Christologie contemporaine: le défi du pluralisme religieux( Télécharger le fichier original )par Clément TCHUISSEU NGONGANG Grand séminaire Notre Dame de l'Espérance de Bertoua - Baccalauréat canonique en théologie 2011 |
2- Approches inculturationnellesa- Le Christ inconnu de Raimundo PannikarLa christologie de Pannikar s'appuie en réalité sur l'ambition d'un « oecuménisme oecuménique » (incluant non seulement les confessions chrétiennes, mais aussi plus largement les traditions religieuses du monde). En fait, pour notre penseur, le Christ n'est pas la propriété exclusive du christianisme, mais il se trouve aussi présent (de manière cachée certes) dans l'hindouisme avec lequel ce prêtre érudit entend entrer en dialogue profond. Pour l'essentiel, cette christologie repose sur une analogie entre le divin vénéré dans le christianisme et celui de l'hindouisme. Brahman est l'origine du monde ; il le soutient et le transforme. Il est Absolu, Transcendant et Inconnu. Tandis que la figure d'Isvana est l'objet de l'adoration des fidèles hindoues, elle est aussi dotée d'une dimension personnelle qui révèle le Brahman, opère dans la création du monde, descend sous formes d'avatars. Elle assume pour tout dire le précieux rôle de médiation, préservant la transcendance de Brahman.165(*) Constatant cela, Pannikar assure que : « C'est ici que nous trouvons la place d'Isvara, et c'est ici également que nous trouvons une des fonctions du Christ. »166(*) Ces distinctions entre Brahman et Isvara émises, Pannikar établit alors le parallélisme aux pages 159-160: « Cela de quoi procèdent toutes les choses et à quoi toutes choses font retour et par quoi toutes choses sont (soutenues dans leur être propre), c'est Dieu ; mais ce n'est pas primo et per se une Divinité silencieuse ; ce n'est pas une espèce de Brahman inaccessible, ce n'est pas Dieu le Père, source de toute la Divinité, mais le véritable Isvara, Dieu le Fils, le Logos, le Christ. Ce « cela » est Dieu ; il est identique à l'Absolu ; ce n'est pas un démiurge platonicien, ou un Brahman saguna secondaire, car il n'y a qu'une seule source, une seule Réalité ultime... Ce « Principe et Fin de toutes choses » a deux natures qui cependant n'existent pas de la même façon et ne se situent sur le même plan...L'une des deux faces regarde la divinité qui en est l'expression pleine et égale et le porteur. L'autre face est tournée vers le monde « extérieur » et en est le premier-né (...) Cependant, il n'est pas deux, mais un seul, un principe unique, une personne. » Il s'assure une lecture christologique équilibrée « permettant de reconnaître dans la figure d'Isvara une expression hindoue de ce que les chrétiens confessent à propos de Jésus-Christ comme Vrai Dieu et vrai homme, comme Celui qui au terme de l'histoire récapitulera la créature tout entière. »167(*) Il dira en effet « L'Isvara de notre commentaire est tourné vers ce qu'on nous permettra d'appeler le Mystère du Christ en tant qu'être unique dans son existence et dans son essence et comme tel égal à Dieu. »168(*) Pannikar ne pose pas le Christ et Isvara dans un rapport d'équivalence. Cependant, il refuse de mettre à la base de sa christologie l'historicité de Jésus, puisqu'il s'agit d'attirer l'attention sur la fonction médiatrice d'Isvara entre l'Absolu et le monde « dans la mesure où le Christ est susceptible d'être intelligible à la philosophie indienne en tant que telle, c'est ici qu'il peut trouver le moyen d'y pénétrer. »169(*) Au centre de sa christologie, l'accent est avant tout mis « sur la condition médiatrice de l'Eternel Engendré, telle qu'elle s'était exprimée dans le prologue johannique sur le Logos. »170(*) Quand il parle du Christ inconnu de l'hindouisme, il fait penser certes au « chrétiens anonymes » de Rahner. Seulement, pour Pannikar, chrétiens et hindous étant « tous identiques », séparés seulement par un voile d'illusion (Maya), ils devaient donc accéder à la découverte de leur profonde unité. Le dire implique que la médiation du Christ est pareille dans les deux religions. Quel ombrage serait alors fait au Jésus de l'histoire depuis son incarnation, lequel évènement rend sa médiation spécifique et particulière.171(*) La démarcation de la christologie transcendantale réside dans le fait que Rahner garde comme un grand appui le Jésus historique, notamment le devenir historique incarnationnel. Pannikar a le mérite de maintenir comme inclusiviste le Christ comme principe universel du salut : « Je ne parle ni d'un principe inconnu à l'hindouisme, ni d'une dimension du divin inconnu au christianisme, mais de cette réalité inconnue que les chrétiens appellent le Christ, découverte au coeur de l'hindouisme, non comme lui étant étrangère mais comme son véritable principe de vie comme la lumière illuminant tout homme qui vient dans le Monde. »172(*) Cependant, d'après Michel Fédou, la principale déficience de la christologie développée par Pannikar touche en fait la relation du Christ à Jésus de Nazareth. En effet, Jésus de Nazareth n'est que la manifestation privilégiée du mystère « cosmothéandrique du Christ ». Le théologien distingue le Christ de Jésus uniquement pour souligner que Jésus, par les limites de son incarnation ne pouvait contenir toute la Réalité suprême ou le Mystère ultime du Christ cosmique : « Mais cette position revient à distendre le lien entre le Jésus de l'histoire et le Christ universel (...) il s'agit de montrer que, du point de vue « chrétien, une telle expérience [celle d'être en relation avec le mystère du Christ sans le connaître] n'est possible que grâce à l'évènement du Christ dans l'histoire des hommes. »173(*) On voit bien que privilégier le Christ cosmique le rend plus proche de la vision du monde hindoue, mais cela sacrifie quelque chose d'essentiel pour l'intégrité du mystère chrétien. * 165 Cf. FEDOU Michel, Regards asiatiques sur le Christ, coll. «Jésus et Jésus-Christ », n°77, Desclée, Paris, 1998, p. 38. * 166 PANNIKAR Raimundo, Le Christ inconnu de l'hindouisme, p.158 cité par FEDOU Michel, Op.Cit., p. 38. * 167 FEDOU Michel, Op.Cit., p. 40. * 168 PANNIKAR Raimundo, Op.Cit., p.162 cité par FEDOU Michel, Op.Cit., p. 40. * 169 PANNIKAR Raimundo, Op.Cit., p.170 cité par FEDOU Michel, Op.Cit., p. 41. * 170 FEDOU Michel, Op.Cit., p. 42. * 171 Cf. Ibidem, p. 43. * 172 PANNIKAR Raimundo, Op.Cit., pp-19-20 cité par FEDOU Michel, Op.Cit., p. 45. * 173 FEDOU Michel, Op.Cit., p. 47. |
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