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La dignité de l'enfant

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par Pierre Leon André DIENG
Université Cheikh Anta DIOP de Dakar - Maà®trise en Droit 2003
  

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Paragraphe 2 - Les blocages intrinsèques à la population

Les blocages recoupent les résistances de la tradition aux idéaux de dignité de l'enfant (A) et souvent sont liés à l'attitude récalcitrante de la cible protégée qu'est l'enfant (B).

A - Les résistances de la tradition

Les approches culturelles sont d'une réelle importance pour la compréhension de la mentalité de chaque société, de tout peuple et de toute civilisation.

Le droit de la famille est, par excellence, le terreau voire le socle sur lequel se cimentent les moeurs, us, coutumes et pratiques socioculturelles. C'est donc dire qu'il épouse les empreintes de son environnement qui l'a fait naître.

Ce droit va donc opérer une sorte de syncrétisme en alliant les règles du droit commun moderne et les orientations familiales, voire religieuses des valeurs sénégalaises.

Le problème principal de tous les codificateurs africains est d'opérer une alchimie équilibrée entre les règles traditionnelles et un droit moderne. Ce métissage que l'on pensait solide est un colosse aux pieds d'argile.

En effet, le code de la famille a toujours soulevé les passions et, aujourd'hui encore, il suscite l'ire adrénalique de certains religieux qui exigent sa refonte pure et simple et l'application intégrale du droit musulman.

Face aux difficultés de développement de l'économie sénégalaise, ces contestataires estiment que la cause du niveau extrêmement bas de la perte des repères et valeurs a pour sonorité l'actuel code de la famille qui bafouerait toute la dignité de l'homo senegalensis, a fortiori la dignité de l'enfant.

Une telle attitude excessive de nihilisme (il faut le reconnaître !) a, toutefois, le mérite de poser un débat que d'aucuns occultaient ou craignaient, de conscientiser les esprits et d'appeler à forger la réflexion sur le périlleux devoir de sensibilisation que doivent peiner les masses intellectuelles en vue de faire tomber les derniers remparts de l'ostracisme et de l'obscurantisme pour le dynamisme et le progrès social de l'enfant.

Ces habitudes anachroniques et mal adaptées à la politique de développement de l'enfant prennent pour configuration un aspect, notamment, d'inégalité à l'établissement de la filiation et de la dévolution des successions musulmanes qui en sont les modèles du genre de cette résistance au triomphe de la citoyenneté égalitaire entre tous les enfants.

Il semble bien là que ce sont les deux difficultés majeures à lesquelles se trouve confronté le législateur sénégalais. Monsieur Mouhamadou Moctar MBACKE 1(*)2 ne nie pas cette notion d'inégalité latente en droit musulman opposé au régime moderne lorsqu'il avance : « Nous disions donc que la filiation, telle que la conçoit le droit musulman, est le droit commun des musulmans sénégalais. On peut dire que ce droit ne reconnaît que les enfants légitimes ; il ignore pudiquement les enfants naturels, reconnus ou pas, auxquels il réserve un sort de nature à troubler in petto les consciences religieuses les plus affirmées. Cet enfant, victime d'une sanction diffuse, est touché dans le plus profond de sa vie sociale, voire religieuse (...) ».

Il affirme également : »Le même sort est réservé à l'enfant incestueux ou adultérin. Quant à l'adoption, elle n'est suivie d'aucun effet juridique, elle est réduite à un phénomène purement affectif. Il s'ensuit que la légitimation n'existe pas dans le droit musulman ».

En matière de mariage, l'émancipation de la fille à 16 ans par le législateur est une concession accordée aux règles traditionnelles qui, le plus souvent, n'exigeaient aucun âge pour le mariage de la femme et même, celle-ci était mariée au berceau ou avant la naissance (art. 111 CF). Ces mariages forcés sonnent comme des abus à la recherche effrénée de source de revenus. Et quelle jeune fille peut s'opposer publiquement à ses parents dont elle est dépendante à moins qu'elle y consente elle-même par propre penchant et cupidité ?

L'enfant, cible protégée, adopte très souvent une attitude récalcitrante qui rende difficilement possible la protection de sa dignité.

B - Les attitudes récalcitrantes de la cible protégée

Il a toujours été dit que l'enfant a besoin de soutien et d'assistance pour qu'il puisse s'épanouir et se réaliser.

Toutefois, on remarque de plus en plus une désaffection de beaucoup d'enfants à l'encontre des structures chargées de les guider dans leur marche dans la société.

Beaucoup parmi eux n'adhèrent plus au mécanisme classique de la scolarisation. Ils préfèrent quitter, de leur propre gré, les bancs. Certains d'entre eux se lancent dans le secteur informel de production par mimétisme, pour la satisfaction de leurs besoins ou plus encore pour aider leur famille en difficulté.

Pour d'autres, l'avenir ne brille que dans le désoeuvrement ou la mauvaise pente et ils s'abandonnent à toutes les joies factices du monde mal famé (tourisme sexuel, pédophilie, drogue, larcins, violence ,prostitution, etc.).

Certains de ces enfants en difficulté, marqués par des expériences indélébiles, sont réfractaires à tout discours et ne souhaitent plus faire confiance à un adulte.

La multiplicité des enfants sénégalais en rupture de ban résulte de l'absence d'une visibilité pour leur avenir, de la persistance des travers de la pauvreté, de l'urbanisation stressante avec son phénomène de l'égoïsme cultivé, de l'absence de repères et surtout l'effritement des valeurs sociales dont les piliers que constituent les adultes sont les premiers à donner le mauvais exemple.

Même si la politique d'assistance des enfants en difficulté est une constante de l'Etat, des échecs sont souvent notés dans les tentatives de récupération sociale. Le sentiment du « mal aimer » regroupe des enfants de la rue en bandes de malfrats et la recrudescence des agressions, viols et crimes est le fait, la plupart du temps, d'enfants que l'on considère comme des repris de justice.

A côté d'eux, l'effet du mimétisme des stéréotypes à l'occidental a un impact psycho-social et psycho-affectif sur les enfants des villes citadines qui ne voient en l'hexagone que la référence la plus achevée du développement de soi. Par suite, ils manifestent une oreille indifférente à toutes les formes de communication ou de sensibilisation consacrées aux programmes de jeunesse et à la politique de l'enfance.

Ce désintéressement s'est renforcé dans la région mythique de la Casamance où la longue guerre a fini de réduire beaucoup d'enfants dans un lot de souffrances et de désolations qui attisent la haine, la rancoeur et la méfiance lorsque des parents ou des amis sont morts, mutilés par les mines antipersonnelles. Ce conflit larvé s'est accentué avec le naufrage du bateau « LE JOOLA » dans la nuit du 26 au 27 septembre 2001 et qui a fini d'installer durablement le mental de l'enfant dans la déconsidération de l'action de l'Etat et des organismes spécialisés qui, eux, en profitent pour se donner à coeur découvert comme des marchands d'illusions face à la politique d'indemnisation décidée par l'Etat. Les enfants orphelins de ce drame maritime sont souvent placés dans des familles de la verte région pour la plupart pauvres et démunies et qui ont du mal à joindre les deux bouts. Ces enfants ne sont plus scolarisés, malgré les déclarations intempestives des autorités publiques de les faire des pupilles de la nation. L'avenir demeure sombre et sans issue pour eux.

Devant l'insuffisance des garanties internes, on a cru voir et espérer, au plan international, les moyens seraient plus efficaces à pérenniser et défendre l'idéal de la dignité de l'enfant. Mais là aussi, le désenchantement à démontrer que la portée de ces garanties en est également très réduite.

* 12 Mouhamadou Moctar MBACKE · De la protection de la femme et de l'enfant dans le code sénégalais de la famille·, Revue Sénégalaise de Droit (RSD) 1973 n° 13, P.31 et s.

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