ROYAUME DU MAROC MINISTERE DE L'HABITAT DE
L'URBANISME ET DE L'AMENAGEMENT DE L'ESPACE INSTITUT NATIONAL
D'AMENAGEMENT ET D'URBANISME RABAT
La gouvernance urbaine de l'eau et l'accès
aux
services de base des quartiers
précaires
(Cas de la ville de Safi)
Mémoire de 3éme cycle Pour
l'obtention du diplôme des études supérieures en
aménagement et urbanisme
Présenté et soutenu publiquement
Par
Mr. Ali Ighil
Sous la direction de Pr. Sabah.
Abouessalam
Membres du Jury :
Pr. Sabah. Abouessalam, professeur de l'enseignement
supérieur à l'INAU ; Pr. Aziz El Iraki, professeur de
l'enseignement supérieur à l'INAU ;
Pr. Mohammed Tamim, professeur de l'enseignement
supérieur à l'INAU ;
Rabat Novembre 2008
Remerciements
Je tiens à remercier les enseignants de l'institut
national d'aménagement et d'urbanisme de Rabat pour la science et
l'ouverture d'esprit qu'on a trouvé, mes collègues et moi,
auprès d'eux. Nous savons que c'est grâce à leur savoir et
à la réflexion qu'ils ont partagé avec nous que s'ouvrent
devant nous des horizons nouveaux et que nous pouvons prétendre mener un
travail de recherche aussi modeste soit-il.
Je remercie tout particulièrement mon encadrante Mme
Sabah Abouessalam pour sa disponibilité, sa confiance, et pour les
remarques et conseils qu'elle m'a prodigué au cours de
l'élaboration de ce travail.
Un grand merci aux habitants des quartiers Bouregba, Benzina
et Chaâba pour leur gentillesse, l'accueil chaleureux et le temps qu'ils
mont consacré.
Et un vif merci à ma famille qui m'a toujours soutenu,
réconforté et cru en moi dans cette formidable et unique
aventure. A mes parents, à ma femme, à ma fille Houda et mon fils
Hamza à qui je dédie ce travail.
Résumé :
La gestion de l'eau dans le domaine de l'hydraulique rurale
comme dans celui de l'hydraulique urbaine ne peut faire l'économie d'une
approche anthropologique de l'eau : la gestion technique et économique
de l'eau n'a de sens que dans le cadre d'une gestion sociale de la ressource,
conformément à l'organisation sociale des communautés en
présence : la question de l'eau demeure avant tout une question
éminemment sociale.
La question de l'accès à l'eau des quartiers
précaires et le droit à l'eau des populations pauvres, se pose
avec acuité et interroge les principes de bonne gouvernance et de
développement durable dans notre pays. L'objet de ce travail est
d'étudier la gestion du service de l'eau potable par une régie
autonome et d'éprouver ces principes et objectifs avec cette gestion
dans une ville du littoral marocain qui est Safi. Cette étude se fera
à travers le cas de l'équipement d'un quartier non
réglementaire de la ville en services de base dont l'eau potable.
Table des matières
INTRODUCTION GENERALE 10
I. Préambule: 11
II. Eléments de la problématique :
12
A. Le défi de l'urbanisation croissante :
12
B. L'eau, enjeu majeur des politiques urbaines:
13
C. La gouvernance locale et l'urbanisme
stratégique: 15
1. Apparition du concept de gouvernance :
15
2. Le Maroc et la gouvernance des services publics :
16
D. Le principe du droit à l'eau : 17
E. Accès à l'eau et développement
durable : 19
F. Place de l'usager et notion de service public :
20
III. Choix d'étude localisée, la ville de
Safi: 22
IV. Questions de recherche : 23
V. Hypothèses : 24
VI. Moyens d'approche : 25
VII. Méthodologie et Architecture du
mémoire: 26
PREMIERE PARTIE : LE SERVICE DE L'EAU POTABLE DANS LA
VILLE DE SAFI 28
I.
|
le cadre économique et
sociodémographique:
|
29
|
A.
|
Les repères naturels et historiques de Safi :
|
29
|
|
1.
|
le cadre naturel :
|
29
|
|
2.
|
Safi, la ville historique :
|
30
|
B.
|
|
L'administration et les élus locaux:
|
31
|
C.
|
|
Morphologie urbaine et contraintes d'aménagement
:
|
33
|
|
1.
|
La topographie de la ville, une contrainte naturelle
d'aménagement :
|
33
|
|
2.
|
Les contraintes techniques :
|
35
|
|
3.
|
Contraintes d'ordre juridique :
|
37
|
|
D.
|
|
Planification et documents d'urbanisme de Safi:
|
37
|
|
1.
|
Les Orientations de la planification:
|
37
|
|
2.
|
Evaluation des options d'aménagement:
|
39
|
|
E.
|
|
le parc habitat de la ville:
|
40
|
|
1.
|
Typologie de l'habitat :
|
40
|
|
2.
|
Déficit en logements :
|
42
|
|
F.
G.
|
|
La Démographie de la ville :
Activités économiques et perspectives de
développement :
|
43
44
|
|
1.
|
Le potentiel économique de la ville:
|
44
|
|
2.
|
Le défi environnemental :
|
46
|
|
3.
|
Perspectives de développement et
recommandations :
|
48
|
|
II.
|
|
Le Contexte hydrographique de la ville de Safi :
|
49
|
A.
|
|
Le bilan hydrique national:
|
49
|
|
1.
|
Le potentiel hydraulique et le stresse
annoncé :
|
49
|
|
2.
|
Contraintes d'utilisation et de gestion de la
ressource :
|
51
|
|
B.
|
|
Les choix et politiques dans le secteur de l'eau:
|
53
|
|
1.
|
Prise en charge totale de la mobilisation par l'Etat
:
|
53
|
|
2.
|
Le désengagement progressif :
|
53
|
C.
|
|
Contexte hydrographique régional de Safi :
|
54
|
|
1.
|
La région hydraulique de l'Oum Er Rbia :
|
54
|
|
2.
|
Le bassin côtier atlantique El Jadida-Safi :
|
56
|
D.
|
|
Ressources, potentiel et besoins en eau de Safi:
|
59
|
|
1.
|
Les ressources en eau :
|
59
|
|
2.
|
Potentiel et besoins en eau de Safi :
|
62
|
|
III.
|
|
Le cadre institutionnel et juridique du secteur de
l'EP:
|
64
|
A.
|
|
Introduction :
|
64
|
B.
|
|
Le patrimoine d'une gestion communautaire de l'eau :
|
65
|
|
1.
|
Les associations coutumières et le rapport
à l'eau :
|
65
|
|
2.
|
Une organisation à l'épreuve du temps :
|
66
|
C.
|
|
Evolution des formes d'organisation des usagers :
|
67
|
|
1.
|
Les associations syndicales agricoles
privilégiées : (ASAP ):
|
67
|
|
2.
|
Les associations d'irrigants :
|
67
|
|
3.
|
Les associations d'usagers des eaux agricoles (AUEA):
|
67
|
|
D.
|
|
Le Dispositif institutionnel actuel:
|
68
|
|
1.
|
Les instances consultatives :
|
68
|
|
2.
|
Les instances administratives:
|
70
|
|
3.
|
Les Etablissements Publics:
|
72
|
|
4.
|
Les instances représentatives :
|
74
|
|
5.
|
Les bailleurs de fonds :
|
75
|
E.
|
|
La Loi 10-95 sur l'eau :
|
76
|
F.
|
|
Programmes et Plans d'action en faveur de l'accès
à l'eau :
|
77
|
|
1.
|
L'Opération Branchements Sociaux « OBS
» :
|
78
|
|
2.
|
En milieu rural, le PAGER :
|
78
|
|
3.
|
Initiative Nationale pour le Développement
Humain (INDH) :
|
79
|
|
4.
|
Le programme «Villes sans bidonvilles »
(VSB):
|
79
|
IV.
|
|
Le service de l'eau potable dans la ville de Safi:
|
80
|
A.
|
|
Production de l'eau potable à Safi:
|
80
|
|
1.
|
Les opérateurs de la production à
Safi:
|
80
|
|
2.
|
L'infrastructure :
|
82
|
|
B.
|
|
La distribution de l'EP dans la ville de Safi:
|
84
|
|
1.
|
L'Opérateur public, la RADEES :
|
84
|
|
2.
|
Indicateurs de performances :
|
85
|
|
3.
|
Indicateurs Techniques :
|
88
|
V.
|
|
Gestion de la distribution d'eau potable par la RADEES:
...
|
91
|
A.
|
|
Taux de couverture par le service de l'eau potable :
|
91
|
B.
|
|
Abonnés et Consommations:
|
92
|
|
1.
|
Structure de la consommation d'eau :
|
92
|
|
2.
|
Evolution du nombre de clients par type d'usage :
|
93
|
|
3.
|
Evolution de l'eau facturée:
|
94
|
|
4.
|
Dotations et consommation spécifique :
|
95
|
C.
|
|
La Tarification du service de l'eau à Safi:
|
96
|
|
1.
|
Présentation de la tarification
pratiquée par la RADEES:
|
96
|
|
2.
|
Tarifs et usagers de l'eau à Safi:
|
98
|
|
VI.
|
|
Le modèle Marocain de gestion du service d'eau
potable: 101
|
A.
|
|
Le service de l'eau potable, enjeux et compétences
: 101
|
|
1.
|
Le service de l'eau potable, monopole naturel et
local :
|
101
|
|
2.
|
Décentralisation et service de l'eau potable
au Maroc:
|
101
|
|
B.
|
|
Les modes de gestion du service de l'eau potable au Maroc
:
|
103
|
|
1.
|
Poids des opérateurs dans le secteur de la
distribution de l'eau :
|
103
|
|
2.
|
La gestion en régie :
|
103
|
|
3.
|
La gestion déléguée :
|
104
|
C.
|
|
La régulation du service d'EP:
|
107
|
VII. Les régies autonomes, quel bilan :
108
A. Indicateurs de gestion des régies autonomes :
108
B. Tutelle et régulation : 110
C. Le système de tarification, acteurs et
logiques: 111
1. présentation du système tarifaire
actuel : 111
2. Objectifs de la tarification :
112
3. Construction du système tarifaire :
113
4. Lés éléments du prix de
l'eau : 114
5. Acteurs et logiques de la tarification :
115
VIII. Le modèle marocain et les modèles du
monde : 116
A. Le modèle français : 117
1. Cadre légal :
117
2. Les acteurs de la gestion du service de l'eau:
117
3. les modes de gestion :
119
4. La fixation du prix 120
5. Contrôle et régulation dans le
système français: 120
Conclusion 121
B. Le modèle Anglais : 122
1. Evolution du modèle :
122
2. Les acteurs : 122
3. La fixation du prix suivant le « price cap
»: 123
4. Une régulation par comparaison :
123
Conclusion : 123
C. Comparaison des deux modèles : 124
1. Grille de lecture des modèles :
124
2. La régulation :
125
3. L'instrument: la fixation du prix
: 126
D. Le service de l'EP en Côte d'ivoire, un
modèle africain : 126
1. Historique de L'organisation du secteur de l'eau
: 126
2. Les acteurs : 127
3. La fixation du prix 128
4. La régulation
128
Conclusion : Un système « à la
française » mais très centralisé :
129
E. Modèle Marocain et modèles du monde,
synthèse des analyses monographiques : 129
F. Discussion : 131
Conclusion de la première partie: 135
DEUXIEME PARTIE : ACCES À L'EAU POTABLE DES
HABITANTS DES QUARTIERS «BBC», ENTRE NECESSITE SOCIALE
ET DIFFICULTES ECONOMIQUES. 137
I. Introduction : 138
II. Programme VSB de Safi et restructuration des
quartiers Benzina, Bouregba et Chaâba : 141
A. Accès au logement au Maroc,
réalités et politiques d'intervention : 141
1. Le déficit en logements
: 141
2. Caractéristiques de l'habitat insalubre :
141
3. Politiques d'intervention :
142
B. Le programme «Villes sans bidonvilles » :
143
1. Contexte général:
143
2. Consistance et objectifs du programme VSB:
144
3. Stratégie et instruments mis en place :
145
4. Le financement du programme :
146
5. Types d'interventions du programme VSB :
146
6. Choix et coûts des interventions sur les
bidonvilles: 147
7. Partenaires et opérateurs du programme
VSB: 148
8. L'accompagnement social dans le cadre du
programme VSB : 150
9. Difficultés de mise en oeuvre du programme
VSB : 150
Conclusion : 151
C. Le contrat villes sans bidonvilles de Safi :
152
1. Les parties signataires du
contrat: sont 152
2. L'objet du contrat: est
152
3. Etat des lieux en matière de bidonvilles
de Safi : 152
4. Mission des opérateurs :
154
D. L'intervention sur le quartier « BBC » :
155
III. Caractéristiques démographiques et
socioéconomiques de la population de «BBC» :
158
A. Statistiques descriptives des habitants de
«BBC» : 159
1. Profil sociodémographique de la population :
159
2. Activité de la population de «BBC» :
163
B. Statistiques descriptives des chefs de ménages
: 167
1. Profil sociodémographique des chefs de
ménages : 167
2. Activité des chefs de ménages :
170
3. Migration : 176
C. Caractéristiques économiques des
ménages : 178
1. Revenus et dépenses mensuelles des
habitants de «BBC» : 178
2. Les dépenses relatives à l'eau
potable après branchement : 184
IV. Diagnostique du parc logement de «BBC» :
186
A. Caractéristiques des logements :
186
1. Densité et cohabitation dans les logements
: 186
2. Types des logements :
187
3. Matériaux de construction :
188
4. Superficies des logements :
188
5. Nombre de pièces des logements
: 189
B. Equipement des logements: 190
1. Equipement des logements en services de base
: 190
2. Niveau de confort des logements :
193
C. Formes d'acquisition et d'occupation des logements
à «BBC» : 194
1. Statut d'occupation :
194
2. Mode d'acquisition :
195
3. Mode de financement :
196
4. Dates et prix d'acquisition des parcelles :
197
5. Dates et prix de construction ou d'acquisition
des logements : 198
D. Possibilité d'amélioration des logements
: 199
Conclusion : 201
V. Mobilisation des habitants de «BBC» et leurs
rapports aux autorités et aux élus: 201
A. Organisation des revendications des habitants de
«BBC»: 201
1. Recours en cas de litige :
201
2. Démarches des revendications liées
aux équipements et services de base : 202
3. Expression des revendications:
202
4. Résultat des démarches :
203
B. Rapports aux élus locaux : 203
1. Qualité du contact avec les services de la
commune : 203
2. Connaissance des élus par les habitants:
204
3. La représentation du rôle de
l'élu communal : 204
4. Critères de choix du représentant
communal : 205
5. Fréquence de contact avec le
représentant communal: 206
6. Réclamation de l'équipement en eau
potable au représentant : 206
C. Appréciation des habitants des
équipements socio collectifs : 206
1. Appréciations des services
d'éducation et de santé : 206
2. Priorités des habitants en matière
d'équipement: 206
D. Intégration et Participation de la population
dans le projet de restructuration de
«BBC» : 207
1. L'organisation des habitants en association :
207
2. Information des habitants de la nature des
aménagements en cours : 210
3. Participation des habitants :
211
Conclusion : 211
VI. L'eau potable dans les quartiers «BBC», un
service de base que les habitants sont obligés de payer :
212
A. L'approvisionnement en eau à «BBC» :
212
1. Distance parcourue et nombre de
corvées: 212
2. Les personnes chargées de la corvée
d'eau : 213
3. Volume d'eau rapporté de la BF :
214
4. Dotation par personne :
215
B. Branchement au réseau d'eau potable,
démarches de raccordement et facturation
du service :
|
216
|
1.
|
Démarche des demandes de raccordement au
réseau :
|
216
|
2.
|
Dates des branchements des logements de
«BBC» au réseau d'EP :
|
216
|
3.
|
Prix du branchement :
|
217
|
4.
|
Modalités de payement :
|
219
|
5.
|
Financement du payement des engagements :
|
219
|
6.
|
Appréciation du prix de branchement par les
habitants :
|
220
|
7.
|
La moyenne de la facture d'eau :
|
221
|
Conclusion de la deuxième partie: 222
VERIFICATION DES HYPOTHESES : 223
CONCLUSION GENERALE: 226
BIBLIOGRAPHIE 244
INTRODUCTION GENERALE
I. Préambule:
Depuis la fin des années 70, il apparaît
clairement qu'un des problèmes majeurs auxquels doivent faire face
nombre de pays en développement est celui d'une croissance urbaine
forte, qu'il faut gérer dans ses dimensions physiques, sociales,
économiques, culturelles et politiques. Les institutions nationales et
internationales ainsi que les différents bailleurs de fonds
concernés par le développement urbain ont, en conséquence,
orienté ou réorienté leurs actions dans une optique de
satisfaction de la demande d'habitat et de ville des couches populaires et
démunies, néanmoins, ces projets de développement urbain
restent marqués par une logique de "projets", à savoir des
réalisations ponctuelles et matérielles précises,
menées sous la responsabilité d'institutions disposants, pour ce
faire, d'un budget limité et strictement réservé à
cet objectif.
Or, il semble de plus en plus crucial de s'orienter vers des
choix porteurs de dynamiques de "développement durable". Malgré
la prudence avec laquelle il convient d'aborder cette notion, on ne peut
ignorer les convergences entre les préoccupations des responsables et
des chercheurs traditionnellement concernés par l'urbain, et celles de
l'écologie. Ce qui a beaucoup contribué à attirer
l'attention sur le caractère sectoriel et à courte vue de maintes
interventions dans l'urbain.
Toutes les dimensions de l'urbanité et de
l'intégration urbaine au sens large s'imposent désormais à
la réflexion et à l'action, tandis que s'affirme de
manière renforcée, le caractère global et
systémique de l'urbain et des transformations qui l'affectent, Dans le
contexte de la croissance urbaine et de la rareté des ressources
naturelles et notamment les ressources hydriques.
L'augmentation de la demande en eau, due au
développement économique des sociétés et à
la croissance démographique, accroît les situations de
surexploitation de la ressource, ce qui place la gestion de l'eau au centre des
préoccupations politiques actuelles, et lui confère une attention
particulière dans le monde de la recherche.
A partir du XXème siècle, le besoin
total en eau a amorcé une hausse spectaculaire suivant logiquement la
courbe d'accroissement de la population mondiale. Les réserves en eau
ont, à l'opposé, amorcé une chute verticale due à
leur surexploitation et à leur contamination. Pour éviter la
"crise de l'eau" annoncée, les Etats et les collectivités se
soucient de plus en plus du caractère durable du développement,
tel que défini par le rapport Brundtland (1988) : "Le
développement durable est celui qui répond aux besoins du
présent sans compromettre la capacité des
générations futures à répondre à leurs
propres besoins".
La question de l'eau se pose avec acuité, tant au
niveau mondial qu'au niveau des pays aux ressources hydriques limitées.
Les enjeux sont énormes en termes d'approvisionnement mais aussi en
termes de distribution et de gestion de la ressource. Les décalages
observés entre l'offre et la demande, la concurrence sectorielle
(agriculture, industrie, alimentation en eau potable et tourisme), les conflits
intra et extra territoriaux, la pollution des eaux, l'augmentation des maladies
hydriques... sont autant de problèmes posés non seulement aux
pays en développement mais également aux pays occidentaux. Par
ailleurs, la question de l'eau recouvre plusieurs dimensions :
environnementale, technique, économique, politique et socioculturelle.
C'est dans ce sens que les enjeux actuels ne peuvent être
appréhendés que par une démarche pluridisciplinaire
dépassant par là les frontières académiques de nos
intérêts respectives.
L'eau, fait écologique, et récemment bien
économique, n'en demeure pas moins un fait social. (L'eau bien
économique ou droit primordial pour l'homme ? C'est là une
question fondamentale à laquelle ce mémoire tentera d'apporter
une réponse). Par ailleurs, les sciences sociales tentent depuis
plusieurs années de rendre compte de l'extrême complexité
de la question de l'eau et de ses enjeux en prenant en considération les
logiques et les stratégies des acteurs sociaux. La gestion rationnelle
de l'eau est souvent mise par les différents responsables et bailleurs
de fonds comme préalable pour asseoir un développement durable.
De nombreux travaux tendent à légitimer des approches
environnementalistes, économistes et technicistes de la gestion de
l'eau, minimisant, voir même ignorant, la dimension sociale, culturelle
et politique de l'eau. La gestion de l'eau dans le domaine de l'hydraulique
rurale comme dans celui de l'hydraulique urbaine ne peut faire
l'économie d'une approche anthropologique de l'eau : la gestion
technique et économique de l'eau n'a de sens que dans le cadre d'une
gestion sociale de la ressource, conformément à l'organisation
sociale des communautés en présence : la question de l'eau
demeure avant tout une question éminemment sociale.
Au Maroc, et depuis l'indépendance, la gestion de la
distribution de l'eau potable en milieu urbain a fait l'objet de deux phases
successives.
· Une première phase débute avec la fin du
protectorat en 1956 et s'achèvera au début de 1997 ; les
régies municipales ont alors le monopole de la distribution de l'eau
potable à l'échelle des communes urbaines.
· Une seconde phase commence à partir du mois
d'août 1997(date de la signature du contrat de concession passée
entre la Communauté Urbaine de Casablanca et la Lyonnaise des Eaux )
dès lors, des opérateurs privés étrangers vont
prendre pied dans le secteur de la distribution d'eau et de l'assainissement
liquide et solide dans les grandes agglomérations littorales marocaines
: Casablanca (en 1997 avec la Lydec), Rabat (en 1998 avec la Redal) et
Tanger-Tétouan (en 2002 avec Amendis) à travers des contrats de
délégation de service public de long terme (25 et 30 ans).
Et bien qu'il existe encore 13 régies municipales
d'eau et d'électricité, ce mode de gestion des services urbains
est, lui-même, tenu au respect des contraintes de l'efficacité
économique, autrement dit, le recouvrement des coûts
d'exploitation et d'investissement, avec ce que cela implique sur le plan
économique et social. Ceci afin de garantir la pérennité
du service et la réponse aux besoins croissants en eau.
Dans ce contexte, la question de l'accès à l'eau
des quartiers précaires et le droit à l'eau des populations
pauvres, se pose avec acuité et interroge les principes de bonne
gouvernance et de développement durable dans notre pays. L'objet de ce
travail est d'étudier la gestion du service de l'eau potable par une
régie autonome et d'éprouver les principes et objectifs
énumérés avec cette gestion dans une ville du littoral
marocain qui est Safi, à travers le cas de l'équipement d'un
quartier non réglementaire de la ville en services de base dont l'eau
potable.
II. Eléments de la problématique :
A. Le défi de l'urbanisation croissante :
L'élément majeur qui a
caractérisé notre pays au cours de ces dernières
décennies fut sans conteste, le rythme d'accroissement de sa population
urbaine. Ce phénomène est souvent associé à une
répartition spatiale très déséquilibrée de
la population et des villes. La croissance urbaine très rapide a fait
passer la population urbaine de 20% en 1936 à 29% en 1960, soit une
multiplication par 2,5 en moins d'un quart de siècle. Par contre de 1960
à 2003, soit sur presque
quarante ans, le taux d'urbanisation est passé de 29%
à 56%, et la population urbaine de 3412000 à 17723000. L'effectif
a donc été multiplié par 5. Le taux d'urbanisation
atteindrait approximativement 72% vers les années 2060.
Sous la pression démographique, le Maroc est
entré depuis les années soixante, dans une phase d'urbanisation
accélérée se caractérisant par l'extension des
périmètres urbains avec la création de grands quartiers
à la périphérie des villes existantes, entraînant
des problèmes d'aménagement, d'habitat et d'environnement.
Cette urbanisation massive que connaît le Royaume tant
au niveau national que régional souligne bien les transformations
profondes de toute la société, et ses effets sur le
fonctionnement spatial du pays. Elle exprime également l'ampleur des
défis auxquels le Maroc a dû, et doit encore faire face, en termes
de maîtrise de cette explosion urbaine et d'accompagnement des besoins
qu'elle engendre, surtout dans le contexte économique et social d'un
pays en développement, modestement pourvu en ressources comme le Maroc.
Notre pays est appelé à déployer des efforts
supplémentaires, non seulement pour résorber les déficits
quantitatifs accumulés dans les divers domaines (infrastructures,
équipements collectifs, habitat, etc.), mais aussi pour atténuer
les déficits d'ordre qualitatif, en vue d'améliorer les
conditions de vie des populations urbaines (renouvellement et meilleure
répartition spatiale des équipements, des infrastructures et de
l'habitat, résorption des déficits en matière de gestion
de l'environnement, etc.). Les défis sont d'autant plus grands que c'est
dans les villes que va se jouer le sort du développement
économique du pays.
En plus, et face à l'augmentation des demandes en eau
et la baisse de l'offre, croisées à l'urbanisation, la croissance
démographique et l'essor des activités économiques, le
Maroc est engagé en faveur de la généralisation de
l'accès à l'eau en milieu rural après avoir assuré
un accès quasi général en milieu urbain. Cependant, les
quartiers urbains "informels", au prétexte qu'ils sont illégaux
n'ont pas bénéficié de la même attention.
La croissance de l'offre, qui a constitué la
réponse traditionnelle à l'augmentation de la demande, atteint ou
va atteindre ses limites et se heurte à des obstacles sociaux,
économiques ou écologiques croissants. En même temps, le
pays accuse un retard en matière de protection qualitative de l'eau.
D'où le besoin d'une nouvelle vision pour une meilleure utilisation de
la ressource intégrant la gestion de la demande en eau (GDE).
B. L'eau, enjeu majeur des politiques urbaines:
La question de l'eau est l'une des questions les plus
stratégiques de notre temps et les plus difficiles parce qu'elle est
associée à la vie et à l'existence. Elle est
multidimensionnelle, complexe et en interaction avec d'autres ressources
naturelles, différents milieux et communautés.
L'eau est une composante essentielle de la réduction
de la pauvreté et de l'accès à la citoyenneté. Au
Maroc, l'eau est de tous temps un mobile d'organisation sociale et une
composante essentielle de la culture, voire un facteur de
sédentarisation et de dynamique des populations.
Par ailleurs, le Maroc se trouve dans la région du
Moyen-Orient et de l'Afrique du Nord (MENA) qui est de loin la région la
plus sèche et la plus pauvre en eau dans le monde, et cette
situation affecte de plus en plus le développement
économique et social de la plupart des pays de la région dont le
Maroc1.
Et alors que l'accès conventionnel à l'eau dans
cette région demeure relativement constant, l'absence de réformes
appropriées de politique des prix, la croissance démographique,
les augmentations des revenus des ménages se sont traduites par une
augmentation brutale de la demande d'eau, bien au-delà des niveaux
soutenables.
Afin de satisfaire cette demande croissante, les eaux
souterraines sont extraites bien audelà du niveau de renouvellement de
la ressource dans de nombreux pays. Dans certains cas, les gouvernements
exploitent les ressources des eaux souterraines fossiles et dans de nombreux
pays, les prix subventionnés de l'énergie aggravent davantage le
problème. L'absence de traitement des eaux usées (qu'elles
proviennent du secteur urbain ou agricole) vient réduire encore plus
l'accès à une eau douce qui convient aux usages domestiques et
agricoles sans traitement coûteux en aval. Cette augmentation de la
contamination de l'eau affecte également la santé publique, celle
des enfants en particulier. Le problème est plus aigu dans les zones
rurales, où l'accès à une eau propre et à
l'assainissement continue à manquer dans la majorité de ces
pays.
Au Maroc, la situation des ressources en eau devient
progressivement plus catastrophique en raison des sécheresses qui sont
de plus en plus fréquentes et qui durent de plus en plus longtemps. Le
potentiel des ressources en eau du pays, révisé à la
baisse, est évalué actuellement à environs 20 milliards de
m3, soit près de 670 m3 par habitant et par
an2, ce qui nous place dans la phase du stress hydrique,
soit en dessous de 1000 m3/hab/an.
Longtemps considérée comme un « don du
ciel » dans nombre de pays, l'eau est considérée aujourd'hui
comme un bien économique : elle a un coût et un prix. Cette
situation a évidemment des conséquences économiques,
écologiques et sociales considérables qui compromettent autant le
développement durable que la réalisation des Objectifs du
Millénaire pour le Développement (OMD) et les Engagements du
Sommet de Johannesburg3.
En effet, bien indispensable et ressource fragile, l'eau
justifie en soi une politique. Mais elle est nécessairement au coeur
d'autres grandes politiques. L'eau est un souci permanent des programmes
d'équipement, de l'aménagement du territoire, de la santé
et de toute autre politique d'intervention sur les établissements
humains. L'approvisionnement en eau potable des grandes agglomérations
et l'assainissement des eaux usés s'imposent désormais en grande
priorité des politiques urbaines.
1 Avec 5 % de la population mondiale, MENA dispose de
moins de 1 % des ressources d'eau douce du monde. A ce jour, l'accès
moyen à l'eau par habitant dans la Région représente
environ 1.200 mètre cubes par an (la moyenne mondiale est proche de
7.000). L'accès annuel à l'eau dans la Région varie
d'environ 1.800 mètres cubes par personne en Iran à moins de 200
mètres cubes par personne en Jordanie, en Cisjordanie et Gaza, et au
Yémen. D'ici 2025, l'accès moyen régional à l'eau
devrait être d'un peu plus de 500 mètres
cubes/personne/an.
2 "Stratégie méditerranéenne pour le
développement durable. Suivi des progrès dans le domaine de l'eau
et promotion de politiques de gestion de la demande". Rapport national du
Maroc.
3 Les Objectifs du Millénaire pour le
Développement sont un ensemble d'objectifs(8) de lutte contre la
pauvreté et de promotion des droits humains, assortis des cibles
chiffrées à atteindre à l'horizon 2015 et adoptés
par les Etats membres de l'ONU lors de son assemblée
générale en 2000, parmi lesquels le Maroc, Les objectifs du
millénaire visent ainsi à diminuer de moitié le nombre de
personnes n'ayant pas un accès à l'eau potable et à un
assainissement basique.
C. La gouvernance locale et l'urbanisme
stratégique: 1. Apparition du concept de gouvernance :
Les années 1990 ont marqué une rupture avec les
acceptions liées à la façon de gouverner, ou de
gérer l'espace et l'environnement. Cette rupture constitua le
début de l'affirmation de nouveaux concepts et principes, comme "le
développement durable" ou "la bonne gouvernance". L'hypothèse
sous-jacente à l'idée de gouvernance est l'existence d'une crise
de la gouvernabilité des sociétés. Les Etats comme les
communes, auraient perdu leur capacité d'action du fait des mutations en
cours dans la société. La mondialisation des marchés et de
la production, la globalisation financière, la puissance accrue
d'entreprises devenues transnationales ont en effet des répercussions
que ne parviennent plus à gérer les pouvoirs publics.
Ainsi, la mondialisation des échanges s'accompagne
d'un creusement des écarts entre population riche et population pauvre,
que ce soit à l'échelle internationale ou nationale. La
gouvernabilité des Etats est mise à mal par un processus de
fragmentation qui touche à la fois l'espace, les groupes sociaux et les
activités et se rencontre à toutes les échelles spatiales,
de la ville au pays. Ce processus se manifeste, sur le plan spatial, par des
déséquilibres territoriaux tels que la concentration des
populations dans les zones urbaines, l'étalement et le mitage de la
ville ou encore la prolifération des formes d'habitat insalubre ou "sous
intégré ". Sur le plan social, il se traduit par la
multiplication des catégories de populations, la société
agrège désormais des populations très différentes
aux intérêts de plus en plus diversifiés et donc aux
exigences variées et contradictoires.
Le processus d'éclatement touche enfin les acteurs de
la société ; on assiste en effet à une multiplication des
organismes, des réseaux, des agences, des institutions qui interviennent
sur un territoire et à l'accroissement du nombre des
sous-systèmes. De plus en plus de décideurs aux
intérêts et aux systèmes de valeur divergents, et
même, opposés entrent en jeu. Cette superposition d'acteurs
conduit à un émiettement du pouvoir sur un plan horizontal mais
aussi sur un plan vertical puisque sur un même territoire interviennent
des autorités politiques de différents niveaux administratifs. Ce
processus de fragmentation fait du système territorial une organisation
de plus en plus complexe donc de plus en plus difficile à gérer.
C'est dans ce contexte qu'intervient le concept de gouvernance. Ce concept est
de plus en plus mobilisé dans les discours politiques, et apparaît
dans les réglementations relatives à l'aménagement du
territoire, à travers notamment la question de la participation des
citoyens.
Or, dans le contexte d'internationalisation croissante,
d'urbanisation généralisée, de réveil des
identités locales, de la limite avérée de la vision
sectorielle de l'aménagement de l'espace et de la prise de conscience
des enjeux sociaux et environnementaux, la construction politique et
économique de nouveaux territoires, et simultanément, la
multiplication des échelles de prise de décision (locales,
régionales ou nationales), complexifient la question de la gouvernance.
L'apparition de nouvelles contraintes comme la demande sociale en
matière d'habitat ou de services publics, la multiplication des acteurs,
l'imbrication des échelles de gestion des territoires rend urgente une
réflexion sur les outils conceptuels et techniques aptes à
dénouer des situations d'interactions et de négociations de plus
en plus complexes. Cette réflexion sur la gouvernance implique que
soient pris en compte non seulement les acteurs politiques et
économiques, privés ou publics, les professionnels, mais aussi
les habitants, organisés ou non en associations.
La mise en oeuvre de la gouvernance est dans ce contexte,
à notre sens, assez difficile (contraintes complexes, acteurs multiples,
enjeux variables), mais passe par une définition du concept. Parmi les
définitions proposées dans la littérature abondante sur la
gouvernance nous avons retenu la définition de Georges Cavallier pour
qui « la gouvernance est la capacité et la
co-responsabilité de projet, la possibilité
d'établir un cadre collectif d'action solidaire, de réflexion
stratégique reliant les principaux acteurs autour du niveau de
décision politique .... A chaque niveau, le partenariat doit pouvoir se
concrétiser autour d'une stratégie commune, d'un cadre collectif
d'intervention donnant du sens à l'action urbaine, d'un programme
suffisamment mobilisateur pour motiver toutes les parties
concernées »4. Ainsi définit, la gouvernance
est un mode de gestion de l'action sur l'urbain qui privilégie la
solidarité et le partenariat autour de projets communs et
intégrant tous les stades de prise de décision. Mais qu'en est-il
réellement à l'occasion de projets d'équipement des
quartiers insalubres Marocains ?
2. Le Maroc et la gouvernance des services publics :
Le Maroc, comme de nombreux pays en développement,
enregistre un taux très élevé d'urbanisation (45% durant
les années 90 et près de 57% à nos jours), qui est
dû à deux facteurs essentiels : l'accroissement naturel de la
population d'une part, et l'exode rural d'autre part . Cette
accélération de l'urbanisation a des répercussions
négatives sur le développement des agglomérations urbaines
existantes notamment :
· La dégradation du cadre bâti par
surdensification des tissus anciens et l'extension des quartiers
périphériques ;
· Le déséquilibre dans la répartition
des équipements, des services, des activités, de l'habitat et des
loisirs.
Mais, malgré l'ampleur de l'urbanisation et les
changements qu'elle a produit, on constate que le mode de gestion des villes
reste marqué par des approches normatives et sectorielles qui, parfois,
génèrent d'autres dysfonctionnements. Ces approches laissent peu
de place aux initiatives décentralisées dans les domaines de la
planification, de la gestion urbaine, du développement économique
et de l'offre des services à usage collectif.
C'est d'ailleurs à la faveur de ce contexte que s'est
développée une prise de conscience pour initier un urbanisme
stratégique qui, à la différence de l'urbanisme normatif
et centralisé, s'appuie sur une multitude d'acteurs et met en valeur le
rôle des acteurs locaux, la mobilisation des agents sociaux et la
recherche des compromis entre intérêts divergents. Ceci dans le
cadre d'une gouvernance locale reposant sur la consolidation des
mécanismes de fonctionnement des collectivités locales, la
clarification des compétences entre les différents relais
territoriaux, la simplification des niveaux de décentralisation et la
mise en cohérence des exigences du partenariat et de coopération
entre la région, la province, la commune et les autres structures
d'action publique locale.
4 Georges Cavallier, 1998. "Défis pour la gouvernance
urbaine dans l'Union Européenne".
Figure 1: Exemple d'un modèle de gouvernance
autour d'un service urbain.
Associations d'usagers
Régulateur (État)
ONG
Accompagnement social
déconcentration
contrôle
service
Opérateur
Services extérieurs
Usagers
Coopération
partenariat
contrat
élections
Collectivité
La question de l'eau et les changements qu'elle connaît
ont des implications politiques et sociales qui s'articulent autour d'une
gestion efficace ( du côté des usages ) et d'une allocation
équitable des ressources hydriques. Ceci consiste à placer les
politiques de l'eau du côté des demandes et la personne humaine au
centre du débat.
De plus, les modes de gestion des demandes impliquent plus
d'acteurs que dans le cadre des systèmes techniques centralisés
de l'offre. Secteur public, secteur privé, ONGs, expertise et secteur
informel agissent dans la complémentarité et prennent en
considération les systèmes locaux de gestion et les cultures
traditionnelles.
L'évolution de la problématique des services
publics locaux depuis 30 ans connaît par ailleurs de plus en plus de
complexité :
- L'internationalisation de la gestion et l'apparition de
nouveaux acteurs (secteur privé et société civile);
- Contraintes environnementales et sociales;
- Gestion publique face aux défis de nouveaux
investissements et de réponses aux besoins grandissants ;
Dans ce contexte, les nouvelles logiques de gouvernance de
l'eau répondent mieux à la nécessité de croiser la
question vitale de l'eau avec les paramètres du développement
durable et le principe du droit à l'eau.
D. Le principe du droit à l'eau :
Le droit à l'eau, selon Henri Smets5 est
"le droit pour toute personne quel que soit son niveau économique de
disposer d'une quantité minimale d'eau de bonne qualité qui soit
suffisante pour la vie et la santé". Ce droit concernerait une
quantité d'eau qui permette à l'homme de satisfaire aux besoins
essentiels tel que la boisson, la préparation de la nourriture et
l'hygiène, d'assurer l'abreuvage des animaux de compagnie et de
permettre la petite production vivrière familiale. En effet, la
Convention des Nations Unies sur le droit relatif aux utilisations des cours
d'eau internationaux à des fins autres que la navigation (New-York,
1997) demande qu'une attention spéciale soit «accordée
à la satisfaction des besoins humains essentiels» (art.10)
5 Henri Smets «The right to water as a human
right» Environmental Policy and Law, Vol.30, N°5, p.248
(2000)
étant entendu qu'il s'agit de la "fourniture d'eau
en quantité suffisante pour la vie humaine, qu'il
s'agisse de l'eau potable ou de l'eau à réserver aux productions
vivrières destinées à empêcher la famine"».
En 1966 à Istanbul, lors de la Conférence
"Habitat", les chefs d'états et de Gouvernements (sans les Etats-Unis)
ont adopté un Pacte international affirmant : "la volonté
d'assurer progressivement la pleine réalisation du droit à un
logement convenable" (para.1 de la Déclaration) et ils ont estimé
que le droit au logement impliquait le droit à l'eau.
Dans l'article 12 du Pacte international relatif aux droits
économiques, sociaux et culturels, adopté en 2000, nous pouvons
lire : "Toute personne a le droit de jouir du meilleur état de
santé susceptible d'être atteint, lui permettant de vivre dans la
dignité. Le droit à la santé englobe une grande
diversité de facteurs socio-économiques de nature à
promouvoir des conditions dans lesquelles les êtres humains peuvent mener
une vie saine et s'étend aux facteurs fondamentaux déterminants
de la santé tels que l'alimentation et la nutrition, le logement,
l'accès à l'eau salubre et potable et à un système
adéquat d'assainissement, des conditions de travail sûres et
hygiéniques et un environnement sain".
En novembre 2002, La Commission des Nations Unies sur les
droits économiques, sociaux et culturels a déclaré: "Le
droit des hommes à l'eau est indispensable à une vie dans la
dignité humaine. Elle constitue un préalable au respect des
autres droits de l'homme ".
Le droit à l'eau concerne cependant l'eau potable et
non l'eau en général, la gestion de services publics locaux et
non celle des bassins fluviaux, "Le droit à l'eau n'est pas plus le
droit à l'eau gratuite pour tous que le droit à la nourriture
n'est le droit à recevoir gratuitement sa nourriture " selon Henri Smets
toujours.
En milieu urbain, le droit à l'eau concerne à
la fois l'accès à l'approvisionnement en eau et à
l'assainissement des eaux usées mis en oeuvre par des services
gérés par des organismes publics ou privés. Il signifie
notamment le droit pour chaque personne d'être raccordée au
réseau de distribution situé dans son voisinage. Le droit
à l'eau ne concerne pas la consommation d'eau au-delà de la
quantité suffisante pour les besoins essentiels.
Le droit à l'eau saine permettrait :
· D'assurer l'accès à l'eau sans
discrimination, de manière durable, pérenne et à un
coût socialement et économiquement acceptable ;
· D'éviter qu'elle ne devienne une menace pour
l'environnement, les milieux aquatiques, la santé, la paix et la
sécurité ;
· De mettre en place une gouvernance effective, d'en
définir les modes opérationnels et les articulations pertinentes
entre les niveaux international, national et local ;
· De mobiliser les moyens nécessaires à
une gestion efficace et à une allocation optimale de la ressource, de
coordonner les partenariats et d'organiser la coopération et la
solidarité.
Le droit à l'eau se présente, donc, comme un
concept autour duquel peuvent se cristalliser les changements et les
conciliations. Autour de l'eau, la conciliation entre l'économie et
l'écologie est nécessaire. Mais cette ressource vitale appelle
d'autres conciliations. Elle nécessite de parer aux
inégalités diverses, de créer un cadre juridique et
institutionnel international décliné au niveau des États,
premiers garants de l'effectivité de l'accès à l'eau , et
d'établir des liens entre les actions de proximité et le niveau
global.
Le droit à l'eau n'est pas explicitement reconnu par
le dispositif juridique marocain. Néanmoins, la révision de la
Constitution marocaine de 1992, reprise par celle de 1996, traduit une
volonté d'engager le pays dans le respect de la personne humaine. Elle
déclare dans son préambule que « conscients de la
nécessité d'inscrire son action dans le cadre des organismes
internationaux dont il est membre actif et dynamique, le Royaume du Maroc
souscrit aux principes, droits et obligations découlant des chartes
desdits organismes et réaffirme son attachement aux droits de l'Homme
tels qu'ils sont universellement reconnus ». Depuis cette date, le
Maroc a mit en place des mécanismes institutionnels et a adopté
des mesures législatives qui ignorent cependant le concept de droit
à l'eau.
E. Accès à l'eau et
développement durable :
L'eau est une ressource essentielle pour l'humanité et
ses besoins les plus élémentaires. Ses usages sont variés
et vitaux : consacrée à l'agriculture, elle est à la base
de l'alimentation humaine, elle contribue à de nombreuses
activités économiques et industrielles et elle est un maillon
essentiel aux équilibres biologiques et écologiques. L'eau est
donc au coeur de la problématique du développement durable.
L'eau n'est pas une matière première comme les
autres. Inégalement répartie à la surface de la terre,
elle est aujourd'hui mise en péril par des modes non durables de
production et de consommation, par l'absence de prise en compte du long terme
et par des politiques principalement orientées vers la mobilisation de
l'offre de nouvelles ressources. La gestion des ressources en eau doit se
situer dans le cadre des principes adoptés à Rio (1992) :
l'équité, la prévention, la précaution,
l'intégration... les principes du développement durable sont donc
au coeur de la problématique de l'eau.
Le problème de l'eau est sans doute le problème
d'environnement qui se pose avec le plus d'acuité dans les pays du Sud.
Des problèmes quantitatifs sont rencontrés dans des pays soumis
à la désertification. Dans les pays bien dotés en
quantité, le problème est par contre qualitatif: la population ne
dispose pas d'eau potable, soit du fait d'un assainissement insuffisant ou de
la contamination des eaux de surface et souterraines.
La problématique de la gestion durable de
l'urbanisation est étroitement liée à la question de la
gestion de l'eau dans sa dimension globale, et ceci à partir de sa
mobilisation jusqu'à son évacuation passant par sa
répartition aux différents usages et son traitement avant et
après son utilisation . Au Maroc, cette gestion a été
parfois conduite d'une manière non intégrée. Des pertes
d'eau qui dépassent parfois près de 50 % du volume d'eau
mobilisé contribuent à la dégradation de la qualité
des eaux de surface et souterraines, des taux d'accès insuffisants
à la ressource, aussi bien en milieu urbain qu'en milieu rural et une
faible couverture en installations de traitement des eaux avant rejet dans le
milieu naturel. Plusieurs facteurs sont à l'origine de ce
résultat :
· Facteur législatif et institutionnel : la loi
10-95 sur l'eau, et particulièrement les dispositions relatives à
la préservation et la protection des ressources en eau souterraines ne
sont pas encore mises en oeuvre ;
· Facteur socio-économique : la notion de l'eau
comme ressource rare, qu'il faut bien gérer et préserver, n'est
pas généralisée au niveau de l'ensemble des usagers de
l'eau ;
· l'utilisation de technologies adaptées, pour
mieux gérer et conserver les ressources en eau (irrigation, alimentation
en eau potable, réutilisation des eaux usées, etc.) n'est pas
généralisée ;
· fragmentation et multiplicité des
intervenants et des attributions réparties sur plusieurs administrations
(ministère de l'Équipement, ministère de l'Agriculture,
ministère de l'Énergie et des Mines, ministère de
l'Intérieur, ministère de l'Enseignement supérieur), avec
parfois un certain cloisonnement.
Les principes du développement durable
appliqués au service de l'eau potable invitent à concilier
durabilité économique (recouvrement du coût du service
grâce aux recettes d'abonnement), durabilité environnementale
(préservation des milieux) et durabilité sociale
(Admissibilité des tarifs par la population). Cependant, et
indépendamment de ces considérations, l'accès à
l'eau potable est un paramètre de développement: un quartier, une
ville, une région ou un pays dont la population accède
difficilement à une eau salubre est
immanquablement qualifié de
sous-développé. Améliorer l'accès à l'eau
joue donc a prioripositivement sur le niveau de
développement.
Par ailleurs, et dans le cadre des efforts visant à
atteindre les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD)
dans les domaines de l'eau et de l'assainissement, les villes offrent un cadre
d'action idéal, car c'est là que se concentre la majeure partie
de la production industrielle et des activités économiques et que
les choix en matière de gestion et de gouvernance sont les plus
critiques.
L'étude de la manière dont les actions
liées à la gouvernance de l'eau au Maroc sont
intégrées dans des cadres de politiques urbaines,
environnementales et économiques plus larges, est d'un
intérêt capital, et c'est cet aspect de la problématique
que nous proposons de traiter dans le cadre de ce mémoire.
F. Place de l'usager et notion de service public :
L'intégration des actions liées à l'eau
dans le cadre de politiques d'ordre social est d'un aspect non moins important.
En effet, l'eau étant un besoin vital et présent dans tous les
domaines de la vie sociale, les usages sont multiples et variés, allant
de l'irrigation à l'élevage, de l'usage industriel à la
consommation domestique. La modernité aidant, la demande en eau est
devenue de plus en plus importante, le demandeur-acteur s'est transformé
en consommateurpayeur pour n'être plus qu'un simple rouage dans une
économie de marché à grande échelle, et le dernier
maillon des préoccupations liées à la rentabilité
du « produit »6.
La question de l'eau se pose, par ailleurs, de plus en plus
comme problématique majeure pour les pouvoirs publics, aussi bien sur le
plan de la mobilisation et de l'offre de la ressource qui devient de plus en
plus rare, que celui de la gestion du service de l'eau potable. Les solutions
envisagées sont empreintes de trois orientations :
- Gestion en régie directe du service par la
collectivité locale ; - Gestion par régie autonome ;
- Délégation de la gestion du service à une
société privée.
Les collectivités locales, quand elles sont
gestionnaires de l'eau (régie directe ou autonome) poursuivent en
principe un but non lucratif, alors que les entreprises privées ont une
préoccupation de rentabilité. Corrélativement, les
élus locaux doivent faire face à des tensions dans leur relation
avec le gestionnaire, mais aussi internes, relatives aux demandes et attentes
de
6 La privatisation de l'eau dans Lapaz, en
Bolivie au profit d'une filiale de la lyonnaise des eaux, aura pour effet la
multiplication de son prix par dix.
la population tant sur le plan économique que social.
Ils sont appelés à devenir des gestionnaires performants et
gérer le patrimoine communal de la manière la plus rationnelle et
rentable possible, ceci en demeurant personnellement inscrits dans une logique
d'activité non lucrative. La délégation de la gestion du
service de l'eau, n'a-t-elle pas été la réponse à
toutes ces contradictions et tensions ?
Devant l'intégration des marchés publics des
principes et des secteurs concurrentiels, se pose la question de la suppression
du service public, dont celui de l'eau potable, et de ses conséquences
économiques et sociales. Problématique plus universelle et qui
interpelle à plus d'un titre, surtout dans un contexte plus complexe et
confronté à la rareté de la ressource de façon plus
éminente et dramatique.
Dans le contexte mondial défini, et
caractérisé par la prédominance du libéralisme et
de la société de consommation "société aquavore",
deux courants et conceptions s'affrontent ; les multinationales et les alter
mondialistes. Les uns se rencontrant à Davos et les autres à
Porto Alegré. Les deux camps sont différents par leurs
conceptions de la rareté de la ressource hydrique, et du mode
adéquat de la gestion de cette rareté. L'eau étant un bien
rare et donc cher, pour les premiers, alors qu'elle est une ressource
chère et donc à protéger, pour les derniers. Ils sont
cependant tous d'accord qu'il est nécessaire d'aller vite, et de
concevoir le monde comme un tout, comme un monde " fini et
désenchanté ". Les anti-mondialistes ne sont-ils pas des "
alter-mondialistes " dont le slogan est "un" autre monde est possible
?
Le principal défi lancé au monde par les
propriétaires du capital privé ("promoteurs de la
société soumise au marché" selon une convention
signée entre des représentants syndicaux, des
collectivités locales et des militants opposés à la
privatisation des services publics7), réside dans la
marchandisation de la vie dans tous ses aspects, matériels et
immatériels. Nous pouvons lire dans cette convention: « Le
service public est une réponse innovante aux enjeux mondiaux de
solidarité. Nous affirmons que :
- La promotion des services publics dans leurs principes
constitutifs de solidarité, d'égalité
de droits, de justice sociale et de cohésion
territoriale est un combat d'avenir.
- Les services publics doivent sortir du
marché pour entrer dans le domaine du droit.
- Les services publics sont les vecteurs d'une autre
répartition des richesses et des
ressources dans une démarche solidaire. Ils sont
inséparables des politiques publiques
soucieuses de l'intérêt social
général. Elles doivent être pérennisées par
des
financements publics.
Dans le cadre de la gestion par les collectivités
publiques, des alternatives à la libéralisation du service
public sont pensées et mises en oeuvre actuellement: retour en
régie publique, développement des actions publiques locales,
nouveaux modes de participation citoyenne. Des résistances s'organisent,
rassemblant des forces politiques, syndicales, associatives et citoyennes
».
Nous n'allons pas, dans ce mémoire nous aventurer
à prendre position dans ce débat dichotomique "gestion
privée-gestion publique" des services publics, nous estimons que ce
n'est pas là le but de ce travail. Nous constatons cependant que dans ce
cadre d'opposition entre l'idée de l'eau comme bien commun, et
l'idée de l'eau comme ressource à exploiter, l'eau est
déjà objet d'appropriations.
7 Convention Internationale des Collectivités locales
pour la promotion des services publics. Genève. 28 octobre 2006.
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