Christologie contemporaine: le défi du pluralisme religieux( Télécharger le fichier original )par Clément TCHUISSEU NGONGANG Grand séminaire Notre Dame de l'Espérance de Bertoua - Baccalauréat canonique en théologie 2011 |
2- La christologie des transformations créatrices de John CobbLe théologien américain John Cobb est, à la suite de Whitehead, partisan de la théologie du process dans laquelle Dieu est saisi comme une puissance dynamique et non-statique. Cobb dénonce le fait que la tradition chrétienne, sous l'influence des philosophies substantialistes a souvent conçu Dieu comme une force qui maintient les choses. En effet : « Dieu ne favorise jamais le statu quo, l'inertie, l'immobilisme et la fixité. Il travaille et lutte pour que les changements interviennent »241(*), commente André Gounelle. De ce point de vue, La christologie de Cobb tout comme celle de Tillich rompt avec l'ontologisme caractéristique de la christologie traditionnelle. Tout se passe comme si l'américain cherche la réponse à la question suivante : En quoi est-ce que la question christologique intéresse l'homme de la société moderne plutôt porté à l'industrialisation, au développement sous l'impulsion de la techno-science ? La réponse serait de toute évidence : « Dieu désire et provoque des transformations créatrices qui apportent plus et mieux. [Cela dit,] Il en résulte que le christ est l'agent des transformations créatrices suscitées par Dieu. »242(*) Le christ de Cobb n'est pas un titre de gloire en référence à la christologie classique ; il n'est que rappel d'un rôle, sans plus. Voilà pourquoi, il s'écrit en minuscule. Autre chose est le christ et autre chose est le Logos (parole et Verbe). « Pour parler de l'amour créateur de Dieu qui oeuvre en nous et autour de nous, qui, sans jamais se lasser, s'efforce de faire émerger une nouvelle création et une nouvelle créature, Cobb utilise le mot Logos (Parole-Verbe). Christ désignant la puissance créatrice de Dieu agissant dans le monde, il s'ensuit qu'il y a identité entre le Logos et le christ, ce qu'affirme le prologue de l'Evangile de Jean. »243(*) La différence réside dans le fait que pour Cobb, « on appelle christ le Logos quand il agit dans une situation précise, autrement dit, le christ est la figure concrète que prend le Logos dans un lieu et un temps donné. »244(*) On se croirait en face de la distinction entre le Logos et le Jésus historique établie par Dupuis. Au demeurant, pour Cobb, le christ est un chemin, une route, un voyage. « Entrer en Christ ne signifie pas être arrivé au port et pouvoir se reposer, mais marcher avec ardeur vers le monde nouveau auquel il nous appelle. »245(*) Cependant, pour lui, le christ et Jésus ne coïncident pas exclusivement. Si le christ est celui qui opère ou par qui s'opère une transformation créatrice, il est donc incarné autant par Abraham, Moïse, les prophètes, Paul, Bouddha, et même par Martin Luther King, que par Jésus. La théorie des semences du Verbe ne peut réussir à le sortir de l'hétérodoxie pour la simple raison que chez lui, le christ ne se rapporte pas de manière intrinsèque au Jésus historique, bien que se révélant déjà de manière parcellaire dans diverses figures religieuses. Cette survivance du christ à travers l'histoire est proche de la théorie de la réincarnation, comme si l'âme de ce christ, sous la forme de divers avatars, provoquait par eux des transformations créatrices au sein de l'humanité. Une telle christologie est erronée du fait qu'elle crée une séparation entre le Christ et Jésus. On n'est plus dans la christologie ecclésiale qui depuis Chalcédoine (451) confesse dans la Personne du Verbe incarné, la dualité des natures dans l'unique personne. Une telle perspective christologique relativise l'appartenance religieuse, et regorge des relents d'indifférentisme - condamnés par Dominus Iesus. On peut s'en apercevoir quand Cobb affirme : « je ne vois a priori aucune raison de supposer que la religion ait une ``essence'' [à la fois un caractère commun à toutes les ``religions'' et leur trait central ou normatif] ou que les grandes traditions religieuses soient adéquatement comprises comme religions, c'est-à-dire comme traditions pour qui le fait d' ``être religieux'' soit le motif central »246(*). Ce qui est important est l'effort conjugué des divers croyants en vue du projet de transformation créatrice. C'est en cela que se fonde sa position qu'il qualifie d' « au-delà du pluralisme ». Seul compte l'enrichissement mutuel ainsi précisé par Pierre Gisel : « Positivement, il s'agit [...] d'aller à la rencontre de l'autre et de s'en trouver enrichi. De ``passer au-delà'' et de ``faire retour''. [...] De s'exposer à l'autre, indirectement mais décisivement, d'en apprendre plus sur soi. Aller chez l'autre et approfondir qui l'on est. »247(*) Ce parcours au coeur des thèses les plus significatives des théologiens pluralistes dans le débat christologique en rapport avec le pluralisme religieux a permis sans doute de distinguer diverses accentuations au sein même des différentes approches, tout en nous apercevant des fondements (épistémologique, scripturaire et socioculturel) de la théorie pluraliste. En réalité, le théocentrisme succède au christocentrisme parce qu'il veut être une autre orientation théologique qui absolutise le caractère central de Dieu en niant la figure du Christ et sa médiation. Nous avons donc mis en lumière le substrat christologique échafaudé par chaque auteur dans son projet de relativisation de la figure du Christ. Prendre position en faveur de la consistance propre des traditions religieuses conduit-il nécessairement à nier l'universalité et l'unicité de la médiation salvifique du Christ ? Comment comprendre cette médiation dans le contexte actuel du pluralisme religieux ? Ces questions graves guideront les développements du chapitre suivant. * 241 GOUNELLE André, Le Christ et Jésus, trois christologies américaines : Tillich, Cobb, Altizer, Desclée, coll. « Jésus et Jésus-Christ », n°41, Desclée, Paris, 1990, p. 57. * 242 Ibidem, p. 58. * 243 Ibidem. * 244 Ibidem. * 245 Ibidem. * 246 COBB John, « Beyond ``pluralism'' » dans D'COSTA Gavin (Ed.), Christian Uniqueness Reconsidered. The Myth of a pluralistic Theology of Religions, Orbis Books, Maryknoll, 1990, p. 84 cité par AESBISCHER-CRETTOL, Op.Cit., p. 618. * 247 GISEL Pierre, « préface » dans COBB John, Bouddhisme-christianisme. Au-delà du dialogue ?, Labor et fides, Genève, 1988, p. 11 cité par AEBISCHER-CRETTOL, Op.Cit., p. 617. |
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