VI- Commentaire des résultats
Les résultats de l'étude indiquent la situation
actuelle dans la commune au sujet de l'excision. Le commentaire abordera tour
à tour : le profil des enquêtés ; l'état
de connaissances sur l'excision ; les déterminants de la pratique
de l'excision et les diverses attitudes vis-à-vis du
phénomène ;
Les femmes enquêtées non scolarisées pour
la plupart en majorité mariée (69.6%), s'adonnent
essentiellement à l'agriculture (58.2%) et 34.9 à l'artisanat.
Parmi celles qui se sont prêtées à l'enquête, 34.4%
sont excisées.
L'absence de scolarisation, le statut de mariée et
l'exercice de métiers traditionnels de moindre rentabilité
placent la plupart des femmes dans une situation quasi dépendante. Elles
doivent observer un respect obséquieux vis - à vis des coutumes,
notamment l'acceptation de l'excision.
Parmi les participants ayant pris part à la
séance de discussion de groupe, 6/9sont analphabètes, 3/9 ont le
niveau d'étude secondaire.
Toutes les autres personnes interviewées en profondeur
sont soit les exciteurs, les chefs de famille; chef de village et un chef
traditionnel et trois excisées. Ils sont d'âges variables
dont la moyenne est de 33 ans. Le profil de ces sujets interviewés est
presque identique à celui des personnes ayant répondu aux
questionnaires. Très peu sont instruits soit 12.5% et la majorité
est analphabète avec 90.6%. Ils sont agriculteurs pour la plupart, puis
enfin 87.5% sont mariés (es).
La grande proportion de femmes excisées se retrouve au
sein des analphabètes. Très peu du niveau primaire accepte de se
faire exciser et même dans ce cas la limite supérieure est de CE2.
Edwige N'GUELEBE a fait la même observation à propos des
excisées à Bangui.
Les enquêtés sont en majorité en âge
de procréer ou mariées. Dans certains pays d'Afrique comme au
Sénégal, ce sont les jeunes filles de 7 à 15 ans qui
subissent l'excision.
La classe des agriculteurs ou des artisans constitue une
forte représentation au sein des enquêtes de sexe féminin.
Un résultat similaire a été observé par NONGOUTE
Salifou à propos des excisées de Toucountouna au
Bénin ; aussi a-t-il écrit que « c'est dans le
monde rural qu'on a plein de filles excisées ». Le même
phénomène s'observe au Mali et au Sénégal comme
l'indique une enquête de l'OMS.
Tous les enquêtés ont entendu parler au moins une
fois de l'excision. Il ne peut en être autrement puisque tous vivent dans
des villages où se pratiquent souvent à une échelle
collective les cérémonies liées à cette mutilation
féminine.
D'ailleurs 34% des enquêtés du sexe
féminin ont déjà subi cet acte et ne peuvent l'ignorer.
Mais tous nos enquêtés savent-ils les risques encourus ? 9%
de l'ensemble des enquêtés ont répondu par l'affirmative.
Les risques cités concernent l'hémorragie, le tétanos, le
Sida, les fausses couches, parfois les pertes de connaissance (état de
choc).
L'un des exciseurs a même déclaré
« qu'à la suite de l'opération, l'une de ses deux
femmes n'a plu conçu » raison pour laquelle la
stérilité a été citée comme risque.
Comment peut-on alors comprendre que devant ces risques assez
graves les populations livrent encore leurs filles à
l'excision ?
Plusieurs raisons ont été évoquées
comme étant des déterminants de la persistance de la pratique de
l'excision. 48,5% des hommes et 13,7% des femmes ne trouvant aucun facteur
pouvant inciter à vouloir l'excision, chez d'autres la persistance de la
pratique trouve plusieurs fondements.
La recherche effrénée des explications pour
justifier les phénomènes de la vie et particulièrement la
mort a toujours été l'apanage des sociétés
africaines et fait toujours l'objet d'une interprétation mystique.
Ainsi l'excision était depuis considérée
comme un passage obligatoire dans le processus social d'initiation pour devenir
une femme. Aujourd'hui après la sensibilisation les gens
prétendent le faire par pur respect de la tradition. Ainsi 28,7% de nos
enquêtés perdurent encore la pratique.
La peur de mourir ou d'être atteinte de troubles mentaux
suffît pour que la jeune fille se fasse exciser. Les parents eux aussi
sont convaincus du bien fondé de l'excision. Quant à l'exciseur,
il la pratique pour « aider » et pour
« arracher » les filles des griffes de la mort. Des
discussions de groupes, la m^me version nous est servi « quelquefois
il faut exciser la fille pour qu'elle retrouve ses esprits et qu'elle
arrête de réagir comme une folle ». S'il en est ainsi
comment expliquer le bien-être mental et physique des filles non
excisées ? L'un des exciseurs répond « c'est parce
qu'elles ne sont pas concernées par le rite ou les troubles ».
Mais soulignons que le poids de la tradition pèse encore dans nos
sociétés et les personnes âgées l'entretiennent.
Comme l'a souligné Madame Edwige N. dans son étude à
Bangui « c'est surtout par respect des valeurs traditionnelles et
coutumières que les femmes continuent de se faire exciser. Certaines se
soumettent à la pratique de l'excision pour faire à leurs parents
intégration sociale. Elles le font pour démontrer qu'elles sont
braves et pour sauvegarder leur honneur et leur dignité.
Dans tous les cas le poids de la tradition, la bravoure et la
peur de mourir en cas de refus sont les déterminants importants dans la
persistance de l'acte. La reconnaissance des méfaits y est pour quelque
chose. Les conséquences peuvent renseigner encore sur l'acte. Mais
quelle est la position de la population ? 77% de nos enquêtés
souhaitent l'abandon de l'excision contre 13% pour le maintien,
résultats qui se rapprochent un peu de ceux obtenus par E. NGUELEBE
à Bangui.
La pratique de l'excision plane sur la tête des jeunes
filles comme une épée de Damoclès car les personnes
âgées entretiennent une « psychose » en
exhibant leurs fétiches. Ils estiment que l'excision comme la
circoncision sont nécessaires chez certaines personnes au risque de
contracter des troubles mentaux ou autres manifestations ou de perdre leur vie.
Ils soutiennent ces idées par les propos suivants « si votre
fille par exemple refuse catégoriquement de se faire exciter il est
évident qu'elle mourra ».
Les propos des enquêtés semblent confirmer ;
même les scolarisés croient que ce passage est quelquefois
nécessaire pour délivrer la fille des griffes des esprits malins
et de la mort. Mais sous le couvert de la conjuration du mauvais sort et plus
particulièrement de la démence ou de la mort, les exciseurs n e
cherchent-ils pas à préserver la pérennisation d'une
tradition qui procure des avantages d'ordre économique ?
En effet, les deux exciseurs ont affirmé qu'ils
perçoivent une certaine dot pour l'excision. La dot à percevoir
auprès des excisées ou de leurs parents entretient donc la
pratique.
La recherche de l'honneur pousse quelques uns des parents
à conduire leurs filles à l'excision : faits reconnus dans
l'étude de Madame Yvette I. ZANNOU quand elle
dit « l'enfant porte un nom, il appartient à une famille
qui le prend dans le réseau serré de son affection, de son
travail et ses espoirs ». Plus loin Edwige N. dit que «
c'est pour faire plaisir aux parents et à leurs maris que certaines
femmes se font exciser ». Ici on est loin de faire plaisir à
son mari mais plutôt aux parents puisque ce sont eux qui gagnent en
retour honneur et argent.
Par ailleurs du point de vue des avantages personnels 84,3%
avouent ne trouver aucun bénéfice à pratiquer
l'excision.
Ainsi de part et d'autre il en ressort qu'il n'y a apparemment
pas d'avantages économiques majeurs pouvant justifier la pratique.
L'excision rapporterait plus les sommes faramineuses à
l'entourage qu'aux intéressés. En effet l'argument de la
tradition permet d'organiser les cérémonies et sert de
façade aux intérêts que les parents y trouvent.
L'époux de l'excisée est appelé à beaucoup
investir, ce qu'il peut gagner en retour est énorme :
« je me suis acheté une moto Yamaha et en plus 450.000 francs
d'économie » affirme un homme à ce propos.
De la même manière l'un des exciseurs nous
déclare « je le fais dans différents villages pour de
l'argent, à chaque opération je gagne 1.500 francs à 3.000
francs, des cabris, des poulets et une jarre de boisson locale ».
Pour un autre « les dépenses engagées sont
incalculables, quelqu'un qui cherche une renommée doit nourrir des
populations venant de plusieurs villages ; pour la circonstance les
dépenses sont énormes, mais les gens arrivent toujours à
s'en sortir valablement ».
En définitive les intérêts
économiques constituent un des facteurs primordiaux qui
déterminent la persistance de la pratique de l'excision. A cette
conclusion, nous avons recueilli des propos comme « si un jour l'on
pouvait supprimer la pratique cela nous ruinerait moins ; en tout cas nos
filles ne suivent plus la tradition, c'est une concurrence qui s'installe de
l'orgueil des familles. Ceci nous montre à quel point les hommes
prennent conscience de la déchéance économique que cela
entraîne de même que la volonté de faire plus que
l'autre.
Dans ces conditions nous partageons l'avis de Omar KOURESSY
lorsqu'il soutient que « mettre fin à cette pratique c'est
toucher à un marché florissant ».
Cependant, des indices favorables à la suppression de
l'excision sont observés ; 92,3% des hommes interrogés et
63,3% des femmes ont déclaré qu'ils pensent qu'il faut supprimer
la pratique.
Un des deux exciseurs penche pour la même
décision. Tandis que le second doute de l'éradication d'une
tradition séculaire. « D'ailleurs, a-t-il dit la
décision d'exciser vient des parents de la filles que celle-ci soit
mariée ou non ».
Karim BELAL et Philippe BLANCHOT ont rapporté que
« chaque année, dans le monde plus de deux millions de
fillettes, la plupart africaines subissent une excision au nom d'une coutume
dont l'origine se perd dans la nuit des temps ». Ils signalent par
ailleurs qu'au Burkina-faso les familles font opérer leurs filles
« clandestinement et sur des enfants de plus en plus jeunes, les
accidents étant mis sur le compte de la
« sorcellerie ». Mais il faudra du temps pour
déraciner une pratique qui relie chaque communauté à ces
ancêtres.
Dans la localité qui a fait l'objet de notre
étude, il ne s'agit pas d'un acte clandestin puisque l'engagement des
parents à livrer leurs filles à l'exciseur déroule de la
croyance et dans une certaine mesure de la peur. Ce qui transparaît
à travers ces deux déclarations « moi, j'ai pris la
responsabilité, et un tel engagement se comprend, parce que j'appartiens
à la culture ... » « de même, si j'ai
tort, on a peur quand même, car si tu passes outre tu vas
mourir ».
Nous pouvons conclure, sur la base de notre enquête que
le phénomène persiste beaucoup plus par la volonté des
parents que par celles des victimes les. Ce que confirme les deux exciseurs qui
nous ont dit que « la décision d'exciser une jeune fille
incombe à ces parents, moi je ne fais qu'exécuter la
décision des parents. »
Quant aux enquêtées non encore excisées,
elles ont dans leur majorité déclaré être sous le
poids de l'environnement socio-culturel de la famille élargie et une
seule pense que ses parents décideront pour elle.
Il semble donc que parents et filles restent encore
tributaires de la tradition dont les aspects négatifs ne
disparaîtront qu'avec la scolarisation à grande échelle ne
serait ce que jusqu'aux cours moyens de l'enseignement primaire.
En définitive la fidélité à la
tradition des ancêtres, domine dans tous les actes essentiels de la vie
sociale. En parlant d'excision, un enquêteur écrit, que
« elle assure tout simplement une fonction normative entre les
différentes générations »
La méconnaissance des conséquences nuisibles
à la femme et aussi les perpétuelles menaces de mort et surtout
l'absence de sensibilisation sont les raisons de la persistance
évoquée par les participants aux discussions.
Une excisée affirme « que la persistance du
phénomène est due au fait que chaque année les gens se
déplacent pour se faire nourrir et participer aux
festivités ».
Une autre exciseuse pense que « c'est parce que les
parents poussent sans cesse leur fille puis il existe un certain orgueil
à vouloir se rivaliser et gaspiller de l'argent ».
Derrière chaque propos nous sentons une peur à
attaquer ouvertement les « vieux », qui de l'avis des
jeunes gens, « sont eux qui entretiennent cette pratique parce qu'ils
s'enrichissent à chaque fois par divers dons ».
Aussi le gain économique y est pour grande car un
exciseur affirme ceci « j'y gagne de l'argent, à chaque fille
excisée j'ai droit à 1.500 francs CFA, quelques fois 3.000 francs
CFA pour me faire plaisir, des poulets, des cabris, un porc et une jarre de
boisson locale ».
Dans tous les cas nous avons deux raisons fondamentales de la
persistance : le gain économique et la peur des menaces de mort.
Certes, c'est une pratique qui persiste que les uns y croient
et les autres, la volonté de maintenir les populations dans le
désir de la pratique.
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