La problématique de la gouvernance locale dans la région de l'est-Cameroun: une analyse de la perception du maire par les populations de la ville de Bertoua( Télécharger le fichier original )par Bertille Arlette JIOKENG NDOUNTIO Universite Catholique d'Afrique Centrale - Master en Gouvernance et Politiques publiques 2010 |
Paragraphe 2. Une autorité élue distante de sa base électoraleLe maire est une autorité élue. Pour accéder à son poste, il entreprend une campagne électorale visant à faire adhérer le maximum de personnes au projet de société qu'il présente. Pendant cette campagne, il présente les grandes lignes dudit projet entraînant ainsi promesses et engagements. Une fois élu, le maire se doit de prendre en main le développement de la localité en tenant compte des différences, voire des divergences qu'il rencontre au sein de la population car l'élu local (...) est un médiateur, à la fois un arbitre et un intermédiaire. Au sein de communes rurales, où l'interconnaissance entre les habitants est le plus sûr fondement d'une démocratie communautaire, des élus, non professionnels, jouissent de la disponibilité et de la confiance de chacun106(*). Seulement, pour mener à bien ses missions, il doit être proche de ses « administrés » afin de les faire participer à son action locale. On sait que « l'idée de participation n'est jamais très éloignée d'une autre question très actuelle dans nos démocraties qui est celle d'une nécessaire proximité entre l'élu et le citoyen. Ce terme de proximité, connoté positivement, rarement défini mais grâce auquel les vertus redécouvertes du local permettraient de renouer avec la pureté d'un modèle démocratique original ou originel, alimente fréquemment un discours d'autolégitimation de l'élu» 107(*). Cependant, cette organisation démocratique et cette proximité dans l'action avec les personnes qui y vivent sont rendues possibles par la dimension modeste du territoire formé par la communauté de communes et ne sont pas forcément envisageables à une échelle plus large108(*) tant il est que la participation permet d'avoir plus de richesse et de diversité dans les idées, et plus de moyens d'agir109(*). Nous avons recueilli les « impressions » des populations de Bertoua au sujet de la proximité qui existe entre leur autorité municipale et elles. Le traitement de cette donnée nous a permis de constater que le maire est perçu comme étant très distant de sa base électorale. Nombreux sont ceux qui estiment que le maire devrait toujours se référer à ceux qui l'ont promu à ce poste pour prendre des décisions et satisfaire aux engagements issus des promesses de la période de campagne. La représentation graphique qui suit présente la perception de la proximité du maire par les populations de la ville de Bertoua. Graphique 4: Perception de la proximité du maire par les populations de la ville de Bertoua Source : Notre enquête de mars 2010. Si la communication est un facteur de participation citoyenne alors que cette dernière est une condition importante à la gouvernance au niveau local, on peut donc dire que la communication est un véritable élément sans lequel le développement ne saurait être réel. La Charte des paysans élaborée lors de la Conférence Mondiale sur la réforme agraire et le Développement qui s'est tenue à Rome en 1979 précise notamment que la compréhension et la prise en compte des problèmes et des potentialités du monde rural, l'amélioration des interactions entre les agents de développement et la population à travers un système de communication performant, voilà les conditions préalables à la réussite de toute stratégie de développement rural110(*). En outre, les objectifs de développement, les modalités et le rythme de sa mise en oeuvre, ses chances de durabilité seront essentiellement déterminés par le niveau d'engagement et de participation de la population ainsi que sa capacité à acquérir et à mettre en pratique des compétences ou des savoirs nouveaux. Dès lors, les élus n'ont de cesse de créer les conditions d'un sentiment d'appartenance, sentiment qui permet à la population de se sentir solidaire vis-à-vis de l'action du maire en ce qui concerne l'amélioration des conditions de vie. « Ils ne s'emploient pas seulement à répondre aux préoccupations quotidiennes des habitants mais aussi à nouer des contacts avec eux et à trouver un « liant » qui permette à la fois d'exister entre soi et de manifester au-dehors que (qui) l'on est. C'est dans la participation de ses habitants à des actions porteuses d'une dimension symbolique (patrimoniales ou culturelles) que les élus cherchent à enclencher un processus d'identification, une appropriation de l'espace commun dont le capital symbolique originel est faible111(*). » Devant l'imagination dont les élus font quelquefois preuve pour oeuvrer à une transformation sociale, faut-il être résolument optimiste, avec Alain FAURE, et penser que la structure même de l'intercommunalité changera les manières de faire ? Ou bien rester prudent, avec François POULLE et Yves GORGEU, les auteurs de l'Essai sur l'urbanité rurale, et penser que les aspirations à plus de démocratie au niveau local comme au niveau national seront toujours le fait d'une minorité ?112(*) Quoiqu'il en soit, la volonté de traiter l'usager comme un partenaire apparaît comme le point d'aboutissement de la professionnalisation de la relation à l'usager. On en attend pas moins qu'il se comporte en partenaire, c'est-à-dire en consommateur responsable, conformément d'ailleurs à l'éthique défendue par le consumérisme. On voit ainsi germer l'idée de remplacer ou de compléter la relation réglementaire usager/service public par une relation de type contractuel, c'est-à-dire une relation reposant sur un engagement mutuel113(*). En suggérant la contractualisation114(*) de la relation avec l'usager, on convoque ce que Jean-Pierre GAUDIN115(*) appelle l'imaginaire politique du contrat, reposant sur la croyance d'un accord fondé sur la volonté et le libre engagement des parties. Le contrat aurait plus de légitimité à fonder l'action publique qu'un principe transcendant, car portant en lui la promesse d'un rapport plus juste. Selon cette vision idéalisante et désincarnée, le glissement vers une forme de relation contractuelle serait par ailleurs source de liberté. C'est oublier la force contraignante du contrat. D'abord, parce que l'usager est souvent invité à y adhérer sans avoir participé à son écriture. Ensuite, et plus largement, parce que l'objectif du contrat, qu'il ait une valeur juridique ou simplement symbolique, est de créer un lien qui engage les partenaires pour rétablir la confiance116(*). Pareille situation pousse à penser à la mise sur pied d'un nouveau modèle de participation qui serait plus réaliste. L'usager se veut un partenaire d'une relation donnée comme équilibrée. Mais, cet usager l'est également simplement en vertu de son statut de citoyen. Parallèlement, la relation partenariale établie avec l'usager semble prendre un tour plus ouvert avec l'apparition d'une participation pragmatique, largement suscitée et organisée par les responsables locaux. Les élus ne peuvent plus faire passer leurs projets d'aménagement tout seuls, il est essentiel que la population puisse se les approprier117(*). On attribue ainsi à la participation pragmatique la vertu de désamorcer la critique publique. * * * Ancrage des relations entre le maire et les populations, la communication nécessite quelques prérequis pour s'installer. Il semble cependant se profiler une persistance des schèmes stato-centrés. En effet, les populations de Bertoua assimilent le maire à une autorité déconcentrée aux attributs de puissance publique et le confinent à un rôle essentiellement « bureaucratique ». Pour elles, la dimension politique que revêt la fonction de maire prend le pas sur sa vocation sociale voire humaine. Ainsi, la proximité qui est censée être la caractéristique principale du maire est mise à mal dans la mesure où les populations considèrent que le maire « est toujours dans ses bureaux à travailler, non pas pour le peuple, mais pour l'Etat ». Dans le même ordre d'idées, cette absence de communication semble avoir des conséquences notables sur la participation des populations. Ces dernières se plaignent notamment de l'absence de plateformes d'expression et d'échange pouvant permettre l'exposé des besoins et la concertation. Il convient de préciser à cet égard que le maire est élu sur la base de sa proximité et son sentiment d'appartenance, mais durant son mandat ces éléments ne constituent plus forcement une ligne de conduite. Le maire est, de ce fait, considéré comme une autorité distante de sa base électorale, ce d'autant plus que plus de la moitie118(*) des personnes enquêtées ont affirmé que le maire à Bertoua est distant de sa population. Cet état des choses jette le discrédit sur la figure du maire dont la légitimité tend à s'effriter. Au final, l'on se rend compte que la communication est un aspect essentiel sur lequel il faudrait sans aucun doute que l'administration municipale mette un accent particulier pour rassurer sa légitimité. Mais cela suffit-il à enrayer la crise de confiance qui se profile à l'horizon ? * 106 M. PAOLETTI, disponible sur http://www.ceras-projet.com/index.php?id=1956 * 107 Communication orale de Rémi LEFEBVRE, chercheur au CNRS-CERAPS, lors d'une journée d'étude sur la proximité à l'université de Lille le 18 septembre 2003, citée par Sylvie MALSAN « La nécessité de la participation est-elle toujours argumentée par un besoin de plus de démocratie ? », in Revue du MAUSS 2/2005, No 26, p. 231-248. * 108 S. MALSAN, op. cit., pp. 231-248. * 109 Ibid. * 110 La charte des paysans, Conférence mondiale sur la réforme agraire et le développement rural (CMRADR), Déclaration de principes, FAO, Rome, 1979, disponible sur http://www.fao.org/docrep/t1815f/t1815f00.HTM, consulté le 14 mai 2010. * 111 M. ABELES, Jours tranquilles en 1989, Paris, Odile Jacob. berTho Catherine, 1980, « L'invention de la Bretagne », Actes de la recherche en sciences sociales, n° 35, cité par Sylvie MALSAN « La nécessité de la participation est-elle toujours argumentée par un besoin de plus de démocratie ? », in Revue du MAUSS 2/2005 (no 26), p. 231-248. * 112 S. MALSAN, op. cit., pp. 231-248 * 113 R. LEFEBVRE, « Rapprocher l'élu et le citoyen. La « proximité » dans le débat sur la limitation du cumul des mandats (1998-2000) », in Mots. Les langages du politique, n° 77, Proximité, mars 2005, mis en ligne le 31 janvier 2008. URL : http://mots.revues.org/index127.html, consulté le 18 mai 2010, à 22h30 min. * 114 Cette notion est définie, par Patrice DURAN, comme un mode institutionnel et gestionnaire largement répandu dans la structuration des échanges entre collectivités publiques. Elle constitue une des clés de voûte de la gestion territoriale. Pour lui, les rapports de force plus ou moins permanents et plus ou moins visibles entre les protagonistes de l'action publique expliquent l'importance de la formalisation. Non seulement la pratique contractuelle entérine l'existence de rapports de pouvoir plus explicites, mais d'une certaine manière on ne peut plus dire que le contrat mette en scène des acteurs abstraits. Il ne présuppose pas l'égalité de fait des contractants. Il vise à structurer de manière plus ou moins durable et spécifique des modes d'échanges et à articuler ainsi des positions diverses dans un contexte d'interdépendance entre des problèmes, des acteurs et des intérêts. * 115 J-P GAUDIN., 1999, Gouverner par contrat : l'action publique en question, Paris, PFNSP, cité par R. LEFEBVRE, op. cit., disponible sur http://mots.revues.org/index127.html. * 116 R. LEFEBVRE, disponible sur http://mots.revues.org/index127.html, consulté le 18 mai 2010, à 22h30 min. * 117 Ibid. * 118 Voir graphiques présentés précédemment |
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