité sociale et environnementale, très orientées vers le développement durable. Ces actions sont engagées dans des domaines dépendant de la tutelle des pouvoirs publics, mais où l'entreprise tire une certaine légitimité auprès de ses publics cibles. Au sein des firmes multinationales, les axes et les orientations sont définis par le Siège, et mises à la disposition de toutes les filiales. Il existe une même charte, un même engagement en faveur du développement durable, une même culture d'entreprise, mais l'on observe des pratiques très différentes d'un espace géographique à un autre, d'une filiale à l'autre. C'est de ce constat qu'est parti notre questionnement de départ et notre objectif de comprendre les raisons de telles pratiques en matière de développement durable en général, et de responsabilité sociale et environnementale en particulier. La responsabilité sociale des entreprises est une notion qui fait débat dans les pays occidentaux et au niveau international, mais il est difficile de savoir vraiment ce qu'il en est en Afrique, alors même que ce continent est de fait concerné et interpellé au même titre que les autres par la problématique de l'émergence et de l'institutionnalisation de la responsabilité sociale des entreprises. Divers cadres conceptuels théoriques ont été avancés comme essai de justification de ces écarts entre les pratiques en matière de RSE, lesquels traduisent des visions et des approches très différentes d'un espace géographique à un autre. Mais ces visions et approches sont-elles partagées partout ? S'appliquent-elles ou s'accommodent-elles avec les réalités spécifiques aux différentes régions du monde ? La réponse à ces questions, à notre sens, passe par une analyse de données recueillies avec une approche comparative sur la base de quelques critères retenus, un examen des éléments communs à tous ces environnements, et plus particulièrement une analyse des contextes réglementaire, normatif et institutionnel relatif au dispositif de gestion environnementale des différents acteurs au sein de leur espace respectif. Dans un premier temps, un état des lieux des connaissances sera fait et portera sur le développement durable en général et son rapport avec la problématique des déchets en particulier, ensuite nous présenterons les pratiques de Total en matière de traitement découlant de sa perception du développement durable. Ensuite nous élaborerons notre cadre d'analyse à la lumière des cadres conceptuels et théoriques en matière de responsabilité sociale et environnementale. Dans un deuxième temps, nous présenterons les résultats issus de notre investigation et de note analyse comparative tout en vérifiant si ceux-ci répondent ou non à notre question de recherche et à nos hypothèses de départ. Enfin, des recommandations seront faites à la lumière des principales conclusions issues de notre analyse, dans le but de contribuer à l'engagement en faveur du développement durable, et de participer tant soit peu aux réflexions portant sur le développement durable en général, et la responsabilité sociale et environnemental en particulier. Intérêt et justification de l'étude Cette étude est le résultat de la convergence de plusieurs intérêts. Un premier intérêt pour la destination finale des emballages plastiques usagés, suscité par le service de la Communication et du Développement durable rattaché à la direction générale de Total Côte d'Ivoire, au sein duquel nous avons effectué un stage de six mois sur les thèmes de la Communication et du développement durable. Le second est un intérêt purement personnel, non seulement pour le développement durable (plus particulièrement la RSE), mais aussi pour les implications que l'émergence du développement durable peut avoir pour le continent africain. Le choix du sujet s'est opéré progressivement à l'issue de plusieurs travaux :
pour avoir mené une étude de terrain sur la question du recyclage et de la valorisation des déchets solides ménagers à Abidjan, et plus particulièrement les déchets plastiques, pour avoir contribué à la production des nouvelles étiquettes de lubrifiants automobiles (Motor Oil, Quartz 5000) qui portent particulièrement les mentions : « Nocifs pour les organismes aquatiques, peut entraîner des effets néfastes sur l'environnement aquatique. Eviter le rejet dans l'environnement. Consulter les instructions spéciales/la fiche de données sécurité. Contient : Alkaryl sulfonate de calcium à longue chaîne. Peut déclencher une réaction allergique. », « Contribuez à la protection de l'environnement : ne jetez pas votre huile usée n'importe où, apportez-la dans un point de collecte prévu à cet effet (sans aucune disposition apparente de collecte proposée aux clients). » pour avoir constaté des disparités en matière d'actions et de programme de développement durable, et l'écart qui existe entre les pratiques du Groupe dans certains pays développés (cas de la France) et les pays en voie de développement (cas de la Côte d'Ivoire, et avoir eu le désir de comprendre les raisons et les justificatifs de tels écarts. Le besoin de comprendre pourquoi les engagements affichés par les multinationales au sein des pays développés, très regardants sur les questions liées à la qualité, ne sont pas mis à profit dans des pays moins développés nous a conduit à conduire une recherche sur ce thème. Au-delà des comportements des entreprises à l'égard des déchets, nous estimons que la détermination des facteurs explicatifs des divergences observées pourra servir à la compréhension d'autres enjeux en matière de Responsabilité sociale et environnementale. Problématique Depuis le déclenchement de la crise sociopolitique en septembre 2002, les flux migratoires des populations des villes de l'intérieur vers la ville d'Abidjan ont doublé la population de cette ville, la faisant passer de 3 millions à près de 6 millions d'habitants. Cette pression démographique sur Abidjan a un impact sur tous les secteurs d'activités, notamment le secteur des ordures ménagères. En effet, la production quotidienne des ordures ménagères est passée d'environ 2500 tonnes en 2002 à environ 3500 tonnes aujourd'hui. Les corollaires de cette augmentation du taux de production des ordures sont nombreux (DSRP Côte d'Ivoire, 2009). Les difficultés variées et complexes que connaissent les villes d'Afrique, plus particulièrement celles liées aux déchets urbains, à l'insuffisance des infrastructures et la rareté des ressources financières, remettent en question la capacité de gouvernance des pays africains (Adepoju G., 2001). Cette situation est encore plus alarmante pour les gestionnaires obligés de procéder à une hiérarchisation des choix des investissements sociaux. Et avec les difficultés économiques de taille, la priorité n'est pas toujours accordée à la gestion des déchets. Le taux d'enlèvement actuel est estimé à 46,1% contre 90% représentant la norme préconisée. Cet écart entre le taux d'enlèvement des ordures et la fréquence avec laquelle les ménages les produisent reste important. Ce décalage qui ne peut être entièrement résorbé par les sociétés de collecte se retrouve dans la nature et augmente de façon exponentielle. Parmi les déchets solides, les déchets plastiques issus de la production des entreprises et de la commercialisation de leurs biens et services causent particulièrement de difficultés à cause de leur caractère non-biodégradable et des nuisances qu'ils engendrent (notamment sur l'agriculture, le paysage urbain, la santé, l'assainissement). Il est de coutume que les actions de responsabilité sociale des entreprises se déploient dans des secteurs prioritaires. Côte d'Ivoire, pays en voie de développement, n'est pas en marge des sociaux (problèmes sanitaires, éducation, chômage, etc.) et environnementaux (gestion des ordures ménagères, pollution des airs et eaux, ...) des activités des entreprises qui y sont implantées. Quelques-unes d'entre elles se distinguent comme entreprises citoyennes, particulièrement à travers la création des Fondations. Seuls les domaines de la santé, de l'éducation, de la culture et du développement communautaire2(*) sont, pour la plupart des cas recensés, pris en compte (CELA-ESCA, 2009). Le domaine de l'environnement, et plus particulièrement la question des ordures ménagères reste en marge des engagements des entreprises, et davantage des multinationales qui pourtant dans d'autres espaces géographiques font de la question de l'environnement l'essentiel de leurs actions RSE. Pourtant, nous constatons qu'il existe des domaines où des entreprises sont sources de beaucoup de nuisances et à l'origine des impacts négatifs directs sur l'environnement et la santé. En Côte d'Ivoire des initiatives particulières ne sont pas prises dans le domaine de gestion des déchets en matière de responsabilité sociale et environnementale. Par contre, nous constatons bien souvent que dans d'autres pays, et plus particulièrement dans les pays développés, les mêmes entreprises, filiales de multinationales pour la plupart, s'engagent de façon plus marquée dans le domaine cité. Ce constat est fait particulièrement sur la gestion des déchets d'emballages des produits manufacturés en fin de cycle de vie. Question de recherche : « Pourquoi les entreprises multinationales n'ont-elles pas les mêmes engagements en matière de responsabilité sociale et environnementale au sein des différents territoires où elles déploient leurs activités ? Pourquoi changent-elles leurs engagements et pratiques RSE en fonction des lieux où elles sont implantées? » Le constat est le suivant : les bonnes pratiques qui sont développées dans un espace géographique donné ne sont pas mises en pratique dans un autre espace quand bien même cela pourrait constituer un facteur clé de succès tout en répondant à un besoin ambiant et explicite. Champ de recherche Le groupe Total étant une multinationale, dont les filiales sont présentes aussi bien dans les pays développés que dans les pays en voie de développement, notre cadre de référence en terme d'espaces géographiques est constitué de la France et de la Côte d'Ivoire. L'analyse des environnements respectifs et des pratiques du Groupe se fera dans ces deux contextes géographiques qui règlent différemment les questions de gestion des ordures ménagères, d'environnement et de pollution à travers leurs pratiques et leur cadre législatif et institutionnel respectifs, ainsi que des degrés divers d'implication de divers acteurs. Notre première analyse portera sur une étude comparative des engagements de Total en France d'une part, et en Côte d'Ivoire d'autre part où le groupe déploie ses activités. Notre intérêt général porte sur la gestion de l'environnement, et de façon spécifique sur la gestion des déchets, en l'occurrence les emballages en matière plastique. Une attention particulière sera portée chez Total sur la gestion des déchets plastiques issus de la consommation des lubrifiants automobiles. Objectif de recherche
Identifier les forces et les faiblesses qui déterminent les comportements organisationnels des entreprises, et conduisent à une disparité de résultat et de performance en matière de gestion des déchets. Hypothèse de recherche
Les entreprises requièrent un consensus de la société au sein de laquelle elles opèrent et notamment auprès des groupes qui leur fournissent des ressources clés. Les entreprises s'engagent dans la responsabilité sociétale lorsqu'elles sont contraintes de l'assumer pour répondre aux pressions et aux attentes des apporteurs de ressources. Démarche et méthodologie de recherche
Pour répondre au canon méthodologique et justifier d'une exactitude scientifique, toute recherche doit se conduire en deux grandes phases. Une phase qualitative qui permet de mieux cerner les différentes variables et les indicateurs du problème à étudier. Et une phase quantitative, qui permet de fournir aux résultats obtenus lors de la première phase un caractère scientifique et mesurable, et de leur conférer une objectivité scientifique. Mais compte tenu des contraintes géographiques, financières et temporelles, des difficultés d'accès à certaines informations, nous avons mis l'accent sur la phase qualitative, et plus particulièrement la recherche documentaire. Toutefois, pour des raisons de confidentialité, nous n'avons pas eu accès à certains documents. Cependant, toutes les informations fournies dans ce rapport ont été jugées fiables par leurs sources. Notre étude porte sur une seule entreprise. Or avec une seule entreprise, nous ne pouvons pas collecter suffisamment de données pour juger l'entreprise dans son comportement en posant des équations, en dégageant des tendances. Nous ne pouvions également obtenir les informations sur le comportement de l'entreprise sur une longue période, et encore sur plusieurs environnements. Nous sommes conscients que ceci constitue une limite à notre travail.
Chapitre I : Définition des concepts et Etat des lieux en matière de RSESection I : Définition et historique du concept de « développement durable »DéfinitionLa définition officielle du développement durable est issue du rapport Brundtland, rédigée par la Commission Mondiale sur l'Environnement et le Développement en 1987 : « Un développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures de répondre aux leurs. Deux concepts sont inhérents à cette notion : le concept de "besoins", et plus particulièrement des besoins des plus démunis, à qui il convient d'accorder la plus grande priorité, et l'idée des limitations que l'état de nos techniques et de notre organisation sociale impose sur la capacité de l'environnement à répondre aux besoins actuels et à venir ». Afin de mieux comprendre les conséquences qu'implique une telle notion, il convient d'expliquer ses fondements et origines. * 1 Georges Dougueli, 2010, Chasse aux sacs plastiques, www.jeuneafrique.com, visité le 31/03/2010. * 2 « Les enjeux de la responsabilité sociale et économique (RSE) en Côte d'ivoire », 2009, document non publié disponible au CELA-ESCA (Abidjan, Côte d'Ivoire). |
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