Jean zay, ministre des beaux arts 1936-1939, étude de cas sur sa politique cinématographique( Télécharger le fichier original )par Lisa Saboulard Université de Toulouse II Le Mirail - Master 1 Histoire Contemporaine 2010 |
3.1.1) Les apports du StatutLe projet de Jean Zay de statut de cinéma193(*) déposé en mars 1939 contient des dispositions sur de nombreux domaines : le contrôle des films - en considération l'ensemble des intérêts nationaux en jeu et spécialement l'intérêt de la défense des bonnes moeurs et du respect des traditions nationales -, le contrôle des producteurs, des mesures empêchant les fraudes, etc. Certains titres, comme celui sur les prises de vues cinématographiques (titre III) rendent obligatoires l'obtention d'une carte d'identité professionnelle pour celles-ci dans les lieux publics quand elles sont entreprises dans l'intention d'une projection publique et dans un intérêt commercial. Les infractions sont passibles de sanctions pénales et d'une saisie de la pellicule. Autre titre tout aussi important, même s'il ne fait que quelques lignes, le titre VII sur « des auteurs de films ». Celui-ci précise que sont considérées comme auteurs de films « toutes les personnes physiques qui ont participé à la création intellectuelle du film en tant qu'il constitue une oeuvre originale » (article 46) alors que le producteur était seul ou prédominant selon les jurisprudences, comme le réclamaient les organisations professionnelles de la production. Ce titre est sans doute celui qui situe le mieux ce projet dans la ligne de la réflexion entreprise depuis 1936 en vue de la reconnaissance des droits des travailleurs intellectuels sur leurs oeuvres. Une autre originalité pour l'époque, peu remarquée, tient dans le titre IV et cinq articles sur la question des « clubs cinématographiques ». L'intention du législateur de donner un statut à ces institutions se base sur un échange clair de droits et d'obligations. Le texte de loi prévoit une déclaration spéciale auprès de la préfecture du siège social et la limitation de l'accès aux séances, obligatoirement gratuites, aux cotisants annuels. En satisfaisant à ces conditions, strictes mais cohérentes avec l'état du droit français à l'époque, les ciné-clubs se voient en fait reconnaitre la faculté, jusque-là exercée sans garantie, de projeter tout film, quel qu'il fût, même interdit. D'autres dispositions assez diverses touchant la projection (titre IX), complètent le statut tel que les modifications portées à l'interdiction de location « à l'aveugle » prévue à l'article 4 du décret du 25 juillet 1935, l'interdiction de la pellicule inflammable pour les films d'un format inférieur à 35 mm. Les sanctions pénales s'appliquent à l'Algérie, aux colonies et aux pays de protectorat. L'essentiel du statut se révèle à travers certains titres tel que le II qui pose des règles rigoureuses à « l'exercice de la profession de producteur, distributeur et exploitant de film et aux conditions de travail ». Il s'agit bien évidemment de codifier une législation et une jurisprudence souvent lacunaires ou obscures dans le sens de la protection des intérêts et des préteurs et des salariés. Le compromis Zay peut s'interpréter comme l'échange entre une série de concessions faites par les entrepreneurs. Ainsi, les points capitaux du projet concernent l'assainissement moral de la profession et l'organisation du crédit. Le titre VI (« de la publicité des contrats et des nantissements en matière de films cinématographiques »), avec sa position centrale et sa longueur remarquable (24 articles) est le plus important du statut. La résolution du problème de financement y est proposée dans une perspective morale, toutes les stipulations ayant pour objet de réduire à néant les risques d'escroquerie et d'atténuer ceux issus d'une mauvaise gestion. Comme le précisa Jean Zay devant la commission Renaitour194(*) « Il est souhaitable, alors que l'accès des professions du cinéma est librement ouvert sans réserve et sans sanctions, que certaines garanties de moralité puissent être exigées ; il peut être souhaitable que lorsque les casiers judiciaires de certaines personnes portent des condamnations pour certains délits déterminés : faillites frauduleuses, émissions de chèques sans provision, etc... l'accès de la profession cinématographique, soit interdit » Effectivement, le projet interdit l'exercice de la profession aux personnes ayant subi certaines condamnations ainsi qu'aux faillis non réhabilités et aux anciens administrateurs ou gérants de sociétés ayant été déclarés en faillite au cours des cinq dernières années. Des peines sont d'autre part prévues à l'encontre des préposés du producteur ayant reçu ou prélevé pour une cause quelconque une partie des sommes destinées à la rémunération du personnel engagé pour la réalisation du film, le producteur lui-même pouvant être poursuivi comme complice. Tout ceci a pour but d'éliminer les éléments douteux du domaine cinématographique dénoncés dans la première partie de mon étude de cas. De multiples précautions sont prises pour prémunir à un bout de la chaîne les organismes prêteurs, à l'autre les salariés, contre les détournements de fonds. Le verrou central du dispositif moral est le nantissement195(*) de contrats successifs du film, depuis l'adaptation éventuelle d'une oeuvre jusqu'à l'exploitation en salle, permettant une organisation du crédit. Celle-ci se fonde sur un encouragement des établissements de crédit à prendre une part plus active au fonctionnement de cette industrie par ces mesures et à la publicité des opérations concernant les films. A cet effet, un service du registre central de la cinématographie aurait été institué auprès de l'Office national de la propriété industrielle. Avant le commencement des prises de vues, le producteur est tenu de déclarer l'état-civil de son film avec dépôt d'attestation de l'auteur de l'oeuvre préexistante ou du scénario, d'une copie du scénario ainsi que « tous actes concernant sa propriété et son exploitation » (article 27). Le film terminé, le producteur doit compléter l'état civil de son film (longueur de celui-ci, auteur du découpage et des dialogues, etc.). Ces mêmes déclarations incombent également aux importateurs de tout film étranger. Ainsi se trouve garantie la publicité des opérations financières, condition du projet présente dans l'article 30, qui reconnait à la créance de salaires des « collaborateurs manuels, artistiques et techniques qui ont loué leurs services pour la production d'un film, y compris le metteur en scène », un « privilège spécial sur le film réalisé » et les recettes provenant de son exploitation, dès lors qu'ils sont inscrits eux aussi sur le Registre central. Ce titre rejoint la proposition de Jean Zay196(*) de « créer pour les films une obligation de dépôt légal »197(*). Enfin, autre titre important, et non des moindres, celui qui concerne le « contrôle des recettes » titre VIII. Celui-ci vise à organiser la fabrication et la diffusion des rouleaux des tickets d'entrée et envisage qu'ils « soient avant leur utilisation, soumis au visa du Service du registre central de la cinématographie » (article 49). Les exploitants deviennent donc comptables des sommes représentées. Ce texte deviendra un décret en vertu des pouvoirs spéciaux, à la date du 29 juillet 1939198(*), à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Paul Reynaud, ministre des Finances, a résolu le problème par une application à ce cas précis de l'esprit de compromis qui inspire tout le texte de Zay : en échange de cette soumission au contrôle des recettes, ainsi que d'un relèvement des prix des places au-dessus d'un certain seuil, les exploitants obtenaient un sensible allègement des taxes d'État, et par voie de conséquence, de celles de la ville de Paris. Ce décret prévoit, et jusqu'à aujourd'hui, que les exploitants français se soumettent à un contrôle centralisé de leurs recettes, par le biais de l'utilisation exclusive de billets normalisés en attendant que « lors de la création d'un organisme central professionnel de contrôle et de statistique de l'industrie cinématographique » une marque spéciale puisse être apposée sur les billets d'entrée dans les salles de spectacles cinématographiques. D'autre part, un arrêté peut exiger que les duplicatas de déclaration de profession et de livraison des billets soient transmis à cet organisme. En attendant cette création, le décret soumet déjà les fabricants, importateurs et marchands de billets à certaines formalités de déclaration et, en particulier, à l'inscription obligatoire du nom de fabricant ou de l'importateur sur le billet même. Le décret ajoute que les exploitants deviennent comptables des recettes représentées par les billets reçus et qu'ils doivent déclarer leur stock de billets par catégorie, dans les huit jours de la publication du décret. Un échange réciproque de renseignements sur les recettes des salles est envisagé entre les agents chargés de percevoir l'impôt, d'une part, et les sociétés d'auteurs ou de distributeurs et l'organisme professionnel d'autre part. Une ère nouvelle s'ouvre ainsi dans le domaine du commerce des films mais le décret demeure encore très imprécis sur la nature juridique de l'organisme à créer... Si le statut donne certaines bases juridiques et financières du domaine cinématographique, il reste toutefois silencieux sur de nombres points...
* 193 Description plus précise du statut et le développement de sa création dans Ory P, op. cit., p 436 et Leglise P., op. cit. , p 190. * 194 Où va le cinéma français ?, p 122. * 195 « Le nantissement est une sûreté conventionnelle. Le nantissement d'une chose mobilière s'appelle un "gage" : c'est ainsi que s'exprime l'article 2072 du Code civil. Le nantissement est donc l'appellation générale que l'on donne aux sûretés portant sur des choses mobilières. Le mot "nantissement" est plus communément utilisé par les praticiens pour désigner les sûretés portant sur les fonds de commerce. Le propriétaire qui a consenti un nantissement sur son fonds de commerce, conserve le droit de continuer à gérer son entreprise, il est seulement empêché de le vendre ou d'en faire l'apport en société sans l'accord du créancier. » Définition tirée de http://www.dictionnaire-juridique.com/definition/nantissement.ph * 196 Où va le cinéma français ? p 131 * 197 La question du dépôt légal a été posée dès les premiers temps du cinéma afin de s'attaquer à la contrefaçon, mais que parmi les freins à ce projet l'on trouve l'inquiétude de certains services vis-à-vis de leur grande inflammabilité. Il fallu attendre la loi du 19mai 1925 pour que le dépôt légal des films devienne obligatoire, cependant les épreuves devaient être tirées sur papier et le dépôt suffisait quand il ne comprenait qu'une image par sujet ou par scène. En outre, il n'entrainait aucune implication juridique. * 198 Journal officiel du 29 juillet 1939, ce décret « relatif au contrôle des recettes des salles de cinéma » précise cette disposition du projet de loi dans son article 2 qui impose « qu'une marque spéciale soit apposée sur la souche, le billet et le coupon de contrôle ». |
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