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La construction d'une carrière de fan: étude de cas chez les fans de Mika

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par Christina Chiron
Université Victor Segalen Bordeaux 2 - Licence sociologie 2010
  

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B) Mais qui reste en partie mitigé41(*):

Une étiquette difficile à décoller

« Je trouve que les gens voit ça comme quelque chose d'un peu négatif d'être fan, comme si c'était un peu réservé aux ados » (Aurélie, 28 ans).

Néanmoins, même si dans le cadre de cette recherche, les fans semblent avoir une vision positive de cette communauté42(*), du fait qu'eux mêmes y appartiennent, j'ai pu observer qu'être fan n'est pas assumé devant tout le monde. En effet, même si les personnes interrogées se considèrent toutes comme fan à part entière, ce statut demeure davantage assumé devant les proches, en partie parce qu'il est difficile pour eux de passer à côté, et d'ignorer la passion de leur fille, femme, ou amie: « je ne dis généralement pas le nombre de concerts que j'ai fait, ni les rencontres ni tout ça, sauf pour ceux que je connais bien et qui connaissent ma fan attitude Mikanesque! » (Delphine, 29 ans); « ma famille, mes amis le savent » (Béatrice, 42 ans); «Mes amis le savent, ma famille aussi» (Déborah, 23 ans); « j'assume devant les gens de ma promo » (Elodie, 20 ans).

Les raisons qui font que même si elles se considèrent comme fans, elles gardent surtout cette identité dans la sphère privée, auprès essentiellement de la famille et des amis (et quelquefois aussi des collègues de travail) sont liées à un problème d'image extérieure. En effet, comme cela a été vu dans l'introduction, les fans sont associés aux adolescentes dont les premiers émois vont à l'acteur, au chanteur, qui ressemblera le plus à leur idéal masculin, ou à l'inverse aux ''vieux'' fans qui vouent un véritable culte à leurs idoles (on pourrait penser aussi aux fans de comics qui se déguisent de la même façon que leur super-héros). Il est d'ailleurs difficile de ne pas imaginer cela, même lorsque l'on est soi-même fan: « Pour moi être fan d'un artiste c'était un truc ringard, j'imaginais les fans de Johnny ou de Cloclo, les hystero complètement barge. Mais bon, faut croire que tout le monde est différent » (Lucinda, 24 ans).

« Je ne sais pas, c'est comme s'il y avait quelque chose qui me gênait dans l'interprétation qu'on peut en avoir. Quand on me demande "t'es fan de Mika ?" je réponds que je l'aime beaucoup ! ce n'est qu'une question de termes mais j'aime faire la différence ! c'est surement absurde ! » (Déborah, 23 ans).

Pourtant ça ne l'est pas! Déborah, qui pense que son raisonnement est absurde, ne devrait pas, puisque si elle fait la différence, c'est qu'il y a de bonnes raisons à cela, liées comme nous l'avons dit tout à l'heure à l'image des fans en général. Ainsi, les fans de Mika ne peuvent totalement affirmer qu'ils sont fans auprès de simples connaissances, par peur d'être associés à une image qui ne leur correspond pas, et qui ne les définit pas. De plus, le risque pour eux est de se retrouver assimilé à une seule facette de leur personnalité, qui les enfermeraient dans une case: « en général les gens ne comprennent pas et te cataloguent direct » (Lucinda, 24 ans); « ça se rapproche tout de suite aux jeunes filles en fleurs criant quand elles aperçoivent leur idole ! » (Déborah, 23 ans); « Avec ma famille proche (parents et frères) oui. Parce que ma mère est pareille. Mais avec mes amis, je n'en parle plus, parce que certains ne comprenaient pas » (Aurélie, 28 ans). Ainsi, elle préfère davantage partager son expérience de fan avec des personnes partageant ce sentiment: « j'en parlerais plus facilement avec une personne qui vit à peu près la même chose avec un autre artiste par exemple ». Pour Béatrice (42 ans), sa première expérience de fan avec Patrick Bruel lui a appris à être plus prudente concernant le fait de dire qu'elle était fan: « j'assume parfaitement, j'en parle assez facilement, mais je ne dirai pas spontanément que je suis fan de Mika ou d'un autre. Je vais t'expliquer pourquoi : lorsque j'étais jeune fan de Bruel, je le disais très facilement et au bout d'un moment je me suis aperçue que les gens te cataloguaient par la suite ou se moquaient de ton statut de fan ».

Nous voyons ainsi les conséquences que peuvent entraîner le fait d'être étiqueté en tant que fan, tant ce mot est associé au comportement extrême de certains. Howard Becker a repris le raisonnement de Everett C. Hughes, qui distingue caractéristiques principales et accessoires d'un statut. Ainsi, il «remarque que la plupart des statuts ont une caractéristique principale qui sert à distinguer ceux qui occupent ce statut de ceux qui ne l'occupent pas43(*)». Associé à notre recherche, le fan a pour caractéristique principale dans le sens commun d'être tout à l'idolâtrie de sa personnalité préférée, et souvent, n'est vu que comme tel, ou à travers cela. Cependant, les fans ont des caractéristiques secondaires et peuvent avoir un profil tout à fait contraire à l'image de la plupart des individus.

Pour éviter ce jugement souvent négatif d'autrui les concernant, les personnes interrogées vont donc être conduits à avouer ce statut progressivement, à l'instar de Béatrice: « je l'amène sur la pointe des pied, genre "ah oui, moi je vais voir Mika en concert" ou "vous avez déjà vu Mika en concert?" »; « j'y vais doucement, en disant que j'aime bien !! Ensuite si la personne est réceptive j'explique un peu mieux » (Delphine, 29 ans); « en général, je laisse un peu de temps pour qu'on apprenne à se connaitre et une fois que la personne se rend compte que je suis pas une folle furieuse, je dévoile mon secret! Mais je vais pas spontanément le dire à n'importe qui » (Lucinda, 24 ans).

Assumer son identité de fan serait donc lié à un problème de vocabulaire? Visiblement, cela semble être en partie le cas, puisque la définition même du mot fan semble poser des problèmes aux personnes interrogées: « je n'aime pas le mot fan, il enferme dans une case remplie de préjugés et renvoie directement au mot d'origine "fanatique" » (Elodie, 20 ans); « c'est juste la connotation "fan" et le côté hystérique qui va avec qui me gène en fait » (Delphine, 29 ans); « Déjà je suis pas "fan" de ce mot. Ça a une connotation négative et je trouve que ça ne résume pas du tout ce qu'on fait. Dans "fan" il y a quand même fanatique quoi... mais bon, il n'existe pas, enfin pas à ma connaissance quoi, d'autres mots pour nous définir » (Lucinda, 24 ans).

Quelques fois, ce choix de ne pas l'avouer ouvertement peut ne pas être seulement lié à l'envie de ne pas être étiqueté, car cela fait aussi partie de la vie personnelle de l'individu. C'est le cas notamment de Déborah (23 ans): « Alors en fait ça dépend. Au début, je n'assumais pas du tout mon statut de fan. Comme c'était la première fois, je comprenais pas trop ce qui m'arrivais ! [...] Mais au fur et à mesure, j'ai assumé ! [...] je disais juste que "j'aimais bien". Encore aujourd'hui, je ne le dis pas à tout le monde, car c'est mon monde à moi, j'ai pas forcément envie que tout le monde soit au courant ! » Ainsi, même si elle affirme assumer son statut (« je me considère comme fan à part entière [...] ma famille aussi et beaucoup de gens savent que je vais à beaucoup de concerts »), elle m'avoue que « très peu de personnes savent que je suis modératrice d'un forum de fans !! »

Nous pouvons voir néanmoins que Déborah se contredit plusieurs fois. En effet, elle se « considère comme une admiratrice de Mika, une fan, mais pas dans le sens extrême du terme ». Pourtant, elle a « l'impression que les fans ne savent pas être dans un autre registre que l'excès alors que nous on peut ». De même, elle me précise que « le terme "fan" peut être perçu négativement. Dans mon entourage en tous cas, c'est le cas! Fan, c'est un dérivé de fanatique ». Néanmoins, elle me dira un peu plus tard dans l'entretien que « être fan ce n'est pas être fanatique ou hystérique ».

Lucinda se contredira aussi, puisqu'en même temps qu'elle estime que « quand on dit "fan", les gens pensent direct à une hystéro qui hurle et saute sur lui, alors qu'en fait on est absolument pas comme ça », elle concède quand même avoir un comportement qui peut pousser à la considérer comme telle, du fait de son investissement important: «je suis consciente que ça peut passer pour de la folie». Il en va de même pour Aurélie, qui considère que « "fan", je trouve que ca a une petite connotation négative. On sent bien qu'on est dans l'excès, quoi! », tout en admettant « ce qui n'est pas faux... ».

Cependant, nous pouvons remarquer que ces contradictions suivent un raisonnement logique, puisqu'elles ont conscience à la fois d'être fan du fait de leur comportement, mais aussi qu'elles ne peuvent pas, et ne veulent pas s'associer à cette mauvaise image des fans, qui ne correspond pas selon elles à la réalité.

* 41 Tout d'abord, et ce pour éviter de mauvaises interprétations, je préfère expliquer le choix du titre. Ici, le fan ne renie pas son identité. La posture du fan est mitigée dans le sens où les fans ne se définissent pas seulement en tant que tel, et ne souhaitent pas être associés à une minorité qui participe à la stigmatisation du plus grand nombre.

* 42 Même si, nous le verrons, le comportement de certains fans reste stigmatisé, car considéré comme trop excessif. Émergera ainsi l'image stéréotypée du fan.

* 43 Becker (1985), op. Cit., p.55.

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"Ceux qui rêvent de jour ont conscience de bien des choses qui échappent à ceux qui rêvent de nuit"   Edgar Allan Poe