B. Le modèle Anglais :
Ce modèle de gestion concerne l'Angleterre et le Pays
de Galles. Il constitue un "archétype" quasi unique d'une gestion
privatisée des services d'eau. A ce titre, il est intéressant
d'analyser les mécanismes qui permettent de contrôler la fixation
du prix au sein d'une organisation où les principaux acteurs sont
centralisés et nationaux.
1. Evolution du modèle :
La privatisation des services d'eau en Angleterre et au pays
de Galles ne date que de la fin des années 80. Auparavant, la
distribution d'eau potable était confiée aux collectivités
locales. Les années 70 seront marquées par la remise en cause de
la gestion par les collectivités locales, la gestion des services d'eau
se révèle largement défaillante, par manque de
compétence technique et manque de moyens financiers.
Deux dates seront décisives dans l'évolution du
modèle anglais :
· 1974, le Water Act instaurant la
régionalisation de la gestion : Face à la faiblesse des
collectivités locales, la gestion des services d'eau est alors
confiée en 1974 à des Regional Water Authorities pour l'eau et
l'assainissement (RWA), placées sous la tutelle conjointe du
Ministère de l'Agriculture et du Ministère de l'Environnement. A
la fois exploitants et responsables de la police de l'eau, les RWA sont
cependant critiquées pour leur position équivoque. Par ailleurs,
le manque de moyens financiers n'est pas résolu.
· 1989 : Privatisation des dix RWA : La
privatisation de l'ensemble des services d'eau et d'assainissement s'inscrit
dans une politique plus large de privatisation des services publics
menée par le gouvernement de Mme Thatcher. Les compagnies deviennent
propriétaires des installations, et doivent assumer la gestion de
l'exploitation et le financement des investissements. Le Water Act de 1989
sépare l'exploitation des services, confiée aux compagnies
privées, et les fonctions régaliennes de gestion des milieux et
de police des Eaux confiées à la National River Authoritv.
2. Les acteurs :
a) Les compagnies privées : Environ
dix grosses compagnies se partagent la production et distribution d'eau potable
au niveau supra-régional. Les effets d'échelle sont importants,
et les grands Water Boards anglais sont devenus très professionnels et
productifs depuis la privatisation. Ce sont eux qui possèdent les
installations, et programment et financent les investissements concernant
l'infrastructure et les services. Ils sont donc l'acteur essentiel de la
gestion de l'eau en Angleterre et au Pays de Galles.
b) L'acteur manquant: les collectivités
locales : Malgré la nature fortement locale du service de
distribution d'eau, les collectivités locales sont complètement
exclues de la gestion depuis le Water Act de 1974. Elles ont été
jugées incompétentes et trop faibles financièrement.
c) Des régulateurs nationaux puissants
:
- Le Drinking Water Inspectorate (DWI),
contrôle le respect des normes sanitaires
pour l'eau potable.
- L' Environment agencv (EA),
contrôle les aspects liés à la protection de
l'environnement autorisation de prélèvement et de
rejet, police des eaux.
- L'Office of Water Services (Ofwat), est
responsable de la régulation économique des
compagnies. Il fixe des limites de prix qui assurent une juste
répartition des gains entre consommateurs et Water Boards.
Ces régulateurs font partie de l'exécutif. Ils
peuvent toutefois avoir des exigences contradictoires notamment l'EA et
l'Ofwat.
d) L'Etat : Dans ce schéma
centralisé, le gouvernement détient un pouvoir important,
puisqu'il :
- exerce une tutelle sur les régulateurs, et a ainsi un
rôle d'arbitrage politique lorsque les positions de ceux-ci divergent
fortement.
- a un rôle d'orientation stratégique, et peut
imposer aux compagnies des mesures visant à améliorer le service.
Ce rôle d'orientation est le seul lien démocratique avec le
consommateur citoyen, et est donc particulièrement important.
L'organisation de la gestion des services d'eaux en Angleterre
est ainsi caractérisée par une très forte centralisation
et intégration des acteurs.
3. La fixation du prix suivant le « price cap
»:
Le prix est fixé par l'Ofwat pour une période de 5
ans. Durant cette période, l'augmentation des tarifs moyens doit rester
inférieure à « RPI + K» où :
- RPI (Retail Price Index of Inflation) représente le
taux d'inflation.
- K est fixé par l'Ofwat, de façon à
garantir des recettes permettant de financer les services (exploitation et
investissement) et de rémunérer les actionnaires sans surtaxer
les consommateurs.
4. Une régulation par comparaison :
La régulation "à l'anglaise ", repose sur la
comparaison des performances :
- Comparaison des coûts qui permet de fixer le price
cap,
- Suivi et comparaison d'indicateurs de performances
concernant la gestion technique (pression des conduites d'eau, interruption de
la distribution), mais aussi l'impact environnemental (disponibilité de
la ressource) et la gestion de la clientèle (réponses aux
plaintes écrites, contacts téléphoniques).
Cette comparaison entre les compagnies réintroduit la
concurrence au sein du monopole naturel.
Conclusion :
Le modèle anglais est caractérisé par :
- Un schéma d'organisation centralisé,
où les collectivités locales n'ont aucun rôle. Chacune
des dix grandes compagnies interagit avec un unique interlocuteur, l'Oftwat.
- La régulation par comparaison offre une grande
transparence dans les coûts et le suivi des performances des compagnies
à travers l'Ofwat, qui dispose d'importants moyens, la connaissance est
capitalisée, et les réajustements périodiques doivent
permettent d'arriver à un optimum collectif équitable entre
usager, actionnaire et exploitant.
- L'introduction du marché et de la concurrence
qui règle les relations entre les acteurs, et doit favoriser des gains
de productivité.
Néanmoins, et c'est le principal reproche formulé
aux compagnies privées anglaises, la compétition de marché
peut avoir des effets néfastes sur les choix d'investissements,
opérés à
court terme. Les opérateurs sont tentés
d'adopter des techniques à faible coût, privilégiant un
rapide retour sur l'investissement. Cela induit des externalités
négatives, en cas de mauvaise anticipation de la demande par exemple.
D'un autre côté, ce système pâtit d'un
déficit démocratique, car les usagers n'ont que peu de moyens de
se faire entendre dans ce concert centralisé.
C. Comparaison des deux modèles : 1.
Grille de lecture des modèles :
C'est l'importance des investissements (réseaux de
distribution, usines de traitement), très lourds et spécifiques,
qui a conduit les Etat à faire appel au secteur privé pour le
service public de distribution d'eau potable. Les acteurs principaux sont donc
à peu près les mêmes dans les deux modèles ;
toutefois, les acteurs clés et la répartition des pouvoirs entre
eux, varient fortement dans les deux modèles proposés, suivant le
degré de centralisation.
Trois points importants caractérisent le modèle
de service d'eau dans les deux pays. Le schéma ci-dessous illustre ces 3
points clés qui constitueront la grille d'analyse pour les deux autres
cas d'étude (modèle Marocain et modèle de la côte
d'ivoire).
Figure 17: Schéma d'une grille de lecture des
modèles de gestion de l'eau.
ORGANISATION
· Acteurs, rôles
· centralisation
· intégration
REGULATION
· A quel niveau (national ou local)?
· Sous quelle forme ?
FIXATION DU PRIX
· Par qui ?
· Quels enjeux ?
- Un mode d'organisation : les acteurs, les
types d'engagements, le contexte, le degré de centralisation et
d'intégration.
- La fixation des prix : par qui ? Suivant quels
enjeux ?
- La régulation : c'est à dire les
règles qui permettent de faire le lien entre l'organisation et la
fixation du prix, sous la forme d'un contrat, ou d'un arbitrage par un
tiers.
Comparons les deux modèles présentés
précédemment : un modèle centralisé (modèle
Anglais) et un modèle décentralisé (modèle
Français) avec cette grille de lecture (Tableau 33):
Tableau 33: Grille de lecture des modèles
Français et Anglais.
|
Modèle
décentralisé Français
|
Modèle centralisé Anglais
|
Les acteurs (organisation)
|
Collectivités locales
|
Rôle central.
|
Collectivités écartées.
|
Etat
|
Rôle faible
|
Rôle important (arbitrage et orientation).
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Compagnies privées
|
3 puissantes compagnies Système de
délégation
|
10 grandes compagnies Possèdent les installations
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La régulation
|
Niveau
|
Au niveau local (lors du choix du délégataire)
|
Au niveau national
|
forme
|
- Mise en concurrence
initiale
- Système contractuel
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Régulateurs nationaux
indépendants
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sanctions
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Menace de retours en régie
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Clairement définies :
pénalités
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Fixation du prix
|
Niveau de la maîtrise
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Local, négociation entre la collectivité et le
délégataire
|
National, fixation d'un
prix limite, révision tous les 5 ans.
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péréquation
|
Péréquation indirecte par
les agences de bassins
|
Péréquation au niveau
national
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Eléments de
la facture
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- Taxe pour les AB (17%) - Taxe pour l'Etat (TVA)
- Taxe assainissement (30%) - Fourniture d'eau (42%)
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Charge fixe
(tarification au volume si la consommation est
mesurée ou selon la valeur de la
propriété)
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2. La régulation :
Si les acteurs sont très peu intégrés
(séparation entre production, distribution et traitement de l'eau), les
relations doivent être "régulées" à chaque niveau,
c'est-à-dire encadrées pour éviter un abus de pouvoir.
A l'articulation entre l'organisation et la fixation du prix,
la régulation est l'outil qui permet d'encadrer et de contrôler la
façon dont l'instrumentation s'insère dans l'organisation, pour
que le pouvoir ne soit pas monopolisé par l'un des acteurs.
Les différents modes de régulation
(centralisée ou décentralisée) reflètent le
degré de centralisation des organisations et la répartition des
pouvoirs entre les acteurs.
· Avantages et inconvénients du
système français : c'est un système contractuel
et partenarial où les infrastructures restent dans le domaine publique,
par contre ce système souffre du manque de transparence et
d'informations du délégataire vers le délégant et
l'usager.
· Avantages et inconvénients du
système Anglais : c'est un système qui incite à
la productivité et où l'information est capitalisée par le
régulateur (Ofwat) pour un ajustement optimal, par contre ce
modèle pâtit en déficit démocratique et en
investissements à long terme.
3. L'instrument: la fixation du prix :
L'évaluation d'un service public passe par de nombreux
paramètres : couverture du service (principe d'universalité),
qualité du service (qualité du produit, fiabilité,
continuité, réponses aux plaintes, etc.). La fixation du prix est
aussi un élément clé dans l'évaluation des
relations entre exploitant (public ou privé) et usager.
L'instrumentation du prix varie selon l'organisation;
l'objectif est dans tous les cas d'avoir un service viable
financièrement, mais à celui-ci s'ajoute d'autres objectifs, qui
diffèrent dans les deux systèmes car les acteurs sont
différents :
- Dans le modèle français
décentralisé, le rôle central revient aux
collectivités locales, les objectifs sont donc également
politiques ;
- Dans le modèle anglais centralisé, le
rôle central est détenu par les compagnies privées,
l'objectif de rentabilité économique est donc présent,
avec obligation d'avoir un taux de retour sur investissement satisfaisant pour
les actionnaires.
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