La problématique de la gouvernance locale dans la région de l'est-Cameroun: une analyse de la perception du maire par les populations de la ville de Bertoua( Télécharger le fichier original )par Bertille Arlette JIOKENG NDOUNTIO Universite Catholique d'Afrique Centrale - Master en Gouvernance et Politiques publiques 2010 |
CHAPITRE 2IMAGE DU MAIRE ET GESTION PARTICIPATIVE DE L'ACTION PUBLIQUE LOCALELes fonctionnaires territoriaux sont au contact immédiat de tous les publics de leur territoire (...) Ils ont pour mission directe de contribuer à renforcer la possibilité et la volonté de vivre ensemble, au quotidien, sur un territoire donné. Leur identité tient à cette proximité et impose une grande réactivité.65(*) Dans sa dynamique d'impulsion du développement local, le maire est censé faire participer « tout le monde » à la prise de décision. Mais, cette participation des populations semble être étroitement liée à l'image qu'elles ont de leur maire. Compte tenu de cet état des choses, le maire trouve le moyen d'utiliser les ressources qui sont à sa disposition pour « entrainer » un maximum d'adhérents à sa « cause » et promouvoir ainsi l'épanouissement et le développement local. C'est sans doute la raison pour laquelle Olivier LEBRAUD affirmait que : Pour composer avec ces contraintes environnementales et contextuelles, le maire dispose de ressources qui lui permettent de s'ajuster à ce rôle et à le personnifier de façon légitime. Ces ressources sont principalement d'ordre historique (légitimité conférée par le suffrage universel), fonctionnel (pouvoir politique et budgétaire) et social (mise en place de réseaux d'influence). En revanche, leur mobilisation ne peut se faire que sous contrainte : il convient que le maire les inscrive dans l'exécution des missions légitimes d'action, de rassemblement et de développement communal.66(*) En réalité, l'appréciation de l'action du maire détermine l'adhésion à ses décisions (section1) tout autant que le degré de satisfaction, mieux l'insatisfaction que peut éprouver la population, résulte généralement d'un sentiment de non implication (section 2). Section 1 : L'appréciation de l'action du maire comme facteur d'adhésion à ses décisionsLe « jugement » que posent les populations sur l'action du maire semble influencer en grande partie leur adhésion aux différentes décisions qu'il prend. En réalité, la notion de satisfaction entre en jeu à ce niveau et permet d'appréhender l'utilité de l'établissement d'un lien entre appréciation de l'action et adhésion aux décisions. A cet effet, nous considérerons comme objectif primaire des collectivités locales la satisfaction des citoyens qui implique celle de toutes les autres parties prenantes à la performance des collectivités locales notamment les « bureaucrates », les prestataires de service, le personnel municipal et les agents municipaux qui sont en contact direct avec les citoyens locaux. Dans leurs conclusions relatives à une étude comparative sur la perception de l'administration publique par les citoyens camerounais et maliens, FOUDA ONGODO, CISSE et CAPIEZ faisaient remarquer que la participation à la vie de la cité par les élus est plus prononcée dans les collectivités locales camerounaises que dans les collectivités locales maliennes. De la même manière, il apparaît que le degré de tolérance et d'intégration est plus fort au Cameroun qu'au Mali. Pour améliorer la perception de leurs performances, les mairies locales doivent porter plus d'attention sur les composantes pour lesquelles les perceptions sont négatives ou nuancées67(*). Toutefois, cette affirmation semble sonner le glas d'une quelconque émission d'avis sur la question évoquée. Il importe cependant de nous appesantir sur les déterminants de l'appréciation de l'action du maire par les populations (paragraphe 1) avant de nous pencher sur la question de la mobilisation des forces locales par le maire à travers le capital sympathie (paragraphe 2). Paragraphe 1. Les déterminants de l'appréciation de l'action du maireInterroger l'appréciation qu'a une personne de l'action d'un maire revient à questionner des raisons qui peuvent parfois s'avérer être très personnelles. Lors de nos entretiens, de nombreuses personnes nous ont confié que leur évaluation de l'action du maire dépendait de plusieurs éléments notamment la proximité ou non avec le maire et l'appartenance politique. En ce qui concerne la proximité, il est ressorti des qualificatifs ou des attributs qu'un « bon » maire, selon la population de Bertoua devrait avoir. Ainsi, entre un maire ferme, autoritaire et un maire « gentil », le choix semble évident. Le graphique suivant fait ressortir les tendances des souhaits à l'égard des attributs sus-évoquées. Graphique 2: Attributs souhaités d'un maire Source : Notre enquête de mars 2010 Nos enquêtes ont révélé que toutes les personnes qui disaient être « satisfaites » de l'action du maire étaient des personnes très proches du maire, ayant ainsi l'opportunité de le rencontrer à n'importe quel moment pour lui poser telle ou telle autre doléance. L'analyse de ce graphique montre que plus de la moitie des personnes interrogées veut un maire « gentil et à l'écoute » et, partant, plus proche de la population. Lorsqu'une personne se sent « proche » du maire, soit par le biais de sa profession ou de son ethnie, cela semble influencer fortement le jugement qu'il pose sur l'action du maire. Aussi, les personnes qui ont qualifié le maire de personnalité « distante », ont quant à elles, toutes émis un « jugement » négatif sur la pertinence, l'utilité ou encore l'efficacité de l'action du maire dans la ville de Bertoua. Cela signifie que leurs propos laissaient transparaître une espèce de frustration et de « ras-le-bol » qui trouve sans doute sa justification dans la non-prise en considération de leurs intérêts propres. Le maire est très souvent sollicité pour régler les conflits les plus divers. Qu'il s'agisse d'un conflit matrimonial ou d'une affaire de vol, on attend de lui qu'il agisse à la fois en tant qu'agent de l'État et en tant qu'homme de la cité. Ainsi, il est attendu de lui qu'il fasse prévaloir une gestion des conflits répondant aux normes locales et tenant spécialement compte de sa proximité sociale avec les personnes concernées. De plus, le maire doit agir de manière à satisfaire, d'un côté, l'exigence d'une justice conforme à ses standards et, de l'autre, la demande populaire d'un règlement du conflit qui garantisse les liens sociaux saufs et qui ne porte guère atteinte à l'unité de la cité. Mais, il convient de dire que les principes qui motivent généralement le choix d'un maire par la communauté sont essentiellement déterminés par les rôles que celle-ci voudrait le voir assumer. De ce fait, les populations de Bertoua semblent faire très souvent fi des exigences légales voire sociales du maire pour exprimer leur besoin d'être écoutées. Il est vrai que le maire se doit d'associer les populations à la prise des décisions mais ces mêmes populations en ont une compréhension quelquefois erronée. Elles estiment, ou du moins, croient qu'associer à la décision signifie résoudre les problèmes de la cite au cas par cas et donner ainsi satisfaction à tous et à chacun. Elles ont donc quelquefois du mal à cerner la notion d'intérêt général, préconisant à défaut une approche plus personnalisante que collective. Par ailleurs, l'appartenance politique semble jouer un rôle prépondérant dans l'appréciation du maire par les populations. Ici, le parti politique apparaît comme un espace de conflit qui déteint généralement sur les relations entre le maire et la population. Le traitement des données relatives à l'obédience politique de nos enquêtés nous a permis de comprendre à quel point cet élément pouvait être déterminant. Il en ressort effectivement que les populations qui ne sont pas de la même obédience politique que le maire, arborent une posture d'emblée défensive voire négative à tous points de vue. « La commune constitue le niveau de base de la vie politique. Les partis sont organisés d'abord au niveau communal (la section) et le conseil municipal constitue le prolongement naturel d'un engagement politique local (souvent les élus locaux constituent l'ossature de base du parti)68(*) ». Il en va de même de la vie associative : nombre de conseillers municipaux ne sont pas adhérents d'un parti mais d'associations (parents d'élèves, associations de quartiers, représentants de groupes d'intérêt) qui n'ont d'existence qu'au niveau local même si elles appartiennent à des mouvements nationaux. Pour toutes ces formes d'engagement, la commune représente l'horizon indépassable69(*). Il semble donc que les « différends politiques » soient transposés sur la scène « administrative », entrainant ainsi des conséquences indéniables. Aussi, certains enquêtés, politiquement proches des maires à Bertoua, nous ont avoué qu'ils ne pouvaient en aucune occasion porter un jugement négatif sur l'action, non plus de leur maire, mais de leur « camarade » au sens politique du terme. Une telle affirmation jette évidemment le discrédit sur l'objectivité de l'analyse des catégories représentationnelles du maire dans la ville de Bertoua. A la question posée de savoir pour quelles raisons, la population adhère-t-elle aux décisions du maire, de nombreuses personnes ont répondu « J'adhère parce que c'est le maire et je n'ai pas vraiment le choix vu que c'est nous qui l'avons voté ». Ce genre de déclarations aide à se rendre compte que quelque part encore, les populations gardent en vue la nature « élective » du maire. A ce moment, c'est l'autorité plus que le pouvoir qui se dessine en fond de toile et qui « impose » une certaine conduite. Quelquefois, l'appartenance ethnique nous a semblé déterminante dans l'analyse de l'image que pouvaient avoir les populations de Bertoua de leur maire. Car en réalité, les entretiens ont laissé transparaître quelques éléments permettant d'entrevoir que les populations de Bertoua sont très sensibles à la question de l'appartenance ethnique des représentants locaux. Ainsi, en ce qui concerne les mérites du maire, les populations soulignent, outre sa mobilisation pour le développement local, son enracinement dans la communauté. Cette « qualité » semblait importante aux yeux de la population car pour être son intermédiaire et son « défenseur70(*) », il faudrait que le maire sache non seulement communiquer efficacement mais aussi qu'il sache être un porte-parole fidèle des aspirations de la communauté. L'enracinement local du maire apparaît donc ainsi comme un gage de proximité et donne en retour un quitus valable à la population pour lui demander des comptes. Seulement, il faudrait relativiser cette analyse à cause du caractère cosmopolite de la ville de Bertoua. Au delà de ces éléments, non moins importants, qui déterminent somme toute l'adhésion des populations à l'action publique locale du maire, ce dernier doit en plus mobiliser son capital sympathie et les forces locales pour promouvoir un changement social. * 65 Yves COLMOU, « Les collectivités locales : un autre modèle », in Pouvoirs 2/2006, N° 117, p. 27-37. * 66 O. LEBRAUD, disponible sur http://espacestemps.net/document616.html. * 67 F. ONGODO, et al., disponible sur http:www.cidegef.refer.org/douala/Fouda_capiez_cisse.doc, consulté le 12 avril 2010, à 8h44 min. * 68 H. PORTELLI, op. cit., p. 40. * 69 Ibid. * 70 Selon les termes d'une enquêtée. |
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