La permanence de la qualité d'associé( Télécharger le fichier original )par Inès KAMOUN Faculté de Droit de Sfax - Mastère en droit des affaires 2006 |
CHAPITRE ILE DEPART VOULU DE L'ASSOCIE AVEC MAINTIEN DE LA SOCIETE Lorsque l'affectio societatis fait défaut à un associé et que celui-ci désire quitter la société, la solution la plus simple et généralement la plus avantageuse pour tous, consiste à lui permettre de partir554(*). En effet, si l'associé ne parvient pas à s'épanouir dans la société ou à la dominer, « il ne lui reste que l'agression ou l'échappatoire »555(*). De cette idée découle le principe fondamental, unanimement reconnu556(*), qui s'oppose à ce qu'un associé demeure prisonnier de ses droits sociaux. Il doit, par conséquent, pouvoir sortir de la société aussi librement qu'il y est entré557(*). Le départ volontaire de l'associé peut emprunter deux voies, sans entraîner la disparition de la société : l'une indirecte qui résulte de la cession des titres (section I), l'autre directe qui est le retrait de l'associé de la société (section II). SECTION I : LA CESSION DES TITRES558(*) COMME ECHAPPATOIRE A LAPERMANENCE DE LA QUALITE D'ASSOCIE PAR LUI REDOUTEE Parmi les droits dont dispose un associé figure celui de céder ses titres559(*). A cet égard, « le moyen le plus habituel de quitter une société est de transmettre la propriété de ses droits sociaux à un acquéreur »560(*) au moyen de leur cession. Un associé désireux de quitter la société dont il est membre va donc conférer sa qualité à autrui. Par conséquent, si la cession des droits sociaux est un contrat passé entre deux personnes, elle intéresse directement la société émettrice puisqu'elle soulève un problème lié à l'entrée d'un nouvel associé dans la société, risquant d'aller à l'encontre de l'intuitus personae qui domine certaines sociétés. Il n'est pas étonnant alors que la cession soit plus ou moins aisée selon la nature de la société. Ainsi, dans les sociétés de personnes, la sortie de l'associé par la cession de ses parts ne constitue-t-elle pas une échappatoire garantie par la loi (sous-section 1). En revanche, une telle sortie est garantie aux associés des sociétés de capitaux et des sociétés à responsabilité limitée (sous-section 2). Sous-section 1 : La cession dans une société de personnes, une échappatoire non garantie par la loi Les sociétés de personnes561(*) sont animées par un fort intuitus personae ; elles se distinguent par l'importance attachée à la personne des associés. Dans ces sociétés, l'autonomie de la personne morale par rapport à ses associés est, en effet, atténuée. L'associé ne s'efface pas totalement derrière l'être moral puisque la personnalité morale desdites sociétés est transparente dans une large mesure562(*). « L'intensité de l'intuitus personae fait de la cession un pertuis bien étroit »563(*) dans les sociétés de personnes ; la sortie de l'associé de ces sociétés par voie de cession de ses parts n'est pas facile sinon impossible. En effet, mis à part le cas des sociétés en participation564(*), ladite cession obéit à un régime rigoureux. L'associé risque donc fort de se voir prisonnier de ses titres. S'agissant des sociétés en nom collectif, l'art. 56 du C.S.C. dispose, dans son alinéa premier, qu' « à l'exception des cas expressément prévus dans l'acte constitutif de la société, l'associé ne peut céder sa part d'intérêt à un tiers sauf consentement unanime des autres associés et à condition de se conformer aux obligations de publicité »565(*). Il ressort de la lecture de cet article que le régime de cession des parts des S.N.C. diffère selon que le cessionnaire est un associé ou un tiers. La cession à un associé est, en effet, libre car elle n'a pas pour effet l'entrée d'un nouvel associé dans la société. En revanche, la cession effectuée à un tiers requiert, en principe566(*), l'accord unanime des coassociés du cédant567(*). Cette règle rigoureuse se justifie par la prédominance de l'intuitus personae dans les S.N.C. ; l'importance de cet élément dans lesdites sociétés fait que celles-ci contrôlent leur composition, en empêchant l'entrée en leur sein de tiers indésirables. En France, le régime de cession des parts d'intérêt est plus rigoureux. L'art. L. 221-13 C. com. prévoit, en effet, que ces parts ne peuvent être cédées qu'avec le consentement de tous les associés. Contrairement au législateur tunisien, le législateur français pose la règle de l'unanimité sans distinguer selon que le cessionnaire est un associé ou un tiers. Cette règle apparaît d'autant plus rigoureuse qu'elle est d'ordre public puisque le même article précise que toute clause contraire est réputée non écrite. Pour ce qui est des sociétés en commandite simple, l'art.75 du C.S.C. dispose que « les parts sociales ne peuvent être cédées qu'avec le consentement de tous les associés. Toutefois, les statuts peuvent stipuler : 1) que la cession des parts des associés commanditaires est libre entre associés. 2) que la cession des parts des associés commanditaires au profit des non associés ne peut être faite qu'avec le consentement de tous les associés commandités et de la majorité en nombre et en capital des commanditaires. 3) qu'un associé commandité peut céder une partie de ses parts à un commanditaire ou à un tiers étranger à la société dans les conditions prévues au deuxième alinéa du présent article ». Il ressort des dispositions précitées que la cession des parts d'une S.C.S. doit en principe être agréée par l'unanimité des associés, qu'elle soit faite à un coassocié ou à un tiers. Certes, la loi reconnaît aux statuts la faculté d'organiser autrement cette cession mais cette faculté n'est possible que dans des cas limitativement énumérés. Au total, les associés des sociétés de personnes peuvent quitter la société par voie de cession de leurs titres. Cependant, leur départ se révèle difficile puisque cette cession requiert, en principe, l'accord unanime des associés. En outre, en cas de refus d'agrément, aucune obligation d'achat n'existe en pareil cas568(*). Ladite opération ne peut donc aboutir. La porte de sortie de la société est, par conséquent, fermée et l'associé est prisonnier de ses titres. Il en va autrement dans les sociétés de capitaux et les S.A.R.L. où la cession constitue une échappatoire garantie par la loi. Sous-section 2 : La cession dans une société de capitaux ou une S.A.R.L, une échappatoire garantie par la loi Si les associés d'une société de personnes risquent de se voir prisonniers de leurs titres, ceux d'une société de capitaux ou d'une S.A.R.L. ne courent jamais ce risque. D'une part, il est plus facile de sortir d'une société par actions ou d'une S.A.R.L. que d'une société de personnes, la cession des droits sociaux dans les premières étant plus libre (Paragraphe 1). D'autre part, ladite cession est toujours garantie à l'associé par la loi569(*). En effet, bien qu'elle puisse être soumise à agrément570(*), celui-ci est tempéré par une obligation légale d'achat des titres dont le projet de cession a été repoussé (Paragraphe 2). * 554 V., dans le même sens, Yves GUYON, Affectio societatis, art. préc., p. 21, n° 85. * 555 Christian LAPOYADE DESCHAMPS, La liberté de se retirer d'une société, art. préc., p. 123. * 556 V. supra p. 101. * 557 Christian LAPOYADE DESCHAMPS, La liberté de se retirer d'une société, art. préc., p. 123 ; Deen GIBIRILA, Parts sociales : droits et obligations de l'associé, art. préc., p. 8. * 558 On désigne par là la cession totale des droits sociaux. En effet, les conséquences de la cession diffèrent selon qu'elle est partielle ou totale. La première ne provoque pas des changements majeurs ; le cédant demeure associé en raison des droits sociaux qu'il a conservés. En revanche, la cession totale des droits sociaux entraîne la perte par le cédant de sa qualité d'associé. * 559íÑÇÌÚ í åÐÇ ÇáÎÕæÕ íæÓ ÇáßäÇäí ÇáÌÏíÏ í ÍÞæÞ ÇáÔÑíß ãÑÌÚ ÓÇÈÞ ÇáÐßÑ Õ. 15 : " íÚÊÈÑ ÍÞ ÇáÔÑíß í ÅÍÇáÉ ãÓÇåãÊå æÇáÎÑæÌ ãä ÇáÔÑßÉ ãä åã ÇáÍÞæÞ äÙÑÇ áÊÚáÞ Ðáß ÇáÍÞ ÈÍÑíÉ ÇáÔÑíß ". * 560 Yves GUYON, Traité des contrats, les sociétés, Aménagements statutaires et conventions entre associés, op. cit., p. 95, n° 52. * 561 Les sociétés de personnes sont les sociétés en nom collectif, les sociétés en commandite simple et les sociétés en participation. Elles sont régies par le livre II du C.S.C. * 562 Sur la transparence de la personnalité morale, v. Yves CHARTIER, L'évolution de l'engagement des associés, Rev. soc. 1980, p. 19. * 563 Alain VIANDIER, Société civile : retrait et décès d'un associé, art. préc., p. 1. * 564 L'art. 86 du C.S.C. dispose que « chaque associé dans une société en participation a le droit de céder ses parts à l'un de ses coassociés conformément aux stipulations des statuts. Il ne peut les céder à un tiers que si ses coassociés ont refusé l'offre d'achat dans le délai de 3 mois qui suit la date de l'offre. En cas de cession des parts à un tiers, la société se transforme en société en nom collectif ». * 565 L'ancien art. 30 du C. com. disposait, dans le même sens, qu'« à l'exception des cessions qui auraient été expressément prévues par l'acte constitutif, les parts d'intérêts des associés ne peuvent être cédées à des tiers, sauf consentement unanime des autres associés, et à condition de se conformer aux obligations de publicité ». * 566 Les statuts peuvent, cependant, aménager la règle de l'unanimité. * 567 Un associé d'une S.N.C. peut, cependant, « transférer à un tiers les droits et les avantages attachés à sa part d'intérêt » (art. 56, al. 2 du C.S.C.). Il s'agit là de ce que la doctrine appelle « convention de croupier ». Il est à noter que si cette convention n'est prévue par le C.S.C. que dans le cadre des S.N.C., elle pourrait parfaitement exister au sein d'autres formes de sociétés sur la base de la liberté des conventions. Sur la convention de croupier, v. également l'art. 1277 du C.O.C. V. en droit français Georges RIPERT et René ROBLOT, op. cit., p. 79 ; J. RICHARD, La convention de croupier, J.C.P., éd. N, 1987, I, 245 ; I. URBAIN-PARLEANI, Convention de croupier et société en participation, Rev. soc. 1999, p. 753. * 568 Dans les sociétés de personnes, les associés qui refusent d'agréer le cessionnaire ne sont pas tenus d'une obligation de rachat, telle qu'elle existe dans la procédure d'agrément organisée au sein des S.A. ou au sein des S.A.R.L. Sur l'obligation de rachat dans les sociétés de capitaux et les S.A.R.L., v. infra p. 113 et s. * 569 A condition, toutefois, de trouver un acquéreur. * 570 Agrément statutaire dans les sociétés de capitaux (art. 321 du C.S.C.) et agrément légal dans les S.A.R.L. (art. 109 du C.S.C.). |
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