ABREVIATIONS ET SIGLES
1 Co : Première lettre aux corinthiens
1 Tm : Première lettre à Timothée
Ap. : Apologie
AT : Ancien Testament
CC : Congrégation pour le clergé
CDF : Congrégation pour la doctrine de la foi
CEP : Congrégation pour l'Evangélisation
des peuples
Cf. : Conferatur
Coll. : Collection
CPDI : Conseil pontifical pour le dialogue
interreligieux
CTI : Commission théologique internationale
Dir : Directeur
DVD : Digital Versatile Disc
Ibidem: Même auteur et même ouvrage
Idem: Même auteur
He : Lettre aux Hébreux
Jn : Evangile de Jésus-Christ selon saint Jean
Lc : Evangile de Jésus-Christ selon saint Luc
Mc : Evangile de Jésus-Christ selon saint Marc
Mt : Evangile de Jésus-Christ selon saint
Matthieu
n. : Note
n° : Numéro
nn° Numéros
NT : Nouveau Testament
Op.Cit. : Opus citatum (ouvrage cité plus haut)
p : Page
pp : Pages
PUF : Presses universitaires françaises
Rm : Lettre aux Romains
SC : Sources Chrétiennes
Sj : Membre de la Compagnie de Jésus
T : Tome
Trad. : traduction
UCAC : Université Catholique d'Afrique Centrale
Vol : Volume
DEDICACE
Nous dédions ce travail :
à tous ceux qui ont éveillé et
grandi en nous l'amour et la connaissance de Jésus-Christ, Seigneur et
Sauveur de l'univers, et particulièrement à Soeur Joseph MERCY
(missionnaire de la Charité), à l'Abbé Joseph-Marie OBAMA
(diocèse d'Obala), au P. Gérard FARQUET, cssp ;
à tous ceux qui, pleins de zèle,
acceptent encore généreusement aujourd'hui de se vouer à
l'annonce de Jésus-Christ,
et à Celui dont le Nom est au-dessus de tout
nom.
REMERCIEMENTS
Nous adressons nos spéciaux remerciements à
notre directeur Monsieur l'Abbé Dieudonné Espoir ATANGANA dont la
rigueur scientifique doublée de la disponibilité ont rendu
possible la réalisation de ce travail.
Un merci particulier à ceux et celle qui se sont rendus
disponibles pour la lecture du manuscrit de ce travail.
Merci à la famille NGONGANG pour son soutien
matériel.
INTRODUCTION GENERALE
« Le
XXIè siècle sera religieux ou ne le sera
pas ». Cette célèbre déclaration
prophétique attribuée à André Malraux peut nourrir
l'espoir de voir tranchée aujourd'hui l'opposition frontale de la
religion et du politique. Le politique avait comme juré de bâtir
ses fondations sur les ruines du religieux. Ce cri de guerre contre le
religieux fut relayé par les mouvements et concepts tels que la
sécularisation, la laïcité, l'éthique de la
responsabilité (en opposition à l'éthique des
convictions)... André Malraux laisserait donc entendre que nous sommes
dans l'ère du ré-enchantement du religieux ! De quel
religieux s'agit-il ? Les statistiques en disent long sur
l'élasticité du concept religieux à forte connotation
pluriconfessionnelle. On peut constater que les Chrétiens ne
représentent plus que 32% de la population mondiale, à
côté des Musulmans (19%), des Non-chrétiens et
d'Athées (15%), des Hindouistes (12%), des Bouddhistes (6%), des Juifs
(0,2%), des Sikhs (0,4%), des adeptes de religions traditionnelles (4,2%), des
adeptes de nouvelles religions surtout en Asie (1,7%)1(*). Le christianisme est en
sérieuse régression si on s'en tient aux études de David
Barrett2(*).
Ce constat est de nature à susciter des questions. En
effet, au coeur du christianisme se tient la profession de foi au Christ,
Seigneur. Elle ne s'exprime pas uniquement dans la référence
pieuse à Jésus comme personnage primordial à l'origine
d'un type particulier de culte à l'intérieur d'une relation
spécifique à l'Etre suprême. Professer la foi au Christ
c'est aussi et surtout reconnaître l'unicité et
l'universalité salvifique de son oeuvre et de sa personne. On trouve
d'ailleurs dans l'Ecriture des passages qui l'attestent :
« Car Dieu est unique, unique est le médiateur entre Dieu
et les hommes, le Christ Jésus » (1 Tm 2, 5) ;
« Jésus, médiateur de la nouvelle
alliance » (He 12, 24), etc. La médiation salvifique du
Christ ne laisserait pas - dit-on - d'autres alternatives de médiations
salvifiques alors même que le pluralisme religieux de l'époque
contemporaine condamne le christianisme à se considérer comme une
religion parmi tant d'autres dans le projet social de l'Etat moderne, où
les influences du perspectivisme nietzschéen au plan de la
vérité et axiologique ne sont plus à démontrer. Le
terme de pluralisme religieux lui-même suffit à faire sentir le
malaise : Comment confesser et annoncer l'unique médiation
salvifique du Christ sans être accusé de tendance
hégémonique dans la mesure où les statistiques
présentent notre monde comme étant meublé de diverses
croyances ? L'affirmation du Christ comme le principe unique du salut de
l'humanité parait intenable dans un tel contexte, pourtant l'Eglise se
doit de proclamer et de professer sa foi. Comment conjuguer l'adhésion
au christianisme et la réalité des autres religions qui, elles
aussi, proposent à l'homme le salut ? Dans le Document Dominus
Iesus publié en 2000, la CDF réaffirmait comme
préalable au débat, l'affirmation sans compromission de
l'universalité et de l'unicité du salut de l'humanité en
Jésus. Or, ces mises en garde n'évacuent pas le
problème : comment articuler à l'ère du pluralisme
religieux un discours christologique qui soit à même de rester
fidèle à la foi de l'Eglise et qui soit en même temps
ouverte, intégrant sans peur la réalité
irréductible du pluralisme religieux ? Quel discours tenir sur le
Christ qui soit crédible dans le contexte actuel du monde ? Le
pluralisme religieux apparaît ainsi comme un défi pour la
christologie contemporaine.
Notre travail, guidé par une méthode à la
fois descriptive et analytico-critique, poursuit un double objectif. Le premier
est de prendre acte de la manière dont les théologiens
contemporains ont essayé de faire face à ce défi,
autrement dit, il s'agit de repérer dans le foisonnement de la
pensée christologique de notre époque ce qui pourrait constituer
une réaction au pari lancé par le pluralisme religieux,
contribuant alors à un enrichissement de la christologie contemporaine
d'approches, de thématiques et de controverses qui lui sont propres. Le
second objectif, dans une sorte de bilan de l'étape
précédente, est celui d'entrevoir dans quelle mesure
l'unicité et l'universalité de la médiation salvifique
peuvent être justifiées dans le contexte du pluralisme religieux.
Evidemment, le débat suscité par ce phénomène
appelle en réalité la théologie toute entière
puisque, comme le dit Joseph Doré, « Il n'est sans
doute pas de domaine de la théologie qui se situe au carrefour de
l'ensemble des sciences théologiques au point où le fait la
christologie comme si la plénitude du Christ entraînait une
plénitude corrélative de la christologie. »3(*) Il n'est donc pas
surprenant que le débat fasse appel à une variété
de domaines à l'intérieur comme à l'extérieur du
savoir théologique, l'actualité brûlante du sujet l'y
contraignant.
Le premier chapitre sera donc une radioscopie du
phénomène du pluralisme religieux pour nous enquérir de la
pertinence de la question pour la théologie aujourd'hui. Le pluralisme
religieux n'est pas l'apanage de la période contemporaine. Il traverse
toute l'histoire de l'Eglise. Mais le pluralisme religieux contemporain a ceci
de particulier qu'il n'est pas uniquement la pluralité d'options
religieuses. Il s'inscrit dans la trame d'une société politique
en mutation. C'est de l'intérieur de ce dynamisme qu'émerge la
question avec force, même si sa lente gestation remonte à
plusieurs siècles. Les deuxième et troisième chapitres,
centrés respectivement sur l'inclusivisme christologique et le
théocentrisme, sont le coeur de la présentation des contributions
des divers auteurs, chacun dans l'orientation qui le caractérise. Ces
chapitres constituent à ne point douter l'officine christologique en
lien avec le pluralisme religieux. Dans le quatrième chapitre, il sera
question de tenter une justification de l'universalité et
l'unicité de la médiation salvifique du Christ, dans la prise en
compte des éléments fournis par l'inclusivisme, mais aussi et
surtout dans le dépassement des résistances émises par les
penseurs pluralistes.
CHAPITRE I : LE
PHENOMENE DU PLURALISME RELIGIEUX : PANORAMA ET ANALYSE
Dans ce chapitre, il est question de nous pencher sur la
réalité du pluralisme religieux dans une double approche à
la fois diachronique et synchronique ; la première étant une
sorte d'historique du phénomène, surtout dans les
différentes étapes de sa lente et difficile intégration au
sein des préoccupations théologiques ; et la seconde visant
à mettre en lumière la façon tout à fait nouvelle
dont ce phénomène, tel un booster, revigore le discours
christologique aujourd'hui.
I- LE
PLURALISME DANS L'EGLISE ANTIQUE
1- L'univers religieux de
la période antique
Les premiers disciples du Christ sont pour la plupart des
juifs convertis. Cette abondance numérique aura d'ailleurs pour
conséquence entre autres, une certaine tentative de confiscation de la
nouvelle expérience par les juifs, ou alors une tendance à croire
que la judaïté leur conférait plus de droit au sein des
communautés. Une réelle césure s'entamera entre le
christianisme et le judaïsme lorsque le premier refusera de paraître
comme un simple appendice du second à l'issu du concile de
Jérusalem, en adoptant comme résolution de ne pas contraindre
à la circoncision les nouvelles recrues provenant des milieux
païens. La rupture sera quasiment consommée avec l'expulsion des
adeptes du Christ des synagogues du fait de l'incompatibilité de leur
propos sur l'homme de Nazareth avec la longue tradition judaïque. Ils
seront ainsi à la merci de la législation romaine à cause
de leur obstination à ne pas se plier aux rites païens, attitude
considérée comme un délit d'incivisme passible de peine de
mort. Quelle aubaine pour la nouvelle secte de s'affirmer comme une
sphère religieuse propre à côté d'autres
préexistantes, parmi lesquelles la souche du judaïsme !
La confession de foi en Jésus de Nazareth apparait
comme un véritable défi dans ce contexte religieux de
monothéisme hostile et de polythéisme aux tendances
phagocytantes.
a- Le judaïsme
La naissance de multiples communautés dans la
méditerranée, bien que confortant l'idée de
l'autonomisation religieuse du christianisme, n'évacuera pas pour autant
les ambiguïtés - entre la religion du crucifié et sa souche
matricielle juive - au rang desquelles la prolifération des
écrits apocryphes de l'AT qui se chargent de perpétuer les genres
littéraires et les modes de pensées de facture judaïques,
les usages hérités des communautés juives vivant en milieu
païen (cf. La Didachè écrit vers 100 ou même
avant 70) ou qui connotent d'une ambiance typiquement sémitique (cf.
Odes de Salomon vers 100), les affinités intellectuelles
reflétant le judaïsme de cachet alexandrin (cf. Lettre du
Pseudo-Barnabé, vers 140), ou encore tout simplement il se fait
remarquer une certaine survivance d'une préoccupation théologique
proche du légalisme pharisien, tendant à réduire la
religion à un ensemble de préceptes moraux (cf. Le Pasteur
d'Hermas)4(*).
Pour donner du tonus à l'effort d'émancipation
du christianisme du judaïsme, Paul abondera, notamment dans
l'épître aux Romains et aux Galates, dans des
développements ayant pour vocation de fonder la pertinence de la foi au
Christ dans l'immense dessein de Dieu. « Aux Galates et aux
Romains, Paul annonce la nouveauté de l'Evangile. La venue de
Jésus a marqué le début d'une ère nouvelle dans les
relations entre l'homme et Dieu...Jésus-Christ est la nouveauté
radicale et l'unique source de salut, qui relativise toutes les
autres »5(*),
affirme Paulin Poucouta dans l'introduction de son commentaire de ces
épîtres dit « oecuméniques »
en raison de leur tendance à trouver l'unité entre la foi en
Christ et la foi des juifs. Il ne faudrait certes pas durcir chez
l'apôtre des nations l'opposition entre l'AT le NT qui d'ailleurs se
renvoient mutuellement : « Car la fin de la Loi, c'est le
Christ pour la justification de tout croyant. » (Rm 10, 4). Il
nous semble qu'il crut que la continuité historique fut non pas
essentielle, mais accidentelle, car il eut été mieux que le
ferment de l'Evangile eût transformé l'histoire du peuple
radicalement sans laisser persister en quelques uns (si ce n'est dans la
plupart) le refus du Messie de Dieu.
L'apparition des hérésies comme le Marcionisme
et ses variantes valentiniennes témoigne de cet effort de
« séparation radicale de la Loi et de
l'Evangile »6(*). Justement, le dithéisme dont il est
entaché, sa morale rigoriste, sa christologie erronée et son
exégèse tronquée ne pouvaient laisser les Pères de
l'Eglise indifférents, au cours de cette période de floraison de
littérature hérétique et aussi d'effervescence
spéculative apologiste. Tel fut alors l'un des motifs d'une
élaboration du discours christologique mû par ce que nous pouvons
appeler l'altérité de la religion juive. Puisqu'il était
autant dommageable pour la foi chrétienne de tolérer un discours
réducteur à l'égard du Dieu de l'AT, le défi
était alors lancé quant à un discours sur le Christ qui
tiendrait en compte toute l'économie du salut, bien que dessinant une
distance féconde entre le judaïsme et le Christianisme.
b- Le
paganisme
Dans le milieu gréco-romain où vivent les
chrétiens, il existe des pratiques auxquelles ils ne peuvent souscrire
du fait de leur contradiction avec la foi en Jésus de Nazareth. En
effet, le monde hellénique draine une longue tradition faite de
croyances syncrétistes : « au moment où le
christianisme commence sa pénétration, l'orient se sent
revivifié et il resurgit. C'est le déferlement oriental dans le
monde hellénique : propagation du judaïsme
hellénisé, propagation de l'astrologie et de la magie
babyloniennes ; entrées des cultes orientaux dans le monde
méditerranéen. »7(*)
Le domaine religieux qui est selon Julien Ries un trait majeur
du dynamisme hellénistique a comme mission
ceci : « maintien des cultes des dieux poliades en
Grèce ; interpretatio graeca des dieux
étrangers ; besoin d'exotisme dans le sentiment religieux ;
recherche du salut personnel et du contact avec la divinité,
succès des dieux guérisseurs (...) des cultes initiatiques....,
influence de la religion des philosophes (platonisme,
stoïcisme). »8(*)
Au total, le christianisme rencontre une adversité
religieuse païenne multiforme qui englobe celle provenant des religions
traditionnelles à mystères et le culte impérial.
Par ailleurs, en plus de cette variété de
croyances, le christianisme est aussi confronté à une
adversité intellectuelle dont la plus féroce aura le
mérite de le réveiller de ses somnolences et de mettre ainsi en
branle l'élaboration d'un discours post-apostolique de type
apologétique ; on pourrait citer à titre d'illustration le
dédain intellectuel de Celse et l'opposition du néoplatonicien
Porphyre (Traité contre les chrétiens).
2- La
christologie du Logos
Le discours sur le Logos est la première
réaction christologique sérieuse adaptée à la
situation du pluralisme religieux antique composé essentiellement du
judaïsme et des religions païennes.
a- Justin et le logos
spermatikos
Justin, fin connaisseur de la philosophie grecque, met
à profit sa culture intellectuelle au service du christianisme, qui
s'érige à ses yeux comme la plus grande école de
philosophie. Il écrit le Dialogue avec Tryphon et deux
Apologies. L'offensive des religions à l'encontre du
christianisme le mènera à construire une pensée
ingénieuse, féconde et audacieuse sur le Christ, Verbe de
Dieu.
Dans son Dialogue avec Tryphon, écho de
conversations réelles entre juifs et chrétiens de
l'époque, non sans rapport avec les dérives marcionistes, il
s'atèle à souligner, comme d'ailleurs d'autres Pères,
l'unité des deux testaments et leur continuité. Ce même
souci s'infiltre dans les Apologies lorsqu'il met au point la
théorie du logos spermatikos : « Ce logos a
inspiré les païens. Il a transmis un message à Moïse et
aux prophètes et il s'est révélé en
plénitude dans le Christ. »9(*) Seuls les chrétiens connaissent totalement
ce Logos10(*). C'est dans
ce sens qu'écrit la Commission Théologique Internationale :
« Mais à ce Logos, c'est tout le genre humain qui a
participé. Par conséquent, il y a eu depuis toujours des hommes
qui ont vécu en accord avec le Logos, et en ce sens, il y a eu des
« chrétiens », bien qu'ils n'avaient eu la
connaissance que selon une part seulement du Logos
séminal. »11(*)
Le Logos est le principe de ces « semences de
vérité »12(*) qu'on rencontre dans les religions païennes et
chez les philosophes, et en même temps, en raison de sa présence
parcellaire, la cause des dissensions et tâtonnements
philosophiques : « Toutes les vérités que
les philosophes et les législateurs ont découvertes et
exprimées, ils les doivent à ce qu'ils sont trouvé et
contemplé partiellement du Verbe. C'est pour n'avoir pas connu tout le
Verbe, qui est le Christ, qu'ils se sont souvent contredits
eux-mêmes. »13(*)
Pour résumer, dans le but de venir à bout du
malaise dans un environnement religieux fourni, Justin articulera une
pensée christologique sur le Logos dont l'idée charnière
s'avère sa préexistence et son inhabitation dans tout le genre et
l'histoire humains.
b- Clément
d'Alexandrie et la praeparatio evangelica
Comme Justin, Clément développera une
pensée sur le Logos « influençant la marche de
l'humanité longtemps avec le Christ. »14(*) Il affiche un
dédain pour les religions païennes et les cultes à
mystères dont il considère la période révolue et
devant faire suite à la nouvelle ère du christianisme, notamment
dans les chapitres II, III et IV du Protreptique. Son attitude est
plutôt positive face à la philosophie, qui aux côtés
des poètes et des prophètes recèlent des parcelles de
vérités. Par ailleurs, il affirmera comme pour s'insurger contre
la christologie tronquée de Marcion et souligner davantage le
progrès de la Loi à l'Evangile : «
D'abord, pour l'ancien peuple, il y eut l'ancienne alliance ; la Loi
conduisait le peuple comme le fait un pédagogue, dans la crainte ;
le Logos était un ange ; mais pour le peuple nouveau et jeune, une
nouvelle et jeune alliance a été conclue, le Logos a
été engendré, la crainte a été
changée en amour et cet ange mystique, Jésus, a été
enfanté. »15(*)
Clément manifeste fortement l'influence subie par
l'hellénisme auquel il emprunte certains concepts pour exprimer la
vérité chrétienne, comme celui de
« gnose » pour décrire l'initiation
chrétienne par exemple. Sa théologie du Logos se démarque
de celle de Justin en ceci qu'elle insiste sur la connaissance de Dieu ;
la révélation y apparaît comme une
« gnose » chrétienne répondant au
désir de connaissance de son milieu culturel. La
révélation chrétienne est supérieure aux
mystères païens et à la connaissance philosophique :
Clément appelle le Logos unique pédagogue de
l'humanité.
« Pour Clément d'Alexandrie, l'homme est
rationnel en tant qu'il participe de la raison véritable qui
régit l'univers, le Logos. »16(*) Puisque le salut est fonction de la connaissance
de Dieu, la façon dont chaque homme est concerné par lui est
aussi fonction du niveau de connaissance à partir duquel cet homme
participe au Logos, raison véritable. Toutefois, le regard sur les
autres religions (juive et païennes) et sur la philosophie est sans
ambiguïté : celles-ci sont une préparation en vue de la
plénitude du Christ17(*).
L'idée nouvelle au sujet du mystère du
Verbe chez Clément d'Alexandrie s'exprimerait ainsi : le Verbe est
le point de convergence vers qui tout est ordonné dans l'ordre
historique (religion juive) et dans l'ordre de la perfection (religions juives
et païennes et philosophie). L'adhésion religieuse en dehors du
christianisme est une expression d'une certaine foi implicite au Logos.
c- Irénée de Lyon et
la théologie de la récapitulation
« Nous avons en effet montré que le Fils
de Dieu n'a pas commencé à ce moment-là, puisqu'il existe
depuis toujours auprès du Père, mais, lorsqu'il s'est
incarné et s'est fait homme, il a récapitulé en
lui-même (in se ipso recapitulavit) la longue histoire des hommes et nous
a procuré le salut en raccourci (in compendium). »18(*) Ce fragment
d'Irénée montre que le rôle récapitulatif du Christ
est inséparable d'une certaine théologie de l'histoire où
le Christ est présenté comme le Logos révélateur.
Il est essentiel de souligner que dans sa pensée le Christ est
posé comme le lieu de toutes les manifestations divines qui a
jalonné l'histoire des hommes : « Par le Fils, qui
est dans le Père et qui a eu lui le Père, le `` Dieu qui est ''
s'est manifesté, le Père rendant témoignage au Fils et le
Fils annonçant le Père. »19(*)
A la suite de Justin, Irénée croit que la
connaissance humaine par le cosmos est déjà une participation
à la révélation du Logos. Ainsi, Jacques Dupuis
commente-t-il : « Irénée trouve dans l'ordre
même de la création une manifestation historique et personnelle du
Logos [...] Dans ce sens, la connaissance de Dieu présuppose toujours
une rencontre personnelle avec lui. Selon Irénée, une telle
rencontre, qui est de toute façon le Logos, parle aux personnes.
Autrement dit, l'ordre de la création fait lui-même partie de la
manifestation historique et personnelle de Dieu. »20(*)
Le développement christologique de notre auteur vise
à rétablir les fondements de la foi chrétienne
fragilisés par les dérives gnostiques des marcionites et des
valentiniens.21(*)
II-
THEOLOGIE MEDIEVALE ET D'APRES ET LE PLURALISME RELIGIEUX
1- Aux
origines de l'exclusivisme ecclésiologique: « Hors de
l'Eglise, pas de salut »
Les théologies du Logos développées par
certains Pères apologistes, malgré quelques accentuations qui
diffèrent d'un auteur à l'autre, mettent en évidence le
motif de la préfiguration prophétique et de la préparation
historique avant son accomplissement et son dépassement dans le Christ
face à la question du pluralisme religieux.
Mais, à partir d'Origène et plus
précisément de Cyprien, une formule verra le jour :
« Hors de l'Eglise, pas de salut ». L'analyse de leur
pensée et du contexte socio-historique de l'époque force les
spécialistes à conclure que ces Pères visent
l'unité de l'Eglise tout en tentant de décourager les
schismatiques et les hérétiques : « La
question du salut de l'humanité n'est pas ce qui préoccupe le
saint ; ce qui lui importe, c'est l'unité de
l'Eglise. »22(*)
L'exclusivisme ecclésiologique ici en exergue
suggère que l'expérience du salut est directement associée
à l'essence de l'Eglise. S'écarter de l'Eglise revient à
se priver du salut. « Il est manifeste que ceux qui ne sont pas
dans l'Eglise du Christ sont au nombre des morts et qu'on ne peut recevoir la
vie de celui qui n'est pas lui-même vivant. »23(*)
La conversion de l'empereur plus tard à la religion
chrétienne et l'érection de cette dernière au statut de
religion officielle de l'empire posera de façon nouvelle la question du
salut des païens. Grégoire de Nysse souligne déjà
dans ce sens le caractère universel du christianisme tout en n'oubliant
pas que la grâce de Dieu proposée à tous appelle la
réponse de l'homme24(*).
L'enjeu de la formule amorcera une pente nouvelle à
partir du moment où l'Eglise est devenue dans l'empire la religion
officielle et majoritaire ; l'axiome « hors de l'Eglise, pas
de salut » peut être appliquée aux païens et
aux juifs, parce qu'ils ont eu la possibilité d'accueillir le message
chrétien.25(*)
Chez Augustin, tout se passe comme si la formule se durcit
progressivement à mesure que progresse sa pensée. Dès
l'entame, il n'exclut pas la possibilité du salut pour ceux qui sont
historiquement antérieurs au Christ. Pour cela, il est contraint par la
logique de sa pensée d'élargir le concept de l'Eglise :
Ecclesia ab Abel, dans laquelle à Mechisédech, à
Job...il attribue une foi anticipée au Christ, du moins à un
groupe de privilégiés arraché à la massa
damnata.
Puis, cette mesure adoucissante ne concerne pas les juifs et
les païens qui opposent un refus explicite au salut qu'apporte le Christ.
De même l'ignorance du Christ par les païens diminue leur peine sans
leur concéder un salut du fait du péché originel.
« Cette doctrine, qui s'appuie sur une lecture rigide des textes
de saint Paul, oublie le principe de la liberté personnelle et de la
responsabilité subjective de chaque être humain dans l'ordre du
salut, pour ne retenir que le constat objectif de l'absence de tout lien
salvifique entre l'unique Médiateur et les hommes qui sont
« en dehors »26(*)
C'est confronté à la situation des
hérétiques et des schismatiques que l'Evêque d'Hippone
laisse apparaître l'exclusivisme: « Hors de l'Eglise, point
de salut » Qui dit le contraire ? Voilà pourquoi tous les
biens de l'Eglise que l'on possède n'ont pas, hors de l'Eglise, de vertu
salutaire. »27(*) Ou encore : « Hors de
l'Eglise, il [le donatiste] peut tout avoir, sauf le salut... mais nulle part
ailleurs que dans l'Eglise catholique, il ne peut trouver son
salut. »28(*)
A partir d'Augustin, s'ouvre la longue période de
plusieurs siècles durant lesquels l'exclusivisme ecclésiologique
s'épanouira. L'axiome intègrera les déclarations
conciliaires et les discours pontificaux en identifiant l'Eglise dont il est
question à l'Eglise catholique romaine (Concile du Latran en 1215 ou
Unam Sanctam de Boniface VIII en 1302 à titre d'exemples).
2-
Vers l'exclusivisme christologique
Plusieurs facteurs vont concourir à une nouvelle
compréhension de la formule.
Le premier est la découverte de nouvelles terres et des
peuples non évangélisés. Se posant la question du salut
des infidèles parce que confrontée à la découverte
de nouveaux mondes comme les Amériques avec Christoph Colomb, la
réflexion sera conduite, avec les théologiens comme Francis De
Vitoria (1493-1546), Melchior Cano (1505-1560) et Dominique Soto (1524-1560),
à aller au-delà de la thèse thomiste de la
nécessité de la foi explicite au Christ (baptême et
appartenance à l'Eglise) pour être sauvé, par l'adjonction
à la pensée du docteur angélique du principe de la
volonté salvifique universelle de Dieu. « La pensée
de ces grands dominicains n'a d'ailleurs pas pour préoccupation majeure
l'appartenance formelle à l'Eglise, mais le rapport de foi qui unit
l'homme au Christ, l'unique Médiateur. »29(*) Cano
« admet que ceux qui n'ont jamais connu le Christ puissent
recevoir la rémission du péché originel et la
justification par une foi implicite à la venue du Médiateur,
comme ce fut le cas du centurion Corneille. »30(*) Alors que saint Thomas
arguait que l'accession à la révélation explicite peut se
faire avec l'aide de Dieu par une inspiration intérieure chez un
mécréant, le pas est franchi vers la fides confusa (foi
implicite) en Christ chez le même sujet tant qu'il reste hors d'un
contact avec l'Evangile. Même au Concile de Trente, l'adage n'est plus
employé et ses influences s'en trouvent amoindries dans la
manière d'envisager le salut.
Les différents schismes (catholique-orthodoxes en 1054
et la Réforme de Luther au XVIe siècle) constituent le
second facteur. De façon générale, l'adage reste en
vigueur dans chaque dénomination avec les nuances que lui impose la
découverte des nouveaux mondes par les Eglises qui s'y
intéressent. Chacun réfère à son obédience
l'Eglise dont il est question dans la formule. Cependant, tous sont comme
contraints d'admettre l'effet de la grâce chez les autres. Et c'est avec
Karl Barth que le passage de l'exclusivisme ecclésiologique à
l'exclusivisme christologique est définitif dans l'interprétation
de la formule, lorsque dans la ligne du protestantisme orthodoxe qui comprend
l'Eglise comme composée de toutes les confessions chrétiennes
existantes31(*), il
déclare à propos de l'adage :
« signifie, au sens strict, que ceux qui ne sont
pas membres de l'Eglise n'ont aucune part à l'oeuvre du salut de Dieu.
La simple prudence commande de renoncer à dire cela. Ce qui est vrai,
c'est ceci : extra Christum nulla salus. L'Eglise n'est que la
forme d'existence sous laquelle le Christ rencontre le monde dans l'histoire.
[...] Ce n'est pas en dehors de l'Eglise, mais bien en dehors de l'appartenance
de tous les hommes à Jésus-Christ, que l'Eglise reconnaît,
confesse et affirme qu'il n'y a pas de salut. La même prudence commande
de ne jamais prétendre que la participation au salut du monde accompli
par Jésus-Christ, soit liée absolument à la
médiation de l'Eglise et donc à sa prédication. [...] Tout
ce qu'on peut dire de la communauté chrétienne -et cela avec la
plus grande rigueur - c'est uniquement ceci : extra ecclesiam nulla
revelatio, nulla fides, nulla cognitio salutis. »32(*)
3- La théorie de
l'accomplissement
La théorie de l'accomplissement, de notre point de vue,
constitue la seconde forme de l'exclusivisme christologique traditionnel. Jean
Daniélou et Henri de Lubac en sont les principaux chantres.
Pour Daniélou, il existe une progression dans
l'automanifestation de Dieu qui intègre les formes limitées de la
révélation depuis Abraham jusqu'à la forme parfaite en
Jésus Christ. Ne sont concernées par le caractère
progressif de la révélation divine que les manifestions divines
au sein de l'unique histoire de salut qu'inaugure l'alliance de Dieu avec
Abraham et son peuple. En dehors de cette expérience, les autres
traditions religieuses constituent une sorte de
« pré-histoire » du salut. Ces
religions « non-chrétiennes » sont de
l'ordre de la raison naturelle, tandis que la révélation
judéo-chrétienne appartient à l'ordre de la foi
surnaturelle. Les premières sont sous-tendues par une
« alliance cosmique », c'est-à-dire de la
manifestation de Dieu par la nature. Toutefois, elles sont déjà
orientées et ordonnées vers la manifestation personnelle de Dieu
dans l'histoire.
Le caractère « cosmique »
de ces religions explique la cohabitation en elles tout autant de
vérité que de mensonge, de lumière que d'obscurité.
N'empêche qu' « il existe une certaine
continuité entre l'alliance cosmique et l'alliance historique en ce sens
que la première sert de fondement nécessaire à l'autre,
mais l'intervention gratuite de Dieu dans l'histoire inaugure un ordre nouveau
qui détermine une discontinuité entre plus grande que la
continuité. »33(*) Jean Daniélou exprime le caractère
unique du christianisme en ces termes :
« Le christianisme n'est pas un effort de
l'homme vers Dieu. Il est une présence divine accomplissant dans l'homme
ce qui est au-delà de l'homme et à quoi l'homme sera seulement
une réponse, c'est le second trait de sa transcendance [...] Ici,
vraiment, nous touchons ce qui fait la différence essentielle : ce
qui constitue le contenu propre du christianisme, ce qui fait en
définitive sa transcendance, c'est Jésus-Christ, Fils de Dieu,
qui nous donne le salut. Les religions naturelles et - et c'est ce qui en
elles est valable - attestent le mouvement de l'homme vers Dieu ; le
christianisme est le mouvement de Dieu vers l'homme qui en Jésus-Christ
vient le saisir, pour le conduire à Lui. »34(*)
Henri de Lubac, pour sa part, déclare :
« Le christianisme ne vient pas ajouter quelque chose aux
religions humaines, comme on ajoute la solution au problème...Il vient
redresser [l'effort religieux de l'homme], le purifier, le transformer pour le
faire aboutir : en sorte qu'il est la religion ; celle qui
effectivement relie l'homme à Dieu. »35(*)
Comme Daniélou, de Lubac perçoit dans les
religions du monde le dévoilement de l'effort et du désir de
l'homme vers Dieu, mêlés encore de « semences du
Verbe », des contrefaçons et du péché.
« Selon « la théorie de
l'accomplissement », que Henri de Lubac fait sienne, le
mystère du Christ atteint les membres d'autres traditions religieuses
comme réponse divine à l'aspiration humaine à s'unir au
Divin, mais les traditions religieuses elles-mêmes ne jouent aucun
rôle dans ce mystère du salut. »36(*) Il emprunte à la
christologie de Teilhard de Chardin sa dimension axée. En effet, pour
Teilhard, la réalisation eschatologique du règne de Dieu est la
christification universelle car « Le Christ (...) est l'Alpha et
l'Oméga, le principe et la fin, la Pierre de fondement et la Clé
de voûte, la Plénitude et le Plénifiant. Il est celui qui
consomme et Celui qui donne à tout sa consistance. Vers lui et par lui,
Vie et Lumière intérieures du Monde, se fait, dans la plainte et
l'effort, Universelle Convergence de tout l'esprit
Créé. »37(*)
Afin de récuser toute tentative de constituer des
traditions religieuses en voies parallèles du salut face au
christianisme, Henri de Lubac s'appropriant cette vision de l'univers
axé vers le Christ, écrit :
« S'il existe objectivement plusieurs voies de
salut, parallèles en quelque sorte, nous voici en face
d'éparpillement, non d'une convergence spirituelle, et ce qu'on appelle
alors indûment « plan de Dieu » est sans
unité. Il doit y avoir un axe[...] Si conformément au dessein de
Dieu, nous nous soucions du salut du genre humain, si nous croyons que notre
histoire est chose réelle et si nous aspirons à l'unité,
nous ne pouvons échapper à cette recherche d'un axe et d'une
force drainante et unifiante, laquelle est l'Esprit du Seigneur animant
l'Eglise. »38(*)
Pour clore cette brève présentation de la
théorie de l'accomplissement, notons que cette dernière situe les
religions du monde dans un rapport de préparation, d'ordonnancement au
christianisme.
D'autres modèles à côté de la
théorie de l'accomplissement ont préparé les affirmations
de Vatican II au sujet des religions non-chrétiennes, comme la
théorie des chrétiens anonymes de Karl Rahner. Nous nous y
attarderons de façon systématique dans le prochain chapitre pour
présenter le fond christologique sous-jacent.
4- Vatican II et la
réhabilitation des religions non-chrétiennes
Le concile Vatican II constitue un tournant important dans la
réflexion dogmatique sur les religions non-chrétiennes.
Notra Aeatate, quant aux religions
non-chrétiennes, présente un regard de l'Eglise sur ces religions
tout à fait inédit et assorti de tolérance. Dans ce
document magistériel, l'Eglise prend acte du pluralisme et
l'intègre de façon positive. Elle reconnaît comme
réel chemin vers le divin l'expérience que plusieurs hors de
l'Eglise font par le biais de la vie ascétique, la méditation
profonde, les valeurs morales, spirituelles et socio-culturelles. Le
judaïsme et l'Islam y sont perçus avec beaucoup d'estime. Le
passage qui ressort avec clarté ce nouveau regard est celui-ci :
« L'Eglise catholique ne rejette rien de ce qui est vrai et saint
dans ces religions. Elle considère avec un respect sincère ces
manières d'agir et de vivre, ces règles et ces doctrines qui,
quoi qu'elles diffèrent en beaucoup de points de ce qu'elle-même
tient et propose, cependant apportent souvent un rayon de vérité
qui illumine tous les hommes. »39(*)
Si par ailleurs, Notra aetate a reconnu les diverses
religions comme des « rayons de la
vérité », il faut signaler qu'elle a
recommandé la mission d'annoncer Jésus le Christ comme
« la voie, la vérité et la vie ». Le
Décret Ad Gentes lui aussi reste tributaire de cette vision de
la révélation divine à degré faible dans les
religions. Cependant, il précise un nouveau type de rapport qui lie
d'une part les religions non-chrétiennes et d'autre part la religion
chrétienne : celui de l'accomplissement, de la
plénitude : « Aussi, tout ce qu'on découvre de
bon semé dans le coeur et l'âme des hommes ou dans les rites
particuliers et les civilisations particulières des peuples, non
seulement ne périt pas, mais est purifié, élevé et
porté à sa perfection pour la gloire de Dieu, la confusion du
démon et le bonheur de l'homme. »40(*)
Cette influence de la « théorie de
l'accomplissement » traversera Lumen Gentium qui
reprend de façon presqu'identique Ad Gentes au numéro
9 : « tout ce qu'il y a de germes de bien dans le coeur et
la pensée des hommes ou dans les rites propres et leur culture, non
seulement ne pas le laisser perdre, mais le guérir, l'élever,
l'achever pour la gloire de Dieu, la confusion du démon et le bonheur
des hommes. »41(*) Il est intéressant de remarquer qu'au
numéro 16, la constitution dogmatique sur l'Eglise brise la gangue,
libère et élargit l'idée de salut autrefois
confinée et rétrécie par l'exclusivisme
ecclésiologique. Désormais « le dessein du salut
enveloppe également ceux qui reconnaissent le créateur...Et
même les autres qui cherchent encore dans les ombres et sous des images
un Dieu qu'ils ignorent (...) ceux qui (...) ignorent l'Evangile du Christ et
son Eglise, mais cherchent pourtant Dieu d'un coeur
sincère. » Reprenant l'expression d'Eusèbe de
Césarée, elle qualifie de « préparation
évangélique » ce bon et ce vrai présents
chez les non-chrétiens. Le concept de salut se dilate et son centre est
réaffirmé : le « Christ est le principe du
salut pour le monde entier. » La conséquence
théologique est évidente : comme principe de salut, le
Christ l'est pour tout homme, quelle que soit sa religion. On pourra encore
lire dans ce sens : « Le mystère de l'homme ne
s'éclaire vraiment que dans le mystère du Verbe
incarné...Et cela ne vaut pas seulement pour ceux qui croient au Christ,
mais bien pour tous les hommes de bonne volonté, dans le coeur desquels,
invisiblement, agit la grâce. »42(*)
A la fin de la présentation quasi circonstanciée
de la pensée de Vatican II à propos de la valeur salvifique des
autres religions, une chose mérite d'être soulignée :
La théorie de l'accomplissement telle que mise au point par ses auteurs,
n'intègre pas à l'origine l'idée de valeur salvifique des
religions non-chrétiennes comme nous l'avons vu. Sans remettre en cause
le tournant éminemment important que ce moment représente dans
l'effort d'une approche plus équilibrée et crédible du
problème du salut et des religions non-chrétiennes, on pourrait
aussi reconnaître que le Concile Vatican II reste considérablement
marqué par la « théorie de
l'accomplissement » du fait qu'il ne concède pas aux
autres religions une valeur propre ; le regard positif qu'il pose sur ces
religions tient du fait que ces dernières sont ordonnées au
christianisme. Cette situation suscitera cette critique de Jacques
Dupuis : « La perspective ecclésiocentrique du
concile Vatican II -peut-on également faire remarquer- est telle que les
religions ne sont jamais considérées en tant que telles dans leur
spécificité et leur autoconsistance, dans leur
autocompréhension et leur valeur autonome, indépendamment de leur
rapport à l'Eglise, tel que l'entend l'Eglise elle
-même. »43(*) Aujourd'hui, grâce à la recherche
théologique, l'Eglise a fait des progrès sur ce point. Nous y
reviendrons au quatrième chapitre en parlant de la médiation et
des médiations.
On ne peut ne pas apprécier le fait que, en
déclarant pour tous les hommes le salut apporté par le Christ,
Vatican II ouvre ainsi des horizons intéressants de recherches
théologiques.
III-
LE PLURALISME RELIGIEUX COMME UNE QUESTION CONTEMPORAINE
1- Le cadre
socio-politique moderne
L'histoire des religions est-elle capable de remonter à
un âge de la civilisation humaine où la croyance fut
homogène et univoquement partagée ? Comme nous l'avons
souligné plus haut, le christianisme lui-même prend naissance dans
un contexte pluraliste bien précis. Quel serait l'intérêt
de se pencher sur un pluralisme à l'âge contemporain ?
Qu'apporte de spécifique le pluralisme contemporain à la
recherche christologique ? En d'autres termes, en quel sens le pluralisme
aujourd'hui est une façon nouvelle d'interroger et de stimuler la
réflexion théologique ?
Avec la période des Lumières, l'on
célébrait le primat de la raison sur la foi et ses avatars
obscurantistes du Moyen-âge, le primat de l'homme sur Dieu. La religion
cessait d'être la matrice des principes pour la vie humaine
multidimensionnelle. La séparation de l'Eglise et de l'Etat en France en
1905 consacrait définitivement le déclin de la religion longtemps
clamé par les pères fondateurs des sciences sociales (Marx, Max
Weber et Durkheim) qui mettaient volontiers au point de départ de leurs
analyses l'effacement du religieux comme condition d'accomplissement de la
modernité à travers trois pivots, le premier étant le
processus de rationalisation scientifique à travers la technique qui
disqualifierait l'herméneutique religieuse du monde. Tout s'explique et
donc pas besoin de recourir à une instance d'intelligibilité
surnaturelle. Le deuxième pivot est l'autonomisation du sujet humain par
un renversement de la souveraineté propre des sociétés
fondées sur la religion qui va de haut vers le bas. La Révolution
française s'avère donc un moment fort de cette affirmation du
sujet amorcée depuis l'époque des Lumières. Le dernier
pivot est le processus de différentiation des institutions selon les
domaines par l'émancipation par exemple du domestique de
l'économique, du politique du religieux et du droit de la morale avec
comme caractéristique forte le repli du religieux dans la sphère
privée.
Cela dit, on s'attend à ce que les processus mis en jeu
débouchent logiquement sur la sécularisation entendue comme mort
du religieux. De façon inattendue, on remarque d'abord aux Etats-Unis,
à la suite de la contre-culture une prolifération des courants
spirituels visant l'accomplissement de soi en provenance d'Asie, et construites
sur des systèmes de spiritualité hybrides, proches et connexes au
grand mouvement à vocation planétaire, le New Age avec ses
pratiques gnostico-philosophico-mystiques satellites. On pourrait y ajouter par
ailleurs, la naissance du pentecôtisme à l'origine des mouvements
charismatiques et des communautés émotionnelles. Courants
spirituels et pentecôtismes se répandent comme une
traînée de poudre à partir des Etats-Unis (supposé
exemple typique de l'Etat-nation moderne).
Ensuite, le religieux ressurgit dans les débats
politiques comme en Amérique latine et en Pologne. Les tenants de la
théorie de la mort du religieux expliquent, non sans pertinence, qu'en
ces lieux hostiles au débat démocratique, l'outil religieux est
utilisé pour dire ce qui ne peut être dit dans le débat
politique. Il s'agirait donc là des failles d'une pseudo-modernisation
qui n'entame pas la théorie. La théologie de la libération
se comprend comme une façon d'articuler les protestations des
sans-terres. Malheureusement pour ces théoriciens, ils se heurtent
à une ténacité des faits de nature à saper les
fondements de leurs affirmations : ce retour du religieux ne concerne pas
seulement comme ils tentaient d'arguer, les sociétés
périphériques de la modernité ; même les
sociétés les plus démocratiques comme les Etats-Unis avec
l'émergence de la moral majority, n'échappent pas
à cette réalité. Ce phénomène du retour du
religieux se fait remarquer en France aussi où la Loi Giscard de 1974
sur le regroupement familial permet aux immigrés de drainer avec eux
leurs croyances religieuses. Ce qui permettra aux immigrés d'alimenter
des revendications liées à l'expression de leurs croyances
religieuses. Le religieux n'aurait-il donc pas disparu de la scène
politique tel que prédisaient certains prophètes de
malheur !
Il découle de ce qui précède que la
sécularisation a été à tort
considérée comme la mort du religieux. Au vrai, les sociologues
se hâtent et réajustent leurs analyses et considèrent la
sécularisation comme la désinstitutionalisation du religieux, sa
dérégulation institutionnelle.
De ce point de vue, le pluralisme religieux s'entendrait
possiblement de deux manières : il s'apparenterait soit à la
survivance du religieux en une forme de ligne de résistance du religieux
face aux assauts répétés de le reléguer au second
plan ; soit à l'inflation innommable de l'expression religieuse
hors des cadres institutionnels traditionnels.
En rapport avec la première acception du mot, nous
constatons qu'à mesure que le pluralisme religieux se pose comme la
conséquence d'un retour du religieux au travers des institutions, la
tension entre l'Etat et la religion se fait importante. En effet, une des
ambitions de l'Etat laïque était l'invention de la
société moderne dans le but de garantir l'espace de la
liberté au sujet. Un chercheur souligne avec pertinence,
« Or, le problème de fond que
soulève la situation du pluralisme, de ce point de vue, réside en
ce que le présupposé implicite de la compatibilité entre
les requêtes avancées par chaque sujet social est venu à
manquer, à l'occurrence, dans le domaine religieux. Le cas le plus
évident à ce propos est fourni par l'Islam, c'est-à-dire
par une religion qui, tout en conservant sa complexité et sa
variété, n'a pratiquement pas participé au projet moderne
de l'Etat laïque. En général, cependant, le nouveau
problème est précisément posé par l'apparition de
sujets sociaux qui veulent faire valoir une identité forte,
légitimée aussi par la religion, en facilitant ainsi
l'éclatement de situations conflictuelles. »44(*)
Dans ce contexte, deux situations sont envisageables face
à l'échec de l'Etat heurté au pluralisme : soit que
l'Etat laïque reste fidèle à son intuition première
quant aux religions - c'est-à-dire leur ignorance pur et simple -, et
génère malgré lui par un effet d'action-réaction
des mouvements fondamentalistes tels que l'histoire de notre époque en
témoigne. Ces fondamentalismes entendus « comme tentatives
de refonder sur de nouvelles bases d'identités menacées des
traditions religieuses de la société
contemporaine »45(*), cherchent à juguler
l'impérialisme de la culture moderne ; de ce fait, ils se
présentent comme une sorte « d'anti-modernisme
moderne », selon les mots de notre auteur.
Soit alors que l'Etat, se résignant devant la
réalité irréductible du pluralisme, accepte de poursuivre
simplement la dépossession du pouvoir d'intégration sociale
autrefois dévolue à la religion - et spécialement au
christianisme - dans la société traditionnelle. Claude
Geffré, spécialiste de la question des religions, souligne
à propos de la religion dans la société
traditionnelle :
« Celle-ci constitue une réserve
transcendante de sens qui, par tout un réseau symbolique et rituel,
assure la cohésion et la stabilité du groupe social. Avec
l'avènement de la société moderne comme
société laïque, le système politico-social ne
reçoit plus sa légitimité de la religion et les symboles
ou structures qui relient étroitement les deux sont rompus. Le
phénomène de la sécularisation implique que les grandes
aires de la vie sociale (...) passent de la tutelle de l'instance religieuse
à la juridiction de l'Etat. »46(*)
En effet, le dogme de la médiation unique du Christ
tout comme celui de l'incarnation avait engendré selon les mots du
dominicain, une « certaine idéologie
unitaire » qui a marqué la pensée occidentale,
devenue moins encline à intégrer le pluralisme, notamment dans
le domaine religieux. En se posant aux antipodes de cette idéologie
unitaire, l'Etat s'arroge la mission de garantir la stabilité sociale en
donnant à chaque religion d'intervenir dans la sphère du
débat politique avec les chances que lui octroie son degré
d'importance dans l'histoire et l'identité du peuple concerné.
Pour soutenir ce dépassement,
« aujourd'hui, écrit Filoramo, dans
certains pays de traditions catholiques où était en vigueur un
régime laïque traditionnel de séparation (France, Italie,
Espagne), émerge une forme apparemment nouvelle de collaboration :
la reconnaissance des représentants des grandes religions comme autant
d' « autorités morales » auxquelles les
pouvoirs publics n'hésitent plus à faire appel soit en
matière d'instruction religieuse, soit pour des questions
éthiques qui focalisent l'attention de l'opinion publique (...) En
premier lieu, implicitement ou explicitement, et donc de fait, existe une
reconnaissance pluraliste de ce que toutes les religions
représentées plus ou moins officiellement se trouvent, devant le
pouvoir politique de service, sur un pied
d'égalité. »47(*)
Cette première situation d'interprétation du
pluralisme comme survivance du religieux au travers des institutions
(politiques) est un défi de crédibilité pour l'Eglise si
elle ne veut pas continuer d'arguer à base de propos exclusivistes
historiquement liés à son parcours et à son rapport avec
l'ordre temporel à une époque précise. Pour autant que
nous puissions affirmer, en paraphrasant le philosophe allemand, que la
« théologie est fille de son temps », pour
souligner sa nécessaire connexion avec les acquis actuels des autres
domaines du savoir et les situations de l'heure, comment
réinterpréter l'unique médiation du Christ ? En ce
sens, il est un truisme de préciser : « La
théologie ne peut pas non plus se satisfaire d'une
phénoménologie de la religion. C'est qu'elle ne saurait
se déployer en examinant le donné religieux hors de ses rapports
au social et des recompositions qui s'y tissent, tant au plan de ses formes et
représentations qu'au plan de la distribution des instances de
rationalité et de leurs procédures de légitimations. Pour
elle, le religieux ne saurait être autonomisé »48(*).
En rapport avec la deuxième acception du pluralisme,
nous pouvons soutenir que la sécularisation est
désinstitutionalisation du religieux selon que le retour du religieux
à notre époque échappe à une régulation
institutionnelle, fût-elle religieuse ! Autrement dit, même si
par endroit il est observé dans le globe une perte du sens religieux qui
affecte au premier chef les institutions (Eglises, ministres, vie
sacramentelles, etc.), il est aussi remarqué une prolifération
du religieux dans la sphère privée qui a comme compensé
cette perte du religieux.
Tout se passe comme si le primat accordé au sujet dans
la société moderne avait affecté d'une certaine
façon le retour religieux en incitant le sujet à évacuer
de la religion ce qui relève de l'institution ou à ne retenir que
ce qui exalte son autonomie, aux relents parfois consumériste (selon la
logique de la société de consommation qu'accompagne la
négation des valeurs éthiques). C'est dans ce sens qu'il faudrait
lire cet extrait de Giovanni Filoramo :
« Comme Berger n'a cessé de le
répéter (...), dans le nouveau scénario religieux de la
modernité, la religion n'est plus une destinée, mais le fruit
d'un choix. Le pluralisme devenait la caractéristique distinctive d'un
scénario qui, à cause du relativisme des fois et de la perte de
visibilité que prennent les religions institutionnelles, se transformait
en un supermarché des fois, où, avec l'avènement d'une
société de consommation toujours plus dominée par les mass
médias, ce qui devenait déterminant était leur
« consommation » et le choix du consommateur - relatif au
produit le plus « intéressant » et non plus à
la conservation d'une foi traditionnelle -prenait un caractère
déterminant. »49(*)
La cristallisation du pluralisme autour du sujet au
détriment de la foi traditionnelle et des institutions donne naissance
à une société où les revendications identitaires
à cor et à cri s'élèvent çà et
là. De plus, l'allégeance des Etats à une base minimale,
non pas de type religieux, - les droits de l'homme - , vont influencer le
débat théologique vers la recherche d'un consensus éthique
entre les religions en vue d'une cohabitation pacifique des peuples, sans doute
avec l'avantage de laisser de côté des différences
doctrinales parfois inconciliables qui, face au pluralisme, accorde
priorité à la recherche de la tolérance qu'à
l'assimilation et au rejets des autres alternatives religieuses.
2- Le dilemme moderne
du Jésus historique et du Christ de la foi
La modernité n'a pas seulement enregistré comme
palmarès le mérite d'avoir donné à la question du
religieux une tonalité nouvelle. Elle a aussi nourrit l'ambition
d'affranchir Jésus de l'univers religieux pour qu'il devienne pour ainsi
dire la préoccupation de tous.
Le ton est donné par Spinoza. Il se penche le premier
sur la question philosophique de Jésus en découvrant en ce
dernier l'envoyé de Dieu pour l'humanité pour laquelle il avait
mission d'initier à un type de religion jusque-là inconnue, toute
intérieure, rationnelle et universelle. La figure humaine et historique
de Jésus devient objet de fascination alors qu'elle fut toujours
oubliée par la théologie. Les philosophes de l'Aufklärung
allemand entreront dans la danse comme nous le fait remarquer Joseph
Moingt :
« Mais si l'on observe avec Kant et Hegel que la
vraie moralité n'est pas la simple obéissance à des lois
positives, mais l'autonomie des décisions, la responsabilité de
ses actes, la conformité à la loi intérieure de la raison,
à la voix de la conscience reconnue comme voix de Dieu, alors il n'est
pas indifférent de remarquer que l'avènement de la
moralité, ainsi comprise, est lié à un regard nouveau sur
l'enseignement de Jésus, considéré comme la
révélation de l'homme à lui-même : Jésus
est ce tournant radical de l'histoire humaine qui libère l'homme de la
tyrannie des religions, le rend maître de son destin et prépare
les voies à l'unification de l'humanité sous la même loi
morale. » 50(*)
Kant à ce propos, distingue un double contenu de la
révélation : d'une part celle qui relève de la foi
« statutaire »,
« ecclésiastique »,
« historique », et d'autre part, ce qui est rationnel, ce
que la raison peut découvrir par elle-même. Or, ce Jésus,
« le Maître de l'Evangile », arrache l'homme à
la foi servile statutaire du judaïsme pour le conduire à la foi
morale.
Jésus devient l'objet d'étude
pluridisciplinaire profane, la conséquence est évidente :
« La christologie des philosophes provoque la théologie
à une conversion du regard, à se préoccuper davantage de
l'humanité du Christ et de son historicité,
délaissées par elle depuis tant de
siècles. »51(*) La théologie, pour rester dans
l'histoire, est sommée de prendre acte de ce regain
d'intérêt pour la question historique au sujet du Christ.
C'est dans ce contexte qu'émerge au sein des
théologiens le débat qui oppose le Jésus de l'histoire
dans la christologie scientifique ou historique, au Christ de la foi dans la
christologie dogmatique ou ecclésiastique. Les affirmations dogmatiques
peuvent-elles être confirmées par une approche des textes qui
tient compte de la dimension historique de Jésus ? Et vice
versa.
Adolf Harnack, en se posant la question du rapport
qu'établissait Jésus en prêchant entre sa personne et son
message, opte, dans la dynamique d'une théologie libérale, pour
un scepticisme : puisque le Christ renvoyait à son Père et
à une morale intérieure, puisqu'il ne se met pas au centre de ce
qu'il annonce, il est difficile de déduire quoi que ce soit de sa
personne.
Schweitzer, critiquant la théologie libérale et
ses prétentions à déduire le visage authentique de
Jésus à base de recherches scientifiques, penche pour le Christ
de la foi, complètement étranger à ces constructions
intellectuelles. Barth sera du même avis dans le programme de sa
théologie dialectique qui pose la Parole de Dieu comme seul appui de la
foi.
Avec Bultmann, le débat atteindra sa vitesse de
croisière. Il réfute aussi comme Barth l'historicisme dans une
entreprise de « démythologisation ». Pour lui,
d'après René Marlé :
« Le Nouveau Testament s'exprime à
travers une « image du monde » mythique,
c'est-à-dire dans laquelle le divin se manifeste comme
phénomène du monde, sous une forme particulière, voire
extraordinaire, mais homogène à celle des autres
phénomènes. Notre esprit, « irrévocablement
formé par la science », même s'il rejette le scientisme,
exige la rigueur, la distinction des « ordres » et ne peut
plus faire sienne l' « image du monde » mythique.
Cependant, le Nouveau Testament n'entend pas nous livrer une « image
du monde » particulière, mais nous faire parvenir un message.
La tâche à accomplir est de libérer ce message des
représentations dans lesquelles il est formulé. Sous son aspect
négatif, cette tâche est de
« démythisation » ; sous son aspect positif,
elle est d'interprétation existentiale. »52(*)
L'histoire nous permet simplement d'attester l'existence de
Jésus. D'après Bultmann, seul l'Evènement de la Parole
compte. Il n'y a pas moyen de remonter au-delà du Kérygme
primitif. « Le Christ de la foi est donc
l'évènement de la Parole de Dieu qui a surgi dans l'histoire
à travers l'existence de Jésus de Nazareth. Cet
évènement interpelle chacun des hommes dans l'actualité de
son existence. A la limite, les récits sur Jésus,
« existent » dans toute leur force lorsqu'un homme leur
accorde sa foi. »53(*)
Les grandes tendances théologiques à
l'époque contemporaine renferment des orientations particulières
en réponse à cette question : Christologie d'en bas (partir
de l'histoire de Jésus) ou christologie d'en haut (partir des grandes
affirmations dogmatiques au sujet de Jésus. Dans le débat
christologique sur le pluralisme religieux qui retient aujourd'hui, comme nous
le verrons plus loin, deux grandes tendances -l'inclusivisme et le pluralisme -
, on retrouve les marques de cette discussion à propos du Jésus
historique et du Christ de la foi. Par exemple, Dupuis stipule que
l'inclusivisme christologique est liée à une christologie d'en
haut, tandis que le théocentrisme est inspiré d'une christologie
d'en bas. En effet, « concrètement, le choix entre le
modèle christocentrique et le modèle théocentrique dans
une théologie des religions dépend du choix préalable
entre une christologie d'en haut, ontologique, et une christologique d'en bas,
qui demeure délibérément à un niveau
fonctionnel. »54(*) Nous partageons en partie cet avis qui demeure
vrai en général. Cependant, les partisans d'une christologie
inclusiviste normative articulent un modèle plus proche du fonctionnel.
Toutefois, une telle distinction permet de s'apercevoir de la force que la
modernité a exercée sur la théologie contemporaine.
3-
La question doctrinale
L'intérêt que le pluralisme religieux a
suscité dans les débats théologiques a
généré deux types d'approches. La première qui
s'inscrit dans l'histoire des religions est dite
phénoménologique, dans un regard global de leur mutuel contact,
fécondée par un idéal planétaire de cohabitation
pacifique tel que nous l'avons évoqué dans un des paragraphes
précédents. La seconde approche est critériologique, du
fait qu'elle se penche sur la question du pluralisme religieux à partir
du pôle de la vérité professée ou du point de vue
doctrinal. Lorsqu' en l'an 2000, La CDF publie la Déclaration
Dominus Iesus, son accueil est mitigé au sein même des
théologiens catholiques55(*) ; les théologiens d'autres confessions
eux aussi exprimèrent leur peur de voir dans les années à
venir le dialogue oblitéré. Pour notre part, l'objectif de ce
document magistériel, loin de clore le débat, vise en
définir les préalables pour y participer de façon
authentique. Nous pouvons lire à ce sujet :
« De la pratique et de la théorisation du
dialogue entre la foi chrétienne et les autres traditions religieuses,
naissent de nouvelles questions ; il faut les affronter en parcourant de
nouvelles pistes d'investigation, en avançant des propositions et en
suggérant des comportements, qui doivent être soumis à un
discernement attentif. La présente Déclaration intervient dans
cette recherche pour rappeler aux Evêques, aux théologiens et aux
fidèles catholiques certains contenus doctrinaux essentiels, qui
puissent aider la réflexion théologique à découvrir
peu à peu des solutions conformes aux données de la foi et aptes
à répondre aux défis de la culture
contemporaine. »56(*)
Et plus loin dans le même numéro l'auteur indique
le but heuristique de la déclaration :
« On veut y traiter organiquement la
problématique de l'unité et de l'universalité salvifique
du mystère de Jésus-Christ et de l'Eglise, ni offrir des
solutions à des questions théologiques librement
disputées. On veut plutôt exposer une nouvelles fois la doctrine
de la foi catholique sur ce point, en indiquant en même temps certains
problèmes fondamentaux qui restent ouverts à d'ultérieurs
approfondissements, et réfuter quelques opinions erronées ou
ambigües. »
La mise à nu de ces problèmes fondamentaux
faisant parfois suite à des compromis doctrinaux douteux par les acteurs
du dialogue - même du côté catholique - dont les
propositions théologiques ne sont pas sans compromission sur les acquis
basiques de la foi, permet de reconnaître comme dangereux
« le relativisme de la vérité », le
« subjectivisme exaspéré »,
« l'éclectisme », « la tendance
à interpréter l'Ecriture en dehors de la tradition du
Magistère », le « faux concept de la
tolérance », « la mentalité
indifférentiste ».
Cela dit, les développements christologiques
constituant le point de mire de notre travail, nous examinerons
indépendamment de leur orthodoxie les grands acquis théologiques
à l'intérieur de la problématique du pluralisme religieux,
quitte à signaler au besoin leur démarcation ou non de la
doctrine de l'Eglise. Pour autant que la confession de Jésus, Fils de
Dieu et unique médiateur ait une valeur dogmatique, sinon plus, il n'est
pas inutile de souligner que l'énoncé dogmatique compte parmi les
facteurs du malaise christologique contemporain57(*). N'était peut-être la formulation
langagière du dogme, que la désaffection de l'homme contemporain
face à certaines vérités de foi, restant sauf le contenu,
et maintes polémiques au sujet même du pluralisme religieuse s'en
trouveraient fortement atténués. C'est dans le même sens
que Ratzinger en glosant sur la Trinité, émet cette affirmation
importante : « Le dogme comme réglementation du
langage. [...] Il ne faut donc pas aller jusqu'à considérer ces
formules comme les seules possibles, jusqu'à déduire que c'est
là l'unique manière d'exprimer la réalité : ce
serait méconnaître le caractère négatif du langage
théologique, son caractère approximatif. »58(*) Une telle perspective
conduit, à coup sûr, à saisir la chance inouïe du
pluralisme religieux pour scruter au mieux, approfondir sans peur de
réajuster, les propositions dogmatiques tenues parfois à tort
pour apodictiques.
La christologie contemporaine, hantée par la question
de savoir « comment tenir ensemble, en une tension
féconde, l'intégrité de l'identité
chrétienne et l'ouverture dialogale aux autres traditions dans le
respect des différences ? ou encore comment tenir ensemble
l'unicité du salut en Jésus-Christ et la pluralité des
religions reconnues dans leur valeur propres ? »59(*), considère comme
révolu l'exclusivisme et s'articule autour de deux grands
paradigmes : l'inclusivisme et le pluralisme. Cette façon de
classifier, plutôt générique, s'exprime autrement chez
d'autres auteurs : « Le Christ contre les
religions » (l'exclusivisme) traduisant « la
thèse traditionnelle de la théologie chrétienne, selon
laquelle le Christ est le médiateur unique et exclusif du salut et
l'Eglise, l'institution unique et exclusive du salut. »60(*) , « le
Christ au dessus des religions » pour un théocentrisme
avec une christologie normative et « le Christ avec les
religions » pour un théocentrisme avec une christologie
non normative.
Somme toute, au terme de ce chapitre , il convient de
rappeler que nous avons voulu nous pencher sur le pluralisme religieux et sur
les questions qu'il pose à la théologie depuis des siècles
et plus encore en nos jours. Nous semblons à présent plus lucide
pour entamer la présentation analytique dans les chapitres suivants -
d'allure encore plus spéculative - et présenter l'enrichissement
théologique issu de discours christologiques comme réponse au
défi qu'un tel phénomène lance à la recherche.
CHAPITRE II :
CHRISTOLOGIE INCLUSIVISTE
Le Concile Vatican II avait reçu et approfondi
l'intuition des théoriciens de l'accomplissement, tout en impulsant un
mouvement significatif à la pensée théologique dans le
sens de l'inclusivisme christologique. Bien que la perspective exclusiviste
garde encore son actualité dans beaucoup de milieux protestants,
notamment évangéliques61(*), elle est considérée dans les milieux
catholiques comme une étape dépassée du débat sur
la question des religions. Comme preuve, nous pouvons évoquer le cas de
ce jésuite américain sanctionné par le Saint Siège
pour avoir tenu des propos exclusivistes, n'acceptant pas de se dédire
sur le sujet. Notre intention dans ce chapitre est d'extraire des arguments
théologiques les plus illustres - au point de paraître quelquefois
proverbiaux - la substance christologique participant comme propos lumineux ou
inédits à l'approfondissement du mystère de la personne du
Christ dans le contexte du pluralisme religieux.
Le modèle inclusiviste soutient fermement la
signification universelle du mystère de Jésus-Christ.
« Cependant, écrit Dupuis, alors que ce mystère
sauveur parvient aux chrétiens dans et par l'Eglise, il atteint les
fidèles des autres traditions religieuses d'une façon
mystérieuse à travers ces traditions
elles-mêmes. »62(*) Une théorie inclusive, partant, conjugue
(à doses variées sans doute) deux éléments :
d'un côté le Christ comme unique principe du salut, et de l'autre
la valeur positive (au sens de la concession d'une valeur propre) des diverses
traditions religieuses. « Pour la théorie inclusive, donc,
poursuit Dupuis, la tâche à accomplir par une théologie des
religions, c'est de montrer que l'Evènement Christ, malgré son
caractère particulier, quant au temps et à l'espace, a une valeur
universelle et des conséquences, de telle façon que le
mystère du salut en Jésus-Christ est partout présent et
opérant par l'Esprit. »63(*)
Claude Geffré, à travers le concept de
« christianité », rend à merveille ce rapport
entre le Christ et l'homme quelle que soit sa religion. Ce concept renvoie
à une « disposition congénitale par rapport
à cette perfection de l'homme qui se trouve exprimée en
Jésus Christ (...) présence cachée du mystère du
Christ coextensive à tous les moments de
l'histoire. »64(*) Nous analyserons tour à tour les
approches christologique dites christologiques inclusivistes constitutives et
normatives, et, par la suite, l'approche sacramentaliste.
I-
L'INCLUSIVISME CHRISTOLOGIQUE CONSTITUTIF
Pour l'inclusivisme, dire que la médiation du Christ
est constitutive, cela va de soi, tel que nous l'avons souligné en
précisant les caractéristiques de cette approche. Cependant, pour
besoin de clarté, l'on appellera constitutive cette christologie qui
accentue de façon significative la médiation salvifique du Christ
comme essentielle. Le concept « constitutif » renvoie
à deux autres : l'unicité et l'universalité,
« elles appartiennent à l'essence du
salut, en ce que Jésus-Christ possède une signification
salvifique pour l'humanité tout entière, et que
l'évènement-Christ - en particulier le mystère pascal de
sa mort et de sa résurrection - est vraiment
« cause » de salut pour tous les hommes. Il scelle entre la
Divinité et le genre humain un lien d'union qui ne pourra jamais
être rompu et constitue le canal privilégié à
travers lequel Dieu a choisi de partager la vie divine avec les êtres
humains. »65(*)
1-
Karl Rahner et les « chrétiens anonymes »
a- L'anthropologie et
la christologie transcendantales
Karl Rahner est un théologien à la pensée
riche et complexe, subtile et architectoniquement ramifiée. Pour arriver
à ressortir efficacement les traits de sa christologie transcendantale
en lien avec le débat du pluralisme religieux, nous partirons de
l'anthropologie qui le conduit à la thèse des
« chrétiens anonymes », et pour cause. Mais avant,
précisons que son inclusivisme se manifeste par la valeur qu'il
concède aux religions non chrétiennes. En effet, d'après
Evelyne Maurice, pour Rahner, « dans l'acquisition du salut par
un non-chrétien, on ne peut concevoir que les religions
non-chrétiennes ne jouent aucun rôle. »66(*)
Si la volonté salvifique universelle de Dieu figure
parmi les multiples héritages thomistes de la pensée du
théologien allemand, les concepts « transcendantal »
et « catégorial », eux, trahissent son attache
à la philosophie heideggérienne et son affinité pour
l'ontologie fondamentale. En effet, quelle que soit sa situation :
« l'homme, comme personne et sujet, est habité par une
expérience transcendantale qui anime de l'intérieur toute son
activité catégoriale. »67(*) Le domaine du catégorial ou du savoir
thématique réfère au pôle du langage, de notre
activité de connaissance et du vouloir. Celui-ci, à son tour,
dépend d'un autre pôle proprement « subjectif,
infiniment plus difficile à définir et à saisir, parce
que, par hypothèse, il échappe toujours à la
thématisation. »68(*) Et « ce pôle subjectif (...) de
notre conscience est la condition de possibilité de toute connaissance
réflexive. »69(*) Son ampleur est infinie, et pour le sujet,
il « est pure ouverture à absolument tout, à
l'Etre en général. »70(*) On est en présence du creuset du
désir infini qui porte l'homme dans l'ordre de la connaissance et du
vouloir, la source de l'insatiable qui l'habite. A cause de ce mouvement qui
« transcende » toujours, porte continuellement le sujet au
dépassement, Karl Rahner parle de l'expérience transcendantale.
Toutefois, l'existential ou le transcendantal surnaturel propre à
l'historicité de la personne ne saurait se réduire à une
simple puissance obédientielle ou une puissance passive
d'autotranscendance en Dieu sans plus.
Ce mystère qui actue l'homme au plan transcendantal est
théologiquement nommé Dieu, de sorte qu'on peut affirmer qu'il
« est donné pour ainsi dire un savoir anonyme et non
thématique de Dieu. »71(*) Les traditions religieuses n'assument de
facto qu'une médiation catégoriale inchoactive de la
transcendantalité surnaturellement élevée.
Ensuite, la révélation, don gracieux de Dieu,
fruit de l'initiative de Dieu est proposée à un sujet qui y est
ontologiquement disposé : « Le mouvement
transcendantal de l'esprit, ordonné du mystère absolu dans la
connaissance et la liberté, est porté par Dieu lui-même en
son autocommunication, de telle sorte que ce mouvement a son terme et son
origine (...) dans le Dieu d'absolue proximité et
immédiateté. »72(*) Le concept de « chrétiens
anonymes » peut alors mieux se comprendre :
« Celui qui ne se trouve en aucune
manière en lien historique concret avec la prédication expresse
du christianisme peut néanmoins être un homme justifié, qui
vit dans la grâce de Dieu. Il ne possède pas seulement alors cette
autocommunication surnaturellement gracieuse de Dieu comme une offre, comme un
existential de son existence ; mais il a également accueilli cette
offre, et possède ainsi proprement l'essentiel de ce que le
christianisme veut lui transmettre : son salut dans la grâce qui
objectivement est celle de Jésus Christ. Parce que l'autocommunication
transcendantale de Dieu comme offre à la liberté de l'homme est,
d'un côté, un moment de cette autocommunication de Dieu au monde
qui en Jésus Christ possède son terme et son point culminant,
l'on peut parler sans hésiter d'un `chrétien anonyme'. Mais il
reste vrai néanmoins que (...) n'est chrétien, dans la dimension
de l'historicité réfléchie de cette autocommunication
transcendantale de Dieu, que celui qui se déclare expressément en
faveur de Jésus le Christ par la foi et le
baptême. »73(*)
Le chrétien anonyme est ainsi celui qui rencontre le
Christ sans le savoir à travers le double mouvement de l'acceptation de
son humanité et de l'amour du prochain.74(*) Du reste, le théologien ne laisse pas
subsister d'amalgame entre le christianisme anonyme et le christianisme
plénier :
« Il existe un christianisme implicite,
anonyme... Nous avons déjà eu très souvent à
souligner qu'existe parfaitement et doit exister un rapport dans une certaine
mesure anonyme et cependant réel de l'homme individuel à la
concrétude de l'histoire du salut, et par suite aussi à
Jésus Christ, et cela en celui-là même qui n'a pas encore
fait toute l'expérience historique concrète, en même temps
qu'explicitement réfléchie, dans la parole et le sacrement, qui
le lierait à cette réalité de l'histoire du salut, mais
possède un rapport existentiellement réel de façon
simplement implicite, dans l'obéissance (...) au Dieu de
l'autocommunication absolue, (...) en ce que cet homme accueille sa propre
existence sans prévention [...] A côté de quoi il y a le
christianisme plénier, venu explicitement à lui-même dans
l'écoute croyante de la parole de l'Evangile, dans la confession de
l'Eglise, dans le sacrement et dans l'accomplissement explicite de la vie
chrétienne, cet accomplissement qui se sait lui-même en rapport
avec Jésus de Nazareth. »75(*)
Cela dit, il nous en chaut de nous pencher sur la christologie
transcendantale que nous qualifierons de logologie pro-anthropologique, car, le
Christ de Rahner qui se rapporte à l'homme est le Logos en tant que
principe d'autocommunication intramondain de la vie intratrinitaire. Le
jésuite n'a-t-il pas lui-même déclaré que
« la Trinité économique de l'histoire du salut est
la Trinité immanente »76(*) pour identifier l'être-en-soi de Dieu
à l'être-pour-nous de Dieu tel qu'il s'est
révélé dans l'histoire du salut ? De manière
analogue, la christologie rahnérienne, fortement marquée par
l'autocommunicativité du Logos, tente de réfléchir sur
l'être du Logos dans son mouvement de donation à l'homme.
A travers l'incarnation qui est le sommet de
l'autocommunication de Dieu, le Logos de Dieu, le muable immuable de par la
logique kénotique, assume la créature. A l'anthropologie
transcendantale correspond à l'évidence une christologie
transcendantale qui, à coup sûr, est l'union ontologique de
l'homme au Verbe de Dieu : « l'incarnation apparaît comme
l'origine nécessaire et permanente de la divinisation du monde en son
ensemble. Dans la mesure où advient, en ouverture sans réserve,
la proximité insurpassable au mystère absolu que Dieu est et
demeure »77(*). L'union hypostatique est l'expression
particulière de cette solidarité du Verbe avec l'humanité,
une solidarité qui relève l'homme déchu. Daniel Woung
émet une glose dans ce sens : « En Jésus
l'humanité atteint son niveau ontologique le plus élevé
grâce à l'acte créationnel par lequel Dieu lui-même
assume cette humanité. »78(*) Le Logos pose l'homme comme la
préoccupation ultime de Dieu, abstraction faite de sa croyance
religieuse (qui relève du catégorial), au point de faire de lui
un mystère, c'est-à-dire le lieu de la contenance et du
dévoilement de Dieu tout à la fois: « L'homme
est alors, pour l'éternité, le mystère de Dieu
proféré, mystère qui, pour l'éternité, a
part au mystère de son fondement. »79(*) Enfin, lisons
l'éminent théologien allemand ressortir à merveille le
caractère pro-anthropologique de sa christologie :
« Parce qu'elle est l'unité de l'être proprement dit
de Dieu et de l'homme à travers l'autodiction personnelle de Dieu dans
son Logos éternel, la christologie est commencement et terme de
l'anthropologie, et cette anthropologie dans sa réalisation la plus
parfaite, est pour l'éternité
théologie. »80(*)
b-
« Chrétiens anonymes » controversé
Autant la théorie des chrétiens anonymes a
séduit par son originalité et sa subtilité, autant elle a
suscité beaucoup de réticences qu'il serait difficile de
mentionner ici de façon exhaustive. Cependant, nous exposerons quelques
unes de ces réticences en nous arrêtant par la suite sur celles
qui fulminent de plein fouet les bases de la christologie transcendantale.
Au plan interreligieux, les critiques abondent. Quand on
connaît le prix que Hans Küng attache dans son approche de la
question du pluralisme religieux aux pôles « vu du
dehors » et « vu du dedans »81(*), on n'est pas très
surpris qu'il trouve cette option rahnérienne empreinte de transfert
d'identité ou vectrice de confusion identitaire, « car
elle les [les non chrétiens] définit par ce qu'ils nient
être, au lieu d'exprimer leur identité propre telle
qu'eux-mêmes la perçoivent. »82(*)
D'après Christian Duquoc, à la suite de Hans
Küng, la théorie des chrétiens anonymes est une
pétition de principe avec pour effet tautologique l'impérialisme
religieux ainsi exprimée :
« leurs différences [les religions]
d'avec le christianisme sont alors réduites à être des
négations ou des déviations de la vraie religion. Il ne subsiste
légitimement de ces religions que ce qui annonce en elles le
christianisme, c'est-à-dire ce qui ne les différencie pas de lui.
Elles sont prises au filet de l'identité. Tous les croyants (...) sont
déjà chrétiens, car ce qui fait leur valeur, ce n'est pas
qu'ils appartiennent à telle religion historique, c'est que dans cette
religion non chrétienne, ils vivent objectivement le
christianisme. »83(*)
Boublik, toujours sur le plan interreligieux, à
l'expression « chrétiens anonymes » lui
préfère celle de « catéchuménat
anonyme », car pour que l'on parle de christianisme tout court, il
faut identifier la réelle transformation qu'il entraine en
dépassant la simple référence fut-elle transcendantale
à un Christ dont on n'aurait pas conscience. Faute d'une telle
transformation, il sied plutôt de parler de
« catéchuménat anonyme » comme
préparation au salut. « Le salut proprement dit reste en
suspens, écrit Dupuis pour commenter la pensée du critique,
jusqu'au moment où le « non-chrétien »
rencontrera personnellement Jésus-Christ et sera ainsi en mesure de
recevoir le salut en lui par un acte de foi explicite. »84(*)
Sur le plan d'une historicité du christianisme aux
prises avec le défi de l'histoire, le théologien catholique
Jean-Baptiste Metz dénonce dans la théorie des
« chrétiens anonymes » la « ruse
théologique qui garantit l'identité et la victoire, sans
l'expérience de la course et de la possible
disparition. »85(*) Elle repose sur le présupposé
selon lequel : « le christianisme est immunisé contre
les risques afférents aux menaces identitaires par son
omniprésence : pas de faillite ni de défaillance, pas de
crise d'identité possible, puisque celle-ci est donnée
d'avance. »86(*) L'armature du transcendantal rahnérien
« prémunit le christianisme contre tout péril dans
le champ de l'histoire. »87(*)
Sur le plan proprement christologique, nous retiendrons trois
critiques majeures à l'endroit de la théorie des
« chrétiens anonymes ».
La première est de Urs Von Balthasar. Tout d'abord, ce
dernier trouve que la christologie sous-jacente à cette théorie
est proche de la christologie « évolutionniste » de
Soloviev « pour qui Jésus-Christ représente
« la loi de l'évolution parvenue à
soi. »88(*)
. Ensuite, Balthasar décrie dans cette théorie l'ellipse de la
croix : « Ici, manque clairement une théologie de la
croix, dont Rahner nous reste redevable. Certes, la valorisation de la doctrine
du christianisme (...) amène une dévalorisation de la
théologie de la croix, et, par suite, de la théologie de la vie
chrétienne fondée sur l'épreuve
décisive. »89(*) On serait en présence d'une
réduction de « l'importance du péché et [de]
l'exigence de la rédemption. En somme, cette théorie
transforme le surnaturel en une « fonction de la
nature »90(*)
La deuxième critique, de Henry Van Straelen laisse
entendre que : « Dans cette théorie
rahnérienne, il n'y a plus de révélation objective, la
frontière entre nature et surnature est effacée et Dieu fait
violence à l'homme pour lui donner quelque chose dont il ignore tout et
qu'il ne désire peut-être pas. »91(*) De ce qui
précède, il s'ensuit que le Christ transcendantal est cause de
confusion entre nature et surnature comme symbole de la violence divine faite
à l'homme. La célèbre maxime théologique
héritée de Thomas d'Aquin selon laquelle la grâce ne
supplée pas la nature devient caduque dans la mesure où, à
cause de l'influence d'une christologie évolutionniste, on ne
perçoit plus clairement comment, comme le dit Van Straelen,
« la foi est l'acceptation de la révélation divine
et non l'épanouissement d'une structure humaine. »92(*)
Que dire enfin de la critique qui touche au fondement
christologique de la mission ?
« On lui [à la thèse des
chrétiens anonymes] reprochait, écrit Geffré, de
procéder à partir d'une vision abstraite et beaucoup trop
optimiste des religions. En faisant de celles-ci des objectivations de la
volonté universelle salvifique de salut de Dieu, elle ne souligne pas
assez l'ambiguïté fondamentale des religions qui sont aussi
l'expression de l'aveuglement pécheur de l'homme. D'autre part, la
théorie des chrétiens anonymes n'insiste pas assez sur
la nouveauté de l'existence chrétienne par rapport à la
nature humaine comme condition préalable de la grâce. Et la
révélation judéo-chrétienne comme
révélation historique, dans sa différence avec ce qu'il
considère comme la révélation transcendantale,
à savoir la communication de grâce que Dieu fait à tout
être humain. »93(*)
Comment ne pas sentir que l'inquiétude relevée
ici par l'auteur est celle de savoir si la mission
évangélisatrice de l'Eglise à l'égard des
non-chrétiens peut trouver encore dans une telle perspective un
fondement christologique réel. Sesbouë en reconnaît le
problème et tente de le surmonter dans l'interprétation de la
pensée de Rahner, en précisant que la mission se fonde sur le
passage d'un christianisme anonyme à un christianisme
plénier :
« De même que l'expérience
transcendantale de l'homme s'actualise nécessairement dans un agir
concret et historique et se thématise dans l'ordre du catégorial,
de même l'autocommunication de Dieu à l'homme, à partir du
moment où elle entend assumer dans l'incarnation les lois de la
condition humaine, ne peut se jouer au seul plan transcendantal, mais doit
assumer une face historique et concrète qui va du mystère de
Jésus-Christ à l'institution de l'Eglise. »94(*)
Quoiqu'étant affirmée une solidarité
avec l'humain, le Christ transcendantal garderait la même force
rédemptrice que le Christ ecclésial. Le passage d'un
christianisme anonyme à un christianisme plénier semble
être un fait de surcroit qui n'entame en rien l'autocommunication de Dieu
déjà sotériologique lorsqu'elle rencontre
l'autotranscendance active du sujet. Il y a donc une réelle
difficulté à fonder comme le faisait Jean Paul II, la mission sur
le Christ et non de la dériver d'une quelconque
nécessité95(*). Quand on sait que dans l'Evangile de Jean,
Jésus se définit comme « l'envoyé » du
Père, lui qui envoie à son tour, comment ne pas noter l'absence
de ce fondement de la mission, qui constitue l'essence de l'Eglise telle que
martèle Henri de Lubac96(*).
2-
Jacques Dupuis vers la christologie trinitaire
a-
Le contexte théologique
L'après Vatican II, notamment avec l'exigence
d'aggiornamento a contribué à une remise en cause de la
perspective démonstrative et de l'argumentation extrinsèque de la
scolastique. Un tel mouvement coïncidait avec le regain
d'intérêt porté à la question de l'histoire sur la
scène biblique et dans la christologie elle-même : c'est la
recherche d'une certaine harmonisation entre l'histoire et les affirmations
dogmatiques avec comme but aussi de ne retenir au sujet de Jésus dans le
NT que ce qui relève de la factualité97(*), tel que nous l'avons
montré dans le chapitre précédent.
Ce rappel n'est pas superflu lorsqu'on sait comment cette
problématique du Jésus historique et du Christ de la foi a
motivé chez Dupuis l'articulation des catégories du particulier
et de l'universel comme nous le verrons. Pour l'instant, contentons-nous du
lien entre le contexte théologique et la méthode de l'auteur.
Quand il s'interroge sur le point de départ du discours
sur le Christ, il écrit :
« Les disciples étaient ainsi
renvoyés au témoignage de Jésus durant sa vie terrestre.
Poussés par l'Esprit, ils se remémoraient ce que le Jésus
prépascal avait fait et dit, et qui alors, la plupart du temps, n'avait
pas été compris. Cette « mémoire » du
Jésus historique a joué un rôle dans la genèse de la
foi christologique des disciples. Elle a fourni le lien entre Jésus
lui-même et l'interprétation de foi qu'ils ont donné de lui
après sa résurrection. Par elle, la foi christologique de
l'Eglise retourne réellement au Jésus de l'histoire et peut se
fonder sur lui en qui elle trouve ainsi son fondement
historique. »98(*)
Il se trouve que Dupuis, à la suite des auteurs de la
deuxième quête du Jésus historique
écrit encore :
« Nous nous efforcerons à montrer que
Jésus est réellement à l'origine de la foi christologique
de l'Eglise ; ou, selon la terminologie déjà utilisé
précédemment, qu'il y a
continuité-dans-la-discontinuité entre la
« christologie implicite » de Jésus et la
« christologie explicite » de l'Eglise apostolique. La
continuité-dans-la-discontinuité s'applique ici à
Jésus lui-même en ce qu'il passe de l'état kénotique
à la condition glorifiée par la transformation de son
humanité dans la Résurrection ; elle s'applique aux
disciples pour autant qu'ils passent de la simple condition de disciples
à la foi chrétienne à travers leur expérience
pascale. »99(*)
Il s'agit là comme on peut le constater d'un processus
de « retrojection » qui articule christologie
« d'en bas » (proche de l'induction) et une christologie
« d'en haut » (proche de la déduction)100(*). L'auteur, en raison de
cette combinaison de ces deux approches classiques en théologie, se
réclame de la démarche qui conçoit « la
théologie comme herméneutique »101(*).
b-
chemin vers l'approche christologique trinitaire
En 1990, Le Pape Jean Paul II écrit :
« Il est contraire à la foi chrétienne d'introduire
une quelconque séparation entre le Verbe et Jésus Christ. (...)
Jésus est le Verbe incarné, Personne une et indivisible : on
ne peut pas séparer Jésus du Christ, ni parler d'un
« Jésus de l'histoire » qui serait différent
du « Christ de la foi »102(*) Dupuis, conscient de cette mise en garde
écrit tout de même :
« Il faut donc montrer, comment s'associent,
dans l'unique économie du salut voulue par Dieu pour l'humanité,
les deux aspects de l'action universelle du Verbe comme tel et de la
signification salvifique universelle de l'évènement
Jésus-Christ, de façon à laisser entrevoir que, tandis que
l'évènement Jésus-Christ est universellement
« constitutif » du salut, les autres voies ont une certaine
signification salvifique pour leurs propres adhérents dans le même
plan divin. »103(*)
Même si Dupuis se refuse au logocentrisme confiné
sur l'aspect logologique du Fils de Dieu, il distingue « une
action du Verbe de Dieu, non seulement avant l'incarnation du Verbe, mais
également après l'incarnation et la résurrection de
Jésus-Christ, distincte de l'action salvifique à travers son
humanité »104(*) , sans séparer Verbe divin et
Jésus historique. Telles sont les incidences de sa méthode
herméneutique inductive et déductive tout à la fois.
Dans la personne de Jésus, s'unissent sans confusion,
ni changement, la nature divine du Verbe et l'humanité. Il faut
éviter tout monophysisme (absorption d'une nature par une autre). Pour
dire mieux : « Le Verbe de Dieu, bien que s'étant
incarné, reste le Verbe de Dieu ; Dieu reste Dieu... Son
éternité divine n'est pas absorbée par sa
temporalité en tant qu'homme ; sa fonction créatrice n'est
pas supprimée par sa créaturalité en tant
qu'homme. »105(*) En ce sens, l'action du Verbe incarné reste
le sacrement d'une action plus ample, celle du Verbe éternel de Dieu. La
personne de Jésus est marquée par une contingence qui le confine
dans la particularité historique de son être ; elle est ainsi
limitée et rendue incapable de contenir en elle toute l'action du Verbe
de Dieu.
Restant sauf le fait que « l'action universelle
du Verbe et l'évènement historique de Jésus-Christ ne sont
ni à identifier ni à séparer, [et qu'] ils demeurent
distincts »106(*), s'inspirant de Justin, Dupuis réaffirme
tout de même : « Le Logos de Dieu a répandu ses
semences tout au long de l'histoire de l'humanité et il continue de les
répandre aujourd'hui en dehors de la tradition
chrétienne. »107(*) Son analyse logologique lui permet de
préserver envers et contre tout la présence du Verbe dans les
traditions religieuses, celles-ci n'ayant pas besoin d'être
reportées au christianisme pour que luise en elles l'éclat du
Verbe. C'est une question vitale pour notre auteur de sauvegarder
l'autoconsistance propre et inaliénable des autres religions.
En effet, le christianisme est issu de
l'évènement-Christ. L'Eglise est fondée sur ce
mystère vécu, célébré et professé. Il
serait inconvenant de relier toutes les traditions du monde à un
évènement si circonscrit dans le temps et l'espace, et ainsi
doté d'une contingence irréductible. Si Dupuis refuse le vocable
de « chrétiens anonymes » aux non chrétiens,
c'est que cette désignation leur dénie « leur
propre identité en tant qu'autres, dans leur spécificité
irréductible[...]Ce faisant, le christianisme semble a priori
s'établir comme norme absolue, alors qu'il représente
lui-même, parmi d'autres, une tradition religieuse de
l'humanité. »108(*)
On dirait que la particularité issue de la
spatio-temporalité de l'évènement Jésus-Christ est
comme communiquée au christianisme. Au sujet de Jésus, il
affirmera de façon audacieuse : « Les vicissitudes
humaines de Jésus appartiennent à un temps et lieu
précis ; le mystère même de la résurrection est
un évènement inscrit ponctuellement dans l'histoire, bien qu'il
introduise l'être humain de Jésus dans une condition
« méta-historique »109(*).
Avec une certaine perspicacité, le jésuite
s'empressera d'équilibrer en arguant que l'automanifestation du Verbe ne
pouvait aller plus loin, comme nous le verrons avec Walter Kasper :
« Sans aucun doute, le Verbe avait été
manifesté en Jésus-Christ de la manière la plus
complète possible dans l'histoire, comme aussi de la manière la
plus profondément humaine que l'on puisse jamais concevoir, et donc la
plus adaptée à notre nature »110(*), autrement dit, le
devenir-homme du Verbe de Dieu dans
l'évènement-Jésus-Christ (passion, mort,
résurrection) a atteint le point culminant du processus historique de
l'autocommunication divine. Jésus-Christ est « sacrement
universel » du mystère du salut que Dieu offre à
travers son Verbe à tous les hommes. L'auteur parle d'une association
organique de l'action du Verbe à l'action salvifique de
l'évènement-Christ dans l'unique plan divin de l'humanité.
Il évite ainsi qu'on prête à son raisonnement l'idée
d'induire, suite à une concaténation douteuse, à une
relativité absolue de l'Evènement-Christ, parce que seul le Logos
serait absolu.
Une telle perspective christologique a le mérite de
concilier la centralité de Jésus-Christ dans le plan du salut (le
christocentrisme) et la survivance, fut-elle pâle, de l'action salvifique
de Dieu au-delà des limites du christianisme.
Deux facteurs vont permettre à Dupuis d'embrasser le
risque de pousser jusqu'au bout la logique de sa pensée.
Il y a premièrement, ceci que son dialogue avec les
théologiens pluralistes de tendance théocentriste est
déterminant. Ces derniers (comme nous le verrons dans le prochain
chapitre) refusent de placer la figure du Christ au centre de la
préoccupation de l'homme qui cherche le salut. Jésus reste comme
tant d'autres une figure qui incarne le salut de Dieu. En cela, les
théologiens pluralistes s'opposent au christocentrisme pour lequel
l'évènement-Christ est générateur du salut pour
l'humanité. Dupuis tente d'unir les deux tendances :
« En réalité, dit-il, le
christocentrisme de la tradition chrétienne n'est pas opposé au
théocentrisme. Il ne met jamais Jésus-Christ à la place de
Dieu ; il affirme seulement que Dieu a mis Jésus-Christ au centre
de son plan sauveur pour le genre humain, non comme la fin mais comme la Voie,
non pas comme le but de toute quête humaine de Dieu, mais comme le
Médiateur universel de l'action salvatrice de Dieu à
l'égard des personnes. »111(*)
Il ajoute : « La théologie
chrétienne (...) est théocentrique étant
christocentrique. »112(*)
Le second facteur, certes lié au premier, est la
façon dont il entend le salut en Jésus. Jésus est le
Sauveur universel parce qu'il est sauveur « constitutif »
de l'humanité. Mais, seul Dieu est le Sauveur absolu. En
réalité, dans la Bible juive, le titre de
« sauveur » appartient principalement à Dieu, et
dans le NT, « l'objet de la foi (...) reste fondamentalement Dieu
le Père ; de même, selon cette même théologie,
c'est fondamentalement Dieu qui sauve et, non pas premièrement, mais
conjointement, Jésus-Christ : Dieu nous sauve par le Fils (voir Jn
3, 16-17). »113(*) Il conclut fatalement :
« Le fait que Dieu est premièrement le Sauveur
n'empêche toutefois pas que Jésus-Christ soit appelé
Sauveur, mais c'est en second lieu, l'évènement-Christ
étant l'expression efficace de la volonté et de l'action
salvifique de Dieu. Qu'il soit appelé « Sauveur
constitutif », non « absolu », ne
« relativise » pas l'action salvifique du Christ, ce qui
est « constitutif » appartient à
l'essence. »114(*)
Quel modèle christologique allierait dans une parfaite
harmonie constitutivité du salut en Jésus et les judicieuses
intuitions du théocentrisme ? Dupuis est donc conduit à
opter pour un « modèle de christologie
trinitaire »115(*), autrement dit, une
« pneumato-christologique trinitaire »116(*).
D'après lui, « une christologie
trinitaire devra exprimer clairement la relation de Jésus avec
l'Esprit »117(*), insistant sur le rôle de l'Esprit dans
la vie de Jésus. L'enjeu est celui-ci : « Dans une
théologie, la présence et l'action universelle de l'Esprit dans
l'histoire humaine et dans le monde devront non seulement être
affirmées, mais devront également servir de fil
conducteur. »118(*) Il devient plus aisé de saisir
l'opportunité du salut en dehors du christianisme. Aussi, voudrait-on
éviter un christomonisme pour préserver le christocentrisme d'une
autodestruction - telle que prévient Bernard Sesbouë119(*) - qu'on est contraint
d'allier christologie et pneumatologie, puisque la distinction des hypostases
du Christ et de l'Esprit et des rôles respectifs de ceux-ci nous y
engage. Dupuis va même plus loin que Rahner, à preuve :
« une théorie de l'interprétation des traditions
centrées sur l'Esprit peut, d'après Barnes, aider à
résoudre le dilemme fidélité-ouverture. Au lieu de se
demander comment les autres religions sont liées au Christ et soulever
l'inévitable énigme de sa présence
« latente », « inconnue » ou
« cachée », nous considérons la façon
dont l'Esprit du Christ est actif, dans toutes les religions en
révélant le mystère du Christ - le mystère de ce
que le Christ fait dans le monde. »120(*)
La christologie trinitaire permet de réconcilier
l'évènement particulier et l'insistance pluraliste sur l'action
universaliste de Dieu dans l'histoire. Effectivement dans ce modèle
pneumato-christologique trinitaire, le pôle d' « Un
Dieu » traduit la vie immanente de la divine Trinité comme
communion absolue d'amour. « La diversité et la
communion des personnes dans la Divinité offrant la clé
appropriée (...) pour comprendre la multiplicité des
manifestations que Dieu fait de lui-même, étroitement liées
entre elles dans le monde et dans l'histoire. »121(*) Le pôle
d' « Un Christ » se rapporte à
l'évènement-Christ sans aucun réductionnisme logocentriste
d'une part, et d'une jésuologie d'autre part.
Il n'est pas inutile de rappeler que dans le contexte de cette
pensée, le pluralisme non seulement de fait, mais aussi de droit est
l'expression d'une pluralité de manifestations divines
intérieures au dessein de Dieu.
La CDF a émis quelques réserves quant à
cette approche de Dupuis. Elle a demandé au jésuite belge
d'adjoindre une notification à son livre Vers une théologie
chrétienne du pluralisme religieux. Cette notification rappelle
huit principes pertinents de théologie - dont quatre portent
spécifiquement sur le Christ - en raison des
« formulations ambiguës et des explications insuffisantes de
différents passages de son livre »122(*), dans le but de
« réfuter les opinions erronées et dangereuses
auxquelles le lecteur pourrait être conduit. »123(*). Les remarques au sujet
des affirmations christologiques rappellent l'unicité de la
médiation salvifique universelle du Christ, la non séparation du
Verbe et de Jésus et de leurs actions respectives, le caractère
complet et définitif de la révélation en
Jésus-Christ et enfin l'accomplissement dans le Christ des semences de
vérités présentes dans les autres religions.
Claude Geffré avait déjà, quelques
années auparavant, souligné à sa manière ces
insuffisances de la christologie de Dupuis. En effet, d'après lui,
l'insistance de la christologie trinitaire sur l'action conjointe du Verbe et
de l'Esprit au-delà des frontières de l'Eglise trahit chez
l'auteur une attention insuffisante au paradoxe de cet universel concret qui
est le Christ Jésus. Pour Geffré, l'Esprit à l'oeuvre en
dehors de l'Eglise est l'Esprit du Christ mort et ressuscité. Raison
pour laquelle, il faut maintenir le plus possible que c'est au sein même
de la particularité du Christ indissociable de Jésus de Nazareth
qu'il faut vérifier cette universalité du Verbe. Ainsi, n'a-t-on
pas besoin de corriger la particularité du Verbe incarné en
faisant appel à la capacité d'universalisation de l'Esprit :
« Là, dit-il, je trouve que la christologie trinitaire,
telle que la comprend le Père Dupuis, risque non pas de nier
l'unicité de la médiation du Christ, mais, en un certains sens,
de compenser la particularité du Christ comme Verbe incarné par
la capacité d'universalisation de l'Esprit. »124(*)
3-
Walter Kasper et l'approche christologique et trinitaire
L'approche christologique et trinitaire de Walter Kasper n'est
pas à confondre avec l'approche christologique trinitaire de Jacques
Dupuis ; en fait, celle-ci était fortement marquée par la
doctrine des Logoi spermatikoi de Justin, alors que celle-là
s'inspire de la théorie de la récapitulation
d'Irénée de Lyon.
En effet, l'enseignant de Tübingen dans son ouvrage
Jésus le Christ reste préoccupé par la question
suivante : « On doit faire encore un pas de plus et se
demander comment, dans un monde devenu historique, la question de l'absolu, de
la rédemption et du salut, de Dieu et de son Règne peut
même encore avoir un sens. Comment, dans les conditions où nous
nous trouvons aujourd'hui, pouvons-nous encore parler de manière
compréhensible de Jésus Christ et du salut qu'il a
apporté. »125(*) On ne peut ne pas s'apercevoir qu'il porte un
intérêt au Jésus historique. C'est une certaine
appropriation historique du message de Jésus qui résoudra le
malaise moderne du christianisme oscillant entre fidélité
à son identité et capacité d'être digne de
crédibilité en face de l'homme moderne, tel
qu'évoqué au tout début de son livre126(*). « La
confession de foi et les dogmes christologiques doivent être compris en
fonction de cette réalité visée [la confession de la
communauté ecclésiale] et à partir
d'elle. »127(*) Le fond historique revêt une telle importance
du fait que l'histoire, comme lieu d'espérance, pourrait permettre
efficacement de se sentir concerné par Jésus et son message de
salut. Ne dit-il pas dans ce sens : « Ce qui est convaincant
en Jésus Christ, c'est que chez lui les deux aspects, la grandeur et la
misère de l'homme, sont acceptés d'une manière infinie. En
ce sens Jésus Christ est l'accomplissement de
l'histoire. »128(*)
L'approche christologique et trinitaire de Walter Kasper
repose sur l'analogie d'unité de la race humaine d'une part et de Dieu
d'autre part. Dieu est Un, expression plus qualitative que quantitative. Il
déclare à ce propos : « Il faut voir la
croyance en Dieu seul et unique en lien avec l'exigence d'une décision
radicale d'appartenir à Dieu du même mouvement, de tout son coeur,
son âme et son esprit... Dieu est tel qu'il monopolise tous les aspects
de notre être, et il nous comble totalement. »129(*) La croyance en un Dieu
unique est donc une option faite contre le polythéisme qui absolutise la
pluralité des réalités, des peuples et des cultures tandis
que le monothéisme se pose comme la contradiction la plus radicale
possible de la fragmentation de la réalité et comme une
affirmation claire et forte de l'unité du monde et de la race
humaine.
L'approche christologique et trinitaire est celle de
l'unité dans la diversité : « La raison la
plus profonde du fait que la confession de foi au Dieu unique n'exclut pas la
diversité mais plutôt l'inclut jusqu'à un certain point,
réside dans la confession de foi trinitaire d'un Dieu unique en trois
personnes. »130(*) Il lui apparaît que l'unité et la
diversité en Dieu sont préservées par le mouvement
kénotique dans lequel chacun se renonce pour donner à l'autre
l'espace de se communiquer. Et voici le versant christologique de
l'approche : Puisque de toute éternité Dieu est amour,
échange entre les personnes trinitaires, il peut donc se communiquer
totalement en Jésus sans se diminuer. Dans le mouvement incarnationnel
du Verbe qui s'abaisse, transparait toute la divinité de Jésus.
« Un tel renoncement n'est vrai et authentique que si la
divinité du Logos éternel n'absorbe pas son humanité mais
l'accepte dans sa particularité et la laisse être elle-même
(...) Jésus-Christ est unité dans la diversité et
diversité dans l'unité. »131(*)
« Après avoir, à maintes reprises
et sous maintes formes, parlé jadis aux Pères par les
prophètes, Dieu en ces jours qui sont les derniers, nous a parlé
par son Fils » (He 1, 1). La logique kénotique du Verbe
est motivée par le projet autocommunicationnel divin. Ce passage du NT
est interprété par notre auteur comme la preuve scripturaire que
la communication autocommunicative de Dieu - c'est-à-dire, la parole
émise comme dévoilement - ou encore l'extra-donation de Dieu
atteint en Jésus-Christ son point
culminant : « En Jésus-Christ, Dieu est pour
ainsi dire totalement sorti de lui-même, il s'est communiqué sans
retenue. »132(*)
Cela dit, il devient plus facile de saisir la portée de
son inclusivisme à grande connotation historique. Il considère
l'histoire comme bornée par le Christ (Alpha et Oméga) qui
exprime par-là son pouvoir récapitulateur. L'histoire des hommes
se meut à l'intérieur du mystère du Verbe qui, dans son
acte divin d'autocommunication, l'accomplit (l'ephapax) :
« car le but (eschatologique) définitif éclaire
ainsi rétrospectivement les débuts (protologiques). Parce que
c'est en vue de Jésus-Christ et en lui que tout a été
crée (Jn1, 3 ; 1co8, 6 ; col1, 15) et parce qu'il est le Verbe
par lequel tout est devenu et qui éclaire tout homme (Jn 1, 2.9.10), il
récapitule toutes choses (Ep1, 10). « Toutes
choses », cela va bien au-delà du domaine des religions ;
cela inclut toute réalité et mesure tout à l'aune de
Jésus-Christ. »133(*) Autrement dit, Jésus est
« accomplissement de l'histoire religieuse et culturelle des
nations. »134(*)
II- L'INCLUSIVISME CHRISTOLOGIQUE NORMATIF
La christologie normative constitue l'autre manche de
l'inclusivisme dont les chantres s'accordent tous sur leur commun
refrain : « Jésus-Christ est la
révélation plénière, définitive et donc
normative de Dieu pour tous les peuples. »135(*) Il est capital de se
rendre compte de la distance qui sépare ce modèle du
modèle inclusiviste constitutif : ici, Jésus n'est pas la
cause constitutive de la grâce salvifique, les traditions religieuses
sont perçues comme des voies autonomes du salut et parallèles par
rapport au christianisme. Faire dépendre le salut de la personne et de
l'oeuvre de Jésus-Christ, alors que l'automanifestation de Dieu dans
l'histoire a assumé une pluralité de formes inassimilables les
unes par les autres, est tout simplement avoir deux poids deux mesures. A la
limite, on reconnaît sans doute que la figure de Jésus-Christ dans
le rapport salvifique divino-humain, s'avère le parfait symbole,
« le modèle idéal ». Par conséquent,
il n'est que normatif. « Le Christ, dans ces approches, n'est pas
plus présent dans les religions, mais il se tient au-dessus
d'elle, comme le modèle éminent, la norme, le
« régulateur décisif. »136(*)
1-
Hans Küng et une théologie oecuménique
Hans Küng situe son analyse dans une approche plus
globale oecuménique critique. Une telle approche au plan de l'attitude
générale face aux religions s'oppose à
l'indifférentisme, au relativisme et au syncrétisme et leur
préfère respectivement « indifférence envers
l'orthodoxie prétendue »137(*),
« relativité devant toutes les positions humaines
d'absolu »138(*), « une grande volonté de
synthèse, en face de tous les antagonismes
confessionnels »139(*). Soutenant à cor et à cri que nul
ne possède le monopole de la vérité, il établit
trois critères permettant de distinguer la vraie religion de la fausse.
D'après « le critère éthique
général (...) authentiquement humain, [il faut vérifier]
qu'elle ne détruit pas la véritable humanité, mais la
protège et la promeut. »140(*) Pour sa part, « le critère
religieux général » jauge de l'authenticité
d'une religion à l'aune de sa fidélité à sa propre
origine, alors que le « critère spécifiquement
chrétien », le fait d'après le repère que
constitue l'esprit de Jésus Christ. C'est à partir de ce
critère spécifiquement chrétien que Küng prend
position en faveur d'une christologie normative : « pour
tout le Nouveau Testament - que cela plaise ou non - Jésus est
normatif et définitif : lui seul est le Christ de
Dieu. »141(*)
De plus, il distingue un « vu du dehors »
et un « vu du dedans ». Le premier serait propre à
une approche des sciences des religions susceptibles de faire constater dans
toutes les religions la commune recherche d'un but discernable par l'outillage
critériologique éthique et religieux. Seul le second est le lieu
propice de l'affirmation des caractères normatif et définitif du
Christ. Les religions peuvent être dites chrétiennes en raison du
lien possible entre chacune d'elles et le message du Christ ; par
conséquent, elles exercent vis-à-vis du christianisme une
vocation de « correctif
prophétique »142(*) en le poussant à s'interroger sur la
fidélité à son origine, le complétant, le
corrigeant, voire en l'approfondissant.
Le Christ de Küng est une sorte d'instance normative
qualitativement supérieure aux autres figures de salut dans les autres
religions. La portée universelle du caractère salvifique de
l'Evènement-Christ n'est pas ici tout à fait
problématique, sinon dans la mesure où l'on insinue que
l'universalité veut dire cause de salut pour tous les hommes. Autrement
dit, l'universalité ici signifie que la figure de Jésus Christ
est modèle de perfection et principe régulateur du salut des
médiations effectives de salut présentes dans toutes les
religions. On serait proche de certains éléments de la
christologie cosmologique de Teilhard de Chardin - l'aspect régulateur
par exemple - que d'autres formes de christologies inclusivistes normatives des
auteurs comme Andreas Rösseler exploiteront.
Dupuis reproche à la christologie de Hans Küng sa
méfiance pour la christologie ontologique qui peut porter
préjudice à l'intégrité de la foi
chrétienne, s'exposant, de notre point de vue aux affirmations
adoptionistes, prisonnières de son approche fonctionnelle :
« Quant à la manière dont H.
Küng entend établir la spécificité et
l'originalité du christianisme sur la personne de Jésus-Christ,
j'ai montré ailleurs qu'elle reste déficiente, fondée
comme elle est sur le « projet » ou
« programme » de Jésus, sur le
« caractère représentatif » de celui-ci en
tant que « délégué » de Dieu
auprès du genre humain - bref, sur la christologie
« fonctionnelle » qui se méfie d'une christologie
ontologique affirmant l'identité personnelle de Jésus-Christ
comme le Fils de Dieu. »143(*)
2-
Hans Kessler et Karl Josef Kuschel : perspective christologique
kénotique et eschatologique
Kessler et Kuschel prolongent la pensée de Hans
Küng, seulement, le premier accentue l'agapè divin et le second
l'amour du prochain dans la question du rapport aux différentes
religions. Pour les deux « l'unicité de Jésus est
fondée sur le témoignage scripturaire d'un Jésus
primairement minor, unique en tant que « symbole
réel », « historique concret », de la
bonté inconditionnellement de Dieu sous l'aspect et des qualités
de « bonté, humilité, douceur, patience » qui
ont caractérisé aussi bien toute son existence que son
enseignement. »144(*) Il semble alors dans cette perspective que
l'unicité du Christ est fondée sur la fidélité au
Père tel que le témoigne sa vie. On se situe en plein dans une
christologie d'en bas, dans laquelle l'horizon pour une divinité du
Christ est étroite. Logiquement, nos deux auteurs mettent les
chrétiens en garde : que ces derniers soient capables de
reconnaître que l'esprit de Dieu est universellement présent dans
tous les peuples là où ils identifieront l'esprit
« agapéique-diaconique-kénotique » qui a
marqué le Christ. Ainsi, que « les chrétiens ne
prétendent pas exprimer la première et unique
révélation divine » en se référant
à cet esprit du Christ. En Jésus, la révélation est
eschatologique et définitive (parce qu'historiquement définitive
et donc insurpassable). La déduction est donc évidente :
« La revendication de Jésus (...) d'être la
vérité universelle, définitive et normative est à
défendre dans ce qu'elle contient et qui a valeur universelle :
dans la Nachfolge du Jésus humble, aimant, doux,
libérateur. »145(*)
Monique Aebischer adresse une critique à nos deux
auteurs au sujet de leur méthode. Ils sont trop surpris en flagrant
délit de « jugement a priori » pour
espérer fonder l'égalité de principe des convictions en
présence146(*).
Autrement dit, leur projet de placer sur un pied d'égalité les
différents acteurs des religions précisément au plan des
médiations de salut se trouve piégé par l'abondance de
jugements aprioritiques du genre qui présentent Jésus comme
« seul critère définitif, représentant la
mesure d'une relation véritablement salutaire (et humanisante) au vrai
Dieu et d'une relation libérée et libératrice au
prochain. »147(*)
Nous n'avons pas épuisé la présentation
des modèles christologiques inclusivistes normatifs. Nous nous sommes
attardés sur les plus significatifs. Il en existe bien d'autres comme
celui d'Andrea Rösseler, un modèle de gradation et
d'universalité s'inspirant, comme nous l'avons dit plus haut du Christ
cosmique de Teilhard de Chardin.
Dupuis s'en prend à la christologie normative dans son
ensemble. En intégrant le principe de l'autonomie des médiations
salvifiques, il reste qu'elle ne fonde pas suffisamment le caractère
« représentatif » de Jésus-Christ ou sa
normativité, et par-là, ne laisse pas d'autres
possibilités de l'entrevoir, en dehors du « risque [...]
de paraître relever d'un décret arbitraire de
Dieu. »148(*)
III- LES APPROCHES SACRAMENTALISTES ET INCULTURATIONNELLES
On n'a certainement pas fait le tour de la question si, au
sujet du pluralisme religieux, on se limite à consentir une valeur
positive aux traditions religieuses ( cas de la christologie inclusiviste
constitutive), ou si l'on franchit le pas de les prendre pour de
véritables médiations du salut (cas de la christologie
inclusiviste normative), loin s'en faut. Il conviendrait peut-être
d'aller plus loin et quêter en elles de véritables signes de
l'action de Dieu Sauveur, tel que Camil Ménard a le mérite de
nous l'inspirer : « Comme toutes les réalités
de la création, les religions non chrétiennes peuvent être
médiatrices en ce sens spécial et elles entrent à ce titre
dans l'ordre sacramentel des réalités de la
création. »149(*) Nous nommons sacramentaliste l'approche du
Père Edward Schillebeeckx qui perçoit dans le débat du
pluralisme religieux, les religions non - chrétiennes sous l'angle de la
sacramentalité.
De plus, depuis l'ère des missions, un effort immense
est réel pour dépasser la simple implantation des édifices
en Afrique, comme en Asie ou ailleurs, en optant pour une présentation
de l'Evangile du Christ qui se fait à l'intérieur d'un dialogue
sérieux initié avec les religions traditionnelles ou des
traditions religieuses et culturelles en présence. De ce dialogue,
émerge un discours inédit sur le Christ au-delà du
processus entaché bien souvent de concordisme visant à exhumer
les « pierres d'attentes » enfouies ci et là. C'est
en raison de la réelle imbrication de cette recherche avec le processus
de l'inculturation que nous l'appelons approche inculturationnelle.
1-
L'approche sacramentaliste de Schillebeeckx
Comment prendre connaissance des récentes productions
du professeur Schillebeeckx tout en ayant à la mémoire ses
écrits plus anciens et se garder de l'étonnement au vue du
revirement qu'aurait pris la pensée du dominicain qui abandonne une
christologie d'en haut pour une christologie d'en bas ? Et ceci parfois de
façon extrême au point de s'attirer, comme d'autres
théologiens catholiques, des ennuis avec la CDF. En ce qui nous
concerne, nous tâcherons tant que faire se peut, de préserver
l'unité de sa pensée au sujet de la question qui nous
préoccupe.
Schillebeeckx semble avoir été fortement
préoccupé par l'interrogation qu'adressent au christianisme les
cultures et traditions religieuses. Son projet, d'après Ménard,
se résume ainsi : « La rencontre entre les religions
et la familiarité plus grande avec les expériences religieuses
des non-chrétiens invitant fortement la foi chrétienne à
rechercher selon lui, une nouvelle intelligibilité du mystère de
l'homme de Nazareth. »150(*) Malgré le fait que l'unicité et
l'universalité de Jésus-Christ ne font l'ombre d'aucun doute, son
approche se base sur une méthode méta-dogmatique assumant le
risque d'une recherche historique. Sortira-t-il de l'impasse de la double
affirmation de l'universalité et de l'unicité du salut en
Jésus-Christ et de l'irréductibilité de la valeur
positive salvifique des traditions religieuses par l'échappée
d'une présence salvifique - implicite ou inconsciente - ? Non.
« Il sort de cette impasse théorique en cherchant d'abord
une universalité de sens concernant Dieu et la vie humaine qu'il situe
sur le fond de l'histoire humaine et de sa préhistoire dans la
création. »151(*)
Qu'est-ce à dire de sa perspective sacramentelle ?
La question est nécessaire pour entrer dans les repères de sa
christologie.
Un sacrement est d'abord pour lui, de l'ordre de la
rencontre, laquelle rencontre est le lieu du salut. « Nous
appelons, dit-il, l'acte même de cette rencontre entre Dieu et l'homme,
qui ne peut avoir lieu sur terre que dans la foi, le salut. De la part de Dieu,
cette rencontre inclut une révélation qui manifeste ; de la
part de l'homme, elle inclut la religiosité. »152(*) Cela veut dire que la
rencontre avec Dieu comme personne est le fruit conjugué de la
révélation - ce sans quoi Dieu ne peut être atteint - et la
religiosité - l'ouverture de l'homme à Dieu. Ainsi,
« est sacramentelle toute réalité surnaturelle qui
s'accomplit historiquement dans notre vie. Dans l'histoire de
l'humanité, Dieu accomplit son dessein sur
l'humanité. »153(*) A partir d'une telle approche ouverte du
sacrement en continuité avec la vision thomiste des
« sacrements naturels », Schillebeeckx parle d'un
« sacrement dans le paganisme religieux », connotant le
fait que « la vie dans le monde de la création
reçoit un sens profond si l'homme est placé dans ce monde comme
quelqu'un à qui Dieu s'adresse personnellement »154(*), et
« alors le monde créé devient un
élément du dialogue intérieur avec
Dieu. »155(*)
Il conclut éloquemment : « De la sorte, la
grâce intérieure parvient aussi dans le paganisme à une
certaine manifestation visible. »156(*) Au paganisme, s'applique le
« sacrement » [comme] don divin du salut dans et par
une forme extérieurement saisissable, constatable, qui concrétise
ce don : un don de salut en visibilité
historique. »157(*) Par une telle appréhension des choses,
Schillebeeckx atteste son inclusivisme christologique dans l'horizon d'une
histoire du salut perçue comme coextensive à l'histoire du monde.
Voilà pourquoi l'Eglise et les religions ne sont que des
dépositaires du salut qui fait d'elles : « ``le
sacrement'' du salut que Dieu mène à son accomplissement dans sa
création, par le truchement des hommes. »158(*) La notion de sacrement
lui permet, toute proportion gardée, de situer le christianisme et les
autres religions à égale importance du point de vue des
médiations à propos du salut qui vient de Dieu.
Quelles seraient les implications christologiques d'une
universalité de la figure du Christ à l'aune de
l'histoire ?
Parler de Jésus de Nazareth revient à faire
allusion à « l'élection particulière d'un homme
fini, historiquement situé et
conditionné »159(*) en qui « Dieu s'est
révélé eschatologiquement, c'est-à-dire de
manière irréversible dans notre histoire. »160(*) Comme Dupuis, il
insiste sur le fait que l'homme Jésus n'est pas absolu.
« Seul le Dieu de Jésus, le Créateur, l'est, Lui,
le Dieu de tous les hommes. Ce que la foi chrétienne atteste, c'est
qu'en Jésus l'absolu, c'est-à-dire le seul Dieu, se
reflète en tant que tel dans la relativité de l'histoire sous une
forme historique. »161(*) Il s'insurge contre la pratique qui, se fondant
sur la « communicatio idiomatum » attribue les attributs de
Dieu à l'homme Jésus. Bien que la plénitude de Dieu habite
en ce dernier, la révélation qui se fait à travers lui est
encore limitée et finie du fait de la précarité de
l'histoire de notre humanité. Parce qu'on se situe dans une perspective
sacramentaliste, Jésus, comme toutes les figures salvifiques,
révèle Dieu et le cache tout à la fois.
L'universalité de l'homme Jésus n'est pas
à situer sur le plan ontologique, mais sur le plan fonctionnel ;
elle s'exprime dans sa solidarité et son option pour les pauvres. Le
salut qu'il apporte sera universel si l'Eglise, à la suite de
Jésus, travaille à l'avènement d'un monde
libéré. L'universalité est nécessairement
liée à la dimension diaconale de la charité
évangélique. Ce retournement vers la praxis est
l'expression du rejet d'une christologie ontologique devenue insignifiante pour
les gens aujourd'hui. « Le chemin vers une christologie
post-théiste et post métaphysique devra recourir à un
langage narratif pour exprimer sous un mode nouveau la foi en l'unique
médiateur du salut-venant-de-Dieu. »162(*) Le primat de
l'orthopraxie passe par la brisure de la gangue doctrinale dans laquelle la
christologie fut enfermée depuis des siècles. Malgré
l'historicité en Jésus du Dieu-venant-à-nous, Dieu
préserve son impénétrabilité, son
insaisissabilité et son ineffabilité. L'option pour une
orthopraxie dans une sorte de « christologie
économique » définit l'universalité de
Jésus dans son option pour l'homme tel que cela transparait dans les
évangiles, refusant un confinement dans un nominalisme
théologique plein d'impasses pour ainsi dire.
Il n'est pas superflu de rappeler que la christologie de
Schillebeeckx telle que nous venons de la présenter, a souvent
été dans certains de ses aspects, l'objet de vives critiques de
la part de la CDF. Déjà en 1981, Cette dernière attirait
l'attention du théologien sur son devoir de « ne pas
abandonner les affirmations de foi de l'Eglise, en particulier, ce qui a
été défini par les Conciles oecuméniques et les
déclarations infaillibles des Papes »163(*) même dans la
perspective historique et exégétique de sa recherche. Elle
s'assura que le dominicain dissipait effectivement des doutes que ses
écrits entretenaient à propos de « la
reconnaissance explicite de la divinité de Jésus dans les termes
même de l'Eglise (...) la préexistence de la personne divine du
Fils »164(*).
2- Approches inculturationnelles
a- Le Christ inconnu de Raimundo
Pannikar
La christologie de Pannikar s'appuie en réalité
sur l'ambition d'un « oecuménisme
oecuménique » (incluant non seulement les confessions
chrétiennes, mais aussi plus largement les traditions religieuses du
monde). En fait, pour notre penseur, le Christ n'est pas la
propriété exclusive du christianisme, mais il se trouve aussi
présent (de manière cachée certes) dans l'hindouisme avec
lequel ce prêtre érudit entend entrer en dialogue profond.
Pour l'essentiel, cette christologie repose sur une analogie
entre le divin vénéré dans le christianisme et celui de
l'hindouisme. Brahman est l'origine du monde ; il le soutient et
le transforme. Il est Absolu, Transcendant et Inconnu. Tandis que la figure
d'Isvana est l'objet de l'adoration des fidèles hindoues, elle
est aussi dotée d'une dimension personnelle qui révèle le
Brahman, opère dans la création du monde, descend sous
formes d'avatars. Elle assume pour tout dire le précieux
rôle de médiation, préservant la transcendance de
Brahman.165(*)
Constatant cela, Pannikar assure que : « C'est ici que nous
trouvons la place d'Isvara, et c'est ici également que nous trouvons une
des fonctions du Christ. »166(*)
Ces distinctions entre Brahman et Isvara
émises, Pannikar établit alors le parallélisme aux
pages 159-160:
« Cela de quoi procèdent toutes les
choses et à quoi toutes choses font retour et par quoi toutes choses
sont (soutenues dans leur être propre), c'est Dieu ; mais ce
n'est pas primo et per se une Divinité
silencieuse ; ce n'est pas une espèce de Brahman inaccessible, ce
n'est pas Dieu le Père, source de toute la Divinité, mais le
véritable Isvara, Dieu le Fils, le Logos, le Christ. Ce
« cela » est Dieu ; il est identique à
l'Absolu ; ce n'est pas un démiurge platonicien, ou un Brahman
saguna secondaire, car il n'y a qu'une seule source, une seule
Réalité ultime... Ce « Principe et Fin de toutes
choses » a deux natures qui cependant n'existent pas de la même
façon et ne se situent sur le même plan...L'une des deux faces
regarde la divinité qui en est l'expression pleine et égale et le
porteur. L'autre face est tournée vers le monde
« extérieur » et en est le premier-né (...)
Cependant, il n'est pas deux, mais un seul, un principe unique, une
personne. »
Il s'assure une lecture christologique
équilibrée « permettant de reconnaître dans
la figure d'Isvara une expression hindoue de ce que les chrétiens
confessent à propos de Jésus-Christ comme Vrai Dieu et vrai
homme, comme Celui qui au terme de l'histoire récapitulera la
créature tout entière. »167(*) Il dira en effet
« L'Isvara de notre commentaire est tourné vers ce qu'on
nous permettra d'appeler le Mystère du Christ en tant qu'être
unique dans son existence et dans son essence et comme tel égal à
Dieu. »168(*) Pannikar ne pose pas le Christ et
Isvara dans un rapport d'équivalence. Cependant, il refuse de
mettre à la base de sa christologie l'historicité de
Jésus, puisqu'il s'agit d'attirer l'attention sur la fonction
médiatrice d'Isvara entre l'Absolu et le monde
« dans la mesure où le Christ est susceptible d'être
intelligible à la philosophie indienne en tant que telle, c'est ici
qu'il peut trouver le moyen d'y pénétrer. »169(*)
Au centre de sa christologie, l'accent est avant tout mis
« sur la condition médiatrice de l'Eternel
Engendré, telle qu'elle s'était exprimée dans le prologue
johannique sur le Logos. »170(*) Quand il parle du Christ inconnu de
l'hindouisme, il fait penser certes au « chrétiens
anonymes » de Rahner. Seulement, pour Pannikar, chrétiens et
hindous étant « tous identiques »,
séparés seulement par un voile d'illusion (Maya), ils
devaient donc accéder à la découverte de leur profonde
unité. Le dire implique que la médiation du Christ est pareille
dans les deux religions. Quel ombrage serait alors fait au Jésus de
l'histoire depuis son incarnation, lequel évènement rend sa
médiation spécifique et particulière.171(*) La démarcation de la
christologie transcendantale réside dans le fait que Rahner garde comme
un grand appui le Jésus historique, notamment le devenir historique
incarnationnel.
Pannikar a le mérite de maintenir comme inclusiviste
le Christ comme principe universel du salut : « Je ne parle
ni d'un principe inconnu à l'hindouisme, ni d'une dimension du divin
inconnu au christianisme, mais de cette réalité inconnue que les
chrétiens appellent le Christ, découverte au coeur de
l'hindouisme, non comme lui étant étrangère mais comme son
véritable principe de vie comme la lumière illuminant tout homme
qui vient dans le Monde. »172(*)
Cependant, d'après Michel Fédou, la principale
déficience de la christologie développée par Pannikar
touche en fait la relation du Christ à Jésus de Nazareth. En
effet, Jésus de Nazareth n'est que la manifestation
privilégiée du mystère « cosmothéandrique
du Christ ». Le théologien distingue le Christ de Jésus
uniquement pour souligner que Jésus, par les limites de son incarnation
ne pouvait contenir toute la Réalité suprême ou le
Mystère ultime du Christ cosmique : « Mais cette
position revient à distendre le lien entre le Jésus de l'histoire
et le Christ universel (...) il s'agit de montrer que, du point de vue
« chrétien, une telle expérience [celle d'être en
relation avec le mystère du Christ sans le connaître] n'est
possible que grâce à l'évènement du Christ dans
l'histoire des hommes. »173(*) On voit bien que privilégier le Christ
cosmique le rend plus proche de la vision du monde hindoue, mais cela sacrifie
quelque chose d'essentiel pour l'intégrité du mystère
chrétien.
b- Chemins vers une
christologie africaine
Il y a quelques décennies, la théologie
africaine, s'appuyant sur une invitation du Pape Paul VI pour un christianisme
africain, avait fait du caractère situé de la théologie la
toile de fond de ses préoccupations. Se réapproprier le message
de Jésus-Christ paraissait l'aboutissement d'un itinéraire qui
intégrait en amont un fastidieux processus d'épuration du
christianisme de ses alourdissants apparats occidentaux qui ont
accompagné son implantation. Ce fut alors comme un refrain repris en
choeur où faisant entendre sa partition, l'un dénonçait un
« christianisme bourgeois »174(*) doté de remarquables
vertus d'aliénation de l'Africain à la civilisation occidentale,
d'autres un christianisme colonial tout simplement. Le nouvel élan
d'évangélisation excédait alors le simple rêve de
l'implantation et de l'adaptation, pour embrasser l'ambitieux souci
d'inculturation, d'indigénisation et d'autonomisation des Eglises.
D'après Engelbert Mveng, le chemin fut long et sinueux. Le ton fut
donné par le « Synode Romain de 1974, [où] les
évêques Africains, dépassant le terme d'adaptation,
prennent position pour le terme d'inculturation. »175(*) On n'oubliera pas ces
mots de Jean Paul II devenus historiques : « L'acculturation
ou l'inculturation qu'à bon droit vous promouvez, sera vraiment une
réflexion de l'incarnation du Verbe, quand une culture
transformée et régénérée par l'Evangile,
tire de sa propre tradition vivante des expressions originales de vie, de
célébration et de pensée
chrétienne. »176(*) Ce programme immense sera au coeur des Premier
et Second Synodes spéciaux des Evêques pour l'Afrique
respectivement en 1994 et en 2009 parlant par exemple
d' « évangélisation en
profondeur »177(*). Ce désir de se situer de façon
nouvelle n'empêchera pas de faire remarquer encore une certaine
superficialité dans la façon d'intégrer dans ce processus
la dimension religieuse de la culture africaine. Jean-Marc Ela illustre bien
cela avec la question des « ancêtres » qui donne du
fil à retordre à l'évangélisation178(*). Et de fait, quel amalgame
n'a-t-on pas souvent fait, parlant du fond religieux de la culture en Afrique,
d'employer indistinctement, comme le fait remarquer Meinrad Hebga, animisme,
fétichisme, paganisme, superstition, sorcellerie, magie, etc.179(*) Comment pourrait-on parler
de l'incarnation du Verbe dans ces cultures en ne retenant qu'un pan
étriqué de celles-ci, exorcisé de leur pendant religieux.
Cette approche entretenait d'ailleurs chez les chrétiens le malaise de
la double identité (chrétiens, mais païens encore s'ils
demeuraient attachés à leurs cultures). Pour notre part, il nous
semble, que le concept de culture est englobant et ne peut faire
l'économie de la façon dont les gens saisissent le monde
(choses, êtres, sacré) et se situent face à lui.
En Afrique, les religions traditionnelles se sont
caractérisées par leur ritualité et leur caractère
cultuel en lien avec la présence des ancêtres et d'un officiant
(père de la communauté, devin notable, etc.), leur aspect
communautaire, et leur but (conjuration des maux et obtention de
faveur).180(*) Ce fond
religieux, d'une façon ou d'une autre est imbriqué à la
culture en Afrique, et lui est, dans une certaine mesure, inextricable.
La pertinence de l'entreprise novatrice - bien qu'embryonnaire
- de quelques théologiens africains ouvrant à une inculturation
christologique au-delà de l'axiologique et du liturgique, devient plus
claire. A partir de quelles « semences », le Verbe se
laisse-t-il appréhender en Afrique ?
Une telle entreprise se heurta à des difficultés
réelles, comme celle que souligne le prêtre Ernest Sambou :
« Le Christ ne `passe' pas dans cet univers religieux
traditionnel (joola) car il n'a pas de place dans ce monde religieusement bien
organisé et fort hiérarchisé où l'on est Dieu ou
homme, bakiin ou ancêtre mais jamais, étrangement,
Homme-Dieu à la fois (...) Jésus-Christ demeure un personnage
étrange, incompréhensible, gênant et sans place.
Un personnage marginalisé. Voilà le fond du
problème. »181(*) Ou cet autre problème
évoqué par Eric De Rosny : « Entre Dieu
et les hommes, je vois la place des ancêtres de la terre ou des eaux mais
je cherche en vain Jésus-Christ, le grand absent de ces
liturgies. »182(*)
D'autres par contre, sont parvenus à des
développements plus prometteurs. A la lecture, on peut distinguer deux
types de christologies. La première est une christologie ontologique et
spéculative développée par Efoé Julien
Pénoukou. A partir de l'analyse d'un mythe cosmogonique africain qui
ressort une anthropologie eschatologique et ontologique, il en vient à
découvrir dans le Christ l'accomplissement de l'homme et de l'univers,
en mettant en exergue sa préexistence et de son option pour
l'homme.183(*)
Le second type est une christologie fonctionnelle.
Marqués par une approche analogique, les auteurs exposent quelques
ancrages socioculturels qui leur serviront par la suite de prétexte
d'approfondissement du mystère du Christ. Se dégagent alors les
modèles suivants : Le Christ comme Chef (François KABASELE),
le Christ comme Ancêtre et Aîné (François KABASELE),
Jésus, Maître d'initiation (Anselme T. Sanon), et enfin
Jésus guérisseur (Cécé Kolié).
Pour tout dire, ces investigations, participent du
débat christologique sur le pluralisme religieux dans la mesure
où, s'investissant aux discours inédits sur le Christ dans le
prolongement du projet inculturationnel, elles rapprochent comme dans un
dialogue les religions traditionnelles africaines et le christianisme,
exploitant les schèmes religieux des premières pour dire de
façons nouvelles le mystère du Christ au coeur du second.
A la fin de cette succincte présentation à la
fois comparée et analytico-critique des différentes tendances de
la christologie inclusiviste, nous nous rendons compte, ô combien fertile
a été le champ de la période contemporaine. Nous n'en
sommes pas au bout de notre découverte, telle que les théologiens
partisans du théocentrisme nous le montreront dans le prochain chapitre.
CHAPITRE III : LE CHRIST DANS LE PLURALISME
Le pluralisme constitue de nos jours, à
côté de l'inclusivisme christologique, l'autre alternative dans le
passionnant débat christologique du pluralisme religieux. Il demeure
difficile de percevoir le glissement qui fait passer de l'inclusivisme au
pluralisme si l'on perd l'épine dorsale du débat : la
tension entre la médiation salvifique du Christ et la
considération dévolue aux diverses traditions religieuses. Pour
l'inclusivisme, le Christ est cause du salut de l'humanité. Le
pluralisme, en optant pour un théocentrisme, s'oppose à
l'universalité de la médiation salvifique du Christ. Cette
médiation ne vaut que pour ceux qui se réclament de lui
(Samartha), ou elle est sans objet (Hick, Knitter et Cobb dans une certaine
mesure). La réfutation de cette médiation du Christ est en lien
avec la façon dont chaque auteur appréhende la personne du
Christ. Après avoir présenté les fondements du pluralisme,
nous essayerons donc d'exposer ces approches christologiques, en montrant
chaque fois leur démarcation de la foi de l'Eglise au Christ.
I- ENJEUX ET FONDEMENTS DU PLURALISME
1- Le pôle sociétal
Avec le pluralisme, la tension Christ-religions ne peut se
résoudre par la simple compatibilité sans pécher de placer
une religion au-dessus des autres, surtout à l'ère du dialogue
entre les religions. Ce qui explique pourquoi la façon pertinente de
faire face à ce problème demeure l'option d'un pluralisme
égalitariste qui découle de l'accentuation de la valeur
égale concédée aux religions en écartant le
principe surplombant de la présence du Christ qui hisse
conséquemment l'une d'entre elle au rang de croyance d'avant-garde. Le
Christ ne peut plus prévaloir être élevé au grade
d'un principe intégrateur (qu'il soit normatif, constitutif,
incarnationnel ou sacramentel) supra-religieux. Derrière cette entorse
à l'endroit du principe christique se cache la claire volonté de
lutter contre l'absoluité du christianisme tel que prôné
par les auteurs comme Troeltsch et Tillich. On serait amené à
affirmer que le pluralisme s'enracine dans le désir obstiné
d'adapter, pour le rendre crédible, le religieux à la situation
actuelle des sociétés modernes, tel que nous le
développions au premier chapitre. Jean Renard l'exprime à juste
titre :
« Le pluralisme est d'abord un fait, une
caractéristique de nos sociétés modernes. Devant ce fait,
plusieurs réactions sont visibles. Ce peut-être l'attitude
laïque, selon laquelle la religion est une affaire purement personnelle,
qui ne doit d'aucune façon interférer dans les affaires
publiques. On peut aussi de façon plus positive parler de la
reconnaissance civile des religions. On affirme alors le droit de toute
religion à prendre place dans la société civile,
pluraliste et démocratique, à condition d'en respecter les
droits. »184(*)
Faire un distinguo entre les concepts de pluralisme et
théocentrisme n'est pas inutile pour saisir la profondeur de la
question, bien qu'ils renvoient à des thèses similaires. Le
substantif « pluralisme » plus englobant et plus
générique renvoie à cette façon d'admettre dans le
contexte actuel une pluralité religieuse insurmontable interdisant de
privilégier une entité religieuse par rapport aux autres ;
tandis que le « théocentrisme » exprime dans la
même idée, le détournement que la théologie doit
opérer, quittant le pôle du Christ pour se recentrer sur Dieu.
Aebischer exprime cette différence en ces termes :
« il s'agit d'abord de veiller à ne pas
confondre le « théocentrisme », qui détermine
la perspective signifiant que Dieu seul (et non une religion) est la
vérité, et que Dieu lui-même (et non Christ) sera à
la fin des temps « tout en tous » (1Co 15, 28) - et la
conception « pluraliste », qui désigne la position
affirmant qu'aucune religion ne peut se dire « unique » et
« définitive », étant donné que les
religions représentent toutes autant de voies conduisant à
Dieu. »185(*)
Les religions sont donc pour le pluralisme des voies
parallèles de salut, sans rapport de dépendance entre elles au
plan des médiations. Les auteurs du pluralisme sont légion. Nous
nous appesantirons sur quelques ténors qui résument l'essentiel
du pluralisme dans la question christologique : Stanley Samartha, John
Hick, Paul Knitter et John Cobb.
Il n'est pas inutile de rappeler que la théorie
pluraliste est condamnée par le magistère de l'Eglise notamment
dans la déclaration Dominus Iesus et l'encyclique
Redemptoris Missio.
2- Le pôle théologique
Le pluralisme est motivé théologiquement par le
projet de désabsolutisation du Christ et du christianisme. Les auteurs,
convaincus de l'absolue particularité de l'homme Jésus, vont
essayer d'expliquer comment s'est opéré le passage vers un accent
accru sur le Christ, et partant, sur le christianisme. Pierre Gisel l'exprime
ainsi : « La force du christianisme, c'est d'avoir
radicalisé la question de Dieu en son rapport au monde (...) La
tentation d'absoluité, c'est d'isoler la figure de Jésus Christ
pour en faire une réalité qui investirait pour elle-même et
en elle-même. Elle ne révélerait plus et ne serait plus
médiation. »186(*)
Il n'est donc pas rare de s'apercevoir que les auteurs
insisteront sur les affirmations théocentriques de Jésus :
« Le Père est plus grand que moi » (Jn 14,
28) ; « Ma doctrine n'est pas de moi, mais de celui qui m'a
envoyé. » (Jn 7, 16) ; « Je ne puis
rien faire de moi-même. » (Jn 5, 30) ;
« Mes oeuvres sont celles que le Père m'a donné
d'accomplir » (Jn 5, 36)187(*), etc. Eu égard à ce qui
précède, comment s'est réalisé le transfert qui
déplace le centre de gravité de Dieu vers Jésus
Christ ? Comment le Christ en est-il venu à occuper quasiment tout
le champ de la foi ? D'après Joseph Moingt, préoccupé
lui aussi par ces interrogations, dans la pensée biblique, le fond
historique est capital. Or, très vite, on assistera à un
déplacement de champ culturel : le discours théologique
s'appropriant la culture hellénistique, la plus prestigieuse et la plus
universelle de l'époque, commence dès lors à s'exprimer
« dans un langage de type rationnel, en forme de ``science'' (de
``Logie'') »188(*) La conséquence est « que
les premières expressions théologiques que va recevoir la foi
chrétienne, en dehors des écrits canoniques, s'écartent du
système des références symboliques au corpus biblique
où elles puisent leur sens, en tant qu'affirmations de la foi, pour
revêtir un sens différent par référence à un
autre ordre symbolique, utilisé comme moyen de communication dans un
autre champ culturel. »189(*) Il énonce alors son
hypothèse : « A l'époque de la christologie,
il y a un changement sémantique, rigoureusement signifié par la
superposition du nom ``Logos'' au nom ``Christ''. »190(*)
On est en plein dans la mouture du débat moderne du
Jésus historique et du Christ de la foi. Certains auteurs tiennent au
fait que « Le Logos divin a été totalement
(totus) présent dans la personne de Jésus, sans
être pour autant totalement (non totum) contenu en lui. Il y a
plus dans le Christ Logos que dans le Christ historique. »191(*) D'autres par contre
(c'est le cas de Hick) soutiennent que le saut du Jésus historique au
Christ divin de la foi est une construction purement ecclésiale. Dans
l'un comme dans l'autre cas, les pluralistes exigent un retour à Dieu.
Voilà pourquoi ils embrassent le théocentrisme contre le
christocentrisme.
II- LES CHRISTOLOGIES REVISIONNISTES
L'une des particularités du théocentrisme est,
pour s'opposer à l'universalité de la médiation salvifique
du Christ, de « réviser » les affirmations
christologiques, surtout celles qui sont de nature à absolutiser la
réalité particulière de Jésus.
1- Christologie théocentrique de Stanley Samartha
L'exercice des responsabilités au sein du Conseil
oecuménique des Eglises a assurément contribué chez
Samartha, à l'élaboration de son approche de la
réalité du Christ dans son livre intitulé :
« Un Christ - beaucoup de religions. Vers une christologie
révisée », notamment dans les chapitres VI à IX.
Il semble se poser la question de savoir comment faire pour concilier le
pluralisme religieux irréductible (au sens de diverses voies
salvifiques) et la vérité de la christologie classique. Il
« n'entend [donc] pas mettre en cause la vérité de
la christologie classique, mais éviter des interprétations
étroites de celle-ci et, positivement, trouver des chemins qui
permettent une communication ou une coopération avec d'autres croyants
dans la situation d'un monde pluraliste. »192(*) Il s'agit en fait pour
cet auteur d'élaguer la christologie de son « exclusivisme
normatif » tout en s'orientant vers une position qui lui attribue un
double caractère « relationnel » et
« distinct ». Autrement dit, il s'agit en clair d'une part
du rapport du Christ avec les autres croyances, et d'autre part, de la
particularité irréductible de ces traditions religieuses.
Samartha s'insurge contre tout exclusivisme en ces termes :
« Lorsque des voies alternatives de salut ont
fourni un sens et un but à des millions de personnes dans d'autres
cultures pendant plus de deux ou trois mille ans, prétendre que la
tradition juive-chrétienne-occidentale a la seule
réponse à tous les problèmes en tous lieux et pour toutes
personnes dans le monde, c'est présomptueux sinon incroyable. Ce n'est
pas là rejeter la validité de l'expérience
chrétienne de salut en Jésus-Christ, mais mettre en question les
prétentions exclusives que les chrétiens formulent en sa
faveur-prétentions qui ne sont soutenues par aucune évidence
historique, ni dans la vie institutionnelle de l'Eglise, ni dans les vies de
nombreux chrétiens qui émettent de telles prétentions. Si
le salut vient de Dieu - et pour les chrétiens il ne peut en être
autrement - alors il faudrait laisser ouvertes des possibilités de
reconnaître la validité d'autres expériences de
salut. »193(*)
Pour percevoir l'enjeu de son propos, il convient de
l'écouter de façon claire :
« Une christologie qui prétend que Dieu a
été révélé en vue de racheter
l'humanité seulement en Jésus de Nazareth, et que cette
activité révélatrice et rédemptrice de Dieu a eu
lieu une-fois-pour-toutes au premier siècle, court le risque de
contredire un autre fil de la théologie juive et chrétienne qui
affirme que Dieu est le Dieu d'amour et de la justice en tant qu'il
crée, soutient et rachète toute la création...S'il est
vrai que, d'après la tradition la plus ancienne du Nouveau Testament,
Jésus-Christ renvoie à Dieu, et qu'il est ainsi lui-même
théocentrique ou centré sur Dieu, alors la seule manière
d'être centré sur le Christ est d'être centré sur
Dieu, mais, dans un monde de pluralisme religieux, être centré sur
le Christ n'est pas la seule manière d'être centré sur
Dieu. »194(*)
Sa christologie révisée est synonyme d'une
christologie théocentrique. Toutes les traditions religieuses sont comme
le Christ centrées sur Dieu. Il épouse l'idée
charnière à la pensée de John Hick comme cela sera
développé dans la suite. A la différence du penseur
anglais, il ne sacrifie pas les affirmations fortes de la christologie
classique du fait de son option pour le théocentrisme. En même
temps, sa pensée se démarque de l'inclusivisme d'un Dupuis par
exemple, bien qu'elle en soit proche. La différence entre les deux
théologiens pourrait s'exprimer ainsi : Samartha n'accorde pas au
Verbe de Dieu une présence cachée dans les autres traditions
religieuse comme le fait Dupuis, et ne s'oppose pas non plus à la
christologie traditionnelle. Il veut simplement rendre cette dernière
compatible avec le pluralisme religieux. Il critique la confession de
foi : « Jésus est le Christ de Dieu » dans la
mesure où, d'après lui, celle-ci porte atteinte à
l'authenticité des autres voies de salut.
En réalité, il tire à bout portant sur
tout propos qui s'apparente selon lui à l'exclusivisme
christologique : « prétendre que Dieu a
été révélé pour sauver l'humanité
seulement en Jésus-Christ (une-fois-pour-toutes au premier
siècle) ne contredit-il pas une théologie affirmant que Dieu est
Celui qui crée, soutient et rachète toute l'humanité et
que l'amour et la justice de Dieu embrassent tous les hommes en tout
temps ? Quel droit les êtres humains ont-ils à limiter la
liberté de Dieu, en sorte qu'elle n'intervienne dans l'histoire
qu'à un moment singulier dans le cours du
temps ? »195(*)
Pour tout dire, c'est contre l'exclusivisme
ecclésio-christologique antérieur à Vatican II - tel que
nous le montrions au premier chapitre - que s'oppose Samartha, en faisant appel
à un principe de l'amour de Dieu et à sa volonté
salvifique universelle en tout temps.
Puisque son projet christologique ne rejette pas la
christologie classique et insiste sur le fait que pour rester ouverte au
dialogue interreligieux, et donc pour se défaire des tendances de
l'exclusivisme, la christologie doit partir d'en bas,
« Toute christologie révisée qui
prend en compte, à la fois l'expérience chrétienne du
dialogue interreligieux et l'implication chrétienne dans la lutte
politique et sociale pour la justice dans la société, doit
commencer par la personne et l'oeuvre historique de Jésus de Nazareth.
Le chemin vers une confession de sa divinité passe par son
humanité. Cela suppose que le « fait » de
Jésus mérite la priorité par rapport à des
formulations doctrinales ultérieures et justifie les tentatives pour
articuler une christologie « d'en bas », par opposition aux
démarches qui accordent une priorité absolue à une
christologie « d'en haut ».196(*)
La christologie dans le contexte du dialogue interreligieux de
l'Inde, a le mérite de donner à la foi un ancrage historique. Il
dit à ce effet : « Ainsi, le nom Jésus de
Nazareth est nécessaire pour empêcher la foi d'être, comme
une bulle, coupée de ses amarres dans l'histoire, de s'élancer
rapidement au-dessus et de se perdre dans les nuages. »197(*)
La christologie théocentrique met en cause
l'affirmation de la divinité du Christ, surtout telle qu'elle est
exprimée par le Concile de Nicée : « Jésus
est Dieu ». Encore une fois, ce qui fait problème n'est pas la
cohérence de la foi interne au christianisme que l'auteur s'efforce de
respecter. C'est une certaine acception d'une telle assertion confessante qui
semble équivoque tant elle reste entachée d'exclusivisme. Dire de
façon lapidaire que Jésus est Dieu peut effectivement poser de
réels problèmes à l'homme moderne198(*) (surtout en contexte de
dialogue interreligieux), et ainsi, faire ellipse à la
théocentricité qui marque foncièrement l'être de
Jésus. Mettre Jésus à la place de Dieu reviendrait
à faire de lui l'objet de l'adoration de toutes les religions. Ce qui
est effectivement hors de propos.
Nous pouvons louer le souci de Samartha « de ne
pas mettre en cause le caractère central de Jésus-Christ pour la
vie chrétienne. »199(*) La christologie théocentrique est donc
le pendant théologique du souci de libérer le christianisme de
tout relent impérialiste. Pour lui, le Christ est le principe du salut
pour les chrétiens uniquement. Dire le contraire relève de
l'exclusivisme.
En outre, Jésus est centré sur Dieu. Cette
insistance ne contredit aucunement la christologie classique tant qu'elle ne
prête pas le flanc aux déclarations subordinationnistes (ce qui
est malheureusement le cas pour la majorité des penseurs de la
théorie pluraliste). L'évocation de la théologie du Logos
mis au point par Justin et reprise par la plupart des penseurs de la
christologie inclusiviste permet de sortir de l'exclusivisme tant
décrié par Samartha sans avoir nécessairement besoin de
s'attaquer à certaines considérations essentielles de la
christologie classique.
De plus, « l'ephapax » (une fois pour
toute) qui caractérise l'évènement du salut et de la
révélation en Jésus se comprend dans le sens des
expressions néotestamentaires - comme l'unique médiation
salvifique du Christ, son caractère de Fils unique de Dieu, de grand
prêtre ...- que dans le sens d'une négation de la
manifestation de Dieu en dehors de la particularité spatiotemporelle de
l'homme Jésus.
Enfin, « Jésus est Dieu » est
à situer comme une proposition connexe de la doctrine de
l' « homoousios » du Concile de Nicée. Pour
sortir de l'impasse qui conduit à l'exclusivisme, il faut éviter
tout monophysisme en soulignant la relation unique du Verbe incarné
à Dieu qui se dégage dans les évangiles
(spécialement chez saint Jean) et qui est de l'ordre de leur commune
nature divine, en maintenant que Jésus n'épuise pas, comme
existence historique, la richesse du Verbe de Dieu, tel que le fait remarquer
aussi Dupuis.
2- John Hick et la christologie mythologique
a-Préalable philosophique et théologique
John Hick est un juriste, un théologien et un
philosophe à la pensée étendue et prolixe. Ses multiples
compétences intellectuelles donnent à ses écrits une
allure éclectique. Raison pour laquelle à la lecture, il parait
évident que son discours sur le Christ est sous-tendu par un
préalable philosophique et théologique qu'il faudrait
nécessairement mettre en lumière si l'on veut en saisir les
contours et les enjeux.
Au plan philosophique, le pluralisme radical de Hick est
redevable en grande partie à la théorie kantienne de la
connaissance. En effet, dans sa philosophie transcendantale, Kant entend
réconcilier dans une sorte d'idéalisme transcendantal le
sensualisme (par une esthétique transcendantale) et l'idéalisme
pur à travers son criticisme. Voilà pourquoi la Critique de
la Raison pure s'ouvre sur l'existence des jugements synthétiques
a priori et la division de tous les objets de la connaissance en
phénomènes et noumènes. La notion de
phénomène est de l'ordre de l'Esthétique - autrement dit
de la sensibilité - et est liée à des conditions de la
connaissance - espace et temps. Il qualifie d'ailleurs à ce propos son
idéalisme transcendantal comme « la doctrine
d'après laquelle nous envisageons les phénomènes dans leur
ensemble comme de simples représentations et non comme des choses en
soi, la théorie qui ne fait du temps et de l'espace que des formes
sensibles de notre intention et non des déterminations données
par elles-mêmes, ou des conditions des objets considérées
comme des choses en soi. »200(*) A cet ordre phénoménal des
choses, s'oppose l'ordre nouménal qui se rapporte à la chose en
soi. « Il doit y avoir, précise-t-il, une connaissance
possible où ne se rencontre aucune sensibilité et qui a seule une
réalité absolument objective, en ce sens que par elle les objets
nous sont représentés tels qu'ils sont, alors qu'au
contraire, dans l'usage empirique de notre entendement, les choses ne nous sont
connues que comme elles apparaissent. »201(*) Le rapport qui existe
entre les noumènes (choses en soi) et les phénomènes
(choses telles qu'elles apparaissent) est celui de la manifestation, du
dévoilement des premiers par les seconds. Les phénomènes
que nous saisissons par l'entendement sont des manifestations limitées,
imparfaites de la chose en soi qui est le Réel par excellence, et qui du
reste, demeure finalement inconnaissable stricto sensu.
Dans l'optique de Hick, à la lumière de ce qui
vient d'être dit, « le Réel an sich est
également postulé comme présupposition, cependant, non de
vie morale, mais de l'expérience religieuse et de la vie religieuse,
tandis que les dieux, de même que les objets mystiques tels Brahman,
Sunyata, etc., sont des manifestations phénoménales du
Réel survenant dans l'univers de l'expérience
religieuse. »202(*) Aebischer commente cette approche :
« Hick estime pouvoir dire que les êtres humains font
l'expérience du Réel, de façon analogique à la
manière dont, selon Kant, nous faisons l'expérience du
monde : par l'intégration des informations de la
Réalité extérieure, interprétée par l'esprit
dans les termes de ses propres schèmes catégoriels, et parvenant
ainsi à la conscience en tant qu'expérience
phénoménale significative. »203(*) Pour Hick, la
diversité des expressions du divin est liée non au
caractère authentique de l'une d'entre elles et d'ersatz des autres
suite à l'aveuglement du péché comme soutiendraient les
partisans de la théorie de l'accomplissement et de l'exclusivisme en
général ; mais « c'est en relation aux
différentes manières d'être humain ou humaine,
développées à l'intérieur des civilisations et des
cultures de la terre que le Réel, appréhendé à
travers le concept de Dieu, est spécifiquement comme le Dieu
d'Israël, ou la Sainte Trinité, ou en tant que Shiva ou Allah,
etc. »204(*) Autrement dit, les traditions religieuses sont
des objectivations au moyen des catégories conceptuelles et religieuses
de l'apparition du Réel à la conscience de l'homme.
C'est en raison de ce plaidoyer en faveur d'un recentrement
sur Dieu que la pensée de Hick a été qualifiée de
révolution copernicienne ; elle reste alimentée par
l'hypothèse pluraliste selon laquelle : « les grandes
fois religieuses incarnent différentes réponses au Réel,
qui sont intrinsèques aux façons variées d'être
``humain'' et qu'à l'intérieur de chacune d'elles s'opère
la transformation de l'existence humaine centrée sur elle-même
vers une existence centrée sur le Réel. »205(*)
L'enjeu d'une telle position est éminemment lié
à la société moderne pluraliste. Se ressentent
incontestablement en filigrane de violentes secousses à l'endroit des
relents de condescendance du christianisme. Si Stanley Samartha était
autant préoccupé que Hick par l'éradication de
l'impérialisme religieux à travers son aversion pour
l'exclusivisme christologique, Hick adopte une démarche plus radicale
qui combat autant l'exclusivisme que l'inclusivisme christologique, expressions
de la supériorité convoitée d'une religion sur les
autres206(*). Si
« les traditions religieuses avec leurs composantes
variées - croyances, modes d'expression, livres saints, rites,
disciples, éthique et style de vie, règles sociales et
organisations - ont plus ou moins de valeur, selon qu'elles favorisent ou
contrarient la transformation salvifique »207(*), il est inconvenant,
illogique et prétentieux d'entretenir l'illusion de la
supériorité d'une religion sur toutes les autres. Toutes les
religions sont de manière différente des chemins de
salut208(*) ;
« elles acceptent les mêmes critères moraux en
donnant un rôle central et normatif au regard généreux
porté vers les autres et qui est appelé
« amour » ou
« compassion »209(*). Le dénominateur commun des religions qu'est
la règle d'or condensent tous ces critères moraux.
b-
Le Christ mythologique
Notons dès l'entame que Hick n'élabore pas une
nouvelle perspective christologique. Son propos est essentiellement
guidé par l'ambition de déconstruire les fondements de la
christologie qui se pose dans un rapport hétérogène
à son projet de pluralisme radical. On est en plein dans une
christologie en déconstruction, en négation plus
précisément. Pour ce faire, il s'attaque aux dogmes essentiels du
christianisme : l'incarnation et la rédemption, connaissant leur
rôle essentiel pour comprendre l'universalité de la
médiation salvifique du Christ.
Dès les premières pages de son ouvrage, il
n'hésite pas à faire sentir ses réticences
vis-à-vis de la christologie classique : « La
compréhension chrétienne traditionnelle de Jésus de
Nazareth est qu'il était Dieu incarné, devenu homme pour mourir
pour les péchés du monde, et qu'il a fondé l'Eglise pour
proclamer cela. »210(*) D'entrée de jeu, s'appuyant sur les
résultats de l'exégèse historico-critique, il
précise ses prémisses : la « thèse
essentielle de ce livre, à savoir que Jésus lui-même
n'a jamais enseigné qu'il était Dieu incarné et que cette
action aux conséquences inattendues est une création de l'Eglise,
n'est de toute évidence aucunement nouvelle. »211(*) Et comment,
s'interroge-t-il, une religion qui prétend être fondée par
Dieu lui-même a-t-elle pu se rendre coupable de multiples
égarements au cours des siècles passés, qui ne sont rien
d'autre que les conséquences historiques du dogme de
l'incarnation : antisémitisme, croisades, exploitation coloniale du
tiers-monde, etc. ?212(*) Cochinaux prolonge les implications de ces mots de
Hick :
« Si Jésus était
littéralement et uniquement Dieu incarné, le christianisme serait
distingué comme l'unique religion fondée par Dieu en personne. Il
serait alors étonnant que Dieu, ayant fondé une nouvelle
religion, n'ait pas souhaité remplacer toutes les autres religions. Il
serait également étrange de constater que ceux qui ont
incorporé la religion de Dieu lui-même (Corps du Christ) ne soient
pas plus massivement des êtres spirituellement meilleurs que ceux qui
n'appartiennent pas à cette religion. Il serait tout autant
étrange que la civilisation fondée sur la religion de Dieu ne
soit pas qualitativement meilleure que toutes les autres. »213(*)
Il n'est pas impertinent de constater que Hick transpose sur
le terrain de la christologie une préoccupation qui au départ est
strictement culturelle (supériorité de la culture occidentale
comme matrice du christianisme) et historique.
Il s'attaque à
l' « incarnation », dans le sens que lui assignent les
conciles de Nicée (325) et Chalcédoine (451). Son armure
argumentative est en fait d'abord un retour d'après lui à la
vraie figure de Jésus que la culture hellénistique a
occultée en la déifiant. Il dénonce donc les
médiations historico-culturelles qui ont jalonné
l'évolution de la christologie des premiers siècles et qui, de
fait, ont induit à un déplacement de la compréhension du
Jésus terrestre en une interprétation du Christ de la foi. Hick
rappelle que dans le contexte antique, les termes
« divin », « fils de Dieu » ou
même de « Dieu » étaient interchangeables et
s'appliquaient même aux héros et plus tard aux empereurs. Saint
Paul ne dit-il pas : « Il y a donc de fait plusieurs dieux
et plusieurs seigneurs » (1 Co 8, 5) ? Aebischer
renchérit dans l'explication :
« Etant donné cette
élasticité de l'idée de la divinité d'une part, et
la personnalité et le rayonnement de Jésus d'autre part, rien
d'étonnant donc à ce qu'on ait pu le nommer, de son vivant,
« fils de Dieu ». Tout ce qui avait une signification,
personne ou évènement, se trouvait, dans la tradition
hébraïque, accoutumée à l'emploi courant de la
métaphore (Dieu décrit comme roi, pasteur, père, roc,
etc.), promptement exprimé en termes métaphoriques ou mythiques
(...) Le Nouveau testament ayant donné la primauté à
l'image clé du père, l'image corrélative du fils prit
naturellement à ses côtés, une place centrale dans le
discours chrétien. »214(*)
Il s'avère logique que Hick en vienne à conclure
que « dans leur emploi scriptural, originel, ils [les termes
« père » et « fils »] sont
manifestement - selon notre distinction moderne - des
métaphores »215(*). Cet arrière fond sémantique
hébraïque fut ignorée dans les formules de Nicée et
de Chalcédoine, d'après le désir de l'Eglise qui,
s'étendant de plus en plus dans le monde grec du bassin
méditerranéen, devait gagner l'assentiment de la culture
philosophique hellénistique.216(*) Jésus est donc confessé comme
« vraiment Dieu et vraiment homme » sans explication
rationnelle satisfaisante. Ce fut une grande innovation de l'esprit humain
capable de créer un « mystère », puisque
toute la tâche demeure « d'articuler d'une manière
intelligible l'idée que quelqu'un puisse avoir à la fois
pleinement une nature divine, c'est-à-dire posséder tous les
attributs divins essentiels, et en même temps, pleinement une nature
humaine, c'est-à-dire posséder tous les attributs humains
essentiels. »217(*)
Hick fait remarquer que de multiples essais ont
été entrepris pour rendre intelligible la notion de Dieu-homme.
Pour ingénieuses qu'elles fussent, aucune n'a été capable
de soutenir clairement l'affirmation de Chalcédoine, et pour preuve,
elles furent toutes taxées d'hérétiques.
Même la logique kénotique qui a souvent servi de
clé d'intelligibilité à la double nature de
Jésus-Christ est réduit par Hick au rang d'un simple langage
symbolique et métaphorique : « La Kénose est
une métaphore vive de la qualité du don de soi de l'amour divin,
tel qu'il est révélé en Jésus - et pour l'amour du
don de soi auquel nous sommes appelés en tant que ses
disciples. »218(*) La kénose est tout simplement le symbole
d'une solidarité de Jésus à l'endroit des hommes219(*) en proie à la
fragilité de leur nature, à l'esclavage du péché.
Elle n'a rien d'un mouvement substantialiste d'une communication de nature.
Pour notre auteur, la seule façon d'entrevoir
l'incarnation passe par l'abandon du sens dénoté du mot pour ne
retenir que la compréhension figurée et métaphorique.
La rédemption elle aussi subit les secousses de la
critique de Hick qui la caricature sous les traits de la mort expiatoire de
Jésus - car elle sous-entendrait encore l'universalité de la
personne de Jésus et de son oeuvre de salut.220(*) La rédemption
supposerait donc l'idée selon laquelle le Père céleste
s'apparente à un seigneur féodal, un moraliste cosmique qui
réclame comme contrepartie à la faute des hommes la mort de
l'innocent. Cette vision de la rédemption est très proche de
celle que développe Anselme de Cantorbéry pour qui l'offense
faite à Dieu, en raison de l'infini caractéristique de l'objet de
l'offense, requiert aussi une réparation du même calibre.
Voilà pourquoi, il convenait que le Fils, infini par essence se
fît homme et donc solidaire du coupable et s'offrît en
réparation pour que la faute pût être effacée et
l'ordre de justice se rétablît221(*). Si Hick rejette la conception de la peine
substitutive, ce n'est pas en raison de son caractère théologique
réducteur à l'endroit de l'image du véritable Dieu
chrétien ; c'est qu'elle proclame de façon indirecte la
portée universelle de la mort de Jésus.
L'une des objections les plus redoutables à la
pensée de Hick est de Dupuis. Le théologien belge s'attaque aux
considérations en amont de la pensée de Hick : le passage
arbitraire entre le discours fonctionnel du NT au langage ontologique
hellénistique, somme toute mythologique. La critique de Dupuis
découle de sa méthode exposée lors de la
présentation de sa pensée au chapitre 2 : la
« continuité-dans-la-discontinuité ».
Le rôle de ce concept est ainsi
présenté :
« la tâche de la christologie doit
être de montrer que la foi chrétienne en Jésus-le-Christ
est solidement fondée sur la personne de Jésus de Nazareth ;
autrement dit, de montrer que la christologie explicite de l'Eglise est
fondée sur la christologie implicite de Jésus lui-même. La
continuité-dans-la-discontinuité doit être mise en
évidence à chaque stade : entre l'attente messianique de
l'Ecriture juive et son accomplissement en Jésus-Christ ; entre le
Jésus prépascal et le Christ du kérygme apostolique ;
entre la christologie du kérygme primitif et les énonciations
bibliques ultérieures ; entre la christologie du Nouveau Testament
et celle de la tradition de l'Eglise ; et ainsi de
suite. »222(*)
Cela veut dire qu'il y a sans cesse une continuité
d'objet entre les discours vétérotestamentaires - se rapportant
au Christ - et néotestamentaires et ceux de l'Eglise primitive et
apostolique. Il n'est pas vain de revenir à la préexistence du
Logos suggérée défendue avec hargne par les Pères
de l'Eglise à la suite du quatrième évangile pour
souligner son antériorité par rapport à
l'évènement de l'incarnation, aux philosophies et aux religions
païennes.
Ensuite, Dupuis poursuit :
« l'expression
« continuité-dans-la-discontinuité »
mérite toutefois quelque explication, car elle prend des sens
différents aux divers stades du développement christologique.
Entre Jésus et le Christ, il existe une réelle
discontinuité du fait que l'existence humaine de Jésus a subi une
réelle transformation lorsqu'il est passé de l'état de
kénose à l'état glorifié par sa résurrection
(voir Ph 2, 6-11) ; néanmoins, entre Jésus et le Christ, la
continuité persiste, car l'identité personnelle demeure. Celui
qui est glorifié est celui qui était mort : Jésus est
le Christ (Ac 2, 36). Le Jésus historique est le Christ de la
foi. »223(*)
C'est la lumière de pâques qui éclaire
dans la foi les disciples sur l'identité de Jésus comme le Christ
de Dieu, car l'évènement de pâques est un point de
discontinuité entre l'être intramondain de Jésus - pour
parler comme Heidegger - et l'être postpascal. L'identité
personnelle de Fils de Dieu n'est pas altérée pour autant,
restant sauve qu'elle éclate au grand jour davantage dans
l'humanité glorifiée de Jésus. Dupuis parle donc à
dessein d'un « développement homogène » pour
qualifier cette transition du stade d'un Jésus terrestre au Christ
glorifié.
Enfin,
« le sens de
« continuité-dans-la-discontinuité » change
encore lorsqu'il s'agit de la relation entre la christologie ontologique du
Nouveau Testament et le dogme christologique de l'Eglise. Là,
l'expression se réfère à une continuité de contenu
dans la discontinuité d'idiome. Le dogme christologique
n' « hellénise » pas le contenu de la
foi ; il représente plutôt une
« dé-hellénisation » quant à son
contenu dans une « hellénisation » de la
terminologie. »224(*)
Il est vrai que la foi chrétienne comporte, comme le
fait remarquer Dupuis, quelque chose de la culture hellénistique.
Cependant, cet emprunt n'est que de l'ordre du contenant, de son mode
d'expression et non de son contenu. Voilà qui permet de remettre les
choses à leur place et d'accueillir avec discernement la pensée
de Hick qui est d'une apparence très alléchante.
III- LES CHRISTOLOGIES A CONNOTATION PERFORMATIVE
1- La christologie représentationnelle et
corrélationnelle de Paul Knitter
Paul Knitter est un théologien intéressant pour
avoir voulu « réunir et tenir ensemble les options de la
théologie de la libération - option pour les pauvres - et d'une
théologie des religions pluraliste - option pour une pluralité de
voies de salut. »225(*) C'est dans un dynamisme progressif de sa
pensée qu'il intégrera cette orientation. Son approche connaitra
donc plusieurs phases de mise à jour ; ce qui rend difficile de
reconnaître à sa pensée une configuration unifiante. Au
départ, après avoir abandonné tour à tour la
position exclusiviste et l'inclusivisme, il embrasse comme Hick le pluralisme,
tout en persuadant cependant les chrétiens « qu'on
n'abandonne en aucun cas le témoignage chrétien contenu dans la
Bible et la Tradition, mais au contraire qu'on le comprend plus
profondément et dès lors, le raffermit, lorsqu'on remplace, dans
les relations envers les personnes d'autres fois religieuses l'approche
christocentrique habituelle par une approche
théocentrique. »226(*) Sa rencontre avec les étudiants du
Salvador engagés dans les Droits de l'homme et persécutés
par leur gouvernement (soutenu par les Etats-Unis), et qui s'étaient
refugiés à Cincinnati va soudainement le faire adopter la
théologie de la libération. Dès lors, il s'imaginait
difficilement une théologie des religions qui ne fût pas
liée à une théologie de la libération ; il
fallait immanquablement associer « ``pluralisme et
libération'' et `` dialogue et responsabilité à
l'échelle mondiale'' »227(*)
Il n'est donc pas surprenant que s'affirme de plus en plus
chez lui une théologie des religions libérationnelle dans
laquelle la théologie des religions et la théologie de la
libération ont « un urgent besoin l'une de l'autre [...]
Un échange interreligieux et interculturel est
nécessaire. »228(*) L'accent est mis sur l'option
préférentielle pour les pauvres qui sous-entend le primat de
l'orthopraxie sur l'orthodoxie tel que cela est prôné par les
théologiens de la libération. On dirait qu'autour de la question
des opprimés et des misérables, se cristalliserait selon Knitter
un noyau, une sorte de principe commun autour duquel pourraient se
réunir les religions pour dialoguer. « Il y a donc, comme
il l'affirme lui-même, quelque chose qui unit les religions du
monde. »229(*)
Ce qui précède permet de poser les
préalables qui rendront plus intelligible la vision de Knitter. Le
théocentrisme qui fonde le pluralisme chez notre auteur s'exprime par le
regnocentrisme ou le sotériocentrisme, qui est un paradigme pour lequel
« ce qui constitue [pour] les chrétiens la base et le but
du dialogue interreligieux, ce qui rend la compréhension mutuelle et la
coopération entre les religions possible, ce qui unit les religions dans
un discours commun », ce ne sont pas les liens des religions
à l'Eglise, au Christ ou même la manière dont les religions
conçoivent Dieu et lui répondent - mais plutôt le double
désir de travailler ensemble à construire le Royaume et de
clarifier dans quelle mesure chaque tradition fait advenir sa présence
dans le monde.230(*)
« Ce qui différencie, comme l'explique Aebischer,
l'approche sotériocentrique du christocentrisme ou du
théocentrisme, c'est la reconnaissance explicite qu'aucun
médiateur ou système symbolique n'est absolu : la
perspective sotériologique est continuellement ouverte à un plus,
une clarification, voire une correction. »231(*)
C'est à partir de ce critère
sotériologique que Knitter bâtit son discours sur le Christ qui
se veut une « christologie représentationnelle »
(expression qu'il emprunte à Schubert Ogden). En effet,
« Jésus, par sa vie, sa mort et sa résurrection,
sauve non en constituant ou en causant l'amour salvifique de Dieu, mais
plutôt dans la mesure où il re-présente pour nous
l'amour de Dieu re-créateur, inhérent à sa nature divine
et qui est déversé sur toute la
création. »232(*) Pour Knitter,
« représentationnel » est synonyme de sacramental
dans la tradition catholique ; Jésus est le sacrement primordial
c'est-à-dire le symbole efficace qui « dans ce qu'il a
enseigné et opéré, personnifie, incarne,
exemplifie » pour nous la puissance effective et transformatrice
de l'amour et de la justice divins.233(*) En optant pour une christologie
représentationnelle, Knitter entend défendre ceci : à
côté du Christ, il existe d'autres représentations de ce
même Dieu amour : « Ce que Paul appelle le
Mystère du plan de Dieu révélé de manière si
puissante et salvifique en Jésus-Christ peut-être
révélé ailleurs, sous des formes variées - sans
jamais épuiser le Mystère. »234(*) A la différence
de Hick, Knitter ne banalise pas la figure du Christ. Il lui assigne autant
qu'à d'autres figures une vocation performative dans l'avènement
du Royaume. Son pluralisme transparait dans cette concession à
Jésus comme à d'autres le pouvoir de co-participer à
l'avènement d'un monde plus juste. Cette christologie
représentationnelle est ainsi, du même coup,
corrélationnelle. En ce sens, « l'unicité
relationnelle » caractéristique de Jésus est
liée à « sa capacité à entrer en
relation avec d'autres figures religieuses uniques, c'est-à-dire
à les inclure et à se laisser inclure par
elles. »235(*) La corrélationnalité rend
l'idée selon laquelle la révélation de Jésus a
besoin d'être complétée par d'autres, voilà pourquoi
ce concept est gage d'un dialogue : « Un modèle
corrélationnel pour le dialogue interreligieux
« évoque l'idée que chacun voit et approche les autres
croyants religieux de manière telle qu'une authentique
corrélation puisse exister entre les partenaires.
[...] Dans un tel modèle corrélationnel, toutes les
religions sont considérées, dès le début des
conversations, non nécessairement comme étant
égales et identiques dans leurs affirmations de
vérité (...) mais comme ayant les mêmes
droits. »236(*) On ne peut nier que Knitter, contrairement
à des pluralistes radicaux, fait un effort pour rester proche de la
doctrine chrétienne. Cette proximité lui vaudra les foudres de
ses partenaires pluralistes qui lui reprochent un éclectisme de
convenance à travers un pluralisme qui n'est en fait qu'une version
édulcorée de l'inclusivisme. A ces critiques, il répond
qu'il est pour lui « d'importance vitale que le modèle de
théologie des religions qu'il soutient soit aussi reçu
et, au moins dans une mesure significative, affirmé par les membres de
sa communauté chrétienne. »237(*)
Tout compte fait, bien qu'on puisse remarquer dans la
christologie de Knitter quelques changements, même au niveau de la
terminologie - dans son livre Jesus and the Other Names - le fond
reste le même pour l'essentiel. Il professe que Jésus est
universel, décisif, indispensable dans le message d'amour qu'il apporte.
Cependant, le concept d' « unicité
relationnelle » indique bien qu'en ce Jésus, la
révélation de Dieu n'est pas complète, définitive,
insurmontable.238(*) Si
Jésus est Parole de Dieu, ce caractère distinctif de sa personne
doit être nécessairement mis en rapport avec d'autres paroles.
Il reste certain que, pour Knitter, l'universalité de
la médiation salvifique du Christ est sans objet. En effet, Dupuis
remarque que « selon Knitter(...) Jésus-Christ ne doit pas
être compris en termes d'une identité personnelle de Fils unique
de Dieu ; en conséquence, une « christologie constitutive
selon laquelle Jésus, spécialement en sa mort et sa
Résurrection, cause ou rend universellement accessible l'amour
salvifique de Dieu » est intenable. »239(*)
En relativisant le caractère définitif de la
révélation en Jésus, Knitter se range parmi les
théologiens indexés par la CDF dans la déclaration
Dominus Iesus :
« Est donc contraire à la foi de
l'Église la thèse qui soutient le caractère limité,
incomplet et imparfait de la révélation de Jésus-Christ,
qui compléterait la révélation présente dans les
autres religions. La cause fondamentale de cette assertion est la persuasion
que la vérité sur Dieu ne pourrait être ni saisie ni
manifestée dans sa totalité et dans sa complétude par
aucune religion historique, par le christianisme non plus par
conséquent, et ni même par Jésus-Christ.
Cette position contredit radicalement les
précédentes affirmations de foi selon lesquelles la
révélation complète et définitive du mystère
salvifique de Dieu se réalise en Jésus-Christ. Aussi, les mots,
les oeuvres et toute l'existence historique de Jésus, quoique
limités en tant que réalités humaines, ont cependant comme
sujet la Personne divine du Verbe incarné, « vraiment Dieu et
vraiment homme »; ils portent donc en eux le caractère complet et
définitif de la révélation des voies salvifiques de Dieu,
même si la profondeur du mystère divin en lui-même demeure
transcendante et inépuisable. La vérité sur Dieu n'est pas
abolie ou réduite quand elle est exprimée dans un langage humain.
Elle demeure en revanche unique, complète et définitive car celui
qui parle et qui agit est le Fils de Dieu incarné. »240(*)
2- La christologie des transformations créatrices de
John Cobb
Le théologien américain John Cobb est, à
la suite de Whitehead, partisan de la théologie du process dans
laquelle Dieu est saisi comme une puissance dynamique et non-statique. Cobb
dénonce le fait que la tradition chrétienne, sous l'influence des
philosophies substantialistes a souvent conçu Dieu comme une force qui
maintient les choses. En effet : « Dieu ne favorise jamais
le statu quo, l'inertie, l'immobilisme et la fixité. Il
travaille et lutte pour que les changements interviennent »241(*), commente André
Gounelle. De ce point de vue, La christologie de Cobb tout comme celle de
Tillich rompt avec l'ontologisme caractéristique de la christologie
traditionnelle. Tout se passe comme si l'américain cherche la
réponse à la question suivante : En quoi est-ce que la
question christologique intéresse l'homme de la société
moderne plutôt porté à l'industrialisation, au
développement sous l'impulsion de la techno-science ? La
réponse serait de toute évidence : « Dieu
désire et provoque des transformations créatrices qui apportent
plus et mieux. [Cela dit,] Il en résulte que le christ est l'agent des
transformations créatrices suscitées par
Dieu. »242(*) Le christ de Cobb n'est pas un titre de gloire
en référence à la christologie classique ; il n'est
que rappel d'un rôle, sans plus. Voilà pourquoi, il s'écrit
en minuscule. Autre chose est le christ et autre chose est le Logos (parole et
Verbe). « Pour parler de l'amour créateur de Dieu qui
oeuvre en nous et autour de nous, qui, sans jamais se lasser, s'efforce de
faire émerger une nouvelle création et une nouvelle
créature, Cobb utilise le mot Logos (Parole-Verbe). Christ
désignant la puissance créatrice de Dieu agissant dans le monde,
il s'ensuit qu'il y a identité entre le Logos et le christ, ce
qu'affirme le prologue de l'Evangile de Jean. »243(*) La différence
réside dans le fait que pour Cobb, « on appelle christ le
Logos quand il agit dans une situation précise, autrement dit, le christ
est la figure concrète que prend le Logos dans un lieu et un temps
donné. »244(*) On se croirait en face de la distinction entre
le Logos et le Jésus historique établie par Dupuis.
Au demeurant, pour Cobb, le christ est un chemin, une route,
un voyage. « Entrer en Christ ne signifie pas être
arrivé au port et pouvoir se reposer, mais marcher avec ardeur vers le
monde nouveau auquel il nous appelle. »245(*)
Cependant, pour lui, le christ et Jésus ne
coïncident pas exclusivement. Si le christ est celui qui opère ou
par qui s'opère une transformation créatrice, il est donc
incarné autant par Abraham, Moïse, les prophètes, Paul,
Bouddha, et même par Martin Luther King, que par Jésus. La
théorie des semences du Verbe ne peut réussir à le sortir
de l'hétérodoxie pour la simple raison que chez lui, le christ ne
se rapporte pas de manière intrinsèque au Jésus
historique, bien que se révélant déjà de
manière parcellaire dans diverses figures religieuses. Cette survivance
du christ à travers l'histoire est proche de la théorie de la
réincarnation, comme si l'âme de ce christ, sous la forme de
divers avatars, provoquait par eux des transformations créatrices au
sein de l'humanité. Une telle christologie est erronée du fait
qu'elle crée une séparation entre le Christ et Jésus. On
n'est plus dans la christologie ecclésiale qui depuis Chalcédoine
(451) confesse dans la Personne du Verbe incarné, la dualité des
natures dans l'unique personne.
Une telle perspective christologique relativise l'appartenance
religieuse, et regorge des relents d'indifférentisme - condamnés
par Dominus Iesus. On peut s'en apercevoir quand Cobb affirme :
« je ne vois a priori aucune raison de supposer que la
religion ait une ``essence'' [à la fois un caractère commun
à toutes les ``religions'' et leur trait central ou normatif] ou que les
grandes traditions religieuses soient adéquatement comprises comme
religions, c'est-à-dire comme traditions pour qui le fait d'
``être religieux'' soit le motif central »246(*). Ce qui est important
est l'effort conjugué des divers croyants en vue du projet de
transformation créatrice. C'est en cela que se fonde sa position qu'il
qualifie d' « au-delà du pluralisme ». Seul
compte l'enrichissement mutuel ainsi précisé par Pierre
Gisel : « Positivement, il s'agit [...] d'aller à la
rencontre de l'autre et de s'en trouver enrichi. De ``passer au-delà''
et de ``faire retour''. [...] De s'exposer à l'autre, indirectement mais
décisivement, d'en apprendre plus sur soi. Aller chez l'autre et
approfondir qui l'on est. »247(*)
Ce parcours au coeur des thèses les plus significatives
des théologiens pluralistes dans le débat christologique en
rapport avec le pluralisme religieux a permis sans doute de distinguer diverses
accentuations au sein même des différentes approches, tout en
nous apercevant des fondements (épistémologique, scripturaire et
socioculturel) de la théorie pluraliste. En réalité, le
théocentrisme succède au christocentrisme parce qu'il veut
être une autre orientation théologique qui absolutise le
caractère central de Dieu en niant la figure du Christ et sa
médiation. Nous avons donc mis en lumière le substrat
christologique échafaudé par chaque auteur dans son projet de
relativisation de la figure du Christ. Prendre position en faveur de la
consistance propre des traditions religieuses conduit-il nécessairement
à nier l'universalité et l'unicité de la médiation
salvifique du Christ ? Comment comprendre cette médiation dans le
contexte actuel du pluralisme religieux ? Ces questions graves guideront
les développements du chapitre suivant.
CHAPITRE IV :
L'UNIVERSALITE DE LA MEDIATION SALVIFIQUE FACE AUX AUTRES RELIGIONS
Le phénomène du pluralisme religieux a
provoqué un développement christologique. Les deuxième et
troisième chapitres ont pu exposer ces principales approches. Il sera
à présent question de nous servir de ce déploiement
théologique pour réinterpréter dans le contexte actuel du
pluralisme religieux, l'affirmation de l'universalité de la
médiation salvifique du Christ. Pour ce faire, nous allons d'abord nous
pencher sur quelques points qui constituent des obstacles à une telle
entreprise. Nous terminerons par quelques repères pour le dialogue
interreligieux.
I- PROBLEMES LIES A
L'AFFIRMATION DE L'UNIVERSALITE DE LA MEDIATION SALVIFIQUE DU CHRIST
Dans la société postmoderne, l'affirmation de
l'universalité de la médiation salvifique du Christ demeure
justifiée. Mais, elle se heurte à quelques difficultés que
nous allons clarifier.
1- Le problème du langage
La société postmoderne exige une vision
plurielle de la réalité. Cette pluralité n'épargne
aucun domaine (religieux, politique, moral...). Dans ce contexte, tout langage
rationnel ne doit pas être entaché d'une vision moniste du
réel. Or, comme nous le fait remarquer Albert Dondeyne, le malaise
christologique contemporain est aussi un « malaise qui se situe
d'abord et directement au niveau de la formulation
dogmatique. »248(*) Il est vrai que le discours sur le Christ, et
de façon générale la théologie, s'est
élaborée sur la base de l'ontologie métaphysique. Un
regard historique permet de nous rendre compte que
« traditionnellement, la théologie a
considéré comme universels ses énoncés
consacrés par un long usage, y voyant les expressions d'une
vérité absolue et salvifique qui, selon la célèbre
phrase de Lérins, a été crue « partout, toujours
et par tous. »249(*) C'est comme si pour l'homme moderne, la
médiation salvifique universelle du Christ, au niveau de son expression,
évoque le retour à l'ère des universaux.
Il serait judicieux de préciser que dans les
formulations dogmatiques, on distingue l'expression et le contenu. Il
apparaît que c'est davantage la proximité de l'affirmation de
cette médiation avec, du point de vue de l'expression, le concept de
l'universalité comme telle qui fait problème. Il rappelle en
apparence l'universel des systèmes hégélien ou
néoplatonisme. Les épistémologues de la ligne historiciste
radicale comme Nietzsche, Foucault et Derrida pousseront loin la thèse
de la réfutation de l'universalité épistémologique
jusqu'au rejet d'un sens englobant tous les autres, d'une
intentionnalité et d'une universalité dans les résultats
épistémiques.250(*)
C'est aussi vrai de remarquer que la théologie est
passée par une étape où l'universalité des
vérités énoncées était inséparable de
l'unicité de son expression. Claude Geffré décrit
d'ailleurs ce passage en ces termes :
« A l'aube des temps modernes, l'Eglise s'est
pensée comme une société exclusive selon le modèle
d'une idéologie unitaire. La théologie dogmatique de type
monolithique était cohérente avec son rapport défensif
à l'égard de la société moderne. En même
temps qu'elle refusait à l'extérieur d'elle-même le
pluralisme idéologique et culturel des sociétés
libérales d'Occident, elle condamnait le pluralisme doctrinal à
l'intérieur d'elle-même et définissait des règles de
l'orthodoxie de plus en plus strictes. »251(*)
De son côté, Walter kasper fait le constat
similaire : « Etant donné le pluralisme du monde
moderne et postmoderne, il n'est pas surprenant que l'affirmation selon
laquelle Jésus-Christ est le Verbe définitif, qui a une valeur
universelle, pose problème et que la question du caractère unique
de Jésus-Christ soit devenu le sujet d'une vaste et âpre
discussion à l'intérieur et à l'extérieur de la
théologie. »252(*)
Aujourd'hui, au sein même des sciences
théologiques, l'universalité dans l'expression n'est plus
nécessaire. La théologie a intégré la
pluralité des approches de la vérité,
caractéristique de la postmodernité dont l'émiettement des
domaines du savoir dans les sciences en général. Il n'est donc
pas surprenant qu'avec les penseurs comme Karl Popper253(*), on soit conduit vers la
thèse de la falsifiabilité des hypothèses en
science induisant à abandonner l'idée traditionnelle de
vérité pour embrasser celle de
vérisimilarité, ou qu'avec Thomas Kuhn et son approche
des paradigmes, les vérités scientifiques (au sens large) ne
soient plus de l'ordre de l'immuable, des noumènes objectivables, mais
du provisoire. Ces vérités valent tant que ce modèle
auquel elles appartiennent n'est pas dépassé.
Pour résumer, l'affirmation de l'universalité
de la médiation salvifique du Christ rencontre dans l'époque
postmoderne un obstacle épistémologique. Nous montrerons dans la
suite comment le contenu de cette affirmation reste justifiable face au
pluralisme religieux de notre époque, puisque la valeur universelle de
la médiation en question transcende la simple appréhension
épistémologique.
2- L'interprétation des
Ecritures
Le théocentrisme pluraliste rejette
l'universalité de la médiation salvifique du Christ en s'appuyant
sur une certaine lecture des paroles de Jésus dans l'Evangile de
Jean : « Mes oeuvres sont celles que le Père m'a
donné » (Jn 5, 36), « Je ne puis rien faire
de moi-même » (Jn 5, 30), « ma doctrine n'est pas
de moi, mais de celui qui m'a envoyé » (Jn 7, 16),
« le Père est plus grand que moi. » (Jn 14,
28). Pour ce courant, ces versets traduisent le caractère
théocentrique de Jésus ; Jésus avouerait dans ces
paroles qu'il est lui-même relatif. En effet, comme nous l'avons
montré dans le premier chapitre, le débat moderne qui oppose une
christologie scientifique ou historique au Christ de la foi dans la
christologie dogmatique ou ecclésiastique a suscité un regain
d'intérêt pour l'exégèse. En réalité,
des présupposés fonctionnels vont guider la lecture que les
pluralistes font de l'Ecriture et particulièrement des versets
johanniques dont nous venons de faire mention. On comprend alors le
théocentrisme pour lequel ils optent. Nous tenterons de clarifier
l'interprétation ecclésiale de ces extraits.
Les grands débats christologiques suscités par
ces versets remontent à l'époque patristique. Les ariens se
servaient de ces passages pour justifier l'infériorité de
Jésus par rapport au Père. Un groupe de Père de l'Eglise
(Origène, Tertullien et Athanase) y voit la marque de la
différence de génération. Le Père est
engendré, non le Père. D'autres comme Cyrille d'Alexandrie,
Ambroise et Augustin l'ont compris de cette manière : Jésus
en tant qu'homme incarné, est moins grand que le Père. Saint
Thomas lui aussi n'est pas loin de cette perspective. Pour lui, le Fils dans
son humanité est effectivement moins que le Père, l'Esprit et les
anges. L'interprétation qu'il donne de « le Père est
plus grand que moi » est la suivante : « Le
Père est plus grand que le Fils non par la puissance,
l'éternité et la grandeur, mais par l'autorité de celui
qui donne ou qui est principe. Car le Père ne reçoit rien d'un
autre, mais le Fils reçoit sa nature, pour ainsi dire, du Père
par la génération éternelle. »254(*)
L'exégète Alain Marchadour relie
« Le Père est plus grand que moi » en lien
avec Jn 13, 16 : « Le messager n'est pas plus grand que
celui qui l'envoi. » Et donc, « le Père est
plus grand parce que tout vient de lui et tout va à lui : en
particulier l'envoi du Christ et sa glorification. »255(*)
Pour sa part, Xavier Léon-Dufour nous invite, pour
saisir la pertinence de ces versets, à « demeurer en
présence de l'être paradoxal qui est le Logos venu d'en
haut. »256(*) Jésus est en unité parfaite avec
le Père (cf. Jn 10, 30) et il est « comme l'envoyé
recevant tout du Père, paroles et oeuvres, enseignement et
ordres. »257(*) Ces deux aspects ne s'opposent pas dans la
présentation johannique. En effet, pour Jean, la priorité du
Père est maintenue. Tout le ministère de Jésus tend
à faire connaître le Père, à le glorifier.
L'initiation de la vie éternelle vient de Lui (cf. Jn 3, 16). Au final,
la mention du Père « plus grand » - tout comme
d'autres passages du même type - qu'exploitent le théocentrisme
pluraliste « met en évidence la perspective fondamentale
du Discours : la rencontre des disciples avec
Dieu. »258(*) Et dans la perspective de Jean, c'est dans le Fils
que cette rencontre avec Dieu est possible, à cause de l'unité
parfaite qu'il partage avec le Père qui est de l'ordre de la nature.
On peut conclure que l'universalité de médiation
salvifique du Christ est plutôt indirectement soulignée à
travers ces versets.
3- L'amalgame entre christianisme et
culture
En plus des arguments développés à propos
de l'interprétation scripturaire, l'affirmation de l'universalité
de la médiation salvifique du Christ se heurte aussi à l'amalgame
que les tenants du théocentrisme pluraliste entretiennent entre religion
et culture, plus précisément entre christianisme et culture
occidentale. Chez John Hick par exemple, nous avons souligné qu'il y a
une transposition sur le terrain de la christologie d'une préoccupation
qui au départ est strictement culturelle, à savoir celle de la
supériorité de la culture occidentale comme lieu de
l'épanouissement historique du christianisme. Il est vrai que les
critiques de quelques théologiens africains à l'endroit du
christianisme missionnaire allaient dans le même sens. Pour beaucoup
d'entre eux, le projet d'évangélisation de l'Afrique n'avait pas
été clairement distingué du projet de l'expansion de la
civilisation occidentale. C'est ici qu'on peut, à juste titre, se rendre
compte que le projet de désabsolutisation du christianisme comme
religion, avec les auteurs comme Tillich, visait aussi la relativisation du
Christ.
C'est aussi dans le même sens que les tenants de la
christologie à vocation performative ont assigné aux religions la
finalité de construire une culture humaine. Elles sont appelées
à se mettre ensemble pour combattre les injustices infligées aux
marginalisés et aux opprimés que compte notre
société et favoriser un rapprochement entre les peuples. C'est
évident que ce désir est fort louable. Ces penseurs rappellent
sans aucun doute le rôle dévolu aux religions dans la construction
du royaume de Dieu dès ici bas par la recherche et la promotion des
valeurs. Cependant, le christianisme ne peut être réduit à
une réalité purement culturelle. Bien plus, le message
évangélique qu'il annonce est appelé à transformer
les cultures. Le danger dans cette perspective est de créer un amalgame
entre religion et culture. Comme on l'a vu, le théocentrisme pluraliste
est, dans cette perspective, tellement préoccupé par l'adaptation
du discours, qu'il en vient à oblitérer le contenu et même
le noyau essentiel du message chrétien.
En effet, le message de Jésus ne saurait être
réduit à servir les causes d'une société ou d'une
idéologie, et ainsi être considéré comme la
propriété d'une culture donnée. Dans les évangiles,
Jésus prend distance face aux mouvements et aux courants qui jalonnent
la vie de son peuple et « la « secte »
chrétienne [à l'origine peut apparaitre] comme une réponse
originale aux questions et aux aspirations communes, comme l'offre d'une
nouvelle cohérence. »259(*) Dans l'optique de distinguer le christianisme
d'une culture ou d'une simple idéologie, Karl Rahner plaide pour un
« christianisme sans compromission », contre ce qu'il
appelle « la transmanence idéologique » à
force de vouloir donner une réponse aux vicissitudes
historiques.260(*) Le
défi que la postmodernité lance à la théologie est
de taille, puisqu'en prenant acte du contexte épistémologique de
l'heure, comme le montre David Tracy à sa manière, « la
théologie postmoderne [devient] un effort honnête, bien que
parfois désespéré, pour faire entendre Dieu en tant que
Dieu »261(*), et non Dieu réduit à la
dimension d'une culture.
L'affirmation de l'universalité de la médiation
salvifique du Christ n'est donc pas à confondre avec les questions
liées à l'hégémonie de la culture occidentale,
comme cela semble émerger des thèses des penseurs pluralistes.
II- ESSAI DE
COMPREHENSION DE L'UNVERSALITE DE LA MEDIATION SALVIQUE DU CHRIST DANS LE
CONTEXTE DU PLURALISME RELIGIEUX
Il s'agit de nous pencher sur la question cruciale de notre
travail, celle de savoir : eu égards aux longues analyses des
différentes approches christologiques des chapitres
précédents, comment comprendre l'universalité de la
médiation salvifique du Christ dans le contexte du pluralisme
religieux ? Ces différentes approches christologiques seront
d'ailleurs exploitées dans la mesure où elles requièrent
des éléments sur lesquels nous nous appuierons tour à
tour.
1- Médiation et
« médiations »
Evoquons pour commencer le Concile Vatican II comme point de
départ de la distinction qui se fera plus tard entre la médiation
du Christ et les médiations des traditions religieuses. Le regard
posé par Vatican II sur les traditions religieuses est plutôt
positif comme nous l'avons souligné au premier chapitre de ce travail.
On parle de valeurs positives, de « rayons de
vérité », de « germes de
bien »262(*), etc. Cependant, le Concile n'est pas
allé jusqu'à qualifier les traditions religieuses de
« voies » de salut. Il se limite à parler uniquement
d'éléments de « vérité et de
grâce » contenus en elles « comme une
sécrète présence de Dieu. »263(*) C'est avec le document
« Dialogue et annonce » qu'on se rapproche le plus de
l'affirmation selon laquelle les autres religions peuvent constituer des voies
de salut. « Concrètement, c'est dans la pratique
sincère de ce qui est bon dans leurs traditions religieuses et en
suivant les directives de leur conscience, que les membres des autres religions
répondent positivement à l'appel de Dieu et reçoivent le
salut en Jésus-Christ même s'ils ne le connaissent et ne le
confessent pas comme leur sauveur. »264(*)
L'encyclique Redemptoris Missio évoquait
déjà, parlant des autres traditions, l'idée de
« médiations participées »: «
le concours de médiations de types et d'ordres divers n'est pas
exclu. »265(*)
En fait, comme le fait remarquer François Bouquet :
« Le catholicisme a toujours tenu à la connaissance
naturelle de Dieu, à partir d'une théologie de la
création ; la réflexion sur la connaissance
« culturelle » de Dieu, par un être humain à
la fois spirituel et sociable, ne fait que commencer. »266(*) En
réalité l'encyclique ne fait qu'exprimer en termes nouveaux ce
qui n'est pas étranger à la théologie de l'Eglise.
2- L'universalité
salvifique de la médiation du Christ
On ne peut pas se contenter de distinguer la médiation
et les médiations des autres traditions religieuses. Il est important
d'établir la relation entre les deux types de médiations, pour
qu'émerge le lien entre la médiation salvifique du Christ et les
autres médiations.
En effet, les deux types de médiations ne sauraient pas
être mises sur le même pied d'égalité. Dupuis exprime
la spécificité de la médiation du Christ en ces
termes : « Jésus Christ, selon la foi christologique
de la tradition chrétienne, est « médiateur »
entre Dieu et le genre humain, dans la mesure où il unit en sa personne
la Divinité et l'humanité, de sorte qu'en lui la Divinité
et le genre humain ont été unis en un lien
permanent. »267(*) L'universalité de la médiation du
Christ est donc à comprendre dans ce cas précis comme
étant intrinsèquement exercée à l'endroit de tout
homme. C'est ici l'anthropologie transcendantale de Karl Rahner nous aide
saisir cette proximité essentielle (et non accidentelle) à
l'égard de tout homme qui fait de ce dernier un possible auditeur de
Dieu. Comme nous l'avons vu à propos de la théorie des
« chrétiens anonymes », le champ de la croyance
n'est que la thématisation de cette ouverture existentiale à Dieu
rendue possible par le mouvement kénotique du Verbe.
Chez Rahner, le salut venant de Dieu ne peut se comprendre
qu'en rapport avec l'acte divin autocommunicationnel :
« L'offre que Dieu fait de lui-même, par quoi il se
communique absolument à la totalité de l'homme, dit-il, est par
définition le salut de l'homme. »268(*) Le salut se situe donc
dans l'horizon de l'autocommunication qui est d'abord transcendantale. Le salut
apparaît donc comme lié à l'expérience
transcendantale de tous les hommes, fut-elle thématisée dans les
traditions religieuses. En ce sens, l'autocommunication prend la coloration
d'un acte ultime et souverain par lequel « Dieu, en sa
réalité la plus propre, se fait le constitutif le plus
intérieur de l'homme lui-même. »269(*) Cette autocommunication
a entre autres pour finalité de relever l'homme de sa condition
existentielle par une transformation intérieure. A ce niveau, les
diverses traditions religieuses sont des expériences salvifiques dans un
certains sens, notamment dans la mesure où à travers elles, Dieu
opère une certaine transformation salvifique en l'homme. Il est
important de signaler que Karl Rahner n'utilise pas le mot
« médiation » pour parler des traditions
religieuses. Mais dans l'idée, on n'est pas loin, puisque pour lui
l'acte divin autocommunicationnel déjà compris dans
l'expérience transcendantale est en réalité oeuvre de
salut à cause de la transformation intérieure qu'il produit.
Dans la logique de Rahner, ces traditions religieuses
manifestent l'ouverture de l'homme à cette grâce en le rendant
capax Dei. Elles sont des médiations du salut dans la mesure
où elles préparent d'une certaine façon l'homme à
basculer d'un christianisme anonyme à un christianisme explicite. En
réalité, elles n'ont pas par elles-mêmes de pouvoir
salvifique. Seul le Christ est cause du salut. Voilà pourquoi Karl
Rahner perçoit l'universalité de la médiation salvifique
du Christ dans un sens exclusif, c'est-à-dire absolu, car c'est dans
l'évènement du Christ que la grâce opère le salut
comme expérience surnaturelle. Jésus Christ est celui qui apporte
absolument le salut. L'universalité du salut en Jésus est
inséparable de l'acte de l'incarnation qui le lie à tout homme
et qui fait de lui celui « qui forme le point culminant de
l'autocommunication divine au monde »270(*).
Pour mieux saisir l'universalité de la médiation
salvifique dans le contexte du pluralisme religieux, l'approche de Dupuis,
complémentaire à celle de Rahner, est aussi éclairante.
Cette médiation a un caractère relationnel. Elle est à
situer dans un étroit rapport avec l'unicité de sa personne qui
est constitutive - cause du salut- et relationnelle, et
« relationnelle » veut dire l'insertion de la
signification universelle de l'évènement-Christ dans le plan
global de Dieu pour l'humanité et la façon dont ce plan se
dévoile dans l'histoire du salut. En particulier, le terme est
conçu pour affirmer la relation réciproque qui existe entre la
« voie » qui est Jésus-Christ et les diverses
« voies » de salut proposées par les traditions
religieuses à leurs membres. »271(*) Autrement dit,
l'universalité de la médiation salvifique du Christ instaure un
nouveau rapport de sens entre cette médiation et les autres
médiations. Voilà pourquoi Jean Paul II écrivait pour
préciser : « celles-ci [les médiations de types et
d'ordres divers] tirent leur sens et leur valeur uniquement de celle
du Christ, et ne peuvent être considérées comme
parallèles ou complémentaires. »272(*) Cela signifie que les
médiations sont comme essentiellement liées à la
médiation du Christ qui est unique et d'où elles tirent leur sens
et leur pouvoir salvifique. On parle alors de médiations dans les
traditions religieuses parce que les semences du Verbe (pour parler comme saint
Justin) y sont disséminées.
La manifestation du salut de l'humanité n'est donc pas
détachée de la personne du Christ. On ne peut en dehors de lui
fonder le salut de l'humanité. Cependant, tout homme, quelle que soit sa
religion, reste ouvert à ce salut : « L'ordre de la
foi ou du salut consiste précisément en communication personnelle
de Dieu avec l'être humain, une communication dont la réalisation
concrète a lieu en Jésus-Christ et dont le signe efficace est
l'humanité de Jésus. »273(*) Les traditions
religieuses sont des médiations salvifiques dans le sens où Dieu
sauve dans et à travers ces traditions ceux qui y adhèrent.
Dupuis traduit cela en écrivant : « Les autres
religions peuvent-elles contenir et signifier de quelque manière, la
présence de Dieu aux êtres humains en Jésus-Christ ?
(...) On doit nécessairement l'admettre. Leur pratique religieuse est en
effet la réalité qui donne expression à leur
expérience de Dieu et du mystère du Christ (...). Cette pratique
exprime, soutien, supporte et contient - pour ainsi dire - leur rencontre avec
Dieu en Jésus-Christ. »274(*) Le jésuite belge nous permet de
progresser dans l'élucidation de l'universalité de la
médiation salvifique du Christ. En effet, comprendre cette
médiation dans son caractère relationnel permet de trouver un
équilibre entre la médiation des autres traditions religieuses et
celle du Christ. Par conséquent, il est juste dans une certaine mesure
de dire que le Christ est un médiateur parmi tant d'autres, dans la
mesure où l'affirmation de la pluralité des options religieuses
entraine nécessairement celle des médiations. Toutefois, il n'est
pas un médiateur comme tous les autres. Sa médiation est unique
et est exprimée d'une façon incomplète par les autres
médiations qui tirent sens et valeur de la sienne. Il faudrait
préciser avec Bouquet que « l'unicité [est ici] le
contraire de l'exclusion (...). La manière dont le Seigneur est unique
médiateur, à la croix ressemble à la forme de sa vie tout
entière, tournée vers le Père et vers l'humanité.
La manière dont le Seigneur est unique médiateur, à la
croix, ressemble à la forme de sa vie tout entière tournée
vers le Père et vers l'humanité. »275(*)
Cette analyse serait incomplète si elle ne
précisait dans quelle mesure les diverses traditions religieuses
expriment le mystère salvifique du Christ. Ici, il convient de
distinguer diverses modalités de la médiation de la
présence de ce mystère. Dupuis fait d'ailleurs remarquer que
« la grâce de Dieu, bien qu'étant sans aucun doute,
une, est transmise visiblement en des modes divers - avec des
différences entre eux non seulement de degré mais de
genre. »276(*) Il n'est donc pas illogique si nous concluons
avec lui que « dans les autres traditions religieuses, il [le
mystère de salut en Christ] est présent de manière
implicite et cachée, en vertu d'un mode de médiation incomplet,
mais non moins réel, constitué par ces
traditions. »277(*) Pour bien marquer cette différence entre
divers modes de médiation du mystère du salut, Dupuis
écrivait :
« C'est une chose [...] de recevoir la parole
que Dieu dit aux hommes par la médiation des sages qui l'ont entendue au
fond de leur coeur et ont transmis à d'autres leur expérience de
Dieu ; c'en est une autre d'entendre la Parole décisive que Dieu
parle aux hommes en son Fils incarné, qui est la plénitude de la
révélation [...].
« De même, une chose est d'entrer en
contact avec le mystère du Christ à travers les symboles et
pratiques rituelles qui, à travers les siècles, ont soutenu et
donné forme visible à la réponse de foi des hommes et
à leur engagement envers Dieu ; c'en est une autre de rencontrer le
même mystère, représenté dans la pleine
sacramentalité des actions symboliques instituées par
Jésus-Christ et confiées par lui à
l'Eglise. »278(*)
Les intuitions de Schillebeeckx - se
dégageant de son approche sacramentaliste développée au
chapitre 2 - paraissent intéressantes dans la mesure où elles
placent les traditions religieuses dans le cadre du sacrement comme don divin
du salut, puisque ces traditions introduisent leurs membres dans une dynamique
de la rencontre avec Dieu. Le théocentrisme pluraliste a eu le
mérite d'accentuer la consistance propre de chaque tradition religieuse,
mais il est inacceptable de déduire de cette accentuation des
médiations en concurrence ou parallèles, ou encore même
complémentaires à celle du Christ.
Nous pouvons résumer en disant que le pluralisme
religieux, loin de diminuer ou d'atténuer l'universalité de la
médiation salvifique du Christ, l'atteste plutôt, car, les
multiples médiations restent des reflets sombres du mystère
salvifique du Christ.
Au plan théologique, considérer les autres
traditions comme des médiations nous engage à allier christologie
et pneumatologie sans pourtant les séparer, comme l'ont fait plusieurs
théologiens catholiques. On se souvient de la notification de la CDF au
sujet des thèses de Jacques Dupuis, insistant entre autres sur la non
séparation du Verbe et de Jésus et de leurs actions respectives.
La présence de l'Esprit dans les autres religions les conduit et les
ordonne celles-ci vers la pleine connaissance du mystère salvifique de
Jésus-Christ.
III- QUELQUES REPERES POUR
LE DIALOGUE INTERRELIGIEUX
Le domaine du dialogue interreligieux est vaste, et nombreux
sont les auteurs qui s'y sont investis. Il ne s'agit pas pour nous de reprendre
ici toutes les orientations développées, mais en guise de
propositions pastorales, nous voulons retenir trois suggestions en lien avec le
débat christologique.
1- Urgence d'une connaissance du Christ
catéchétique et personnelle approfondie
Le chrétien vit dans un monde où le pluralisme
religieux fait partie de la configuration normale des choses. S'il doit en
tirer profit, il ne peut simplement s'accommoder à cette
réalité sans courir le risque de porter un coup à son
adhésion au Christ. Evidemment, dans un tel contexte, être
chrétien devient une option religieuse parmi tant d'autres, susceptible
d'être abandonnée pour embrasser une autre alternative. Si le
pluralisme religieux entre dans la trame normale de la vie sociale, il ne doit
pourtant pas cesser de générer chez le chrétien
questionnement et inquiétudes qui le somment de justifier son
adhésion au Christ. Il s'agit d'aider les fidèles à donner
une réponse concrète à la question que pose Jésus
à ses disciples dans les évangiles : « Mais
pour vous, qui suis-je ? » ( Mc 8, 27). On dirait que tout
se passe comme dans la démarche que saint Ignace propose aux retraitants
dans ses Exercices spirituels : choisir résolument le
Christ contre en envers tout279(*). Comment se dérober à cet
impératif et ne pas désirer que la foi des fidèles soit
comme une maison bâtie sur le roc ? Adolphe Gesché dans
l'interrogation : « Pourquoi je crois en Dieu »,
essaie de se dire à lui-même les raisons de son adhésion au
Christ : « savoir que ma confession de Dieu est (ou est
devenue) un choix, en tout cas un acte de liberté. Et même, pour
moi, un acte de liberté qui libère. Les faits de
l'athéisme [et nous ajouterions du pluralisme religieux], de cette
possibilité [ou de cette réalité] de l'existence humaine,
fait découvrir, comme sur le vif, que la foi en Dieu (...) est un acte
de liberté, et que ma foi en Dieu n'est pas, et peut être chose
nécessaire, qui s'impose et s'inflige. »280(*) Le suivisme dans le
domaine de la foi est autant redoutable que le refus de Dieu. Le
chrétien ne peut faire l'économie de réviser les motifs de
son attachement à Dieu s'il veut garder ce lien libre de
l'aliénation, de l'infantilisme, de l'indifférentisme.
Ce qui vient d'être dit découle lui aussi d'une
connaissance catéchétique du Christ. S'attacher au Christ fait
suite à une certaine connaissance de lui sur laquelle s'appuie notre
choix. Il est toujours possible de traduire dans un discours
catéchétique la vérité de l'universalité
salvifique de la médiation du Christ. Pour préserver toute la
richesse du mystère salvifique, les pasteurs et les ministres doivent
s'atteler à montrer comment la personne du Christ accomplit les valeurs
contenues dans nos traditions et nos cultures. Comme nous l'avons vu dans le
dilemme moderne du Jésus historique et du Christ de la foi, la figure de
Jésus est devenue la préoccupation des sciences profanes, de la
philosophie et même des autres religions. Et évidemment cette
figure de Jésus affranchie de la foi de l'Eglise s'en trouve
réellement appauvrie (Jésus superstar, Jésus le
maître initiatique, le prophète...). Sans une solide formation, le
chrétien en contact avec cette source populaire d'opinions, il va sans
dire que son adhésion à cette personne du Christ sera fragile,
vacillante et même éphémère. A travers la
catéchèse, les fidèles devraient être conduits
à la vraie connaissance du mystère du Christ qui s'enracine dans
les Saintes Ecritures et dans la foi de l'Eglise contenu dans les symboles de
la foi.
Pour nous résumer sur la nécessité d'un
double mouvement de connaissance du Christ et d'adhésion à lui,
nous nous rappelons cet extrait du Directoire général de
catéchèse : « La foi, que la
catéchèse doit conduire à maturité peut être
enseignée sous deux aspects : soit comme adhésion
entière de l'homme à Dieu qui se révèle,
adhésion donné sous l'influence de la grâce (fides qua),
soit comme le contenu même de la révélation et du message
chrétien (fides quae). »281(*)
2- Assumer
l'altérité dans la rencontre des autres religions
La relation dialogique émerge de l'essence même
du christianisme. Claude Geffré pour le dire utilise l'expression :
« le caractère dialogal du christianisme »
ou « de la singularité du christianisme comme
religion de dialogue »282(*). Pour cela, il faut éviter de
d'absolutiser le christianisme comme voie exclusive du salut. C'est dans la
même logique que notre auteur suggère :
« Au moment même où nous confessons
que Jésus Christ est l'unique source du salut, c'est le paradoxe
même de l'incarnation, c'est-à-dire la manifestation de l'Absolu
dans et par une particularité historique qui nous invite à ne pas
absolutiser le christianisme comme voie exclusive de salut. Nous sommes devenus
très sensibles à la particularité historique du
christianisme au sein des religions du monde alors que la prétention
universaliste du christianisme n'est pas vérifiée
historiquement. »283(*)
On se souvient que le dialogue comme initiative de
rapprochement des religions remonte au Concile Vatican II. Les textes
conciliaires ont rompu avec le rejet qui avait souvent
caractérisé l'attitude de l'Eglise vis-à-vis des autres
religions. Ce refus d'absolutiser le christianisme que suggère
Geffré a donc rendu possible le dialogue. Le chercheur dominicain,
à la lumière du concept de
« christianité », réinterprète le
statut du christianisme : « L'unicité du
christianisme comme religion issue de l'évènement central qui est
Jésus Christ est alors plutôt de l'ordre de la manifestation, du
sacrement, en somme le signe et la tenue à visibilité de ce qui
se passe aussi ailleurs. »284(*) Evidemment dans le prolongement de l'intuition
de Vatican II, un travail reste à faire compte tenu de l'attitude que
les chrétiens affichent encore parfois en face des adeptes d'autres
religions. Le dialogue n'est pas une option pastorale facultative parce
« le dialogue interreligieux est d'abord une rencontre de
personnes, de croyants et de croyantes mis en présence d'autres
croyants. »285(*)
Aujourd'hui, tel que cela se dégage des
développements des chapitres précédents, on tend plus
à concéder aux traditions religieuses une valeur propre. Au plan
pratique, cela doit pouvoir se traduire par une certaine façon de se
situer face à l'altérité. Bien souvent, chacun n'est-il
pas enclin à afficher un air de condescendance en face des autres
traditions religieuses ? La manière juste de se situer devant
l'altérité consiste à se débarrasser des
préjugés « vis-à-vis des autres et de leur
tradition religieuse, (...) surmonter les préjugés ;
l'ouverture dispose à la découverte et à la connaissance
du mystère présent et actif en eux. »286(*) Jean-Claude Basset a
donc insisté à dessein sur le fait que le dialogue exige aussi le
droit à la différence ; cela signifie aussi que
« le droit de se définir soi-même implique, pour
chaque partenaire, le devoir de renoncer à toute position de
privilège découlant d'une affirmation dogmatique ou d'une
expérience religieuse (...) Cette égalité des partenaires
peut se situer à deux niveaux. Ce peut être une attitude pratique,
on pourrait presque dire tactique, qui ne préjuge en rien des
convictions de chacun, [de sa] relation au salut et à la
vérité (...) Ce peut être aussi un changement radical, une
conversion dans la perception des autres traditions, et finalement de la sienne
propre. »287(*) Il ne s'agit pas comme beaucoup le
suggèrent, de mettre sa propre foi entre parenthèse. Il n'existe
pas de véritable dialogue lorsqu'on refuse d'être soi-même.
Le réel dialogue n'est que le fruit d'une fidélité
à son identité religieuse et dans l'ouverture et à la
découverte de celle de l'autre. Le théologien suisse le
résume encore clairement :
« Le dialogue requiert deux qualités
essentielles : d'une part un engagement explicite des interlocuteurs dans
leurs traditions respectives, et d'autre part une ouverture sincère
à l'égard des autres traditions. Sans enracinement
spécifique, il ne peut y avoir qu'un échange d'idées sur
un fond religieux, non dépourvu d'intérêt mais coupé
de la vie des croyants. Sans ouverture, il n'y a qu'une série de
monologues, un échange d'informations sans impact existentiel et sans
perspective de changement pour les traditions
religieuses. »288(*)
Par ailleurs, si pour le chrétien, le Christ est Dieu
faisant irruption dans l'histoire des hommes, cela ne peut être un motif
d'orgueil. Le christianisme devrait faire sienne le principe kénotique
dans lequel la gloire du Christ fait place à la contingence historique
et à la fragilité. Chaque chrétien, loin de se
considérer comme supérieur aux autres, devient celui dont parle
Jésus quand il dit : « A qui on a beaucoup
donné, il sera beaucoup demandé, à qui on aura
confié beaucoup, on réclamera davantage. » (Lc 12,
48). Le dialogue est donc un chemin de conversion et d'humilité à
travers lequel le chrétien est appelé à reconnaître
dans son interlocuteur, l'image de Dieu qui lui parle et l'interpelle sans
cesse. Jésus met en garde contre le danger de nous prévaloir par
rapport aux autres souvent pris pour moins privilégiés que nous
dans l'économie du salut, et de ne pas tirer profit du don que Dieu nous
fait : « En vérité, je vous le dis, les
publicains et les prostituées arrivent avant vous au royaume de
Dieu. » (Mt 21,31) La révélation est
définitive en Jésus non pas d'abord pour placer au-dessus de la
mêlée ceux qui croiront en lui. Quand Vatican II parle de germes
de vérités présentent dans les autres religions, il n'y a
aucun doute que se profile dans cette idée l'interrogation de savoir ce
que font les chrétiens de ce trésor dont Dieu les gratifie. Il
n'est certes pas admissible aujourd'hui de parler d'une
complémentarité dans l'ordre de la
révélation ; cela est contraire à notre foi comme l'a
bien souligné Dominus Iesus. Mais cela n'exclut pas d'envisager
une autre forme de complémentarité, surtout celle qui
découle d'un échange dans lequel les biens
appréciés chez les autres nous engageront à
réfléchir sur la manière dont ils sont autant
présents et malheureusement peu considérés chez nous
chrétiens. Claude Geffré propose dans ce sens « une
possible réinterprétation créatrice de la
vérité chrétienne à partir des autres
vérités religieuses »289(*) puisque d'après le chercheur dominicain,
la pédagogie même de Dieu dans l'histoire du salut, intègre
une fonction prophétique de l'étranger pour une meilleure
intelligence de sa propre identité.
Il est important aussi dans une démarche de dialogue de
distinguer deux pôles. Le premier est celui d'une base commune qui est
« la reconnaissance d'une donnée qui unit les croyants par
delà les différences de leurs traditions
respectives. »290(*) Le deuxième pôle est bel et bien
celui des spécificités propres à chaque tradition
religieuse.
Qu'il nous soit permis de mentionner pour finir que si
l'urgence du dialogue ne peut plus nous autoriser à différer le
rapprochement des traditions religieuses, a fortiori le pressant
besoin d'unité entre les chrétiens. Il est vrai, le débat
christologique face au phénomène du pluralisme religieux engage
davantage à penser la question de la relation entre religions. Comment
cette unité serait-elle envisageable si, l'émiettement
vertigineux au sein du christianisme tend à diminuer aux yeux des autres
l'importance de l'initiative isolée de dialogue de quelques
obédiences chrétiennes ? N'est-il pas profitable que le lieu
christologique soit davantage un prétexte d'unité pour ceux qui
se réclament du Christ ? Il faudrait saluer la
célébration de la semaine de l'unité des chrétiens.
Mais au sein des paroisses, les initiatives devraient davantage mobiliser les
chrétiens pour des rencontres : questions sociales, débats
et partages, expériences spirituelles de prière autour de la
parole de Dieu, oeuvres caritatives.
3- Redécouvrir la mission comme
proposition et témoignage
Nous avons souligné plus haut le caractère non
absolu du Christianisme. Cela permet déjà de sortir du danger du
prosélytisme et de l'impérialisme qui a souvent marqué
l'activité missionnaire du christianisme. Par exemple, on avait souvent
baptisé en masse pour prévenir les effets de la
malédiction de cham291(*). Une façon d'éviter ces
écueils dans le contexte du dialogue interreligieux, serait d'entrevoir
la mission - comme - proclamation dans une perspective de proposition tel que
cela transparait dans Redemptoris missio :
« La foi exige la libre adhésion de
l'homme, mais elle doit être proposée parce que les "multitudes
ont le droit de connaître la richesse du mystère du Christ, dans
lequel nous croyons que toute l'humanité peut trouver, avec une
plénitude insoupçonnable, tout ce qu'elle cherche à
tâtons au sujet de Dieu, de l'homme et de son destin, de la vie et de la
mort, de la vérité.[ ...] C'est pourquoi l'Eglise garde vivant
son élan missionnaire, et même elle veut l'intensifier dans le
moment historique qui est le nôtre. »292(*)
Si l'activité missionnaire est perçue sous
l'angle d'une proposition, elle s'expose moins aux écueils de
prosélytisme impérialisme susmentionnés.
La deuxième proposition est le témoignage. On
se souvient de ces paroles de Paul VI : «Notre monde
d'aujourd'hui a plus besoin de témoins que de maîtres
»293(*) C'est
dire qu'au-delà de l'abondance des discours, la
crédibilité d'un discours religieux se joue dans sa
capacité à relever l'homme. C'est dans ce sens que Tarek Mitri
écrit : « Au-delà du respect, l'engagement
dans le dialogue témoigne de l'amour du Christ. C'est une affirmation de
la vie contre les forces de la destruction et du chaos et une participation
à l'effort de tous ceux qui cherchent à réaliser, sans
grandes illusions, une communauté humaine
meilleure. »294(*) C'est ici que le génie de Hans
Küng parait clairement dans la manière de finaliser les religions
par la recherche de la paix dans le monde. Il parle précisément
dans la nomenclature des critères d'une religion du «
critère éthique général (...) authentiquement
humain, [il faut vérifier] qu'elle[la religion] ne détruit pas la
véritable humanité, mais la protège et la
promeut. »295(*) L'Eglise est fortement engagée dans les
actions caritatives et les oeuvres sociales. Cette attention aux faibles et aux
pauvres est alors une façon de manifester au monde l'option
préférentielle pour les pauvres qui a animé la vie de
Jésus. Cette intuition a été bien perçue par Paul
Knitter dans sa christologie représentation et corrélative quand
il prône une action de libération en faveur des opprimés de
tous ordres de notre société.
De façon concrète, les pasteurs devraient
encourager les chrétiens qui vivent parmi d'autres croyants à
vivre une charité non sélective qui s'étendent à
tous, tant et si bien qu'il apparaisse clairement que le témoignage soit
compris comme l'aboutissement de devenir chrétien. Sans cette vie de
témoignage, la foi reste encore comme emprisonnée. S'en
détourner revient à refuser d'être missionnaire. Nous
demeurons convaincu que si le Seigneur nous enjoint à l'annonce de la
Parole (cf. Mt 28, 20), c'est qu'il désire s'engager à susciter
la conversion dans les coeurs de ceux à qui la parole est
annoncée. Cependant, il le fait avec autant de force selon que la parole
est annoncée par la proclamation orale - nous l'avons dit plus haut -,
ou qu'elle est annoncée par le témoignage de vie. Nous pouvons
lire dans le directoire pour la catéchèse une bonne
synthèse de nos propos sur cette double dimension de la mission
aujourd'hui : « Le ministère de la Parole, dans
l'évangélisation, transmet la Révélation par
l'Eglise, en utilisant des « paroles » humaines. Mais
celles-ci sont toujours référées aux
« oeuvres » : à celles que Dieu a accomplies et
continue d'accomplir, surtout dans la liturgie, au témoignage de vie des
chrétiens ; à l'oeuvre de transformation que ceux-ci, avec
tant d'hommes de bonne volonté, réalisent dans le
monde. »296(*)
Au final, nous avons dans un chapitre tenté une
justification de l'universalité et de l'unicité de la
médiation salvifique du Christ dans le contexte du pluralisme religieux.
Nous pouvons retenir que cette médiation est unique à cause de la
double nature dans la personne du Christ. Cette médiation est
universelle de part sa signification pour l'humanité entière.
Cependant, l'existence des autres médiations dans les diverses
traditions religieuses loin d'altérer celle du Christ, l'exprime, certes
de façon incomplète.
CONCLUSION GENERALE
Somme toute, que faut-il retenir ? Notre étude
était guidée par une interrogation principale : comment
concilier l'universalité du salut en Jésus avec le
phénomène du pluralisme religieux ? L'unique
médiation salvifique du Christ est-elle encore justifiable dans la
période contemporaine ? Cette problématique traduit le
défi auquel la christologie contemporaine est soumise.
Avant de nous pencher sur les investigations christologiques
contemporaines en lien avec la problématique, il nous a paru important
de rappeler la théologie du Logos comme principale
réaction christologique de l'Eglise primitive face au pluralisme
religieux à l'époque antique : Justin et le Logos
spermatikos, Clément d'Alexandrie et la praeparatio
evangelica et Irenée de Lyon et la théologie de la
récapitulation. Or, une période de répit suivit la
persécution et vit l'Eglise être érigée en religion
d'Etat. Dans cette période, la maxime de Cyprien et
d'Origène (« hors de l'Eglise point de salut »)
visant à l'origine la préservation de l'unité et
adressée aux hérétiques et aux schismatiques, fut
étendue à la situation de ceux qui n'appartenaient pas à
l'Eglise. Progressivement, certains facteurs (découvertes de nouvelles
terres et différents schismes) vont précipiter le passage de
l'exclusivisme ecclésiologique issu d'une certaine interprétation
de la formule à l'exclusivisme christologique plus englobant.
L'exclusivisme a été (même sous la forme de la
théorie de récapitulation de Jean Daniélou et de Henri de
Lubac) une réponse à la question que pose le pluralisme religieux
à la foi chrétienne.
En réalité, si l'ère de l'exclusivisme a
été révolue avec le concile Vatican II inaugurant un
nouveau regard sur les autres religions, c'est qu'au niveau théologique
les choses sont avancées. Plus encore, la situation de la
modernité frappe l'option de l'exclusivisme du sceau de l'archaïsme
et lui reproche l'étroitesse de son regard. Le pluralisme religieux,
à cause de ses incidences sociopolitiques et juridiques
(laïcité, Droit de l'homme), prend un visage particulier au sein de
la société moderne, surtout à l'itinéraire
gestationnel de l'Etat laïque. N'a-t-on pas été sommé
de constater que le religieux que l'Etat moderne avait mission de faire
disparaitre, s'est comme démultiplié sous la forme du pluralisme
religieux et se présentant du même coup comme une composante
incontournable de la société que le politique se doit
d'intégrer ? Le pluralisme religieux avec lequel la christologie est aux
prises est d'essence contemporaine, autrement dit, celui-ci n'apparait pas
uniquement comme la configuration d'une pluralité d'options religieuses.
Il s'inscrit dans le projet de la postmodernité comme l'avènement
irréversible de la pluralité, nourrissant l'horreur de
l'unitarisme absolutiste même sous la forme religieuse d'une
unicité de la médiation salvifique du Christ. Dans ce contexte,
deux grands courants marqueront le débat théologique :
l'inclusivisme christologique et le théocentrisme. L'inclusivisme
constitue assurément dans cette perspective la première
réponse ouverte au phénomène du pluralisme religieux. Pour
cette approche, le Christ est cause du salut de l'humanité. Il peut
être perçu comme cause formelle du salut (inclusivisme
constitutif). C'est dans ce sillage que s'inscrivent les approches de Karl
Rahner avec la théorie des « chrétiens
anonymes », de Jacques Dupuis et de Walter Kasper. En revanche, le
Christ peut aussi être cause de salut dans la mesure où en lui, le
salut est définitif et indépassable, sans pour autant exclure que
d'autres figures en soient aussi des canaux (inclusivisme normatif de Hans
Küng par exemple). D'autres tentatives cependant approchent
l'intelligibilité par l'analogie - c'est le cas de l'approche
incarnationnelle de la christologie africaine ou de Pannikar -, ou par
comparaison avec d'autres figures salvifiques sous l'angle de la
sacramentalité historique du salut qui vient de Dieu (Schillebeeckx).
La dernière approche est le théocentrisme qui,
pour l'essentiel, transpose sur la figure du Christ le projet de
désabsolutisation du christianisme initié par les penseurs comme
Tillich et Troeltsch. A la suite de ces derniers, certains vont pour ainsi dire
réviser la christologie en niant par exemple l'affirmation pour eux
aberrante du Dieu incarné réduite à une métaphore
(John Hick). D'autres encore soutiendront qu'étant une figure salvifique
parmi tant d'autres, la révélation issue de lui doit être
complétée par d'autres et servir des causes de libération
des opprimés (Paul Knitter) et de rapprochement des peuples (John Cobb).
Le constat est évident : pour le théocentrisme,
l'universalité de la médiation salvifique du Christ est
injustifiable.
L'étude approfondie de l'inclusivisme christologique
et du théocentrisme nous a permis d'amorcer dans le quatrième
chapitre une justification de l'universalité et de l'unicité de
la médiation salvifique du Christ. Le pluralisme - qui prône le
théocentrisme - exploite une caractéristique de
l'épistémologie postmoderne, celle du culte de la
pluralité, prolongeant de ce fait le perspectivisme nietzschéen.
Ensuite, ce courant interprète d'une certaine façon des passages
johanniques où Jésus est présenté en
dépendance d'action par rapport à son Père. Enfin, ce
courant, dans une sorte d'amalgame entretenue entre culture et religions,
comprend l'universalité de la médiation du Christ comme une
entorse faite aux autres cultures qui n'adhèrent pas massivement au
christianisme. Il a fallu montrer que l'universalité de la
médiation salvifique transcende le cadre épistémologique
ou culturel, émerge même de la pensée johannique. Cette
médiation n'est pas exclusive des autres médiations des
traditions religieuses. Elle est relationnelle ; parce que liée
à la consubstantialité du Verbe incarné avec la nature
humaine, elle se manifeste bien que de manière incomplète, dans
toutes les autres médiations, comme leur source et leur fondement. Dans
cette perspective, peuvent se dégager, comme nous l'avons montré,
quelques repères utiles dans le dialogue interreligieux.
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Jean, TIII, Seuil, Paris, 321p.
73. Walter KASPER, Jésus le Christ, Coll.
« Cogitatio fidei » n° 88, Cerf, Paris, 1976, 426
p.
V- REVUES
74. Bernard SESBOUE, « Karl Rahner et les
« chrétiens anonymes » dans Etudes, 5, Vol
361, novembre 1984, pp. 521-535.
75. Camil MENARD, « L'universalité du salut
en Jésus le Christ d'après Schillebeeckx » dans
Laval théologique et philosophique, vol. 50, n°2, 1994,
pp. 283-296.
76. CDF, « Lettre De La Sacré
Congrégation Pour La Doctrine De La Foi Au P.E.
Schillebeeckx ». Note annexe, dans La Documentation
catholique, n° 1812, juillet 1981, pp. 667-670.
77. David TRACY, « Le retour de Dieu dans la
théologie contemporaine » dans Concilium, n°256,
1994, pp. 55-66
78. David BARRETT, « Il était une
fois...l'évangélisation du monde » dans
Fac-réflexion, n°4, Avril 1987, pp. 12-17
79. Edward SCHILLEBEEKX, « Universalité
unique d'une figure religieuse historique nommée Jésus de
Nazareth » dans Laval théologique, vol. 50, n°2,
1994, pp. 265-281
80. François BOUQUET, « Le pluralisme
religieux » dans LACOSTE Jean-Yves (dir), Dictionnaire critique
de théologie, PUF, Paris, 2007, pp. 1100-1103.
81. Giovanni FILORAMO, « Pluralisme religieux et
crises identitaires », in Diogène 2002/3, n°
199, pp. 34-51.
82. Hans KÛNG, « Pour une théologie
oecuménique. Quelques thèses pour clarifier la
question. » dans Concilium, n° 203, 1986, pp.
151-159.
83. Jacques DUPUIS, « Le débat christologique
dans le contexte du pluralisme religieux. » dans Nouvelle Revue
Théologique, T. 113, n°6, novembre-décembre 1991, pp.
853-863.
84. Jean RENARD, « Thèses pour une
théologie pluraliste des religions » dans Laval
théologique et philosophique, vol. 38, n°1, 2002, pp. 27-42
85. John THIEL, « Le pluralisme dans la
vérité théologique » dans Concilium,
n°256, 1994, pp. 79-93.
86. Joseph FAMEREE., « Pluralité des
religions et unicité du salut » dans Revue
Théologique de Louvain, n°35, fascicule 4,
octobre-décembre 2004, pp. 510-517.
87. Joseph MOINGT, « La christologie de l'Eglise
primitive. Le coût d'une médiation culturelle » dans
Concilium, n° 269, 1997, pp. 85-96.
88. Paul KNITTER, « La théologie catholique
des religions à la croisée des chemins.»,
Concilium, n° 203, 1986, pp. 129-138
89. Pierre GISEL, « Les limites de la christologie
ou la Tentation d'absoluité » dans Concilium, n°
269, 1997, pp. 85-96.
90. Pierre GISEL., « Tâche et fonction
actuelles de la théologie. Déplacements et perspectives dans le
contexte contemporain » dans Revue théologique de
Louvain, n° 35 fascicule 3, juillet-septembre 2004, pp. 289-315.
91. Walter KASPER, « Jésus-Christ, Verbe
définitif de Dieu », dans Communio, n°XXVI, 5,
septembre- octobre 2001, pp. 14-24
92. IDEM, « L'unité de Jésus-Christ et
la diversité des religions » dans Questions
actuelles, n° 21, septembre-octobre 2001, pp. 25-28.
VI- SITES INTERNET
www.forums.france5.fr/cdanslair/Religions/statistique-religions-chretiennete-sujet_348_1.h
www.vatican.va
www.sedos.org/french/geffre.htm
TABLE DES MATIERES
ABREVIATIONS ET SIGLES
i
DEDICACE
iii
REMERCIEMENTS
iv
CHAPITRE I : LE PHENOMENE DU PLURALISME
RELIGIEUX : PANORAMA ET ANALYSE
4
I- LE PLURALISME DANS L'EGLISE ANTIQUE
4
1- L'univers religieux de la période
antique
4
a- Le judaïsme
5
b- Le paganisme
6
2- La christologie du Logos
7
a- Justin et le logos
spermatikos
7
b- Clément d'Alexandrie et la
praeparatio evangelica
8
c- Irénée de Lyon et la
théologie de la récapitulation
9
II- THEOLOGIE MEDIEVALE ET D'APRES ET LE
PLURALISME RELIGIEUX
10
1- Aux origines de
l'exclusivisme ecclésiologique: « Hors de l'Eglise, pas
de salut »
10
2- Vers l'exclusivisme christologique
11
3- La théorie de
l'accomplissement
13
4- Vatican II et la réhabilitation
des religions non-chrétiennes
15
III- LE PLURALISME RELIGIEUX COMME UNE QUESTION
CONTEMPORAINE
17
1- Le cadre socio-politique moderne
17
2- Le dilemme moderne du Jésus
historique et du Christ de la foi
22
3- La question doctrinale
25
CHAPITRE II : CHRISTOLOGIE INCLUSIVISTE
28
I- L'INCLUSIVISME CHRISTOLOGIQUE
CONSTITUTIF
29
1- Karl Rahner et les
« chrétiens anonymes »
29
a- L'anthropologie et la
christologie transcendantales
29
b- « Chrétiens
anonymes » controversé
32
2- Jacques Dupuis vers la christologie
trinitaire
36
a- Le contexte théologique
36
b- chemin vers l'approche christologique
trinitaire
37
3- Walter Kasper et l'approche
christologique et trinitaire
42
II- L'INCLUSIVISME CHRISTOLOGIQUE
NORMATIF
44
1- Hans Küng et une théologie
oecuménique
45
2- Hans Kessler et Karl
Josef Kuschel : perspective christologique kénotique et
eschatologique
46
III- LES APPROCHES SACRAMENTALISTES ET
INCULTURATIONNELLES
48
1- L'approche sacramentaliste de
Schillebeeckx
48
2- Approches inculturationnelles
51
a- Le Christ inconnu de Raimundo
Pannikar
51
b- Chemins vers une
christologie africaine
54
CHAPITRE III : LE CHRIST DANS LE
PLURALISME
57
I- ENJEUX ET FONDEMENTS DU PLURALISME
57
1- Le pôle sociétal
57
2- Le pôle théologique
58
II- LES CHRISTOLOGIES REVISIONNISTES
60
1- Christologie théocentrique de Stanley
Samartha
60
2- John Hick et la christologie mythologique
63
a-Préalable philosophique et
théologique
63
b- Le Christ mythologique
66
III- LES CHRISTOLOGIES A CONNOTATION
PERFORMATIVE
70
1- La christologie
représentationnelle et corrélationnelle de Paul Knitter
70
2- La christologie des transformations
créatrices de John Cobb
74
CHAPITRE IV : L'UNIVERSALITE DE LA
MEDIATION SALVIFIQUE FACE AUX AUTRES RELIGIONS
77
I- PROBLEMES LIES A L'AFFIRMATION DE L'UNIVERSALITE
DE LA MEDIATION SALVIFIQUE DU CHRIST
77
1- Le problème du langage
77
2- L'interprétation des Ecritures
79
3- L'amalgame entre christianisme et
culture
80
II- ESSAI DE COMPREHENSION DE L'UNVERSALITE
DE LA MEDIATION SALVIQUE DU CHRIST DANS LE CONTEXTE DU PLURALISME RELIGIEUX
82
1- Médiation et
« médiations »
82
2- L'universalité salvifique de la
médiation du Christ
83
III- QUELQUES REPERES POUR LE DIALOGUE
INTERRELIGIEUX
87
1- Urgence d'une connaissance du Christ
catéchétique et personnelle approfondie
87
2- Assumer l'altérité dans la
rencontre des autres religions
89
3- Redécouvrir la mission comme
proposition et témoignage
92
CONCLUSION GENERALE
95
BIBLIOGRAPHIE
98
* 1 Cf.
www.forums.france5.fr/cdanslair/Religions/statistique-religions-chretiennete-sujet_348_1.h
* 2 Cf. BARRETT David,
« Il était une fois...l'évangélisation du
monde » dans Fac-réflexion, n°4, Avril 1987, pp.
12-17.
* 3 DORE Joseph,
« Préface » dans SOULETIE Jean-Louis, Les grands
chantiers de la christologie, coll. « Jésus et
Jésus-Christ », n° 90, Desclée, Paris, 2005,
p.8.
* 4 RIES Julien, Les
chrétiens parmi les religions. Des actes des apôtres à
Vatican II, Desclée, Paris, 1987, p. 19.
* 5 POUCOUTA Paulin, Paul,
notre ancêtre, Presses de l'UCAC, Yaoundé, 2001, p. 87.
* 6 BRAUN René,
« Le marcionisme » dans LACOSTE Jean-Yves (dir),
Dictionnaire critique de théologie, PUF, Paris, 2007, p.
836.
* 7 RIES Julien., Op.
Cit., p. 23.
* 8 Ibidem, p. 26.
* 9 RIES Julien., Op.
Cit., p. 44.
* 10 Cf. JUSTIN, Ire
Ap 5, 4 ; II 6,7 ; 7, 2-3, PAUTIGNY et ARCHAMBAULT (trad.), La
philosophie passe au Christ, l'oeuvre de Justin : Apologie I et II,
Dialogue avec Tryphon, Coll. Ichtus, Desclée de Brouwer, 1982, pp.
35-36 ; 105-107.
* 11 CTI, Le christianisme
et les religions, Centurion/Cerf, Paris, 1997, p. 49.
* 12 Cf. Ire Ap 44,
10 ; PAUTIGNY et ARCHAMBAULT (trad.), Op.Cit., p. 71.
* 13 IIe Ap 10,
2-3 ; PAUTIGNY et ARCHAMBAULT (Trad.), Op.Cit., p. 108.
* 14 RIES Julien., Op.
Cit., p. 60.
* 15 CLEMENT D' ALEXANDRIE,
Le pédagogue, Livre I, 59, 1 ; HARL Marguerite (Trad.), S
C n° 70, Cerf, Paris, 1960, pp. 215-217.
* 16 CTI, Op. Cit.,
p. 49.
* 17 CLEMENT D'ALEXANDRIE,
Les Stomates, I, 28, 1-3 ; SESTER Marcel (Trad.), S C, Cerf, Paris,
1951, p. 65.
* 18 Contre les
Hérésies, III, 18, 1-2 ; ROUSSEAU (Trad.), S C,
n°211, TII, Cerf, Paris, 1974, p. 186.
* 19 Ibidem, III, 6,
2 ; S C n° 211, p. 71.
* 20 DUPUIS Jacques, Vers
une théologie du pluralisme religieux, Cerf, Paris, 1997, pp.
99-100.
* 21 RIES Julien., Op.
Cit., p. 109.
* 22 RATZINGER Joseph., Le
nouveau peuple de Dieu, Aubier, Paris, 1971, p. 152, cité par
SESBOUË Bernard, Hors de l'Eglise, pas de salut. Histoire d'une
formule et problèmes d'interprétation, Desclée de
Brouwer, Paris, 2004, p. 54.
* 23 CYPRIEN, Lettre,
43, 5 cité par SESBOUË Bernard, Op.Cit., p. 52.
* 24 Cf. GREGOIRE de Nysse,
Discours catéchétique, XXX ; WINLING (trad.), S C,
n° 453, Cerf, Paris, p.279 cité par SESBOUË Bernard,
Op.Cit., p. 58.
* 25 SESBOUË Bernard,
Op. Cit., p. 59.
* 26 Ibidem, p. 63.
* 27AUGUSTIN, Du
baptême contre les donatistes, Livre IV, chapitres 17-24,
cité par SESBOUË Bernard, Op. Cit., p. 64.
* 28 Ibidem.
* 29 SESBOUË Bernard,
Op. Cit., p. 118.
* 30 Ibidem, p.
120.
* 31 Ibidem, p.
260.
* 32 BARTH Karl,
Dogmatique, I, 3, §62 ; Franc ( Trad.), Labor et Fides,
Genève, T.19, 1967, pp. 50-51 cité par SESBOUË Bernard,
Op. Cit., p. 262.
* 33 DUPUIS Jacques, La
rencontre du christianisme et des religions. De l'affrontement au
dialogue, Cerf, Paris, 2002, p. 83.
* 34 DANIELOU Jean, Essai
sur le mystère de l'histoire, Seuil, Paris, 1953, p. 113, 116,
cité par DUPUIS Jacques, La rencontre du christianisme et des
religions, Op.Cit., p. 84.
* 35 DE LUBAC Henri,
Fondement théologique des missions, Seuil, Paris, 1946, p.
72.
* 36 DUPUIS Jacques, La
rencontre du christianisme et des religions, Op.Cit., p. 86.
* 37 DE CHARDIN Teilhard,
Science et Christ, Seuil, Paris, 1965, pp. 60-61.
* 38 DE LUBAC Henri,
Paradoxe et mystère de l'Eglise, Aubier-Montaigne, Paris, 1967,
pp. 148-149.
* 39 Nostra Aetate,
n° 2.
* 40 Ad Gentes,
n° 9.
* 41 Lumen Gentium,
n° 17.
* 42 Ibidem,
n° 22.
* 43 DUPUIS Jacques, La
rencontre du christianisme et des religions, Op.Cit., p. 108.
* 44 FILORAMO Giovanni,
« Pluralisme religieux et crises identitaires », in
Diogène 2002/3, n° 199, p. 42.
* 45 Ibidem, p. 46.
* 46 GEFFRE Claude,
« Pluralité des théologies et unité de la
foi » dans LAURET Bernard (dir) et REFOULE François (dir),
Initiation à la pratique de la théologie, T.1, Cerf,
Paris, 1982, p. 119.
* 47 FILORAMO Giovanni,
Op. Cit., p. 43.
* 48 GISEL Pierre.,
« Tâche et fonction actuelles de la théologie.
Déplacements et perspectives dans le contexte contemporain »
dans Revue théologique de Louvain, n° 35 fascicule 3,
juillet-septembre 2004, p. 303.
* 49 Ibidem, p. 36.
* 50 MOINGT Joseph, L'homme
qui venait de Dieu, Cerf, Paris, 1993, p. 226.
* 51 Ibidem, p.
229.
* 52 MARLE René,
Notes inédites citées par SESBOUË Bernard,
Jésus Christ à l'image des hommes, Desclée de
Brouwer, Paris, 1997, pp. 96-97.
* 53 SESBOUE Bernard,
Jésus Christ à l'image des hommes, Op.Cit., p. 99.
* 54 DUPUIS Jacques,
« Le débat christologique dans le contexte du pluralisme
religieux. » dans Nouvelle Revue Théologique, T.
113, n°6, novembre-décembre 1991, p. 860.
* 55 Cf. BAUM Gregory,
Etonnante Eglise. L'émergence du catholicisme solidaire,
Bellarmin, Montréal, 2006, pp. 172-187.
* 56 CDF,
Déclaration Dominus Iesus, sur l'unicité et
l'universalité salvifique de Jésus Christ et de l'Eglise,
Edition du Cerf, Pari, 2000, n° 3.
* 57 Cf. DONDEYNE Albert,
« Le malaise christologique contemporain » dans DONDEYNE
Albert (et alii), Jésus Christ, Fils de Dieu, Facultés
universitaires Saint-Louis, Bruxelles, 1981, p. 31.
* 58 RATZINGER Joseph, La
foi chrétienne hier et aujourd'hui, Cerf, Paris, 2005, p. 114.
* 59 FAMEREE Joseph.,
« Pluralité des religions et unicité du
salut » dans Revue Théologique de Louvain, n°35,
octobre-décembre 2004, p. 512.
* 60 GIBELLINI Rosino,
Panorama de la théologie au XXe siècle, Cerf,
Paris, 1994, p. 591.
* 61 DUPUIS Jacques, La
rencontre du christianisme et des religions, Op. Cit., p. 78.
* 62 DUPUIS Jacques,
« Le débat christologique dans le contexte du pluralisme
religieux », Op. Cit., p. 857.
* 63 Ibidem.
* 64 GEFFRE Claude,
Profession théologien. Quelle pensée pour le
XXIè siècle, Albin Michel, Paris, 1999, p.
148.
* 65 DUPUIS Jacques, La
rencontre du christianisme et des religions, Op. Cit., p. 257.
* 66 MAURICE Evelyne, La
christologie de Karl Rahner, coll. « Jésus et
Jésus-Christ. », n°65, Desclée, Paris, 1995, p.
216.
* 67 SESBOUE Bernard,
« Karl Rahner et les « chrétiens
anonymes » dans Etudes, 5, Vol 361, novembre 1984, p. 523.
* 68 Ibidem.
* 69 Ibidem.
* 70 RAHNER Karl,
Traité fondamental de la foi, Centurion, Paris, 1983, p. 32.
* 71 Ibidem, p. 34.
* 72 Ibidem, p.
154.
* 73 Ibidem, p.
203.
* 74 Cf. Ibidem, pp.
257-258.
* 75 Ibidem, pp.
342-343.
* 76 Ibidem, p.
160.
* 77 Ibidem, p.
208.
* 78 WOUNG DOB Daniel,
L'unicité et l'universalité de Jésus-Christ chez
Rahner, herméneutique du « devenir-homme de Dieu »,
pour une affirmation de l'unité de la protologie et de
l'eschatologie, thèse de doctorat, Université pontificale La
Grégorienne, Rome, 2006, p. 28.
* 79 RAHNER Karl, Op.
Cit., p. 255.
* 80 Ibidem, p.
255.
* 81 KUNG Hans,
« Pour une théologie oecuménique. Quelques
thèses pour clarifier la question. » dans
Concilium, n° 203, 1986, p. 155.
* 82 KUNG Hans, Etre
chrétien, Seuil, Paris, 1978, p. 99.
* 83 DUQUOC Christian, Dieu
différent, Cerf, Paris, 1977, p. 139 cité par AEBISCHER-
CRETTOL Monique, Vers un oecuménisme interreligieux, Jalons pour une
théologie chrétienne du pluralisme religieux, Cerf, Paris,
2001, p. 326.
* 84 DUPUIS Jacques, Vers
une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Op.Cit.,
p. 223.
* 85 METZ Jean-Baptiste, La
Foi dans l'histoire de la société, Cerf, Paris, 1979, p.
185.
* 86 SOULETIE Jean-Louis,
Les grands chantiers de la christologie, Op.Cit., p. 66.
* 87 METZ Jean-Baptiste,
Op.Cit., p. 197.
* 88 DUPUIS Jacques, Vers
une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Op.Cit.,
p. 224.
* 89 BALTHASAR Hans Urs Von,
Cordula ou épreuve décisive, Beauchesne, Paris, 1968, p.
86.
* 90 DUPUIS Jacques, Vers
une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Op.Cit.,
p. 224.
* 91 VAN STRAELEN Henry,
L'Eglise et les Religions non chrétiennes au seuil du XXIe
siècle, p. 308 cité par AEBISCHER - CRETTOL Monique,
Op.Cit., p. 330.
* 92 VAN STRAELEN Henry,
Op.Cit., p. 308.
* 93 GEFFRE Claude, De
Babel à la Pentecôte. Essai de théologie
interreligieuse, Cerf, Paris, 2006, p. 45.
* 94 SESBOUE Bernard,
« Karl Rahner et les « chrétiens
anonymes », Op.Cit., p. 529.
* 95 Cf. JEAN PAUL II,
Redemptoris missio, nn° 5-11.
* 96 Cf. LUBAC Henri De, Le
fondement théologique de la mission, Op.Cit., pp. 15-18.
* 97 SOULETIE Jean-Louis,
Op.Cit., p. 21-22.
* 98 DUPUIS Jacques, Homme
de Dieu, Dieu des hommes. Introduction à la christologie, Cerf,
Paris, 1995, p. 66.
* 99 Ibidem.
* 100 Cf. SOULETIE Jean-Louis,
Op.Cit., pp. 170-172.
* 101 DUPUIS Jacques,
Jésus-Christ à la rencontre des religions,
Desclée de Brouwer, Paris, 1989, p. 24.
* 102 Redemptoris
Missio, n° 6.
* 103 DUPUIS Jacques, La
rencontre du christianisme et des religions, Op.Cit., p. 219.
* 104 Ibidem, p.
225.
* 105 Ibidem, p.
226-227.
* 106 Ibidem, p.
243.
* 107 Ibidem, p.
242.
* 108 DUPUIS Jacques,
Jésus Christ à la rencontre des religions, Op.Cit., p.
13.
* 109 Ibidem., p.
246-247.
* 110 Ibidem, p.
247.
* 111 DUPUIS Jacques, Vers
une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Op.Cit.,
p. 289.
* 112 Ibidem.
* 113 DUPUIS Jacques, La
rencontre du christianisme et des religions, Op. Cit., p. 259.
* 114 Ibidem, p.
259.
* 115 Ibidem.
* 116 DUPUIS Jacques, Vers
une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Op.Cit.,
p.317.
* 117 Ibidem, p.
313.
* 118 Ibidem, p.
314.
* 119 SESBOUE Bernard,
Jésus-Christ dans la tradition de l'Eglise, coll.
« Jésus et Jésus-Christ », n°17,
Desclée, Paris, 1982, p. 217.
* 120 BARNES M. ,
Christian Identity and religious pluralism. Religions in Conversation,
Abingdon Press, Nashville, 1989, pp.135-159 cité par DUPUIS Jacques,
Vers une théologie chrétienne du pluralisme religieux,
Op.Cit., p. 317.
* 121 DUPUIS Jacques, Vers
une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Op.Cit.,
p. 317.
* 122 CDF, Notification
sur le livre du père J. Dupuis, sj, « Vers une
théologie chrétienne du pluralisme religieux »
dans
http://www.vatican.va/roman_curia/congregations
/cfaith/documents/rc_con_cfaith_doc_20010124_dupuis_fr.html
* 123 Ibidem
* 124 GEFFRE Claude,
Profession théologien, Op.Cit., p. 206.
* 125 KASPER Walter,
Jésus le Christ, Cerf, Paris, 1976, p. 75.
* 126 Ibidem, p.
13.
* 127 Ibidem, p.
51.
* 128 Ibidem, p.
84.
* 129 KASPER Walter,
« L'unité de Jésus-Christ et la diversité des
religions » dans Questions actuelles, n° 21,
septembre-octobre 2001, p. 26.
* 130 Ibidem.
* 131 Ibidem.
* 132 KASPER Walter,
« Jésus-Christ, Verbe définitif de Dieu »,
dans Communio, n°XXVI, 5, septembre- octobre 2001, p. 14.
* 133 Ibidem.
* 134 Ibidem.
* 135 KNITTER Paul,
« La théologie catholique des religions à la
croisée des chemins.», Concilium, n° 203,
Op.Cit., p. 133.
* 136 AEBISCHER-CRETTOL
Monique, Op.Cit., p. 348.
* 137 KÜNG Hans,
« Pour une théologie oecuménique des religions.
Quelques thèses pour clarifier la question. », Op.
Cit., p. 153.
* 138 Ibidem.
* 139 Ibidem.
* 140 Ibidem, p.
154.
* 141 Ibidem, p.
155.
* 142 HÛNG Hans, Une
théologie pour le troisième millénaire, Seuil, Paris,
1989, p. 348.
* 143 DUPUIS Jacques, Vers
une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Op.Cit.,
p. 234.
* 144 AEBISCHER- CRETTOL
Monique, Op.Cit., p. 370.
* 145 Ibidem, p.
371.
* 146 Cf. Ibidem..
* 147 KESSLER Hans,
« Pluralistische Religionstheologie und Christologie. Thesen und
Fragen » dans SCHWAGER Raymund (éd.),
Christus allein? Der Streit um die pluralistische
Religionstheologie, Herder,
Fribourg-en-Brisgau, 1996, p.164 cité par AEBISCHER,
Op.Cit., p. 371.
* 148 DUPUIS Jacques,
Jésus-Christ à la rencontre des religions, Op.Cit., p.
253.
* 149 MENARD Camil,
« L'universalité du salut en Jésus le Christ
d'après Schillebeeckx » dans Laval théologique et
philosophique, vol. 50, n°2, 1994, p. 289.
* 150 Ibidem, p.
284.
* 151 Ibidem, p.
285.
* 152 SCHILLEBEECKX Edward,
Le Christ, sacrement de la rencontre de Dieu, Cerf, Paris, 1967,
p.13.
* 153 Ibidem, p.
14.
* 154 Ibidem, p.
16.
* 155 Ibidem.
* 156 Ibidem.
* 157 Ibidem, p.
23.
* 158 SCHILLEBEECKX Edward,
L'histoire des hommes, récit de Dieu, Cerf, Paris, p.37
cité par MENARD Camil, Op.Cit., p. 291.
* 159 SCHILLEBEEKX Edward,
« Universalité unique d'une figure religieuse historique
nommée Jésus de Nazareth » dans Laval
théologique, Op.Cit., p. 266.
* 160 Ibidem, p.
267.
* 161 Ibidem, p.
273.
* 162 MENARD Camil,
Op.Cit., p. 295.
* 163CDF, « Lettre
De La Sacré Congrégation Pour La Doctrine De La Foi Au P.E.
Schillebeeckx ». Note annexe, dans La Documentation
catholique, n° 1812, juillet 1981, p. 668.
* 164
* 165 Cf. FEDOU Michel,
Regards asiatiques sur le Christ, coll. «Jésus et
Jésus-Christ », n°77, Desclée, Paris, 1998, p.
38.
* 166 PANNIKAR Raimundo,
Le Christ inconnu de l'hindouisme, p.158 cité par FEDOU Michel,
Op.Cit., p. 38.
* 167 FEDOU Michel,
Op.Cit., p. 40.
* 168 PANNIKAR Raimundo,
Op.Cit., p.162 cité par FEDOU Michel, Op.Cit., p. 40.
* 169 PANNIKAR Raimundo,
Op.Cit., p.170 cité par FEDOU Michel, Op.Cit., p.
41.
* 170 FEDOU Michel,
Op.Cit., p. 42.
* 171 Cf. Ibidem, p.
43.
* 172 PANNIKAR Raimundo,
Op.Cit., pp-19-20 cité par FEDOU Michel, Op.Cit., p.
45.
* 173 FEDOU Michel,
Op.Cit., p. 47.
* 174 EBOUSSI BOULAGA Fabien,
Christianisme sans fétiche, révélation et
domination, Présence Africaine, Paris, 1981, p. 61.
* 175 MVENG Engelbert,
L'Afrique dans l'Eglise : paroles d'un croyant, l'Harmattan,
Paris, 1985, p. 94.
* 176 JEAN PAUL II,
Discours aux Evêques du Kenya dans Documentation
catholique, n° 1787, 1er juin 1980, p. 534.
* 177 Cf. JEAN-PAUL II,
Exhortation Apostolique post-Synodale Ecclesia in Africa, Librera
Editrice Vaticana, Rome, n° 47-48.
* 178 ELA Jean-Marc, Ma
foi d'Africain, Karthala, Paris, 1985, pp. 35-56.
* 179 HEBGA Meinrad,
Emancipation d'Eglises sous-tutelles. Essai sur l'ère
post-missionnaire, Présence Africaine, Paris, 1976, pp. 94-95.
* 180 Ibidem, p.
101.
* 181 SAMBOU Ernest,
Rencontre et Altérité. Enjeu d'une christianisation en milieu
Joola, Doctorat de Théologie, Toulouse, 1983, p.XII, cité
par LUNEAU René, « Et vous, que Dites-vous de
Jésus-Christ » dans Chemins de la christologie
africaine, coll. « Jésus et Jésus-Christ,
n°25, Desclée, Paris, 1986, p. 22.
* 182 DE ROSNY Eric, Les
yeux de ma chèvre, Plon, Paris, 1981, p.297, cité par LUNEAU
René, Op.Cit., p. 23.
* 183 PENOUKOU Efoe Julien,
« Christologie au village » dans Chemins de la
christologie africaine, Op.Cit., pp. 76-106.
* 184 RENARD Jean,
« Thèses pour une théologie pluraliste des
religions » dans Laval théologique et philosophique,
vol. 38, n°1, 2002, p. 29.
* 185 AEBISCHER-CRETTOL
Monique, Op.Cit., p. 406.
* 186 GISEL Pierre,
« Les limites de la christologie ou la Tentation
d'absoluité » dans Concilium, n° 269, 1997, p.
94.
* 187 La position du
théocentrisme pluraliste repose sur une certaine interprétation
de ces versets. Nous exposerons l'interprétation orthodoxe de ces
passages dans le chapitre suivant, lors de la présentation des obstacles
à l'affirmation de l'universalité de la médiation
salvifique du Christ.
* 188 MOINGT Joseph,
« La christologie de l'Eglise primitive. Le coût d'une
médiation culturelle » dans Concilium, n° 269,
1997, p. 75.
* 189 Ibidem, p.
76.
* 190 Ibidem, p.
73.
* 191 AEBISCHER CRETTOL
Monique, Op.Cit., p. 418.
* 192 FEDOU Michel,
Op.Cit., p. 49.
* 193 SAMARTHA Stanley,
One Christ - many Religions. Toward a Revised Christology, Orbis
Books, Maryknoll, 1991, pp.84-85.
* 194 Ibidem, p.
92-93.
* 195 Ibidem, p.
102.
* 196 Ibidem, p.
114.
* 197 Ibidem, p.
117.
* 198 DONDEYNE Albert,
Op.Cit., pp. 31-38.
* 199 FEDOU Michel,
Op.Cit., p. 53.
* 200 KANT Emmanuel,
Critique de la Raison pure, PUF, Paris, 1980, p. 299.
* 201 Ibidem, p.
224.
* 202 HICK John, An
Interpretation of Religion, SCM Press, Londres, 1995, p. 243.
* 203 AEBISHER-CRETTOL
Monique, Op.Cit., pp. 435-436.
* 204 Ibidem, p.
437.
* 205 HICK John,
Op.Cit., p. 10.
* 206 Lorsque Hick critique
la prétention de supériorité d'une religion par rapport
aux autres, cela a un enjeu culturel, puisque cela engage aussi la culture
matricielle de la religion en question. L'hégémonie du
christianisme serait alors celle de la culture occidentale. Il crée donc
un amalgame entre religion et culture dans lequel l'affirmation de
l'universalité de la médiation salvifique du Christ devient une
violence faite à l'endroit des autres cultures. Nous y reviendrons au
prochain chapitre en analysant les obstacles actuels à la
compréhension du caractère universel de la médiation du
Christ.
* 207 Ibidem, p.
299-300.
* 208 Ibidem, p.
134.
* 209 COCHINAUX Philippe,
La théodicée de John Hick, présentation et
réflexions critiques, vol. I., Université Catholique de
Louvain, dissertation doctorale, 2003-2004, pp. 279-280.
* 210 HICK John,
Op.Cit., p. IX.
* 211 Ibidem, p.
2.
* 212 Ibidem, p.
80-88.
* 213 COCHINAUX Philippe,
Op.Cit., p. 289.
* 214 AEBISHER-CRETTOL
Monique, Op.Cit., pp. 454-455.
* 215 HICK John,
Op.Cit., p. 42.
* 216 Cf. Ibidem, p.
44.
* 217 Ibidem, p.
48.
* 218 HICK John,
Op.Cit., p. 78.
* 219 Ibidem, p.
44.
* 220 Cf. Ibidem, p.
112.
* 221 Cf. RATZINGER Joseph,
La foi chrétienne hier et aujourd'hui, Op.Cit., pp. 156-158.
* 222 DUPUIS Jacques, La
rencontre du christianisme et des religions, Op.Cit., p. 269.
* 223 Ibidem.
* 224 Ibidem.
* 225 AEBISCHER-CRETTOL
Monique, Op.Cit., pp. 480-481.
* 226 KNITTER Paul,
Horizonte der Befreiung, Auf dem weg zu einer pluralistischen
Theologie der Religionen, Bernd JASPERT (Ed.), Francfort-sur-le-Main,
1997, p. 20 cité par AEBISCHER-CRETTOL Monique, Op.Cit., p.
483.
* 227 Ibidem, p.
23.
* 228 KNITTER Paul,
« La théologie catholique des religions à la
croisée des chemins », Op.Cit., p. 135.
* 229 KNITTER Paul,
« Toward a Liberation theology of Religions », p. 185 dans
HICK John et KNITTER Paul, The myth of Christian Uniqueness: Toward a
pluralistic Theology of Religons, Orbis Books, Maryknoll, Neaw York,
1987.
* 230 Ibidem, p.
187.
* 231 AEBISCHER-CRETTOL,
Op.Cit., pp. 495-496.
* 232 KNITTER Paul, « Can
Our ``One and Only'' also Be a « One among Many» ?A response to
Responses » dans L. SWIDLER et P.MOJZES (Ed.) The Uniqueness of Jesus. A
dialogue with Paul E. Knitter, Orbis Books, Maryknoll, 1997, p. 156.
* 233 Ibidem, p.
157.
* 234 Ibidem.
* 235 KNITTER Paul, Ein
-Viel Religionem, p. 103 cité par AEBISCHER-CRETTOL Monique,
Op.Cit., p. 531.
* 236 KNITTER Paul,
« Can Our ``One and Only''...» », Op.Cit., p.
154.
* 237 Ibidem, pp.
160.
* 238 KNITTER Paul, Jesus
and the Other Names. Christian Mission and Global Responsibility, Orbis
Books, Maryknoll, New York, 1996. p. 72-80.
* 239 DUPUIS Jacques, Vers
une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Op.Cit.,
p. 430, n. 3.
* 240 CDF,
Déclaration Dominus Iesus, Op.Cit., n°6.
* 241 GOUNELLE André,
Le Christ et Jésus, trois christologies américaines :
Tillich, Cobb, Altizer, Desclée, coll. « Jésus et
Jésus-Christ », n°41, Desclée, Paris, 1990, p.
57.
* 242 Ibidem, p.
58.
* 243 Ibidem.
* 244 Ibidem.
* 245 Ibidem.
* 246 COBB John,
« Beyond ``pluralism'' » dans D'COSTA Gavin (Ed.),
Christian Uniqueness Reconsidered. The Myth of a pluralistic Theology of
Religions, Orbis Books, Maryknoll, 1990, p. 84 cité par
AESBISCHER-CRETTOL, Op.Cit., p. 618.
* 247 GISEL Pierre,
« préface » dans COBB John,
Bouddhisme-christianisme. Au-delà du dialogue ?, Labor et
fides, Genève, 1988, p. 11 cité par AEBISCHER-CRETTOL,
Op.Cit., p. 617.
* 248 DONDEYNE Albert,
« Le malaise christologique contemporain », dans Albert
DONDEYNE (et alii), Op.Cit., p. 31.
* 249 THIEL John,
« Le pluralisme dans la vérité
théologique » dans Concilium, n°256, 1994, p.
81.
* 250 Ibidem, p.
83.
* 251 GEFFRE Claude, Le
Christianisme au risque de l'interprétation, Cerf, Paris, 1983, p.
73.
* 252 KASPER Walter,
« Jésus-Christ, Verbe définitif de Dieu »
dans Communio, Op.Cit., p. 16.
* 253 « Popper, sir
Karl Raimund. » dans Microsoft® Encarta® 2009 [DVD].
Microsoft Corporation, 2008.
* 254 SAINT THOMAS
D'AQUIN, Commentaire sur l'Evangile de saint Jean, T II,
n°1971.
* 255 MARCHADOUR Alain,
L'évangile de Jean, Centurion, Paris, 1992, p.117.
* 256 LEON-DUFOUR Xavier,
Lecture de l'Evangile selon Jean, TIII, Seuil, Paris, p.138.
* 257 Ibidem.
* 258 Ibidem, p.
139.
* 259 EBOUSSI BOULAGA Fabien,
Op.Cit., p. 91.
* 260 Cf. RAHNER Karl,
Est-il possible aujourd'hui de croire ? Dialogue avec les hommes de
notre temps, Mame, Paris, 1966, pp. 141-143.
* 261 TRACY David,
« Le retour de Dieu dans la théologie
contemporaine » dans Concilium, n°256, 1994, p. 56.
* 262 Ad Gentes,
n°9.
* 263 Ibidem.
* 264 Dialogue et
annonce, n° 29.
* 265 Redemptoris
Missio, n° 5.
* 266 BOUQUET François,
« Le pluralisme religieux » dans LACOSTE Jean-Yves (dir) ,
Dictionnaire critique de théologie, Op.Cit., p. 1102.
* 267 DUPUIS Jacques, La
rencontre du christianisme et des religions, Op.Cit., p.261.
* 268 RAHNER Karl,
Traité fondamental de la foi, Op.Cit., p. 168.
* 269 Ibidem,
p.139
* 270 Ibidem,
p.323.
* 271 DUPUIS Jacques, Vers
une théologie chrétienne du pluralisme religieux, Op.Cit.,
p. 463.
* 272 Redemptoris
Missio, n°5.
* 273 DUPUIS Jacques, La
rencontre du christianisme et des religions, Op.Cit., p. 289.
* 274 Ibidem, p.
290.
* 275 BOUQUET François,
Op.Cit., p. 1102.
* 276 Ibidem.
* 277 Ibidem, p.
291.
* 278 DUPUIS Jacques,
Jésus-Christ à la rencontre des religions, Op.Cit.,
pp.192-193.
* 279 Cf. IGNACE DE LOYOLA,
Exercices spirituels, n° 23.
* 280 GESCHE Adolphe, Dieu
pour penser, III, Dieu, Cerf, Paris, 1994, p. 128.
* 281 CC, Directoire
général pour la catéchèse, Centurion/Lumen
vitae, Paris/Bruxelles, 1997, n° 36.
* 282 GEFFRE Claude, De
Babel à la Pentecôte, Op.Cit., p. 74.
* 283
www.sedos.org/french/geffre.htm
* 284 GEFFRE Claude,
Profession théologien. Quelle pensée pour le
XXIè siècle, Albin Michel, Paris, 1999, p.
140.
* 285 BASSET Jean-Claude,
Le dialogue interreligieux, histoire et avenir, Cerf, Paris, 1996, p.
284.
* 286 DUPUIS Jacques,
Jésus-Christ à la rencontre des religions,
Op.Cit., p. 301.
* 287 BASSET Jean-Claude,
Op.Cit., p. 298.
* 288 Ibidem, p.
303.
* 289 GEFFRE Claude, De
Babel à la pentecôte, Op.Cit., p. 55, n. 2.
* 290 BASSET Jean-Claude,
Op.Cit., p. 290.
* 291 ELA Jean-Marc,
Repenser la théologie africaine. Le Dieu qui libère,
L'Harmattan, Paris, 2003, p. 69.
* 292 Redemptoris
Missio, n° 8.
* 293 Evangelii
Nuntiandi, n° 41.
* 294 MITRI Tarek,
« Dialogue interreligieux » dans BRIA Ion, Dictionnaire
oecuménique de missiologie, cent mots pour la mission, Cerf/Labor
et fides/Clé, Paris/Genève/Yaoundé, 2001, p. 83.
* 295 KÜNG Hans,
« Pour une théologie oecuménique des religions.
Quelques thèses pour clarifier la question. », Op.
Cit.,, p. 154.
* 296 CC, Directoire
général pour la catéchèse, Op.Cit., n°
50.
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