C/ Approches particulières aux différents
secteurs de l'économie
De quelle manière l'éducation
a-t-elle été privatisée en Pologne ? L'étude
de cet exemple particulier va nous permettre d'avoir une idée plus
concrète de la privatisation et de ses théories.
La privatisation du système éducatif en
Pologne a commencé presque immédiatement après
l'effondrement du socialisme réel. Le 12 septembre 1990 la chambre basse
du parlement (Sejm) a promulgué la loi autorisant la
création d'écoles supérieures non publiques et le 7
septembre 1991 la loi concernant l'enseignement primaire et secondaire a
donné le feu vert au développement du secteur privé dans
cette branche éducative. Depuis, les établissements non publics
sont présents à tous les niveaux. Voyons de plus près de
quelle manière la privatisation du système s'est-elle
opérée dans le primaire/secondaire, le supérieur ainsi que
dans le secteur public, dont certains établissements ont ouvert des
sections privées.
En 1999, dans l'éducation primaire et secondaire,
on comptait 2 000 écoles primaires et secondaires privées
qui rassemblaient environ 200 000 élèves, soit 2,5% de
l'ensemble des élèves polonais. Au début des années
1990, les établissements de ce secteur ne recevaient pas encore de
subventions de l'Etat mais à partir du milieu des années 1990, le
budget a commencé à les financer. La part des subventions
publiques dans les budgets des écoles privées pour l'année
scolaire 2000-2001 a été de 35% pour les écoles primaires,
36,4% pour les collèges et 44,9% pour les lycées. Malgré
cette aide considérable de l'Etat, les frais de scolarité ont
augmenté. Selon un rapport de la NIK (Chambre suprême de
contrôle) portant sur un contrôle réalisé en 2001
dans 11 districts et 320 communes du pays - le montant moyen mensuel des frais
de scolarité était de 400 PLN, soit environ 100 euros dans les
écoles primaires et de 175 PLN, soit 43,75 euros dans les
établissements secondaires. Dans un pays où le niveau de vie
reste bien plus bas que dans les pays d'Europe occidentale, les couches les
moins favorisées, enfants de chômeurs et familles rurales sont
complètement exclues de ce système élitiste.
En 1998, l'Etat a décentralisé l'ensemble
du système éducatif. Depuis, les écoles primaires sont
gérées et financées par les communes (gminy), alors que
l'enseignement secondaire se trouve sous la tutelle des districts (powiaty).
Enfin, en 1999, une nouvelle réforme est entrée en vigueur. D'un
système à deux échelons - un tronc commun de huit ans pour
les enfants de 7 à 15 ans, suivi d'un lycée d'enseignement
général ou d'un enseignement technique ou professionnel - on est
passé à un système à trois échelons, avec un
échelon intermédiaire, le « gymnase »
(collège) pour les 13 - 16 ans. Toutes ces réformes ont
été très contestées aussi bien par les
spécialistes que par les parents. La BERD a participé à la
privatisation de l'éducation mais a aussi critiqué les
dernières réformes. En effet, la décentralisation du
financement porte en germe le développement d'inégalités
régionales et d'un système éducatif à deux
vitesses. Comme la Banque Mondiale en a avertit le gouvernement polonais, le
contribuable de la « riche » Varsovie peut en effet verser
en moyenne plus d'impôts que l'habitant de la campagne ruinée par
la liquidation brutale des fermes d'Etat. La création des gymnases a
aussi entraîné la liquidation des petites écoles de
campagne, ce qui a provoqué les protestations des parents. Ils ont peur
que leurs enfants ne soient rejetés par les collèges des
écoles communales plus riches, ce qui a semblé justifié si
l'on en croit les rapports internationaux.
Du point de vue quantitatif et social, c'est toutefois la
privatisation de l'éducation supérieure qui constitue le
phénomène le plus important. Plus de dix ans après son
introduction, la population estudiantine en Pologne compte 1,8 million
d'étudiants contre environ 390 000 en 1989, ce qui
représente une augmentation de plus de 4 fois. Le taux de scolarisation
brut, c'est-à-dire la relation la relation entre le nombre total de la
population estudiantine et le nombre de la tranche d'âge 19-24 ans de la
société, a atteint en 2003 43,6% contre 12,9% en 1989. En 1998,
7% de la population polonaise possédait un diplôme de formation
supérieure. Cette évolution spectaculaire ne s'explique cependant
pas uniquement par la privatisation, même si cette dernière, en
plus d'avoir crée de la diversité dans les études, a
également stimulé l'éducation supérieure publique.
Le secteur privé forme 29% de la population
estudiantine, soit 52 000 étudiants. Il compte actuellement 286
établissements, mais seuls 21,1% des étudiants de ce secteur
poursuivent leur enseignement dans le système régulier et
journalier. Les écoles non publiques ont surtout développé
des formations de type économique, telle que la gestion, le marketing,
les finances. Pour ouvrir un établissement privé, il faut obtenir
une autorisation du Ministère de l'Education. Le statut de
l'école doit être accepté par ce ministère. Le
secteur public de son côté compte 120 écoles
supérieures dont 86 dépendent du Ministère de l'Education,
de la Recherche et du Sport (MENiS), 34 dépendant d'autres
ministères.
Dans toutes les écoles supérieures de
Pologne, 80 100 enseignants sont employés, dont 17 700
professeurs, 429 directeurs de recherche avec habilitation, 3 031
maîtres de conférences, 17 500 assistants. Au début
des années 1990, les grandes écoles embauchaient environ
60 000 enseignants. Plus de dix ans après, leur nombre a donc
seulement augmenté de 27%. Ceci constitue une flagrante disproportion
avec le développement rapide du nombre d'établissements scolaires
et des étudiants. En fait, l'Etat s'est montré
particulièrement avare pendant la période de transition. De 1990
à 1999, il a diminué de moitié ses dépenses
budgétaires pour ce secteur, trois fois si l'on compte par
étudiant. Les dépenses annuelles pour les besoins de
l'éducation constituaient en 2002 en Pologne 3% du PNB, dont seulement
0,84% pour l'enseignement supérieur, alors que les pays riches
dépensent en moyenne 5,3% de leur PNB. En conclusion, cette croissance
du secteur de l'éducation supérieure, certes quantitativement
impressionnante, a été obtenue non pas grâce à un
investissement dynamique de la part de l'Etat mais, par son abdication :
il a rejeté les coûts de cette
« réforme » sur la société.
En 1999, la NIK a contrôlé 80
établissements scolaires non publics sur les 180 existants. Elle voulait
savoir comment leur activité était surveillé, car la loi
du 2 septembre 1990 ne donne pas au ministère la possibilité
d'exercer un contrôle direct sur l'activité des écoles
privées. Les enquêteurs ont mis en évidence leur manque
d'enseignants et leur démarche purement commerciale. Ainsi, dans la
très médiatisée et « élitiste »
Ecole privée de journalisme « Melchior Wankowicz »
à Varsovie, on a embauché des personnes n'ayant pas les
qualifications d'enseignant supérieur alors même que dans son
prospectus publicitaire, tous ses enseignants était abusivement
présentés comme des professeurs titulaires. Dans une autre
école privée (l'école de Business de Cracovie), un
étudiant a fait preuve d'incroyables performances intellectuelles en
commençant ses études trois ans avant la création de cette
école ! Toute proportion gardée, ces exemples illustrent les
défaillances qui peuvent découlées d'une privatisation
trop rapide et sans contrôle externe, comme celui des IFI par exemple.
Les établissements publics ont également
développé depuis 1989 tout un système d'éducation
payant. Leur offre « commercial » comprend les
études du soir et d'autres formations alternatives. Pour l'année
académique 2003/2004, il y avait dans les écoles publiques
polonaises 535 000 étudiants payant. Les recettes des frais de
scolarité constituent 30% du budget des établissements publics.
Le nombre d'étudiants des deux secteurs payant est de 1 055
millions, soit 58,6% du total.
A l'instar des établissements privés en
général, la procédure d'entrée dans les
études du soir du secteur public est facile. Les enquêteurs de NIK
ont constaté que la très renommée Alma Mater -
Université de Cracovie - s'est facilement adaptée à la
nouvelle réalité économique du pays et
n'hésite pas à « faire de l'argent ». Pour
l'année universitaire 1999/2000, sa faculté de droit -
malgré un quota de 500 pour les cours du soir - avait accepté
tous les candidats, soit 577. Les frais de scolarité par étudiant
est pour la première année de 5 000 PLN (1 250 euros)
et de 3 000 PLN (750 euros) pour chaque année suivante.
Les contrôles de la NIK ont dévoilé
le caractère « anarchique » du développement
de l'éducation supérieure au cours de la période 1990 -
2001. Ceci a finalement poussé en 2001 le ministère de
l'éducation à préparer une ordonnance définissant
les standards d'éducation. En janvier 2003 on a crée la
Commission Nationale d'Accréditation dont les compétences
consistent à émettre une opinion sur la création d'une
nouvelle école, d'une nouvelle spécialité et à
contrôler la qualité de l'enseignement dans les
établissements déjà existants (privés et publics).
Son président considère que la mise sous contrôle de toutes
les écoles prendra trois à quatre ans.
Cette brève analyse montre bien que
l'éducation en Pologne, depuis sa privatisation, constitue un
marché juteux. Cependant, ses professionnels et ses observateurs sont
inquiets pour l'avenir et les excès se sont déjà
manifestés. Cet exemple concret, nous montre pourquoi le débat
sur les privatisations a été si long et passionné et qu'il
n'a pas trouvé de réponse arrêtée. La privatisation
de l'éducation en Pologne s'est faite très rapidement, sans aucun
contrôle dans un premier temps, et sans participation importante des
organisations internationales. Dans ce contexte, elle n'a pas réussi et
la Pologne est obligée de revenir en arrière aujourd'hui, en
réinstaurant le contrôle des établissements privés
par l'Etat.
Chap. 2
Malgré leur diversité, les IFI n'ont
pu répondre à tous les défis posés par la
transition des PECO
1. DES IFI FORTS DE LEURS CARACTERISTIQUES ET DE LEURS
EXPERIENCES
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