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Les enjeux de la transmission dans la prise en charge de l'enfant en CMP: la construction de sens

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par Camille PATRY
Université Paris Descartes, Institut Henri Piéron  - Master 2 pro psychopathologie et psychologie clinique 2010
  

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II/ La transmission au sein de l'équipe et la prise en charge en institution

Le travail d'équipe n'est pas réductible à la somme de ce que chacun fait. L'équipe du CMP se compose de plusieurs professionnels ayant chacun des fonctions différentes, mais porteur d'un mandat institutionnel commun à travers lequel ils se retrouvent autour de préoccupations communes pour un enfant donné. Par le fait d'échanger des informations, ils vont pouvoir mettre en évidence certains aspects du fonctionnement de l'enfant et/ou de la famille et redonner un aspect dynamique aux élaborations propres à chacun. Pourtant, Lustin (2004) nous dit que « la coexistence de diverses catégories professionnelles ne peut se faire qu'au prix de conditions contradictoires : le respect de l'identité et de la spécificité technique de chacun, le respect de l'intimité et du secret de chaque prise en charge »15(*). Dès lors, il parait nécessaire de soupeser convenablement ce qui sera les informations transmises lors des échanges.

Pour introduire ce questionnement, je vais reprendre la démarche de la demande adressée à l'institution. Beaucoup de parents prennent rendez-vous sur l'incitation, voire l'injonction, d'une autre institution (PMI, école...). Ils s'adressent quelques fois au CMP comme à une « entité » mal identifiée, sans savoir vraiment ce qu'ils peuvent y trouver ni comment celui-ci fonctionne. Dans ces conditions, il est précieux de pouvoir clarifier notre mission et de s'assurer que nous pouvons répondre à leur demande. Il peut aussi s'agir de travailler cette demande et de l'éclaircir. La réalisation d'entretiens d'accueil me semble être une procédure intéressante en ce sens qu'elle peut servir de sas entre la prise de contact et l'engagement dans une démarche thérapeutique. C'est dans cette optique que les entretiens d'accueil sont, lorsque c'est possible, effectué à deux et par des intervenants qui ne s'engageront pas dans le suivi thérapeutique de l'enfant ensuite. Il est question de différencier le cadre de l'entretien d'accueil et de l'espace thérapeutique. On peut imager l'utilité de ce dispositif par l'exemple des demandes « urgentes ». A ce sujet, Bastin et Matot (2007) affirment que la demande urgente contient généralement un paradoxe puisque souvent «celle-ci ne traduit pas une demande de changement mais plutôt une demande de retour à l'état antérieur à la crise ». Ils ajoutent que « ces demandes en urgence se soldent pour la plupart, si aucun décalage ne peut y être apporté, par des premières rencontres sans lendemain »16(*). En conséquence, cette prise de contact avec le CMP permet de différer l'engagement thérapeutique qui peut « effrayer » les parents et de favoriser le commencement de l'élaboration qui s'effectue autour de la demande, dans un espace temporel qui y est propice et nécessite un décalage entre la demande et la réponse.

Force est de constater qu'il est utile de porter à la connaissance du futur consultant certains éléments recueillis. J'ai relevé précédemment le cas des situations où l'enfant évoluait dans un environnement familial conflictuel ou violent. Je pense que le clinicien qui s'engagera dans le suivi thérapeutique de l'enfant aura tout intérêt à connaitre la situation afin de pouvoir envisager les enjeux de celle-ci dans la problématique de l'enfant. Dans ce contexte, il parait nécessaire d'informer le parent de la transmission à laquelle donnera lieu notre entretien en évoquant le secret partagé. Cela peut être l'occasion de témoigner de la complémentarité et du travail de liaison sous-jacent à la prise en charge en institution. Qui plus est, les répercussions sont moindres puisque nous ne sommes pas encore engagés dans un processus thérapeutique avec la notion de contrat entre le patient et le thérapeute qui est son corollaire. Néanmoins, nous devons prendre en considération les effets que la transmission peut avoir sur le clinicien qui prend en charge l'enfant. Nous sommes face à la dialectique énoncée par Chiland : « Si l'on ne sait rien de l'enfant avant de le voir, on est tout à fait disponible. Mais on peut aussi ne pas s'apercevoir de l'importance de ce que dit et ne dit pas l'enfant »17(*). En effet, ne risque-t-on pas d'influencer le clinicien au dépit de son écoute clinique ? Je crois que dans cette configuration, il est important de s'en tenir aux objectifs de l'entretien d'accueil, c'est-à-dire, d'amener des faits réalitaires qui peuvent éclaircir la situation de l'enfant, et de restituer en quoi consiste la demande des parents, à quel niveau elle se situe pour le moment. Pour cela, on doit être en mesure d'identifier ce qui est de l'ordre de la réalité psychique et des fantasmes des parents dans les mailles de leur discours, mais aussi ce qui tient de notre propre élaboration des faits. Bien évidemment, il est trompeur de croire que l'on puisse avoir une maitrise complète de ces éléments, mais il importe d'être conscient de ces phénomènes pour les contrôler à minima.

Par ailleurs, si l'on sort du cadre particulier des entretiens d'accueil, les échanges concernant les élaborations des différents intervenants auprès de l'enfant me paraissent être riches de sens ; ils peuvent insuffler une créativité dynamique. La pluralité de regards sur l'enfant amène des possibilités qui ne peuvent se présenter dans un suivi isolé. Villand (2009) conçoit le travail d'équipe comme « différentes chambres d'élaboration, séparées les unes des autres, et en communication articulée »18(*). Dans ma position de stagiaire, j'ai surtout été amené a explorer ce point par la réalisation des bilans psychologiques et le travail de collaboration qui s'y rattache avec le consultant à l'origine de la demande. S'agissant d'un travail entre professionnels, les échanges autour de la situation de bilan n'auront pas les mêmes fonctions que la restitution faite à l'enfant et ses parents que j'ai évoqué auparavant. En rapport à cela, Lam, Deconinck et Cailliau (2007) déclarent que « la transmission et la discussion des résultats n'apparaissent non pas comme une réponse formelle mais comme un passage entre l'analyse d'une demande et la mise en place d'un cadre thérapeutique »19(*). On convient donc qu'il n'y a pas lieu de se contenter de la remise d'un diagnostic ou d'une figuration figée du fonctionnement psychique de l'enfant. Au-delà de ces aspects qui sont généralement à l'origine de la demande du consultant, on procède à une véritable discussion sur les caractéristiques soulevées par la passation du bilan. Ceci permet notamment de confronter une perception nouvelle et momentanée de l'enfant à celle du consultant qui se situe dans la temporalité régulière des consultations. Cela peut relancer les processus d'élaboration de ce dernier en sortant d'une perception univoque du patient qui conduit parfois à un essoufflement des pensées. Ces effets se surajoutent aux perspectives mêmes du bilan psychologique quant à la mise au jour de certains aspects cachés du fonctionnement psychique.

Qui plus, le soin psychique dans une approche clinique est loin d'être une démarche linéaire. Le clinicien travaille avec des hypothèses, en avançant et en reculant, ce qui va avec une dose d'incertitude et parfois un sentiment d'impasse. Supporter et accueillir les mouvements transférentiels des patients n'est pas toujours aisé. En cela, le travail dans une équipe institutionnelle engendre plusieurs mouvements qui pourront favoriser la prise en charge et la compréhension de la problématique, pour peu qu'ils puissent donner lieu à des discussions entre ses différents membres. C'est principalement au sein des réunions de synthèse que ces points là pourront être abordés dans une forme constructive. Celles-ci sont dirigées par le pédopsychiatre, dans son rôle de chef de service. Il a pour tâche de réguler les échanges dans lesquels chaque membre de l'équipe est implicitement invité à s'exprimer et peut inscrire une situation à l'ordre du jour. En dehors des informations dont il a besoin et qu'il peut recueillir auprès de ses collègues spécialisées, les transmissions peuvent donner lieu à une aide précieuse, que ce soit par la confrontation des mouvements contre-transférentiels des soignants ou par le regard extérieur de ceux qui ne sont pas personnellement engagés dans la prise en charge de l'enfant. Villand (2009) considère que la parole doit être libre au maximum mais à un moment et dans un lieu donnés afin d'assurer un effet de contenance. Car il est nécessaire que la parole soit contenue pour mettre en oeuvre la transformation visée par les transmissions. Comprenons bien, il n'est pas question de se décharger de manière cathartique d'un sentiment trop lourd, mais de pouvoir reprendre ce vécu pour le penser et le mettre en sens, ce qui aura indirectement des effets de levier thérapeutique. A ce moment là, l'équipe « métabolise, symbolise, joue le rôle d'appareil psychique groupal »20(*).

Cas clinique 6 : l'une des psychologues de l'équipe fait part de son questionnement quant à l'utilité de poursuivre une psychothérapie. Frédéric présente une psychose infantile ; il est scolarisé sur des temps séquentiels très réduits car les situations de collectivités sont effractantes pour lui. Le reste du temps, il est à l'hôpital de jour, et suit une psychothérapie au CMP ; des consultations parents-enfant ont également lieu régulièrement. Le père de Frédéric ne reconnait pas les troubles de son enfant, et manifeste son projet d'arrêter l'hôpital de jour. De même, il n'investit pas le CMP et ne s'est rendu que 2 fois en consultation depuis des années que la prise en charge est enclenchée, lorsqu'il était question d'orientation. La psychologue évoque les difficultés auxquelles elle se confronte dans la psychothérapie. Le consultant, lui, signale qu'il voit une évolution au sein des consultations : Frédéric peut parler de sa détresse en consultation désormais. A ce moment, la thérapeute modifie quelque peu sa perception et ajoute qu'effectivement, des progrès sont quand même apparus malgré sa difficulté. Elle reprend que les débuts ont été très difficiles, elle-même se éprouvant de la colère dans son contre-transfert, mais qu'après avoir échangé à plusieurs reprises avec sa collègue, ce sentiment de colère a pu être apaisé, ce qui permit à Frédéric d'entrer davantage en relation avec elle. Toutefois, il ressort de la discussion que cet enfant peut davantage mettre des mots sur son désarroi en consultations, qui se font en présence de sa mère. La psychologue informe alors l'équipe que Frédéric parle beaucoup des sorties qu'il fait avec ses grandes cousines et qu'il investit affectivement. Un des membres de l'équipe partage son impression que cet enfant a l'air moins malade quand il est avec les femmes de sa famille, en l'occurrence sa mère et ses cousines. Le consultant ajoute qu'il parait moins « fou » lorsqu'il est aux Antilles, terre d'origine des parents, donc lorsqu'il se situe dans une aire maternelle. Serait-ce la folie du père qu'il faut traiter ? Peut-on poursuivre un travail soutenu par la mère mais rejeté par le père ? Dans ces conditions, Frédéric peut-il vraiment investir le cadre psychothérapeutique ? Les attaques de ce cadre qu'il faisait au début de la thérapie consistaient probablement en la mise en scène de ce rejet, ce à quoi la thérapeute a pu résister. Cette famille pourrait-elle bénéficier des consultations ethnopsychiatriques proposées au CMP ? Quoiqu'il en soit, cet enfant a besoin d'être pris en charge et l'équipe s'accorde à dire que si la psychothérapie ne peut se poursuivre, il faut bien proposer un projet à cette famille. Nous devons donc convier les parents de Frédéric afin de discuter de cela et nous verrons si Monsieur vient et s'ils arrivent déjà à s'accorder entre eux. Effectivement l'un des pédopsychiatres fait remarquer que dans notre discussion, nous n'avons cessé de dissocier Mr et Mme.

Cette mise en parole de la situation nous montre la richesse du travail de co-élaboration. Tout d'abord, la manière dont nous nous entendons parler des parents laisse entrevoir les contradictions qui règnent au sein de la famille et dans lesquelles se trouvent pris Frédéric. La thérapeute a pu se dégager son impression d' « échec » pour entrevoir les aspects positifs de son accompagnement. Qui plus est, la confrontation des éléments de la consultation et de la thérapie mettent en lumière certains aspects du fonctionnement de l'enfant et de la problématique familiale. Sur ces faits, nous percevons la portée des capacités de réaménagements internes et de la plasticité nécessaires aux soignants pour l'appréhension clinique du patient, tels que ces points sont évoqués par Vibert, Morel et Flaig (2007). Cela permet, entre autres, d'envisager d'autres perspectives d'interventions thérapeutiques.

Pourtant, au niveau éthique, Racamier (1973) soutient que « la situation psychothérapeutique représente le seul cas où le secret vis-à-vis des autres éléments traitants peut être promis au patient »21(*). Je n'ai pas été personnellement dans ce cas où je pense, la réflexion concernant l'utilité de la transmission à l'équipe doit être doublée. Mais le clinicien ne peut contester que, même au sein des consultations thérapeutiques, ce qui se dit de l'intime peut justement se dire parce qu'il y règne un climat de confiance et de confidentialité. Je reconnais donc que tout ne peut pas se partager avec l'équipe. Pour cela, il me suffit d'imaginer ce que la famille ressentirait s'ils assistaient au débat les concernant. Outre le fait d'annoncer aux parents que la situation va être discutée en équipe, notamment lorsqu'il est question d'orientation ou d'évolution du projet thérapeutique, il convient justement dans toutes transmissions de garder à l'esprit le but thérapeutique de celles-ci. La parole doit être proportionnée selon ce qui relève de l'intimité du patient et ne servirait pas la compréhension globale de la situation et ce qui doit être communiqué afin de ne pas tomber dans les biais de « l'information perdue » décrit par Racamier lorsque pour divers raisons, celle-ci se trouve prise dans le jeu du transfert institutionnel.

De plus, concernant le cas clinique précédent, la psychologue a mentionné les effets de ses échanges avec sa collègue sur l'avancée de la psychothérapie. On remarque là les avantages de la supervision. En revanche, cela pose le problème du fait qu'elle se fasse à l'intérieur même de l'institution, puisque la collègue en question peut être amenée à croiser cette famille, et à traiter avec eux à un moment où un autre.

* 15 Lustin (2004). Op. Cit. p. 324.

* 16 Bastin, T., Matot, J.-P. (2007). L'itinéraire de la demande. In: J.-P. Matot, C. Frisch Desmarez et al. Les premiers entretiens thérapeutiques avec L'Enfant et sa famille. Paris : Dunod. p. 48.

* 17 Chiland, C. Op. Cit. p. 95.

* 18 Villand, M. (2009). Le soin : de la diffusion à la transmission. In : M. Sassolas (Eds), Transmissions et soins psychiques. Toulouse : Erès. p. 156.

* 19 Op. Cit. p. 126.

* 20 De Buck, C., Calliau, M. Op. Cit. p. 234.

* 21 Racamier, P.-C. (1973). Le psychanalyste sans divan. Paris, Payot. p. 410.

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"Et il n'est rien de plus beau que l'instant qui précède le voyage, l'instant ou l'horizon de demain vient nous rendre visite et nous dire ses promesses"   Milan Kundera