Savoir- Progrès- Universalité
UNIVERSITE OMAR
BONGO
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Département d'Anthropologie
Mémoire du Diplôme d'Etudes Approfondies en
Sciences Sociales
Option : Anthropologie africaine
Thème :
Les implications culturelles dans la commercialisation
du
gibier au Gabon
Rédigé et soutenu par :
Sous la direction de :
M. Georgin MBENG NDEMEZOGO
Pr Raymond MAYER
ANNEE ACADEMIQUE
2006-2007
INTRODUCTION
Notre recherche porte sur les implications culturelles de la
commercialisation du gibier au Gabon. Elle se propose d'établir les
modèles applicables aux rapports de l'homme à l'animal, en
particulier à Libreville et ses environs. L'appellation
« gibier » suppose que les différentes
catégorisations et sous-catégorisation de l'animalité
aient été clairement définies dans les diverses
ethnocultures mobilisées pour cette étude. En d'autres termes,
nous serons amenés à dire que telle ou telle espèce est
considérée comme gibier par tel ou tel peuple et pourquoi elle
n'est pas considérée comme telle par d'autres (Descartes,
1765 ; Schweitzer, 1936 ; Monod, 1937 ; Leroi-Gourhan,
1973 ; Kawada, 1999 ; Mayer, 2004 ; Descola, 2005). Par rapport
aux théories présentées par la plupart des anthropologues
(Evans-Pritchard 1935, Lévi-Strauss, 1962 ; Marvin Harris, 1977),
il nous est vite apparu que le rapport culturel à l'animalité
n'était pas définissable au niveau de tout un pays ou de toute
une ethnie, mais au niveau des différentes classes d'acteurs
concernés par la chasse, la commercialisation, la consommation,
l'élevage ou la protection de la faune. Dans ce travail, il nous a fallu
identifier, au sein de la population librevilloise et ses environs les classes
d'acteurs spécifiquement consécutives du rapport au gibier,
à savoir : les chasseurs, les revendeuses, les consommateurs, les
agents des Eaux et Forêts et les organisations non gouvernementales (ONG)
environnementales. Dans ce cadre, ces classes d'acteurs seront analysées
du point de vue de leurs discours de leurs comportements et, le cas
échéant, de leurs textes.
L'objectif final de la recherche est de comprendre les
logiques inhérentes, les discours, les comportements de chaque classe
d'acteurs en expliquant la rationalité qui se dégage dans le
rapport que chacune d'elle entretient avec l'animal en général et
le gibier en particulier, autrement dit en inventoriant des rapports culturels
spécifiques à l'animal définis au niveau de groupes
d'acteurs en interaction sur le terrain gabonais notamment les chasseurs,
les revendeuses, les consommateurs, les agents des eaux et forêts et
les ONG (organisations non gouvernementales) environnementales.
Dans la démarche, nous partons d'une construction
théorique du rapport de l'homme à l'animal. Cette construction
met en oeuvre deux types de corpus produits autour de chaque catégorie
de notre population - cible. Dans la phase intermédiaire, nous avons
pensé à illustrer notre construction théorique par le
corpus empirique exprimant la manifestation du rapport de l'homme à
l'animal. Nous retrouvons dans ce corpus empirique, les discours de chaque
groupe de la population ciblée, ceci accompagné d'un ensemble
d'images illustratives de chaque catégorie d'acteurs également.
Ce corpus iconographique est l'illustration de la matérialisation ou du
moins la manifestation de ce rapport. Le discours final portera sur l'analyse
des corpus textuel et empirique. La démarche empruntée nous
conduit vers l'évaluation des résultats de toutes les
interactions entre les classes d'acteurs préalablement
étudiées dans leurs logiques spécifiques. Cette
évaluation se propose d'être la théorisation des formes
d'humanisation de l'animal sur la base de déterminants historiques
identifiés, et nous permettant de modéliser un ensemble encore
plus vaste définissant les rapports entre un groupe social et son
environnement, en d'autres termes la modélisation du résultat du
conflit interculturel global. Cette étude, à la fois diachronique
et synchronique, nous permettra de faire ressortir les différents
facteurs qui existent dans ce rapport.
PRESUPPOSES THEORIQUES
Reprenant l'excellente formule d'Henri Lefebvre qui affirme
que « les rapports fondamentaux pour toute
société sont les rapports avec la nature » (Henri
Lefebvre, 1978, 62), nous avons pensé formuler notre objet
théorique autour du « rapport à
l'animal »
La grande question soulevée est celle de la
construction du monde naturel. Celle-ci reste à circonscrire dans le
monde animale. Une construction du monde animal qui se réduit, elle,
à la construction du rapport à l'animal. Autour d'un discours
(scientifique ou populaire) est produit un certain rapport que le groupe
entretient avec sa faune. Il ne s'agit pas d'un travail de type zoologique,
mais d'une question sur les relations entre un peuple donné et sa faune.
La problématique sur Nature et Société a
été discutée par plusieurs auteurs, seule l'orientation de
Philippe Descola semble plus corroborer avec nos hypothèses.
Nous sommes amenés à étudier le rapport
que les différents acteurs intervenant dans notre objet entretiennent
avec le milieu animalier gabonais. Un rapport que nous pensons
économique puisque chacun des protagonistes gèrent à un
niveau restreint ses intérêts. Ces derniers sont la
conséquence du rapport établi par ces acteurs. Nous sommes aussi
amenés à étudier la rationalité qui se
dégage de ce rapport économique. Nous pensons qu'un acte
culturellement posé a une certaine logique que le producteur exprime. De
ce rapport économique, il se dégage une rationalité du
même type. Chaque acteur ici tire profit de ce rapport et dégage
ainsi une rationalité que seul lui connaît la quintessence. La
portée psychologique sera ainsi importante dans ce travail, car elle
nous permettra de comprendre les actes posés, les choix
opérés par chaque classe d'acteurs. C'est effectivement à
partir de l'explication que nous donnerons de ces choix et de ces actes que la
causalité du conflit interculturel naîtra.
Les cultures attribuent aux hommes et aux femmes des traits
de caractère qui peuvent être non seulement différents mais
même opposés suivant les sociétés (Raymond Mayer,
2004, 43). De ce fait, les enjeux de la faune gabonaise qui constitue l'horizon
final de notre recherche se définissent ici moins en termes de conflits
(même si conflit il y a) entre usage traditionnel ou ancien et son
exploitation contemporaine, qu'en termes d'interculturalité
médiatisée par le rapport à une faune exploitée. Il
s'agit précisément de confronter les paradigmes du rapport
à la faune de chaque groupe d'acteurs afin d'élaborer des
modèles qui s'appliquent à ce rapport.
Dans la construction de notre objet, il est clair que la
culturalité des rapports à la faune ou à l'animal subsume
toutes les catégories sectorielles qui sont généralement
appliqués à l'analyse des conflits d'intérêt
surgissant entre les différents acteurs de la faune. C'est ainsi que les
dimensions politiques ou économiques, qui sont habituellement
placées au premier plan des systèmes d'explication, seront
systématiquement retraduites en postures culturelles fondamentales
manifestant des prises de position sur le terrain en jeu. Il nous revient alors
à ne délaisser aucun paramètre susceptible à nous
faciliter non seulement la compréhension mais aussi la
modélisation du rapport homme-animal.
La faune, élément fondamental de la
forêt, fait actuellement l'objet de questionnements. Ceux-ci regroupent
des experts, des hommes de science et des décideurs, afin de comprendre
d'une part les mécanismes de production des usages de la faune et
d'autre part les différents modes de gestion de celle-ci. Et l'usage qui
est mis en exergue est alimentaire à partir de l'activité
cynégétique, qui a pris une orientation mercantile de nos jours.
Le présent travail se propose de poursuivre les recherches
déjà entamées sur la question, et dans une moindre mesure
d'engager une nouvelle discussion scientifique sur les regards que les uns et
les autres dégagent et accordent à la question qui fait l'objet
de notre étude.
Il nous souviendra que dans les sociétés
traditionnelles, la chasse se pratiquait pour des raisons alimentaires, mais
aussi rituelles. Mais avec le temps, cela ne sera plus possible. Des facteurs
modernes, dont l'émergence est liée au développement de
nouvelles activités ou de nouveaux modes de vie, menacent la
régénération de la ressource faunique. De nos jours, on
ne chasse plus en quantité suffisante pour s'alimenter, mais en
quantité abusive pour gagner de l'argent. L'appât du gain est
devenu l'objectif principal poursuivit par ces hommes et femmes. On passe donc
d'une chasse de subsistance, avec des techniques rudimentaires, à une
chasse intensive. La commercialisation du gibier provient de plusieurs
facteurs, parmi lesquels le passage d'une société traditionnelle
à une société moderne (usage de la monnaie), qui se
traduisent par l'acceptation de nouvelles règles qui obéissent
aux lois de l'économie de marché et non plus à celles de
l'économie de subsistance.
La présence de nouveaux contextes culturels place en
effet les populations, dans une société marchande, où le
commerce est économiquement rentable. Il sera ainsi pratiqué tout
azimut, et aucun produit ne sera épargné, encore moins le gibier,
particulièrement en milieu urbain. Les activités commerciales
vont ainsi connaître au Gabon un essor particulier depuis la crise
économique des années 1980. Avec cette crise, plusieurs
entreprises et industries fermeront les portes et de nombreuses personnes se
retrouveront sans emplois. Ayant perdu tout espoir de trouver de l'emploi, ces
personnes vont s'autogérer à partir des activités
économiques qu'elles créeront. Elles se retourneront vers la
forêt nourricière notamment la faune sauvage. D'aucuns feront de
la chasse, et d'autres comme les « bayames »
achèteront du gibier, puis le revendront. Elles utiliseront les
techniques traditionnelles de chasse, associées aux techniques modernes,
pour chasser le gibier en quantité. La chasse intensive sera pour
l'heure l'activité qui permettra à certains de subvenir à
leurs besoins. Les animaux sauvages chassés sont présentés
aux consommateurs soit dans les marchés, soit dans les restaurants. Les
consommateurs comprenant des populations d'horizons divers, sont en
majorité des anciens ruraux qui ont gardé leurs habitudes
alimentaires. C'est dire que s'il y a commercialisation du gibier, c'est
à cause de sa consommation importante. En d'autres termes, la vente du
gibier répond donc aussi à un besoin de consommation.
Mais chasser de manière abusive ou vendre du gibier
constitue un délit et est strictement interdit par la loi gabonaise
depuis 1981 (Ministère du Tourisme, de l'Environnement et de la
protection de la Nature, 1999, 45). Vendre de la viande de brousse se serait
défier la loi en vigueur pour protéger la faune. La protection de
la faune manifeste non seulement dans la loi, mais aussi dans la
création des parcs nationaux, trouve sa justification dans la
préservation des espèces fauniques pour les
générations futures, et dans les devises produites par
l'écotourisme. Or, la commercialisation du gibier, qui est notre objet
d'étude, est un nouveau secteur de l'économie gabonaise. Sa
pertinence nous amène à étudier ses composantes, les
partenaires impliqués ainsi que ses conséquences sur la faune et
sur l'économie gabonaise. Ce commerce défendu par la loi, nous
permettra d'étudier celui-ci, ses atouts et ses limites. L'observation
empirique montre que la faune est sollicitée à la fois par les
populations et par l'Etat. Comment l'Etat pourrait-il de ce fait gérer
durablement la faune tout en contenant les besoins des
populations ?
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