INTRODUCTION
De nos jours, les Droits de l'Homme sont sur toutes les
lèvres et habitent tous les discours juridiques et politiques.
Les Droits de l'Homme sont devenus une des composantes
importantes des relations internationales contemporaines.
L'histoire de l'humanité est indissociable du
combat des individus et des peuples contre l'injustice, l'exploitation et le
mépris. La reconnaissance, sur le plan national puis sur le plan
international, des droits et des libertés fondamentaux de l'homme est
l'une des expressions les plus prestigieuses de ce combat.
Aux droits de l'homme, terme générique
regroupant toute l'humanité, le monde tend à consacrer les droits
de l'individu en ce qu'ils ont de spécifique qu'ils visent à
prendre en considération que les intérêts particuliers des
personnes.
Et précisément, on invoque volontiers
ces mêmes droits et libertés pour légitimer certaines
formes de revendications toujours conformes aux idéaux et aux principes
formulés par ces droits. Notre époque ne croit plus à une
politique des droits de l'homme qui aurait pour cible l'humanité
envisagée de façon abstraite et indifférenciée.
Plus exactement, elle l'estime insuffisante : l'idée d'un individu
moyen titulaire de droits a cédé le pas devant la constatation
des revendications de groupes. Chacun demande à ce que lui soit garanti
une dignité qui suppose des mesures correctives. C'est justement dans ce
cadre que l'on conçoit, de plus en plus aujourd'hui, des applications
particulières des droits de l'homme qui développent des
particularités positionnelles de droits : femmes,
handicapés, étrangers, réfugiés, détenus
politiques, etc. Ces personnes ont réclamé et continuent à
exiger des garanties, une égalité, une dignité. Ce qui
appellerait à des relectures des bases textuelles telles la
Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen des 24 et 26 août
1789, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme du 10
décembre 1948, la Charte de l'Organisation de l'Unité Africaine
signée à Addis-Abeba en mai 1963 abrogée et
remplacée dans les années 2000 par l'actuelle Charte de l'Union
Africaine, la Déclaration Universelle des Droits des Peuples (Alger
1976), la Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples du 28 juin 1981
(entrée en vigueur le 21 octobre 1986), la Déclaration Islamique
Universelle des Droits de l'Homme du 19 septembre 1981 (Palais UNESCO), etc.
qui toutes n'ont pas pris en compte de telles revendications.
En fait, ces particularismes se sentent marginalisés,
affaiblis et ne demandent pas moins qu'une législation spécifique
à leur profit car le propre de tout mouvement naturel, de toute
société est, par essence, d'écraser les couches les plus
faibles.
Or, précisément, l'enfant est, par
définition, un acteur fragile, vulnérable et le plus faible parmi
les faibles puisqu'il ne survivre puis se développer qu'avec l'aide et
l'assistance d'autrui.
L'enfant est l'innocence même. La femme nous l'offre
dans sa douleur pour qu'il vienne illuminer de sa gaieté notre vie. A ce
propos, Victor HUGO (1802-1885) résume de fort belle manière
notre pensée dans une originalité bien fouillée en
clamant dans un vers tiré de · Lorsque l'enfant paraît
· :
« Quand l'enfant paraît, le
cercle de famille,
Applaudit à grands cris. Son doux regard qui
brille
Fait briller tous les yeux,
Et les plus tristes fronts, les plus
souillés peut-être,
Se dérident soudain à voir l'enfant
paraître,
Innocent et joyeux... »
Cette représentation de la
vulnérabilité de l'enfant est une perception sous forme de
prescriptions des règles traditionnelles et / ou formelles voulues
par les adultes.
Ce faisant, l'acte de prendre l'enfant, de le guider
vers un but n'est jamais, somme toute, innocent mais intéressé.
Cet intérêt est apprécié à l'aune de la
moralité. En effet, la protection des droits de l'enfant, en
général, et de sa dignité, en particulier, doit faire
l'objet d'une politique permanente suivie par les Etats, la famille, la
doctrine, les organismes nationaux et internationaux et la justice.
L'enfant a donc une créance de laquelle sont
débiteurs les acteurs précités. Les Romains de
l'Antiquité l'ont si bien compris qu'ils n'ont pas manqué de
magnifier cette vérité « in puero
homo », dans chaque enfant réside un homme.
Pour avoir compris cette pensée, la
Société Des Nations (SDN) adopta en 1924 la Déclaration de
Genève qui posait, pour la première fois, les premiers
indicateurs relatifs à la protection de l'enfance. La communauté
internationale prend déjà conscience de l'importance accrue de
l'image, du respect et de la considération qu'il faut accorder à
l'enfant.
Cette année fut charnière et
prépondérante vers les futures luttes pour l'avancée de
l'affirmation de la personnalité de l'enfant.
Ce même souci anima les Nations-Unies ( N-U),
qui succédèrent à la SDN, à prévoir les
droits de l'enfant dans la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme
du 10 décembre 1948.
Plus que la Déclaration des Droits de l'Enfant
de 1959 passée largement inaperçue, l'évènement fut
créé par l'adoption le 20 novembre 1989, au sein de
l'Assemblée Générale des N-U dans un bel élan
d'unanimité, d'un traité : la Déclaration en dix
points des droits de l'enfant dite Convention Internationale des Droits de
l'Enfant (CIDE) ou Convention de New-York. L'étape de 1979 vit
l'institution de l'Année Internationale de l'Enfant. C'est à
partir de cette étape que fut entamé le processus de
préparation, d'élaboration et d'adoption de la CIDE. L'adoption
fut ouverte à la signature et à la ratification des Etats
dès le 26 janvier 1990 et pour son entrée en vigueur le 2
septembre 1990.
Le Sénégal, avant même le délai
imparti pour l'entrée en vigueur, avait procédé à
la ratification le 31 juillet 1990. Depuis cette date, il a accru son
dispositif de protection de la dignité de l'enfant par des structures
autonomes et spécialisées rattachées à plusieurs
ministères dont le principal reste celui de la Petite Enfance qui est
rattachée dans le sillage du ministère de la Famille, de la Femme
et de la Solidarité. De plus, plusieurs directions (de la Petite
Enfance, de l'éducation surveillée, etc.), centres
spécialisés de rééducation ou de détention
(l'AEMO), une législation spécifique et la récente
politique de la case des Tout-Petits participent à cette dynamique, en
plus d'une justice spéciale dévolue à l'enfant.
La dignité de l'enfant est la thématique sur
laquelle tournera nos constructions.
Dignité et enfant, deux mots clés qui nous
accompagneront durant toute notre réflexion.
Par dignité, il faut entendre le respect que
mérite quelqu'un. C'est un principe selon lequel un être humain ne
doit jamais être traité comme un moyen mais comme une fin en soi,
l'estime que l'on doit vouer à son amour-propre et à son
honneur.
La définition de l'enfant, par contre, pose
problème. L'infans latin, c'était l'enfant en bas
âge.
A notre époque, même avant, chaque
société a sa conception de l'enfant et tente de la traduire en
règles de droit telles l'âge de la majorité civile ou celle
pénale ou encore celle de travail.
Notre droit interne sénégalais n'est
donc pas le seul à s'intéresser à l'enfant.
L'art. 276 alinéa 1er CF, depuis la
réforme apportée par la loi n° 99-82 du 3 septembre 1999,
modifiant la majorité civile (uniformisée à la
majorité pénale), prévoit que l'enfant mineur est celui
âgé de moins de 18 ans de l'un ou de l'autre sexe.
La constitution du 7 janvier 2001 en son art. 3
alinéa 3 épouse la même démarche.
Dans ce même ensemble d'idées, la
plupart des textes internationaux précités et relatifs aux droits
de l'enfant considèrent également que l'enfant est tout humain de
moins de 18 ans sauf si la loi nationale accorde la majorité plus
tôt (art.1er de la CIDE du 20 novembre 1989).
Cette lecture laisserait croire que la dignité de
l'enfant doit être comprise dans cette fourchette.
Or, selon le fameux adage « infans
conceptur pro nato habetur quotis de commedis ejur agitur »,
l'enfant est tout être humain conçu et considéré
comme né toutes les fois que cela peut lui apporter des avantages.
C'est dans ce sens qu'il faut lire l'alinéa
2ème de l'art. 1er du code de la famille du
Sénégal :
« L'enfant peut acquérir des droits au jour
de sa conception s'il naît vivant ».
Ainsi, la protection de la dignité de l'enfant
peut remonter plus loin, au jour de sa conception même.
Néanmoins pour des soucis de commodité,
nous savons que cette qualité d'être humain se prolonge au moment
de la naissance. Ainsi de la personnalité conditionnelle, il
accède à la personnalité juridique effective de laquelle
procède une rétroactivité de la jouissance de tous les
droits et de la qualité de sujet de droit et d'un statut d'enfant.
La naissance semble donc être un tournant dans la
vie, même si elle ne marque pas le début de la vie et celui de la
protection de sa dignité.
Par conséquent, notre démarche qui suivra se
limitera à l'enfant, sujet naissant de droit. Un tel choix arbitraire
nous amène déjà à élaguer des pans
intéressants d'atteinte à la dignité, à la vie de
l'enfant conçu que dont l'avortement, l'infanticide,
l'insémination artificielle, le sort des embryons non utilisés et
le clonage. Avec tout ce que ces pratiques ont de bouleversant et de
désastreux dans la dignité de l'enfance lorsqu'elles sont
utilisées à des fins détournées, immorales,
commerciales et industrielles.
Il est, certes, vrai que leurs conséquences
postérieures entrent dans notre champ d'étude car concernant
l'enfant vivant et existant, fruit de telles pratiques.
Ceci dit, la réflexion sur la dignité de
l'enfant, qui est la protection même de son existence dès le
début de sa vie jusqu'au moment où on estime qu'il a acquis une
maturité d'adulte, suscite moûltes interrogations que l'on peut
quantifier de la sorte :
Qu'est-ce la dignité de l'enfant et
pourquoi une dignité de l'enfant ?
Quel est le domaine de cette dignité, le
champ des atteintes de celle-ci et
de sa protection ?
Quelles sanctions sont apportées à
sa violation ?
Comment préserver et protéger cette
dignité de l'enfant ?
C'est autour de ces considérations que se
greffera notre problématique. En effet, l'objet de notre étude
consiste, pour l'essentiel, à évaluer le sens, la portée
juridiques de la notion de dignité de l'enfant et son rôle
protecteur. Nonobstant la nature juridique de ce thème, il faudra
également nous interroger sur sa valeur. La problématique
consiste aussi à noter que toute nation équilibrée ne peut
se réaliser qu'en accordant une activité participative à
l'enfance.
Une prospection des bases textuelles (nationales et
internationales) montre que le Sénégal est en phase dans sa
mission protectrice de la dignité de l'enfant.
Cependant, les applications pratiques de cette protection
restent à parfaire du fait de différences culturelles et
civilisationnelles. Ce décalage entre les textes et la
réalité a pour causes et facteurs endogènes et
exogènes le comportement des acteurs protecteurs face à des
manquements constatés, voire même souvent du caractère
récalcitrant de la cible protégée.
Par suite, de façon complémentaire,
des solutions et perspectives seront proposées sans pour autant dans la
routine des formules répétitives, des redondances
singulières.
Le sujet revêt un cachet toujours pratique
sous le feu de la rampe des intérêts qu'il ne manque pas de
susciter. On peut ainsi relever les difficultés posées à
l'applicabilité des textes au Sénégal. Il s'agit
d'accompagner l'enfant dans sa marche progressive vers la maturité.
Ce qui est une exception dans la mentalité
sénégalaise d'accaparement de la personnalité de l'enfant.
En outre, le sujet pose, lui-même, sa limite. En effet, un effet de
balancier, de flexibilité est opéré suivant les
intérêts du moment à sauvegarder. L'Etat vise à
réaliser l'équilibre entre la dignité de l'enfant et
l'obéissance due aux valeurs traditionnelles et formelles qui sont des
nécessités d'ordre public.
L'intérêt théorique est que
les acteurs (Etats, familles, organismes...) n'ont pas souvent la même
perception de la notion de dignité de l'enfant, encore moins de sa
protection. Cela se comprend et s'explique par les différences de
civilisations à l'échelle internationale et culturelle et
à l'échelle nationale. On craint ici de faire de l'enfant non
plus un sujet de droit mais un roi-enfant, un prince qui, croirait-on, est
insoumis au droit à l'instar de l'impétueux monarque
français le Roi-Soleil Louis XIV qui disait : « l'Etat,
c'est moi ! ».
Ainsi la notion de dignité de l'enfant ne
rencontre pas l'égale adhésion au sein de la communauté
internationale et fait l'objet d'une difficile appréhension.
Il sied, maintenant, de poser les balises sur
lesquelles va se fonder notre travail.
Parler de la dignité de l'enfant dans le
monde n'est donc pas notre objectif. Au Sénégal, c'est
déjà un large océan que soulèvent des vagues de
passions.
Au Sénégal, l'enfant se meut dans
une ambiance de plusieurs règles. Nous nous proposons de scinder notre
étude en deux parties. Nous concentrerons l'essentiel de nos efforts sur
l'examen du contenu législatif relatif à la protection de la
dignité de l'enfant qui naît dans un environnement protecteur de
sa dignité (TITRE I). Toutefois, ce n'est qu'en examinant le
degré de protection et de clarté des règles
énoncées que l'on pourra évaluer la pertinence de la prise
en considération de la dignité de l'enfant quant à ses
mécanismes de contrôle, de son degré de viabilité et
de l'appréciation de son efficacité. Le constat que l'on en
tirera est qu'il se pose un problème d'applicabilité, une
pratique limitée de la préservation de la dignité de
l'enfant (TITRE II).
L'environnement protecteur à la
dignité de l'enfant s'explique par cette dynamique du législateur
sénégalais d'introduire tout un ensemble de règles
favorables qui suivent le chemin de l'enfant depuis sa naissance, son
éclosion dans un cercle familial et des privilèges dans le statut
personnel.
En outre, l'activité sociale de l'enfant
bénéficie d'un régime aménagé, qui illustre
le renforcement adopté pour le préserver contre toutes formes
d'atteintes économiques et pénales et même celles qu'il
peut causer à autrui.
Cependant cet environnement, pour euphorique qu'il
soit, subit les contrariétés d'une pratique difficile qui sont
autant d'obstacles à la promotion de cette dignité. Cette
inefficience résulte de raisons que renforcent la
précarité des garanties internes du fait des failles dans la
volonté politique de l'Etat mais également des blocages
intrinsèquement posés par les populations elles-mêmes et
même par la cible protégée. Pareillement, les garanties
internationales ont une portée réduite du fait des
intérêts divergents en présence et de l'absence
d'instruments performants de contrainte.
Mais l'image de l'enfant n'est pas
désespérante et des perspectives d'amélioration pourraient
être prises par un renforcement des mesures existantes, une application
effective des décisions consacrées et par des voies nouvelles
allant dans le sens de la création d'un médiateur chargé
de l'enfant et un code de l'enfant.
TITRE I - UN ENVIRONNEMENT PROTECTEUR A LA DIGNITE DE
L'ENFANT
Le législateur sénégalais a
posé le socle sur lequel il a eu à asseoir toute une protection
de la dignité de l'enfant.
Celle-ci commence, dès la naissance de l'enfant,
par son identification civile comme sujet de droit (CHAPITRE I). La
société est un milieu inconnu à l'évolution et au
progrès de l'enfant.
C'est dire qu'il peut être pour l'enfant un cadre
de périls dans sa croissance vers la maturité. En vue de le
prémunir contre les risques auxquels il peut être
confronté, l'Etat a également prévu des mesures de
sauvegarde sociale pour l'enfant vu sous l'angle d'un acteur dans la
cité (CHAPITRE II).
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