Mutations financieres et financement de l'économie au Cameroun( Télécharger le fichier original )par Dieudonne Desire ELANGA Universite de Douala Cameroun - DEA 2004 |
II. TYPOLOGIE DES INNOVATIONS FINANCIERESLa description de l'innovation financière peut être faite par analogie avec la théorie de l'innovation industrielle de Schumpeter. A cet effet, on peut établir une typologie des innovations financières en distinguant : - Les innovations de procédé qui comportent une dimension technologique : introduction de la télématique dans les services bancaires et financièrs, monnaie électronique, dématérialisation des titres financiers. - Les innovations de produits qui se caractérisent soit par l'apparition de nouveaux produits, soient par la modification des caractéristiques de produits déjà existants. On peut citer le titre de créances négociables (introduits en France en 1985 avec la reforme du marché monétaire), les produits dérivés de type contrats à terme fermes ou option, ou encore les SICAV (Sociétés d'Investissement à Capital Variable). - Les innovations de marché qui se traduisent par l'ouverture d'un marché ou l'exploitation d'un nouveau segment de marché pour le cas français, on peut citer l'ouverture du second marché en 1983, à destination des entreprises de taille moyenne, le MATIF (Marché à terme d'instruments financiers) en 1986 et le MONEP (Marché des Options Négociables de Paris) en 1987, ainsi que les compartiments Next Tract, dédiés aux trackers (fonds indiciels cotés), et Next Warrants consacré aux bons d'options (Warrants) en 2001. - Les innovations provenant de l'émergence de nouvelles organisations. Citons les multilatéral trading facilities, nouveaux types de bourses entièrement automatisées qui concurrencent les places de marché traditionnelles, ou encore la bancassurance qui réunit les activités bancaires et d'assurance. Toutefois, l'analogie entre innovations financières et innovations industrielles est imparfaite en raison des spécificités inhérentes aux premières. Tout d'abord, une innovation financière n'est jamais pure, et se révèle le plus souvent de nature hybride. La plupart des nouveaux produits financiers résultent, au moins partiellement d'innovations de processus. Les innovations de marché induisent les innovations de produits. Par exemple, les trackers constituent à la fois une innovation de produits, de processus (nouvelles technologies de la communication qui permettent l'achat ou la vente de titres en temps réel), et de marché (création du segment Next Tract d'Euronex). A la différence des innovations industrielles, la création de nouveaux produits financiers vient étendre la gamme des produits existants sans forcément rendre ces derniers obsolètes. Aussi, même si ses déterminants initiaux ne sont plus d'actualité, l'innovation financière ne disparaît pas (cela rend d'ailleurs le cycle de vie des produits financiers assez particulier, ces derniers se caractérisent par une très longue phase de maturité). Il existe des effets de cliquet tels que la plupart des produits financiers, une fois entrés dans la pratique financière n'en sortent plus. Par exemple, alors que les Money Market Mutual Funds (MMMF) ou les SICAV monétaires sont nés en période d'inflation élevée pour diminuer le coût de détention des encaisses monétaires, ces dispositifs associant rendement et liquidité n'ont pas disparu avec la désinflation. Enfin, l'innovation financière ne peut pas être protégée par un brevet, la carte à puce étant l'une des rares exceptions. En règle générale, une modification marginale des caractéristiques du produit (taux d'intérêt, échéance, etc.) suffit à se différencier du produit initial. Facilement copiable, l'innovation financière ne procure à l'entreprise innovante qu'un avantage compétitif de courte durée. Par ailleurs, alors que l'innovation industrielle est inhérente au changement technique et se produit quelles que soient les conditions économiques générales, l'innovation financière est liée à des changements contingents aux conditions macroéconomiques qui provoquent une adaptation des méthodes de financement, avec un retour ultérieur possible aux instruments précédents. L'innovation financière ne présente donc pas de trajectoire technologique (Aglietta, 1991). Les innovations financières, à travers le développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) se sont internationalisées. Elles permettent une interconnexion des places boursières (GLOBEX)9(*), une diffusion plus rapide et moins coûteuse de l'information (systèmes Reuters, Telerate, Fininfo) et l'automatisation des processus de traitement de cette dernière. C'est ainsi qu'en Europe, l'Union Economique et Monétaire et la création de l'Euro ont conduit à l'émergence d'un vaste marché unifié des capitaux. En définitive, les innovations financières revêtent un caractère spécifique, qu'il convient maintenant de présenter les théories explicatives de leur existence. III. LES THEORIES EXPLICATIVES DES INNOVATIONS FINANCIERES La spécificité des innovations financières nécessite le développement des théories appropriées (Geoffron, 1992). Selon une approche empruntée à la théorie des cycles, le processus d'innovation financière se compose de phases successives d'"accélération" et de "digestion". Si ces phases sont largement tributaires des changements dans les conditions économiques et financières, il n'existe pas de théorie expliquant formellement l'incidence de la conjoncture sur l'incitation à innover. L'histoire financière nous renseigne peu sur les raisons du passage d'une phase à une autre. En revanche, les théories dédiées plus spécifiquement aux innovations financières ont permis d'appréhender certains facteurs généralement reconnus comme ayant encouragé le processus de l'innovation financière. Les analyses de Silber (1975, 1983) et Kane (1983, 1988) confèrent d'intéressants fondements théoriques aux innovations de contournement, notamment celles introduites par les institutions financières afin de relâcher la contrainte de la réglementation. A côté de ces analyses orientées du côté de l'offre, d'autres analyses comme celle de Desai et Low (1987) mettent davantage en avant le rôle de la demande, expliquant bien la recherche d'instruments de placement et de financement destinés à satisfaire une demande de combinaisons nouvelles des caractéristiques existantes en termes de rendement, risque et liquidité (Romey, 2004). III.1. La théorie de la contrainte et de la dialectique réglementaire Innovation financière et réglementation entretiennent une dynamique et des relations complexes. Leur dialectique apparaît ainsi comme une conséquence de l'évolution des marchés et, rend difficile de savoir si les mouvements observés sont dus aux décisions des gouvernements ou à la dynamique des marchés. Silber (1975) est le premier à avoir élaboré un schéma interprétatif original, en mettant l'accent sur trois types de contraintes qui ont joué un rôle central dans l'accélération de l'innovation financière. Il s'agit : - Des contraintes réglementaires. - De l'intensification de la concurrence. - De la montée des risques liés à la volonté accrue des taux d'intérêts et des taux de change depuis les années 1970. Ce modèle convient plus particulièrement à l'étude des stratégies des intermédiaires bancaires. Les contraintes subies par les institutions engendrent des innovations destinées à gagner des degrés de liberté. L'innovation financière est donc considérée comme le produit d'une contrainte exogène qu'il s'agit de contourner (Romey, 2004). Cette idée était déjà présentée chez Gurley et Shaw (1960). « Dans toute économie, la structure financière est continuellement remodelée par les efforts des agents économiques pour échapper aux contraintes déjà existantes ». Mais la paternité de la dynamique innovation-réglementation revient véritablement à Kane. Autour de cette dynamique, il élabore le concept de dialectique réglementaire réductible à deux enchaînements : 1) Réglementation ? contournement par l'innovation ? adaptation de la réglementation 2) Innovation ? adaptation de la réglementation ? contournement par l'innovation Selon ce schéma, les agents sont incités à contourner la réglementation dès lors que le solde coût/avantage de l'adhésion de l'agent à la contrainte réglementaire devient négatif. (Romey, 2004). Cette dialectique met en lumière l'interaction entre deux types d'agents : les agents privés assujettis à la réglementation et les pouvoirs publics qui la mettent en oeuvre. Chacun modifiant son comportement en fonction des actions constatées ou anticipées de la part de l'autre. Les rapports de force sont toutefois inégaux. D'une part, il faut moins de temps pour contourner la réglementation qu'il n'en faut pour réglementer. Et d'autre part, plus la réglementation est efficace, moins vite elle sera contournée. Ce type d'analyse est particulièrement bien adapté au cas des pays anglo-saxons où l'initiative des innovations financières a surtout appartenu aux agents privés de la sphère financière, lesquels ont trouvé par l'innovation les moyens de desserrer certaines contraintes pesant sur eux. Des contraintes d'ordre réglementaire ont amené les banques à développer des formules leur permettant de contourner par exemple les interdictions ou les plafonnements de taux créditeurs ou bien encore de créer de nouveaux produits échappant à l'assiette des réserves obligatoires. Dans le cas des Etats-unis par exemple, l'écart croissant entre les taux d'intérêt administrés (réglementation Q ) et le taux de marché a été le principal déterminant de l'innovation financière au début des années 1970. La titrisation est une autre illustration du contournement de la réglementation. Elle consiste à transformer des actifs ou des créances peu ou pas négociables (crédits bancaires) en titre aisément négociable sur des marchés secondaires. Par l'intermédiaire d'une entité juridique (ou véhicule) ad hoc (Romey 2004) les établissements de crédit peuvent alors améliorer la liquidité de leur bilan et réduire leurs besoins en capitaux propres. La concurrence entre institutions constitue un autre type de contrainte. Même si on ne peut breveter un produit financier, l'innovation assure à son créateur un bénéfice en termes d'image de marque. Eventuellement, le temps d'adaptation des concurrents peut procurer à l'entreprise innovante un monopole de courte durée et stimuler l'investissement en recherche et développement (RD). Cette concurrence amène également les établissements bancaires à compresser au maximum les coûts subis par leurs clients, notamment grâce au retour à Internet, donnant lieu au développement de la banque directe. Cette dernière permet d'effectuer toutes les opérations bancaires courantes (gestion de moyens de paiement, crédits, épargne) en remplaçant la relation bancaire en agence par une relation avec une plate-forme téléphonique associée à un système d'information performant. Un troisième type de contrainte, est la montée des risques et la nécessité d'y parer. Ceux-ci explique par ailleurs le développement par les banques de produits dérivés (contrats à termes fermes, optionnels SWAPS) négociés dans un premier temps de gré à gré sur des marchés organisés. L'initiative de l'innovation n'appartient pas toujours à la sphère privée (Artus et de Boissieu, 1995 ; de Boissieu, 1998). Ainsi dans les pays Européens, en situation de rattrapage par rapport aux pays anglo-saxons, l'initiative a plutôt appartenu aux pouvoirs publics qui, aux moyens d'importantes réformes financières, ont d'eux-mêmes créé de nouveaux marchés ou introduit de nouveaux produits. Les contraintes à l'origine de ces innovations d'origine publique étaient essentiellement de deux ordres : le financement des déficits aux entreprises nationales ; la compétitivité externe des places financières. L'innovation financière française par exemple, a ainsi été conduite par l'initiative des pouvoirs publics, soucieux de moderniser la gestion des déficits publics et de rattraper le retard notable du pays en matière de développement financier. On peut également retenir dans le cas français l'importance de l'incitation fiscale comme déclencheur d'innovations financières au cours des années 1980. les produits issus de ces innovations ont permis de répondre aux contraintes de financement spécifiques des entreprises françaises, encore largement dominées dans les années 1980 par de nombreuses PME à caractère familiale et par de grandes entreprises nationalisées, et à qui, il fallait donner un accès aux capitaux tout en garantissant le maintien de la structure du pouvoir dans l'entreprise. En définitive, l'innovation financière n'est pas seulement orientée du côté de l'offre. Elle peut également être appréhendé vers la recherche d'instruments de placement et de financement destinés à satisfaire une demande de combinaisons nouvelles des caractéristiques existantes en termes de rendement, risque et liquidité, qu'il convient maintenant d'analyser. III.2 La demande de nouvelles combinaisons de caractéristique Contrairement aux analyses de Silber et de Kane qui caractérisent l'innovation comme une réponse de l'organisation (essentiellement les institutions financières) aux contraintes qui pèsent sur elle, et dont les coûts deviennent exorbitants, l'approche par la demande (Desai et Low, 1987), inspirée par les travaux de Lancaster (1966, 1971) portant sur la demande de caractéristiques, met en avant la volonté de la part de l'agent qui innove de répondre à une demande latente des consommateurs. Pour Lancaster (1971)10(*), les biens sont dotés de caractéristiques dans les proportions fixes et, c'est sur ces caractéristiques, et non sur les biens eux-mêmes, que le consommateur exerce ses préférences. Le consommateur a une variété idéale et choisit sur le marché le produit qui s'en rapproche le plus. Plus la distance est grande entre la variété de marché qui est proposée et la variété idéale du consommateur, plus le potentiel d'innovation est grand, car il existe une demande latente non "assouvie". Desai et Low (1987)11(*) ont transposé ce schéma à l'innovation financière. Plus les consommateurs seront nombreux à souhaiter des titres présentant des caractéristiques intermédiaires en terme par exemple de rendement et de liquidité, qui puissent maximiser leur utilité, plus l'innovation sera profitable. Autoriser des transferts d'un compte à vue vers un compte d'épargne (et inversement) sans délai ni coût, permet aux clients d'optimiser la gestion de leur trésorerie et répond ainsi à leur demande latente de solidarisation des comptes. Les banques Américaines ont donc rivalisé d'imagination pour offrir à leurs clients ce type de service. Complémentaire de celle développée par Silber, cette théorie se révèle néanmoins plus étroite. Elle s'applique en effet facilement aux innovations de produits, mais reste difficilement transposable aux innovations de processus. Le présent chapitre avait pour objet d'analyser les origines internationales des mutations financières. Pour ce faire, il a fallu non seulement présenter les faits précurseurs de ces changements, mais aussi, étudier les origines proprement dites des mutations financières à l'échelle international. Au terme de ce chapitre, il apparaît que les mutations financières trouvent leurs origines internationales dans la prise en compte de deux processus qui constituent les deux piliers majeurs. Il y a, d'une part, La globalisation financière qui apparaît comme le dénominateur commun à l'ensemble des transformations qui ont affecté le fonctionnement des systèmes financiers. Cette globalisation a résulté non seulement des progrès techniques en matière de communication, mais aussi des décisions politiques. Elle s'est accompagnée de la libéralisation des systèmes financiers nationaux se caractérisant par la règle des trois « D ». Il y a, d'autre part, l'accélération des innovations financières, dont, l'initiative relève aussi bien du secteur privé surtout dans les pays anglo-saxons, que des pouvoirs publics, en particulier dans les pays européens. La mondialisation des marchés a aussi favorisé l'accélération des innovations financières. Aussi, les caractéristiques structurelles des systèmes financiers vont continuer de varier selon les pays de façon notables, particulièrement en ce qui concerne l'importance relative des marchés de titres, des banques et des autres institutions financières comme source de financement. Toutefois, avec l'assouplissement des contraintes imposées aux différentes formes de financement, les structures financières semblent se rapprocher. Ces mutations ont eu une diffusion internationale et ont par là même affecté le système financier camerounais. Il convient à ce niveau d'étudier les origines des mutations financières au Cameroun. CHAPITRE II LES ORIGINES INTERNES DES MUTATIONS FINANCIERES AU CAMEROUN * 9 Globex est un système électronique international et automatisé pour l'entrée et l'exécution centralisée d'ordres sur produits dérivés dont le fonctionnement effectif a débuté en 1992. Simple accord de coopération au départ entre le Chicago Mercantile exchange (CME) et l'agence Reuters, il permet aujourd'hui de relier le CME, Euronext. Liffe, les marchés de produits dérivés de Montréal, Sao Paolo, Madrid et Singapour * 10 Lancaster (1971), « Consumer demand : A new approach », Columbia University Press. * 11 Desai M. et Low W, (1987), « Measuring the opportunity for product innovation», dans Changing Money: Financial Innovation in developed countries, de Cecco (ed.), Basil Blackwell. |
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