La problématique de la gouvernance locale dans la région de l'est-Cameroun: une analyse de la perception du maire par les populations de la ville de Bertoua( Télécharger le fichier original )par Bertille Arlette JIOKENG NDOUNTIO Universite Catholique d'Afrique Centrale - Master en Gouvernance et Politiques publiques 2010 |
Paragraphe 2. Le dynamisme de l'entreprise individuelle en dehors de toute initiative dumaire ou « l'ouverture du jeu collectif141(*) »La fonction de maire, nous l'avons vu, se trouve aux confins de nombreuses exigences et sollicitations. De fait, le maire est une personnalité qui gère des pressions venant de toute part et qui doit, dans le même temps, promouvoir le développement de sa commune. Mais il faut dire que la fonction de maire se complexifie et se professionnalise de plus en plus. L'on parle même déjà du « métier » de maire car il requiert de plus en plus des compétences non plus uniquement de conciliateur, mais aussi de gestionnaire, de manager. D'une façon plus générale, le détachement progressif de l'intervention presque exclusive du maire dans la gouvernance locale traduit une ouverture de l'Etat à d'autres sphères d'action, ce qui lui permet, non seulement, de diversifier ses champs d'intervention, mais aussi, d'innover dans la façon de penser l'action publique locale. Patrice DURAN ne disait pas le contraire en affirmant que « l'Etat n'est plus conçu comme une entité homogène et monolithique mais apparaît constitué comme « une pluralité d'agences et de niveaux d'action, (...) un univers fragmenté en de multiples systèmes d'action dont les modalités d'intégration partielles et locales rendent difficilement pensable une quelconque régulation centralisée142(*) ». Eu égard au contexte local de la gestion des affaires publiques, l'on comprend que le maire doive partager son pouvoir avec des acteurs autres. Pour ce faire, il doit composer avec d'autres acteurs pour satisfaire aux exigences de la gouvernance locale. Le maire représente une instance d'écoute et de facilitation du dialogue avec toutes les composantes de la commune. L'on comprend ainsi que les transformations de la fonction de l'élu rencontrent un mouvement de fond qui traverse les collectivités locales. Trois dimensions, en particulier, sont significatives et susceptibles de façonner un autre visage des politiques, plus encore un « médiateur » du vivre ensemble : la création d'instances de concertation et de débat parmi les habitants, l'inscription des communes dans un maillage local et régional, l'élargissement des relations entre le politique et les autres instances de la société civile143(*). Le développement local n'est pas le monopole exclusif du maire. Des initiatives privées permettent de poursuivre les mêmes objectifs. Un enquêté nous a d'ailleurs déclaré qu' «il existe d'autres structures telles que les Organisations Non Gouvernementales (ONG) qui font très bien le travail du maire ». Le maire se trouve à devoir, et souvent, à vouloir, travailler avec les acteurs de la société civile pour assurer un développement plus à même de répondre aux besoins de la population. C'est la raison pour laquelle Djribril DIOP écrit que : Il est indispensable aujourd'hui, pour mieux cadrer avec cette dynamique où personne ne se semble responsable de rien et pour rendre la gestion des collectivités locales plus saine, de revoir le statut de l'élu local en matière de responsabilisation. En effet, au moment où l'on note de plus en plus d'intervenants et la montée d'une certaine « société civile » locale, il devient fondamental que cet acteur important dans le processus décentralisation puisse jouir d'une reconnaissance et une circonscription de ses responsabilités plus conforme à son rôle et à sa mission.144(*) En tenant compte de ces nouvelles exigences qui poussent le maire à se réinventer chaque jour, il importe désormais de repenser véritablement la figure du maire. A travers ces diverses évolutions se dessine un nouveau visage de l'élu : bon gestionnaire ou organisateur, il n'est plus tout puissant, il dialogue et devient homme ou femme de relations : impliqué dans de multiples instances et dossiers, il connaît les personnes, il suscite les rencontres, il fédère les habitants, parvient à rendre compte de l'avancée des projets et à communiquer. Sa figure se détache ainsi de celle du « magistrat » pour se rapprocher de celle du « médiateur »145(*). Ces différentes casquettes que porte le maire dans la ville de Bertoua le poussent à reconsidérer l'image qu'il reflète auprès, non seulement de ses électeurs, mais aussi de ses collaborateurs. La professionnalisation semble devenir une exigence qui pourra servir à lutter contre le favoritisme décrié par les populations. Les agents municipaux confrontés à l'émergence de ces nouvelles contraintes développent un modèle nouveau de gestion des affaires de la commune. L'acceptation du partage de pouvoir avec d'autres entités est d'autant plus important qu'a côté de la rigidité et de la fragmentation de la construction étatique, la fonction publique territoriale a su construire un modèle d'une plus grande souplesse. On voit ainsi apparaître une fonction publique de métiers correspondant à une professionnalisation renforcée et à une meilleure adaptation aux missions de service public146(*). Désormais, la viabilité et le réalisme d'un projet municipal ne se mesurent plus seulement à l'échelle de la commune. Ils impliquent la prise en compte des territoires voisins et une vision plus globale, dont la région apparaît comme la bonne mesure. La tâche n'en est pas simplifiée. L'option prise pour l'intercommunalité (plutôt que la réduction du nombre des communes) peut conduire à une superposition de structures, si ce n'est à une opacité et une moindre participation des habitants. Ceci implique de la part de l'élu un élargissement du regard, une capacité à fédérer ou à relayer des initiatives dont certaines ont pu trouver leur origine en dehors du territoire de la commune147(*). * * * A l'issue de ce chapitre, on peut comprendre que la légitimité du maire à Bertoua est en pleine refondation. De la crise de la participation des populations à une crise de confiance en la personne de l'élu local, la légitimité du maire est compromise. Bien que le maire soit une autorité élue, et partant, issue de la volonté du peuple, les populations ne se reconnaissent plus en lui. Sa place et son importance en prennent un coup car un minimum de 39% de la population pense qu'on peut vivre sans maire car il n'est « finalement pas si important que ça ». Néanmoins, un paradoxe est à noter. Même si les populations de Bertoua se disent insatisfaites du travail du maire et que quelques unes d'entre elles n'en veuillent plus, la majorité d'entre ces populations (61%) reconnaissent que le maire représente l'ordre et la loi dont a besoin toute organisation sociale et que le maire ne peut ne pas être. Les plus humbles réussissent d'ailleurs à avouer que « c'est nous-mêmes qui l'avons porté à ce poste », reconnaissant ainsi leur part de responsabilité dans la gestion du maire. Un accent particulier est cependant mis sur la nécessité, pour le maire, de collaborer avec la population et d'encourager l'entreprise individuelle. Considérer l'autre comme un partenaire et un atout plutôt que comme un ennemi à détruire à tout prix semble donc être le mot d'ordre des populations à l'endroit des maires. * 141 Expression qui explique comment le dispositif de pilotage centralisé par l'Etat perd largement de sa prééminence sinon est en voie de disparition. Il lui succède progressivement un autre mode de gouvernance et de pilotage, pluraliste, ouvert et différencié, dont l'épicentre se trouve autour du traitement territorialisé des problèmes. Nous l'empruntons à Patrice DURAN et Jean-Claude THOENIG qui l'ont développée dans « L'État et la gestion publique territoriale », in Revue française de science politique, volume 46, No 4, 1996, p. 590. * 142 P. DURAN, Penser l'action publique, Paris, LGDJ, coll. « Droit et Société. Série politique », 1999, p. 13 * 143 P. MARTINOT-LAGARDE, disponible sur http://www.ceras-projet.com/index.php?id=1956 * 144D. DIOP, « Etre élu local au Sénégal, c'est quoi ? », disponible sur http ://www.sendeveloppementlocal.com/Etre-elu-local-au-Senegal-c-est-quoi_a1077.html, consulté 12 mai 2010, à 12h50 min.* 145 P. MARTINOT-LAGARDE, disponible sur http://www.ceras-projet.com/index.php?id=1956 * 146 Y. COLMOU « Les collectivités locales : un autre modèle », in Pouvoirs 2/2006, N° 117, p. 27-37. * 147 P. MARTINOT-LAGARDE, disponible sur http://www.ceras-projet.com/index.php?id=1956 |
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