La construction d'une carrière de fan: étude de cas chez les fans de Mika( Télécharger le fichier original )par Christina Chiron Université Victor Segalen Bordeaux 2 - Licence sociologie 2010 |
...mais des façons différentes de s'investirSi, comme nous l'avions vu précédemment, la majorité semble s'investir à peu près de la même manière, il y a quand même des différences notables, que l'on pourrait mettre en lien avec la vie personnelle ou professionnelle des interrogés. Pour expliquer cela, je vais m'appuyer sur un entretien qui va à l'encontre des six autres que j'ai effectué. En effet, Béatrice, notamment en ce qui concerne les concerts, n'est pas autant investie que les autres interrogées, en m'expliquant qu'elle n'en ressentait pas le besoin: « J'éprouve pas le besoin d'aller voir le même concert 20 ou 30 fois ». De même, elle ne se voit pas aller le voir à la sortie d'un concert ou prendre une photo avec lui, ce qui est à l'opposé de la posture de la groupie: «franchement je m'en fous, je fais partie des gens qui sont dans l'ombre mais qui sont là quand même [...] si tu veux, pour moi, lui parler ne va rien m'apporter». Ainsi, elle a établi le profil de celles qui seraient davantage présentes aux différents concerts39(*), ce qui montre que sa situation familiale et professionnelle ne lui permettent pas d'aller aux différents concerts, mais elle s'en explique: « moi je suis mariée, j'ai trois gamins de 14, 6 et 4 ans et j'ai un mari qui rentre tous les soirs a la maison, je ne me vois pas lui dire : tu te démerdes avec les gosses pendant 30 soirs durant les mois à venir parce que MOI je vais voir Mika. Je sais que certaines sur le forum ont eu des histoires avec leur mari parce qu'ils trouvaient qu'elles allaient trop souvent aux concerts ». Effectivement, lorsque j'ai regardé le profil des autres personnes interrogées, la différence d'âge est beaucoup plus grande (les autres ont toutes entre 20 et 30 ans), et sont toutes célibataires (excepté Sylvie, qui a 42 ans et est mariée). Ainsi, l'âge et la situation familiale pourraient influencer la carrière du fan. Elle s'est alors accommodée de cette situation notamment en adoptant une des formes légitimes de la passion: celle de l'érudit. « Ce qui me motive, c'est que je fais des recherches sur le net pour pouvoir monter le dossier le plus complet sur lui [...] MAIS je ne me sens pas moins fan que les autres parce que je ne fais pas tous les concerts ». D'ailleurs, elle-même trouve que son comportement tranche avec celui des autres fans, puisqu'elle ajoute « je ne suis sans doute pas normale! ». Ainsi, son engagement est différent puisqu'il porte davantage sur la connaissance de l'artiste, les significations de ses chansons, mais aussi sur les raisons qui l'ont poussé à les écrire: «je ne suis pas a vouloir savoir absolument ce qu'il mange au petit déj' ou s'il part en vacances avec 10 paires de chaussettes. Ce que je recherche plus c'est de savoir pourquoi il a écrit ça ou ça ». L'une des illustrations de cette posture adoptée, est lors de l'explication de la signification d'une chanson: « dans stuck in the middle, j'ai beaucoup lu (et je pense à tort) que c'était une chanson écrite pour une ex petite amie, mais quand on écoute bien, c'est à son père qu'il s'adresse, et ça je ne suis pas sûre que beaucoup de gens s'en soient aperçu ». Néanmoins, les formes de la passion que peuvent avoir les fans peuvent varier en fonction des situations et peuvent aussi cohabiter. Elodie adopte deux postures différentes, puisqu'en même temps qu'elle assiste à de nombreux concerts (même si aujourd'hui, c'est beaucoup moins le cas), elle se défend d'adopter ce comportement uniquement pour lui, et pour de «mauvaises» raisons. « Je saute de joie quand je vois que Imogen Heap collabore avec Mika parce que je suis fan d'elle depuis des années et non pas parce que c'est une nouvelle qui concerne Mika pour moi, mais elle ». Ainsi ici, la posture de groupie40(*) s'oppose en partie à celle de l'érudit. Il en va de même pour Béatrice, qui en partie du fait de ses contraintes familiales, ne peut pleinement participer à davantage de concerts, même si selon elle, ce n'est pas une situation contrariante. Tout le monde est donc fan à sa façon. Au départ, il n'y a pas de réelles stigmatisations des fans en fonction de leur comportement. Pour les interrogées, chacun a le droit de s'assumer en adoptant les attitudes de leur choix, les raisons poussant à adopter tel ou tel comportement n'étant connus que du fan lui-même (même si par exemple les problèmes d'argent peuvent jouer un rôle, notamment pour ce qui concerne la « consommation »). Ainsi, pour Lucinda (24 ans), « chacun vit la chose à sa manière. Certains fans ressentent le besoin de se déplacer [en concert], d'autre pas forcément mais ça veut pas dire que ce sont des "mauvais" fan »; « je ne parlerai pas en nombre de concerts car c'est à l'appréciation de chacun, ça » (Elodie, 20 ans); « Il y a pleins d'ado qui ne peuvent pas aller au concert, ou qui ne peuvent pas acheter tous les CD, et je suis certaines qu'ils sont tout autant a fond que moi » (Aurélie, 28 ans). Cependant, un entretien vient contredire cette constatation. Alors que toutes, même si elles ont établit des « critères », qui pourrait faire que l'on soit davantage fan qu'un admirateur classique, se considérer comme fan reste essentiellement une affaire de ressenti. Ainsi, que l'on s'investisse pleinement ou non a certes une influence sur le fait de se considérer comme fan ou non, mais le degré d'investissement demeure une décision personnelle. Or, Elodie se considère comme fan aux «3/4», car elle pense moins s'investir depuis quelques temps, notamment en ce qui concerne les concerts: « Je ne dirai pas à part entière étant donné que je ne prends pas part aux concours, etc (comme tu as pu voir sur le forum) et que je n'irai voir que des concerts dont les dates m'arrangent, que je ne ferai sûrement pas de festivals car je pars en août un an à Hambourg et économise mais je continue à venir quotidiennement en ligne donc je n'ai pas décroché ! » * 39 « je pense que les filles qui investissent dans les concerts sont en majorité jeunes, habitant pas trop loin de Paris et qui sont célibataires. Elles ont du temps pour elles » * 40 Au sens de Christian Le Bart |
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