Depuis son apparition, la théorie financière n'a
cessé d'attiser la convoitise des chercheurs en étudiant les
interactions entre le développement économique et l'efficience
des systèmes financiers et explique et aident à comprendre les
phénomènes financiers. Le champ de recherche correspond à
l'étude de l'intermédiation financière, définit
comme un processus d'ajustement des besoins et des capacités de
financement par l'intervention d'une institution financière.
En effet, jusqu'aux années cinquante, la théorie
financière n'intégrait pas véritablement les banques et
les institutions de crédits car que les agents interviennent directement
dans la transmission de l'épargne à l'investissement. La mise en
évidence de celle-ci s'est faite, à la fin de la décennie
50 suite à l'étude des marchés financiers. Les travaux de
pionniers ont fait ressortir la montée de l'institutionnalisation du
processus de l'intermédiation financière dans l'économie
américaine. Dans une étude, Gold Smith s'est interrogé sur
les raisons de la complexité croissante des systèmes financiers
des économies contemporaines, mais n'a pas permis d'expliquer ni
justifier la prolifération des intermédiaires financiers dans les
économies en développement. Ce n'est qu'en 1960 que Gurley et
Shaw ont montré, pour la première fois, le lien entre les
institutions financières et leur fonction d'intermédiation aussi
que sur le processus de financement de l'activité économique.
Le modèle d'intermédiation financière de
Gurley et Shaw a sans doute présenté l'expression
théorique la plus synthétique de l'intermédiation. Bien
que ce cadre est toujours d'actualité, il est construit à partir
de la distinction entre finance directe et finance indirecte. Sur la
très longue période, l'évolution de la structure
financière de l'économie semblerait marquée à la
fois par un glissement de la finance directe vers la finance indirecte de
l'activité bancaire traditionnelle de crédit et de
création monétaire (désintermédiation bancaire) au
profit de la gestion collective de l'épargne.
Jusqu'au milieu de la décennie 80, le système
financier est dominé par la finance indirecte et fonctionne sur la base
de fondements d'une économie dirigée. Les institutions
financières intervenaient sur des segments cloisonnés et soumises
aux politiques restrictives imposées par les autorités publiques,
qui traduisaient une baisse de l'importance des crédits bancaires dans
le financement global de l'économie. Cette situation
caractérisée par l'administration du secteur financier en
forçant les institutions financières à financer les
secteurs prioritaires tels que au détriment d'autres est à
l'origine de la notion de répression financière
(McKinnon & Shaw, 1973)).
Ils ont ainsi vivement critiqué cette politique
apparente dans les économies en développement du fait que les
interventions étatiques ne permettent que la création de
plusieurs distorsions financières. Les politiques restrictives tels que
les réserves obligatoires, la politique d'encadrement des
crédits, le financement privilégié et l'administration des
taux d'intérêt accompagnée des taux d'inflations
élevés, ont entraîné une réduction des fonds
prêtables aux entreprises, et une limite de la concurrence bancaire. Les
situations économique et financière dégradées qui
caractérisent les économies dirigées montrent l'impact
néfaste des interventions massives de l'Etat au sein de
l'économie.
Afin de surmonter ces difficultés, notre objectif dans
le cadre de cette recherche consiste à déterminer les liens de
causalité entre le développement financier et la croissance
économique à travers le financement de l'investissement des
entreprises.
En effet, l'accroissement de l'essor économique peut
être traduit par une politique incitative de l'épargne et de
l'investissement, par un accroissement de la proportion de l'épargne
transmise au financement des investissements et une baisse des coûts de
transactions dues à la collecte de l'épargne et de son
allocation. Les effets de la libéralisation financière à
travers la déréglementation des taux d'intérêt et la
suppression des réserves obligatoires ainsi que le désencadrement
de crédits aura pour conséquence à la fois
d'accroître la compétitivité des banques, la
productivité du capital et la croissance économique.
De ce fait, nous tenterons de voir dans un premier point si la
libéralisation financière a permis d'éliminer les
contraintes de financement des investissements des entreprises, ensuite
évaluer l'impact des réformes entreprises par les
autorités marocaines sur le comportement de l'investissement des
entreprises.
Pour ce faire, et dans un premier chapitre, nous exposerons
brièvement, le cadre théorique de la libéralisation
financière et sur son impact sur l'investissement des entreprises.
Dans un deuxième chapitre, nous présenterons les
caractéristiques du système financier marocain aussi que le
climat des affaires (surtout pour l'investissement) pré et post
libéralisation financière.
Le troisième chapitre quant à lui
présentera l'analyse empirique de l'enquête réalisée
par le laboratoire GREER1 et portant sur « l'évaluation
de processus de réforme et mise à niveau efficiente des
entreprises dans le cadre d'un développement durable : cas des
entreprises marocaines à l'horizon 2010 ».
i Laboratoire de Recherche en Economie de 1'Energie,
Environnement et Ressources.
Du point de vue théorique, la libéralisation
financière a trouvé ses origines dans les écrits de
McKinnon et Shaw (1973) qui implique un retrait partiel de l'Etat dans les
affaires financières. Ils trouvent ainsi dans les interventions massives
des autorités financières des déséquilibres majeurs
décourageant l'épargne et rendant l'affectation des ressources
non optimale. Leurs travaux se sont fondés sur le rôle de
système financier qui est considéré comme moyen efficace
pour accélérer la croissance économique par canal de
transmission des taux d'intérêt réels positifs.
Ce paradigme de libéralisation financière a
permis de mettre en évidence les différences fondamentales entre
les approches néoclassiques d'une part (R.I.McKinnon et E.Shaw (1973))
et les approches néo-structuralistes inspirées des analyses
keynésiennes (Taylor et Van Wijnberen (1983)) d'autre part.
L'importance des effets de l'efficacité
informationnelle des intermédiaires financiers sur la
libéralisation financière est soulignée par des auteurs
inspirés des théories de McKinnon et Shaw (Arndt (1982), Cho
(1986)). Ils démontrent que les contraintes de crédit peuvent
rendre l'allocation des ressources non optimale et entraîner un
rationnement de crédit.
En revanche, les auteurs du courant néo-structuraliste
controversent les affirmations libérales et s'appuient, pour assurer le
financement de l'économie, sur une vision structurelle de
l'économie par le maintien des taux d'intérêt à des
niveaux bas.
McKinnon et Shaw partent du constat que les marchés
financiers des pays en développement sont étroits et imparfaits
et considèrent un système économique en
déséquilibre avec une abondance d'opportunité
d'investissement. Ils se placent en effet dans le cadre des économies
des pays en voie de développement dans lesquels les politiques
financières adoptées ne permettent pas d'exploiter ces
opportunités2.
intervention des autorités dans l'allocation des
crédits notamment par le biais des réserves obligatoires et de la
politique d'encadrement des crédits (Shaw, 1973).
Pour McKinnon et Shaw, la libéralisation
financière serait la meilleure solution pour ces économies pour
accroître leurs niveaux d'investissement et promouvoir la croissance
économique. Ils retiennent les arguments suivants :
capital physique entraîne un accroissement de la demande
de monnaie qui exige une augmentation du taux d'intérêt
réel créditeur.
Le raisonnement précédent décrit par
McKinnon peut être vérifié à partir de ces
hypothèses où le taux d'intérêt réel provoque
une hausse des investissements à travers l'épargne.
A long terme, la libéralisation financière aura
permis un développement financier qui influencera positivement la
croissance de la production et du revenu et donc de l'épargne, si la
consommation ne change pas (effet indirect de la libéralisation).
Shaw, comme pour McKinnon, suppose que l'économie
pourrait être financée depuis les ressources bancaires à
condition que les intervenants financiers jouent leur rôle
d'intermédiation financière. Pour cet auteur, les taux
d'intérêts élevés influencent positivement les
dépôts des banques et exercent par conséquent un effet sur
les investissements des entreprises.
Pour Shaw, l'investissement est une fonction
décroissante du taux d'intérêt réel pratiqué
par les institutions financières et l'épargne est une fonction
croissante du taux de croissance de l'économie et du taux
d'intérêt réel servant la rémunération des
dépôts.
1.1.1.3 Effets de la répression
financière
On a mentionné ci-dessus que la répression
financière constitue un handicap à la croissance de
système financier. La répression financière peut ainsi
avoir effet sur les taux d'intérêt réels par la fixation
des taux nominaux servis ou demandés par les banques au dessous de leurs
valeurs d'équilibre de marché.
Cet effet réduit en conséquence la croissance
économique dans la mesure où :
cela réduit la quantité de fonds disponibles
pour l'investissement via la baisse des dépôts bancaires ;
cela affecte la quantité de l'investissement via la
modification de comportement des intermédiaires financiers. Comme le
souligne Shaw, « les plafonnements effectifs à la baisse des taux
créditeurs réels intensifient l'aversion pour le risque et la
préférence pour la liquidité des
intermédiaires5 ».
L'analyse de McKinnon/Shaw6 vise donc à
montrer que la fixation des taux au dessous de leur valeur d'équilibre
:
- réduit l'épargne (baisse des dépôts
bancaires) au profit de la consommation courante ; - fixe l'investissement
au-dessous de son niveau optimal ;
détériore la qualité de l'investissement
réalisé dans la mesure où les banques sont forcées
par le gouvernement de financer des projets à faibles rendements
(production agricole...).
5 McKinnon R., (1989), p 29.
6 McKinnon -- Shaw, (1990), pp. 477-480.
Figure 1 : équilibre
épargne-investissement
Intérêt
i2 in i
E f(R)
E, (R) En (R) El (R) Epargne
Source : DEBONEUIL X « La politique monétaire
et son contexte économique », la Revue Banque, p.436.
Sur le graphique et pour un revenu donné (R),
l'épargne est une fonction croissante de taux d'intérêt et
l'investissement est une fonction décroissante de celui-ci.
L'équilibre sur le marché des capitaux s'établit au niveau
E0(R) d'épargne et io d'intérêt. Dans
ces conditions, la rentabilité des investissements doit se situer
logiquement au dessus du taux de marché, par exemple entre io et i2.
L'objectif étant d'apprécier l'impact de
l'intervention des pouvoirs publics pour fixer des taux d'intérêt
au dessus de son niveau d'équilibre il. Cette intervention
conduit à un déséquilibre entre le volume de
l'épargne et la demande des fonds destinés aux investissements
(la différence entre E0(R) et E2(R).
La politique de plafonnement des taux d'intérêt
à la faveur des activités prioritaires aura comme
conséquence le financement des projets d'investissement à faible
rendement (qui se situent dans la zone ombrée).
Par ailleurs, étant donné qu'il n'est pas
possible de financer tous ces projets (puisque l'épargne se situe au
niveau E0(R), les banques sont obligées de mettre en place
des procédures non financières de rationnement des
crédits.
1.2 Prolongements théoriques de la
libéralisation financière
D'autres auteurs se sont inspirés des théories
de McKinnon et Shaw, ainsi Kapur7 (1976) qui considère que la
variable volume du crédit bancaire pourrait stimuler les investissements
des entreprises car l'amélioration des taux d'intérêt
nominaux sur les dépôts financiers pourrait traduire un maintien
de la croissance de l'économie à travers la collecte des
ressources constituées des dépôts des clients.
Galbis (1977) quant à lui s'est
intéressé à la sensibilité de l'épargne aux
taux d'intérêt réels dans un modèle à deux
secteurs, un « traditionnel » où le rendement de
capital est faible et l'autre « moderne » où, le
rendement de capital est important. Galbis montre que l'augmentation du taux
d'intérêt permet de mobiliser l'épargne. Il
considère que le premier secteur autofinance ses investissements, alors
que pour le second, le financement se fait par l'épargne et donc par les
prêts bancaires, et considère que pour stimuler les niveaux
d'investissement des entreprises, il faut accroître les taux
d'intérêts réels sur l'épargne des
ménages.
Pagano (1993)8 identifie trois canaux de
transmission entre le développement financier et la croissance à
long terme :
un accroissement de la proportion de l'épargne
transmise au financement de l'investissement, par la baisse des coûts de
transaction impliqués dans la collecte de l'épargne et dans son
allocation à l'investissement, qui s'interprète comme la perte
d'une partie de l'épargne dans le processus d'intermédiation ;
un accroissement de la productivité marginale du
capital, car un système financier performant alloue l'épargne
vers les projets les plus rentables ;
un effet ambigu, bien connu et documenté dans la
littérature, sur le taux d'épargne privé. D'un
côté le développement d'instruments d'épargne
fiables et efficace et la rémunération de l'épargne
peuvent conduire à la hausse du taux de celui-ci. Mais le
développement financier peut aussi réduire l'épargne : des
ménages mieux assurés par exemple, peuvent réduire
l'épargne de précaution.
Le développement financier relâche aussi la
contrainte de liquidité à laquelle les ménages font face
et permet un lissage de la consommation, ce qui peut également
entraîner une baisse du taux d'épargne.
Kapur (1976) fut un des premiers à compléter
l'analyse de McKinnon en l'intégrant dans un modèle dynamique. Il
conclut qu'il est préférable d'accroître le taux nominal
servi sur les dépôts plutôt que de réduire le rythme
de croissance de la masse monétaire. La première solution permet
d'atteindre simultanément deux objectifs: la réduction de
l'inflation (grâce à une diminution de la demande de monnaie) et
la stimulation directe de l'épargne.
8 Pagano M., (1993), pp. 613-622.
Ces effets sur l'organisation financière ont pour
conséquence d'accroître à la fois, le niveau et la
productivité du capital, donc l'amélioration des investissements
et la croissance économique, selon l'enchaînement
présenté dans la figure 2.
Figure 2 : effets de l'organisation
financière sur la production
Sélection d'investissement Amélioration de
la collecte et de la
I rémunération de
l'épargne
I
Productivité du capital Epargne 1
I Investissement
I
· Production
L'impact de l'organisation financière sur le taux de
croissance de l'économie peut être justifié par l'existence
d'une proportionnalité entre le stock de capital et le niveau de
production. En effet, une efficience du système financier accrue peut
entraîner une augmentation des niveaux de production à travers
l'augmentation du niveau de productivité de capital et
générer une augmentation de l'épargne, qui, à son
tour accroît à nouveau le stock de capital.
Néanmoins, un système financier pourrait
manifester des contraintes de distribution des crédits destinés
au financement des entreprises : elles sont dues à la présence
des asymétries d'information entre prêteurs et emprunteurs.
1.3 Contraintes de crédit et imperfections des
marchés de crédit
L'effet de la libéralisation financière sur le
développement économique est souvent analysé au travers le
lien entre épargne et investissement, c'est-à-dire la
manière dont les fonds prêtables sont alloués aux agents
économiques. Dans le cas du financement des entreprises, cette relation
est traditionnellement analysée en termes d'efficacité allocative
et d'efficacité
informationnelle des intermédiaires
financiers9. Les relations entre prêteurs et emprunteurs sont
à l'origine des asymétries informationnelles. Celles-ci peuvent
prendre deux formes (Fabienne Rosenwald, (2001)) : soit la sélection
adverse ex ante, c'est-à-dire que le prêteur n'a pas
d'informations suffisantes sur l'emprunteur (informations sur l'entreprise et
degré de risque de son projet), soit l'aléa moral dans le cas
où l'emprunteur agisse sur le risque de son projet d'investissement et
donc sur la rémunération du prêteur, soit encore de
sélection adverse ex post dans le cas où le prêteur
n'arrive pas à constater le degré de remboursement de son
prêteur et attendre le résultat de projet.
1.3.1 Rationnement de crédit
La prise en compte des effets des asymétries
d'information remet en question la conclusion de Arndt (1982) et Cho (1986)
quant à l'effet positif de la libéralisation sur les contraintes
de financement des entreprises. Des contraintes endogènes au
marché de crédit, résultant du comportement des banques,
comme réponse à la présence d'asymétries
d'information entraînent des problèmes de rationnement (Stiglitz
et Weiss, 1981).
A cet effet, et comme le souligne Cho10 (1986), on
peut distinguer entre deux types de contraintes sur les marchés de
crédit pouvant affecter l'allocation efficace de crédit et
entraîner un rationnement. Les premières appelées
contraintes exogènes liées aux réglementations (comme le
plafonnement des taux d'intérêt), et les secondes appelées
contraintes endogènes liées aux coûts résultant des
problèmes d'information. Cho montre que les arguments pour la
libéralisation financière sont incomplets et qu'en particulier,
ils laissent trop de côté la possibilité que des
contraintes endogènes sur le marché de crédit, comme
celles qui résultent de l'asymétrie d'information entre
emprunteur et prêteur, soient une barrière à l'allocation
optimale du crédit.
A cet effet et comme le souligne Cho (1986): «les
régimes seuls d'intérêt libres ne sont pas suffisants pour
assurer une allocation optimale complète du capital lorsqu'il existe des
imperfections d'information. Les banques vont éviter de financer de
nouveaux groupes d'emprunteurs productifs parce qu'ils seront perçus
comme trop risqués, et cela même si les banques sont neutres au
risque ou qu'il n'existe pas d'administration des taux
d'intérêt]] ». En d'autres termes,
l'allocation du crédit ou l'existence de banques d'Etat
d'investissement, pourrait être une réponse aux imperfections de
marché (l'effet de la répression financière).
9 Mishkin ,(1996) propose un examen
synthétique de ces questions dans le contexte des pays en
développement. 1° Cho Y.J., (1986), pp. 196-197
il Cho Y.J., (1986), Inefficiencies from
Financial Liberalization in Absence of Well Functioning Equity Market,
Journal of Money, Credit and Banking, volume 18, n°2
L'approche de Cho vise donc à comparer les rendements
marginaux de l'investissement entre différents secteurs industriels du
essentiellement à la segmentation du marché de crédit.
Le rationnement de crédit est donc lié à
l'existence d'informations imparfaites sur le marché de crédit.
Il suffit pour cela, que le rendement attendu du prêteur n'augmente pas
de manière monotone avec le taux d'intérêt (Jafee et
Stiglitz (1990)) car « une hausse du coût de crédit peut
avoir pour effet de décourager les emprunteurs les moins risqués
(phénomène d'antisélection) car le rendement de leur
projet en cas de réussite est inférieur à ceux des
emprunteurs risqués, et ainsi de diminuer le rendement moyen pour le
prêteur. De la même façon, une hausse du coût de
crédit peut avoir pour effet de sélectionner les projets les plus
risqués d'un entrepreneur (phénomène d'aléa
moral)12 ».
Pour certains auteurs (Stiglitz et Weiss (1981), Mankiw
(1986)), l'intervention publique sur le marché des capitaux est un moyen
de remédier aux effets des imperfections de marché.
1.3.2 Le modèle de Gale
Suite aux développements théoriques que nous
avions développés auparavant, Gale (1991) dans son modèle
montre que le résultat d'un rationnement de crédit dépend
de la valeur de l'élasticité d'offre de dépôts
bancaires. Le modèle utilisé par Gale (1991) pour analyser les
effets des programmes fédéraux sur l'allocation du crédit
est basé sur le modèle de Stiglitz et Weiss (1981). Il existe
plusieurs types d'emprunteurs (agriculteurs, étudiants...etc.),
l'appartenance au groupe est une information publique, et l'information
cachée (dont ne dispose que l'emprunteur) porte sur le rendement futur
de l'investissement. L'asymétrie d'information peut exister donc entre
les emprunteurs et les prêteurs.
La banque va offrir un taux d'intérêt
différent selon le groupe. L'effet de sélection adverse va
entraîner une relation non monotone entre taux d'intérêt et
rendement de la banque. Cette relation sera la cause d'un équilibre de
rationnement du crédit. L'intervention du gouvernement va consister
à garantir des crédits ou à en subventionner. Ces
programmes sont financés par emprunts, qui sont remboursés par
les revenus des programmes et par des taxes sur les dépôts. Gale
suppose que le gouvernement a les mêmes informations et les mêmes
coûts que les banques. Il utilise ce modèle pour des simulations
de politiques économiques et montre que l'effet des subventions de
crédits sur l'allocation du crédit dépend du niveau de
l'élasticité de l'offre de dépôt.
Bloch et Coeuré, (1995), p.163
1.3.3 Williamson et les imperfections du marché
de crédit
Pour Williamson, cette imperfection de marché
n'implique pas nécessairement qu'une intervention publique puisse
être une solution13. En effet, si le gouvernement offre une
garantie sur les crédits financée par les primes d'assurance
supportées par les prêteurs, et si le marché est
caractérisé par un rationnement d'équilibre, le programme
va réduire le taux reçu par les prêteurs, et augmenter le
taux débiteur et la probabilité qu'un emprunteur soit
rationné. Ainsi pour Williamson, tous les participants sont dans une
situation sous-optimale lorsque l'Etat intervient.
Dans le cas d'un programme de crédit direct,
Williamson, en supposant que l'Etat offre des crédits selon les
mêmes termes que les banques privées, montre que ce programme n'a
qu'un effet d'éviction du crédit de certains emprunteurs vers
d'autres emprunteurs, et que l'effet net est nul. Dans le second modèle,
le marché de crédit caractérisé par la
sélection contraire et le filtrage (screening) des emprunteurs par la
banque occasionne des coûts.
Williamson (1998) considère deux types d'emprunteurs, g
(good) et b (bad), qui diffèrent en fonction de la distribution des
rendements de leurs investissements. Le prêteur peut connaître le
type d'emprunteur auquel il a à faire en encourant un coût fixe,
dit coût de sélection. Ce modèle est proche de celui de
« costly state verification ». Toutefois, une différence
importante est que les coûts d'information ont cours avant que
l'investissement ait eu lieu et non pas ex post comme dans le modèle de
« costly state verification ». Si l'équilibre existe, il est
séparateur, et dans ce cas la banque offre un contrat différent
selon le type d'emprunteurs g ou b. A l'équilibre, la probabilité
que la banque filtre des emprunteurs de type g est positive, tandis que les
emprunteurs de type b ne sont pas filtrés. Williamson montre que dans ce
second modèle l'intervention de l'Etat n'est pas Pareto
optimale13.
1.4 La libéralisation financière :
approche néostructuraliste
En opposition aux néoclassiques, les auteurs inspirant
du courant néo-structuraliste (Taylor, 1983 ; Fry, 1988 ; Williamson,
1998; Kapur, 1992) contestent les fondements théoriques de la
libéralisation financière prônés par McKinnon &
Shaw en se basant dans leurs démonstrations sur une vision structurelle
de l'économie. Pour eux , les marchés financiers non officiels
'compétitifs et agiles'15 qui sont
considérés comme plus efficaces que les marchés officiels
jouent un rôle important dans la formation des mécanismes
d'ajustement.
13 Williamson J. & Mahar M., (1998).
14 Fry, M.J., (1988).
15 Taylor, (1983), p. 92
Pour relancer la croissance économique, ils fondent
leurs hypothèses sur le maintien des taux d'intérêt
à des niveaux faibles. Toute augmentation de ces derniers ne fait
qu'élever l'inflation et donc ralentir la croissance (Taylor 1983).
Les néo-structuralistes rappellent que le marché
informel est plus efficace que le marché bancaire officiel et assure une
croissance économique16.
1.4.1 Hypothèses de l'approche
néo-structuraliste
Selon Fry (1988) : « les modèles structuralistes
reposent sur cinq affirmations absolument différentes de celles de
McKinnon :
Les salaires sont déterminés d'une
manière exogène (ou institutionnelle) à travers de
conflits entre les classes sociales ;
L'inflation est déterminée par les poids
relatifs des capitalistes et des travailleurs (qui sont eux-mêmes
influencés par l'état de l'économie) ;
L'épargne se détermine comme une fraction des
profits et non des salaires ;
Le niveau général des prix est
déterminé par des marges fixes sur les coûts du travail,
les importations et le financement du capital productif (taux
d'intérêt),
Les pays en voie de développement dépendent
de façon critique de leurs importations
de matières premières, des biens
d'équipement et des biens intermédiaires17 ».
L'analyse économique de l'approche structuraliste qui s'inspire des
analyses keynésiennes fait ressortir les points suivants :
c'est l'égalisation entre l'offre et la demande de
crédit et de monnaie qui permet l'ajustement des taux
d'intérêt sur le marché financier non officiel ;
l'ajustement entre l'offre et la demande sur le marché des
biens et services se réalise par les quantités et non par les
prix ;
sous l'hypothèse de détermination de
l'inflation par les coûts, et suite aux analyses de McKinnon et Shaw,
cette hypothèse va conduire à une détérioration de
la situation économique.
16 Fry, r M.J., (1988), Money, Interest, and
Banking in Economic Development, The John Hopkins University Press,
Baltimore
17 Fry.M.J.,(1988), p. 87.
1.4.2 Principaux développements
théoriques de l'approche néo-structuraliste 1.4.2.1 Secteur
informel et libéralisation fmancière
Les effets de la libéralisation financière ne
peuvent être appréciés concrètement sans soulever le
problème que pose l'existence d'un secteur informel. Pour les tenants de
la libéralisation financière, ce dualisme marqué par la
coexistence de deux marchés n'est qu'un avatar de la répression
financière et de la segmentation de l'économie (Taylor (1983),).
En conséquence, ce secteur perdra toute son importance dans la mesure
où « le secteur informel [qui ne constitue qu'un substitut
imparfait aux actifs financiers indirects] va devoir faire face à la
concurrence accrue d'un secteur financier organisé plus
libéralisé secteur officiel et secteur informel seraient donc
substituables et la croissance du premier conduirait à la disparition
immanquablement du second18 ».
Sur le secteur non officiel, les taux d'intérêt
jouent un rôle crucial dans la mesure où ils représentent
le coût marginal de l'emprunt, et constituent un instrument
déterminant de la demande d'encaisses réelles
monétaires.
Le problème consiste donc à déterminer
qui, du secteur bancaire officiel ou du secteur informel, est le plus à
pouvoir stimuler la croissance de l'économie. Pour les
néostructuralistes, le secteur non officiel est, par nature, plus
efficace que le secteur bancaire. Le second, en effet, est tenu de constituer
des réserves obligatoires qui représentent une certaine fraction
des dépôts. Cette hypothèse fondamentale permet de
conclure, selon les néostructuralistes, à la nuisance de la
libéralisation financière prônée par les
modèles McKinnon & Shaw.
Revenons aux conclusions de Kapur19 en
matière de la constitution des réserves obligatoires par le
secteur officiel. Ses conclusions coïncident avec les affirmations des
néostructuralistes, selon lesquelles les réserves détenues
par le secteur bancaire officiel sont un gage de liquidité à
court terme et donc qu'elles accroissent la sécurité de
système.
C'est la liquidité qui constitue le point de
différence entre les deux secteurs. Si le secteur informel veut
connaître la même sécurité, il doit lui aussi,
constituer des réserves. En l'absence de celles-ci, les agents courent
un risque de liquidité important qui explique le niveau
élevé des taux d'intérêt sur les marchés
informels. Kapur arrive à la conclusion que, dans une économie
où le secteur financier officiel est libéré de ses
contraintes, les agents vont détenir à la fois des actifs du
secteur non officiel (moins liquides mais mieux rémunérés)
et des dépôts bancaires.
18 Taylor, L (1983), Structuralist
Macroeconomics: Applicable Models for the Third World, New-York, Basic
Books.
19 Kapur, B. (1992), pp. 63-77.
La conclusion de Kapur en terme de comparaison nous
amène à souligner une certaine complémentarité
entre les deux secteurs. Le secteur informel, d'après Kapur,
présente trois principaux avantages :
Sa bonne implantation géographique dans des zones
où il est difficile au secteur officiel de s'implanter si on tient
compte des coûts ;
Absence d'asymétrie informationnelle entre
prêteurs et emprunteurs dans la mesure où les prêts ne sont
accordés qu'à des individus membres de la communauté
où l'information circule très vite ;
La faiblesse du risque d'aléa moral parce que le
mauvais débiteur risque l'exclusion pure et simple de la
communauté.
1.4.3 Le modèle de Van
Wijnbergen2°
Van Wijnbergen (1983) a beaucoup réfuté la
théorie de McKinnon & Shaw de la libéralisation
financière. Il insiste, comme les autres théoriciens
inspirés des analyses néostructuralistes, sur le rôle de
secteur informel dans le financement de l'économie.
Selon Van Wijnber, l'augmentation des taux
d'intérêt servant les dépôts bancaires aura des
effets néfastes sur les niveaux d'investissement des entreprises via la
réduction des fonds prêtables (demande d'encaisses
monétaires). Ceci aura aussi comme conséquence une hausse des
taux d'intérêt sur le marché informel. Le marché des
biens et services sera influencé négativement suite à
cette hausse des taux d'intérêt sur le marché non
officiel.
Van Wijnbergen suppose dans son modèle que la richesse
réelle des agents se partage entre la monnaie, les dépôts
bancaires à terme et les prêts directs au secteur productif sur
les marchés informels. Ces éléments sont supposés
substituables et sont dépendants des variables : le taux d'inflation, le
taux d'intérêt nominal d'équilibre du secteur informel (i),
le taux d'intérêt réel servi sur les dépôts
à terme (rtd) et le revenu (y). Les effets d'une augmentation
du taux réel servi sur les dépôts peuvent être
présentés dans la figure 3.
Nous pouvons visualiser schématiquement les effets de la
façon suivante :
20 Van Wijnbergen, S. (1983), "Interest Rate
Management in LDC's", Journal of Monetary Economics, vol 12, n°3,
septembre, pp. 433-452.
Figure 3 : Les effets d'une augmentation du taux
réel sur les dépôts à terme
i
, LM'
i' i
LM
IS
Y' Y Y
M.J.Fty, « Money, Interest and Banking in Economic
Development », p. 92
Une augmentation du taux réel servi sur les
dépôts (rtd) n'affectant pas le marché des biens
- qui ne dépend que du taux d'intérêt réel du
secteur informel ( i -- Tc) et du revenu (y)- IS ne varie pas. Par
contre, il y a deux effets contradictoires sur le marché de la monnaie.
D'une part, la hausse de rtd accroît la demande d'encaisses
monétaires et fait donc déplacer LM vers le haut (passage
à LM'). D'autre part, on peut constater une hausse de l'offre de monnaie
suite à l'effet de substitution entre la monnaie et les
dépôts à terme, c'est-à-dire que les agents vont se
tourner vers les dépôts à terme et négliger la
détention des encaisses monétaires.
L'impact net sur la courbe LM est fonction du ratio des
réserves obligatoires et des élasticités des demandes de
monnaie et d'actifs du marché informel par rapport aux taux servant les
dépôts à terme. Dans le cas où les agents
privilégient les dépôts à terme aux actifs du
marché informel, une partie des fonds collectée va alimenter les
réserves obligatoires, ce qui va réduire les ressources
d'investissement pour les entreprises. La courbe LM va donc se déplacer
vers le haut, et l'élévation des taux d'intérêt sur
les dépôts affecte les taux d'intérêt nominaux sur le
marché informel : déplacement de (i) vers (i') et le revenu va
baisser pour passer de (y) vers (y'). C'est en fait l'effet substitution qui
l'emporte selon les néostructuralistes. La libéralisation
financière d'après McKinnon & Shaw qui visait l'accroissement
de la rémunération réelle servie sur les
dépôts bancaires n'a eu que des résultats
néfastes.
Les hypothèses selon lesquelles reposent cette
approche néo-structuraliste constituent ses limites :
l'efficacité de secteur informel dans l'allocation des ressources et la
constitution des réserves obligatoire par le système bancaire.
1.5 Les contraintes de financement et effets des
réformes financières
1.5.1 Les contraintes de financement et taille des
entreprises21
De nombreuses analyses empiriques qui s'intéressaient
aux problèmes financiers comme contraintes qui s'imposent davantage aux
petites entreprises qu'aux grandes ont pris un intérêt particulier
durant les dernières années (Jaffee & Russell (1976), Keeton
(1979), Stiglitz & Weiss (1981), Fabienne Rosenwald (1988), Fazzari,
Hubbard & Petersen (1988), Crépon & Rosenwald (1988) et
Duhautois (1995)).
Fazzari, Hubbard & Petersen22 (1988) sont
considérés comme les premiers à analyser empiriquement
cette problématique de contraintes financières. Les tests
menés reposent sur l'identification d'un sous ensemble d'entreprises qui
sont susceptibles de subir davantage des contraintes financières. Les
critères de séparation utilisés sont ;
- le taux de rétention des dividendes qui peut être
corrélé fortement avec les opportunités d'investissement
;
- la relation solide banque-entreprise permet de réduire
les coûts d'information ;
- la taille et l'âge de la firme qui sont
considérés comme des variables déterminants pour que la
firme soit contrainte financièrement ;
- la présence des notations sur les titres émis
pour les entreprises cotées.
Dans leur papier, ils ont mis l'accent sur la relation positive
entre le cash-flow généré par les firmes et leurs
dépenses d'investissement.
Fazzari, Hubbard & Petersen affirment que la relation
positive montre que les entreprises de petite taille par rapport aux grandes
sont contraintes financièrement, du fait que les fonds externes
demeurent plus coûteux que les fonds internes et que la prime de risque
demandée est une fonction décroissante de la richesse de
l'emprunteur.
Pour Hines (1995) et Thaler, la raison est simple : les petites
entreprises pour lesquelles l'information est plus difficile à collecter
sont plus éloignées des marchés de crédit.
La conclusion des tests de Fazzari, Hubbard et Petersen est
qu'on ne peut rejeter l'hypothèse selon laquelle certaines entreprises
sont contraintes financièrement.
21Certains organismes de crédit demandent
un niveau de garanties important pour les petites entreprises composant un
risque de faillite élevé : comme la capacité à
offrir des garanties plus élevée pour les grandes entreprises
dont le risque de faillite est relativement moins faible. C'est le même
scénario au niveau d'endettement.
22 Les auteurs ont travaillé sur un
échantillon de 422 entreprises de l'industrie manufacturière de
1970 à 1984.
En revanche, pour Kaplan et Zingales23 (2000) ce
résultat --relation positive entre cash-flow et dépenses
d'investissement- est réfuté : la relation positive est plus
forte pour les entreprises qui ne sont pas, théoriquement, susceptible
d'être soumises aux contraintes financières.
Une autre explication due à Jensen (1986) qui
s'appelle la théorie de free cash-flow. Pour lui, le résultat en
question peut avoir origine les relations d'agence qui naissent entre
actionnaires/propriétaires de l'entreprise et les managers. Ces derniers
qui peuvent suivre d'autres objectifs que celui de la maximisation de la valeur
de l'entreprise et avoir des tendances à élaborer des projets
d'investissement même ceux qui présentent moins de
rentabilité de moment que ces projets agrandissent la taille de
l'entreprise. Ces relations créent ainsi des conflits d'agences.
1.5.2 Désengagement de l'Etat et effet des
réformes financières sur l'investissement des
entreprises
Sur la période 1969 à 1996, Borensztein et Lee
(1999) analysent l'évolution de l'allocation du crédit en
Corée du Sud, à partir d'un panel comportant des données
sur 32 secteurs manufacturiers. Selon ces auteurs, l'importance de
l'intervention de l'Etat sur le marché du crédit est
caractérisée par une forte allocation du crédit à
des secteurs jugés prioritaires ou à des entreprises
fragilisées. D'autre part, du fait de l'existence de « chaebol
» (groupes industriels), les grandes entreprises ou celles ayant de forts
liens avec le pouvoir ont accès d'une manière
disproportionnée au crédit. Même après les
réformes financières, ces auteurs estiment que les banques
peuvent être incompétentes à évaluer et à
contrôler les projets et donc les fortes relations clients/banques
restent l'un des déterminants importants dans l'allocation du
crédit. Ils utilisent une méthode comparable à celle de
Jaramillo, Schiantarelli et Weiss (1992). Leur test est construit sur la
régression de flux de dettes rapporté au stock de capital,
expliqué par une variable d'efficience (le taux de profit ou
alternativement la productivité marginale du capital) et des variables
de contrôle : la variable expliquée retardée d'une
période, le logarithme du stock de capital, le ratio dette sur capital
moyen, les exportations rapportées au chiffre d'affaires et enfin des
variables muettes annuelles.
Leurs résultats indiquent que sur la période
1970-96, l'efficacité du secteur ne joue pas un rôle important
dans les choix de l'allocation du crédit (le coefficient de la variable
taux de profit n'est pas significativement différent de zéro) et
même a un effet négatif si l'efficacité est mesurée
par la productivité marginale du capital : le crédit est
alloué de préférence aux secteurs ayant des performances
économiques médiocres.
23 Kaplan & Zingales (2000), Investment -- Cash
flow Sensitivities are not Valid Measures of Financing Constraints, Quarterly
Journal of Economics, pp. 169-215.
Lorsqu'ils distinguent deux périodes pour prendre en
compte l'effet des réformes financières (1970-84 et 1985-96), les
résultats sont équivalents : malgré le
désengagement de l'Etat, les banques continuent à financer en
priorité les secteurs les moins performants. Les auteurs expliquent ce
résultat par les liens privilégiés entre clients et
banquiers, qui passent avant les questions d'efficacité.
1.6 Déterminants de l'investissement et la
théorie financière : le modèle de Jorgenson24
Le modèle théorique de l'investissement de Jorgenson
(1963), repose soit sur les déterminants coût du capital et
coût réel du travail, soit le déterminant coût
relatif capital/travail. Pour Jorenson, quand le coût d'utilisation du
capital est important relativement au coût du travail, l'investissement
de l'entreprise sera plus faible. C'est l'élasticité de
substitution entre les deux facteurs qui détermine les niveaux
d'investissement.
Mais quant aux mesures et signe de l'impact des
déterminants en question sur le comportement des investissements, ils
restent peu concluants et par conséquent, conclure que les coûts
des facteurs de production (les salaires et les taux d'intérêt) ne
jouent aucun rôle dans les décisions d'investissement.
Peu d'économistes seraient prêts à signer
un tel propos, ne serait-ce que parce que ces mêmes variables (les
salaires et le taux d'intérêt) jouent sur le profit qui
lui-même joue sur l'investissement25. Ce n'est pas parce que
l'on ne parvient pas à identifier précisément un effet que
cet effet n'existe pas.
1.7 Les modèles
post-keynésiens
Les post-keynésiens ont critiqué à leur
tour la théorie de la libéralisation financière des
néoclassiques. L'épargne qui est considérée par
McKinnon & Shaw comme la clé de la réussite de processus de
libéralisation, les post-keynésiens insistent sur le fait que
l'investissement dépend en particulier de la demande effective (la
demande d'investissement anticipée par les entreprises) et des taux
d'intérêt débiteurs (Beckerman (1988), Burckett & Dutt
(1991) et Demirguç-Kunt & Detragiache (1997)).
24 Jorgenson D.W. (1963), Capital Theory and
Investment Behavior, American Economic Review, vol. 53, n° 2, May,
pp.247-259.
25 Herbet J.B., Peut-on expliquer
l'investissement à partir de ses déterminants traditionnels au
cours de la décennie 90 ?, Economie et Statistique, n°
341-342, (2001), p. 94.
1.7.1 L'analyse de Burkett &
Dutt26
Les travaux de Burkett & Dutt (1991) traitent l'effet de
la libéralisation financière dans un contexte d'une
économie caractérisée par un sous emploi de ses
capacités de production. Leurs écrits s'opposent aux
théories de McKinnon et Shaw. Sous des conditions de sous emploi des
capacités de production, la politique de libéralisation
financière ne produit que des impacts négatifs sur la croissance
économique. Dans une étude empirique effectuée par Burkett
& Dutt (1991) sur le Chili, ils ont montré que le processus de
libéralisation n'a pas pu stimuler ni les niveaux d'investissement ni la
croissance économique. L'effet traduit par cette politique est
dirigé vers des secteurs moins productifs, tels que l'immobilier, les
spéculations sur les marchés financiers et l'importation des
biens de luxe.
En effet, d'après les auteurs, toute augmentation des
taux d'intérêt sur les dépôts va engendrer une baisse
de l'investissement : l'augmentation des taux d'intérêt nominaux
encourage l'épargne, mais baisse la demande effective des entreprises.
L'effet limite et contradictoire dans ce canal réside dans le rôle
faible donné aux intermédiaires financiers en matière de
collecte des fonds et leur affectation optimale sur les l'ensemble de
l'économie.
Burkett & Dutt affirment que l'effet négatif sur
la demande effective des entreprises domine l'effet positif via
l'intermédiation financière : Compte tenu de la hausse des taux
servis sur les dépôts, la demande effective diminue à cause
de la baisse du taux de profit des institutions financières qui
réduit l'investissement et la production.
Ce phénomène peut être amplifié
par le comportement des entrepreneurs. Si ces derniers deviennent pessimistes
-à cause de la baisse effective du taux de profit- l'effet
négatif sur l'investissement est renforcé.
1.7.2 L'analyse de Dutt
Dutt dans son modèle raisonne dans un contexte de
plein emploi des facteurs de production et estime qu'il est possible de
retrouver les effets de libéralisation financière de court et
long terme par une hausse des taux d'intérêt réels via
l'augmentation du volume d'épargne. En situation de chômage, la
libéralisation d'après Dut n'a que des effets fâcheuses
à court terme et long terme expliquée par la sous utilisation des
facteurs de production.
Dutt distingue entre quatre catégories d'agents dans
l'économie : les travailleurs, les
capitalistes, les entrepreneurs et
les banques. Le salaire est la contrepartie que reçoivent
les
premiers qui sera détruit pour sa totalité dans un unique
produit dans l'économie. La
26 Burkett, P. et Dutt, A.K. (1991), Interest
Rate Policy, Effective Demand, and Growth in LDC's, International Review
of Applied Economics, vol 5, n°2, pp 127-153.
détention du capital et des entreprises
caractérise les seconds qui procèdent à une épargne
d'une partie de leurs revenus sous deux formes : placement financiers (achats
d'autres titres financiers) ou dépôts bancaires. La
troisième catégorie utilise du travail et du capital pour
produire, tandis que la dernière assure l'allocation des fonds et le
financement de l'économie. Les banques peuvent faire recours à la
banque centrale en cas d'insuffisance des ressources financières pour
satisfaire la demande en contrepartie d'un taux déterminé par la
politique monétaire en vigueur.
Deux situations peuvent marquer l'économie : d'abord
en cas où les entrepreneurs anticipent une demande insuffisante,
l'environnement de concurrence imparfaite régnera et les prix
fixés par ces derniers dépendent de la marge fixe sur le salaire
des employés et déterminent leurs niveaux de productions en
fonction de juste demande s'adressant à ces entreprises. C'est le taux
de profit dégagé, l'ampleur de la capacité de production
et le taux d'intérêt qui vont déterminer leur
stratégie d'investissement. En revanche, dans le deuxième cas
caractérisé par une demande importante permettant aux entreprises
l'utilisation pleine de leurs capacités de production, cela va causer
une augmentation des niveaux des prix. Dans cette situation, la décision
d'investissement est déterminée conjointement par le taux de
profit et le taux d'intérêt ;
Enfin, comme l'offre de monnaie est déterminée
par la demande, les entreprises ne sont pas limitées dans leurs
investissements par une insuffisance de fonds prêtables. En fait, ce sont
en premier lieu les "esprits animaux" qui conditionnent la décision
d'investir.
Dutt met l'accent à la fin dans son article sur la
pertinence de son modèle compte tenu des spécificités des
pays en voie de développement. Les principaux résultats
tirés portent notamment sur les caractéristiques des structures
des économies de ces pays ainsi que les problèmes liés
à ses économies. Sa vision keynésienne semble bien peu
adapté.
L'aspect traditionnel des pays en voie de développement
(domination des structures économiques agroalimentaires) fait que la
déréglementation de système financier se tient en
échec (Dutt (1991)) qui se fait dans un cadre de programme d'ajustement
structurel.
Selon Dutt, les problèmes liés à
l'insuffisance de la demande effective rendent son analyse pertinente pour les
pays en voie de développement, y compris pour les moins
développés27 .
27 Dutt, A.K., (1991), pp. 228-229.
1.7.3 Les conclusions de Modigliani et
Miller
Sur le plan empirique et en relation avec l'effet des
imperfections exogènes de marché sur la contrainte de
crédit des entreprises, s'inspirent des méthodes
développées pour analyser la contrainte de crédit en
présence d'imperfection de marché.
Ces méthodes s'appuient sur le comportement
d'investissement des entreprises et sur le principe d'indépendance de
Modigliani et Miller (1958).
Ils montrent en fait que les décisions
d'investissement sont indépendantes de la structure financière de
l'entreprise (dont les imperfections de marché de crédit), et par
conséquent, il fallait donc penser à d'autres variables
expliquant le montant de l'investissement réalisable. « C'est
donc la relation entre ces variables financières et investissement qui
pourra déterminer si les entreprises sont contraintes
»28.
La spécification du modèle qui tient compte de
l'absence de contraintes de crédits consistait à montrer que les
décisions d'investissement ne dépendent que des anticipations de
profit et des investissements passés. La forme réduite de la
fonction d'investissement de type accélérateur est la suivante
:
(I I K)i,t = ai
(//K)i,t_i +
a2(AY/K)i,t + E i,t
(1.4)
(1.4) est la fonction d'investissement de type
accélérateur.
Avec I : Investissement
K : Stock de capital
AY : Variation de la production
E : Terme aléatoire
i : entreprise
t : année
Mais en présence des contraintes de financement des
investissements des entreprises citées précédemment
(contraintes endogènes - asymétries d'information- ou
exogènes -- interventions des pouvoirs publics-), l'hypothèse
d'indépendance de principe de Modigliani et Miller est rejetée.
On devrait donc faire recours aux autres variables financières pour
expliquer les montants d'investissement réalisables.
28 Jaffee et Stigliz, (1990), p.876.
1.8 Autres développements théoriques de
la libéralisation financière
1.8.1 La sélection des emprunteurs
Pour financer les investissements des entreprises, les
banques s'appuient sur un ensemble de critères pour sélectionner
les emprunteurs (entreprises). En effet, les banques collectent des
informations comptables et financières dans les bilans et les comptes de
produits et charges des entreprises et étudient l'environnement dans
lequel elles évoluent. Malgré cela, la sélection
n'était jamais parfaite car trop coûteuse. L'endettement de
l'entreprise emprunteuse influence aussi la décision de la banque, une
entreprise trop endettée aura une moindre propension à pouvoir
rembourser tous ses crédits.
Néanmoins, la réputation de l'emprunteur et sa
capacité à rembourser les dettes sont des éléments
centraux qui déterminent la décision de prêteur d'accorder
ou non le crédit, « la valeur des fonds propres est ici un bon
indicateur » (Gilles, 1992). Disposer d'un actif net initial
important réduit le poids de l'incertitude qui a une forte influence en
matière de décision d'investissement. Selon Bernanke et Gertler
(1989), une entreprise disposant d'importants fonds propres réduit son
problème d'asymétrie d'information car son endettement relatif au
capital est faible et présente moins de risque. Elle peut ainsi obtenir
plus de crédit et à de meilleures conditions. Ces fonds propres
donnent également aux entreprises la possibilité d'éviter
le risque de rationnement de crédit grâce à une forte
garantie hypothécaire (Gale, 1990).
De fait, l'évaluation ex-ante des projets
d'investissement peut être à l'origine des problèmes
d'asymétrie d'information29.
Les individus qui évoluent dans un environnement
où chacun est doté d'une richesse limitée et d'un projet,
qui est soit de bonne ou de mauvaise qualité, et que l'information dont
ils disposent est propres à chacun. L'asymétrie d'information
peut causer par conséquent deux problèmes, soit
l'antisélection ou la sélection adverse, soit l'aléa
moral. Le premier problème peut survenir en situation où les
préteurs connaissent mal les qualités de l'emprunteur et que les
emprunteurs qui ont une mauvaise cote de crédit sont fortement
incités à chercher des prêts. Lorsque le manque
d'informations complètes empêche les prêteurs de bien
évaluer la qualité de crédit, ils n'acceptent de payer un
prix donné pour des titres reflétant la qualité moyenne
des entreprises qui les émettent que lorsque ce prix est
inférieur au juste prix de marché pour les entreprises de haute
qualité, mais supérieur au juste prix du marché pour les
entreprises de faible qualité.
29 Boyd & Prescott (1986) et Gertler (1988).
On parle de l'aléa moral lorsque les emprunteurs
peuvent modifier leur comportement, après la conclusion de la
transaction, d'une façon qui pourrait être jugée non
souhaitable par le prêteur. Les emprunteurs souhaitent investir dans des
projets relativement risqués dont ils retireront des
bénéfices en cas de succès, mais dont les pertes, en cas
d'échec, seront pour l'essentiel à la charge du prêteur ;
les prêteurs par contre souhaitent limiter les risques des projets. Ainsi
les emprunteurs cherchent à modifier leurs projets de manière
à accroître les risques courus après la conclusion de la
transaction financière, ce qui facilite l'asymétrie de
l'information. Dans ces conditions, beaucoup de projets d'investissement
effectivement mis en oeuvre sont excessivement risqués. Les
prêteurs deviennent dès lors plus réticents à
accorder des prêts et les niveaux d'intermédiation et
d'investissement sont sous-optimaux.
1.8.2 La supervision des emprunteurs
La supervision des emprunteurs consiste à mettre les
engagements de ceux-ci sous le contrôle des banques, car ils peuvent
mettre en place des activités plus risquées que celles pour
lesquelles le crédit lui a été accordé : la banque,
pour éliminer ce risque d'aléa moral, inscrit dans le contrat des
clauses obligeant l'emprunteur à respecter son engagement et n'investir
que dans des projets pour lesquels le crédit est alloué.
C'est à partir de ce rôle de supervision des
emprunteurs que Diamond (1984) montre que, dans un environnement
caractérisé par l'existence d'asymétrie d'information ex
post entre prêteurs et emprunteurs, la dette est le contrat optimal entre
emprunteur et prêteur, d'où l'émergence
d'intermédiaires financiers.
Il nous semble enfin que les imperfections qui règnent
sur les marchés financiers ont constitué un souci
considérable dans les théories modernes de la
libéralisation financière. McKinnon (1988) revient à
souligner l'importance de la prise en compte des asymétries
d'information et de sélection adverse dans les validations empiriques et
conclut que l'instabilité macro-économique et les aléas
moral peuvent conduire à un taux d'intérêt trop
élevé et à un excès de prise de risque par le
secteur bancaire. Dans un tel univers « le gouvernement devrait
probablement imposer une administration sur le taux d'intérêt type
sur les prêts (et sur les dépôts) aussi bien qu'un nombre de
mesures prudentielles, telles que des provisions plus grandes sur les
créances douteuses » (McKinnon 1988). Il ajoute même que
« les économies ayant connu un développement
réussi ont combiné une stabilité du niveau
général des prix avec des taux d'intérêt nominaux
substantiels --même s'ils sont réglementés- sur les
dépôts et sur les crédits ».
1.9 Libéralisation et réformes
financières : étapes et conditions de réussite
La réussite de la libéralisation
financière, notamment dans les pays émergents nécessite le
passage d'un certain nombre d'étape et suppose l'existence
préalable des conditions de stabilisation de l'économie. L'ordre
dans lequel les mesures politiques doivent être prises et la vitesse des
réformes financières peuvent constituer également des
limites justifiant l'échec ou la réussite de la
libéralisation financière.
1.9.1 La séquence de libéralisation
optimale
Suite à l'échec des tentatives de la
libéralisation financière dans le Cône Sud
d'Amérique Latine (Argentine, Chili et Uruguay), ainsi que dans d'autres
régions (Philippines), plusieurs travaux ont été
intéressé à la détermination de la séquence
des réformes.
La séquence de libéralisation financière
est définie comme étant celle « qui maximise la valeur
actualisée de l'addition nette à l'économie »
Michael (1986).
o Etapes de la libéralisation financière
interne
Avant de définir l'ordre d'adoption des
réformes ainsi que leur vitesse au sein de chaque économie, les
conditions initiales sont nécessaires pour la réussite de toute
libéralisation financière. Ainsi, la nomenclature des
étapes de la libéralisation financière se fait aux niveaux
interne et externe du secteur. Les politiques qui concernent la première
étape et touchent à la sphère réelle
concernent : Stabilité macroéconomique,
libéralisation des prix, levée des taxes ainsi que les
subventions et privatisation. La seconde étape qui concerne la
sphère financière nécessite la restructuration et
privatisation du système bancaire domestique, et la création ou
réactivité du marché monétaire3°
La troisième étape qui concerne le secteur
réel nécessite : la libéralisation des
opérations courantes (levée des barrières commerciales) et
la création d'un marché de changes et convertibilité de la
monnaie ;
Dernière étape qui concerne le secteur
financier nécessite : la levée de contrôle des
mouvements des capitaux et convertibilité totale de la monnaie.
3° Villanueva D. et Mirakhor A. (1990).
1.9.2 La vitesse des réformes
financières
1.9.2.1 La libéralisation financière
brutale
Villaneva et Mirakhor (1990) accentuent la relation entre la
vitesse des réformes financières et les conditions initiales de
libéralisation financière. Ils montrent, à leur tour, que
si la réforme est appliquée dans un environnement
macro-économique instable et/ou si la surveillance et la supervision
bancaire inefficace, la politique de libéralisation des taux
d'intérêt doivent être progressive et inversement, la
libéralisation des taux d'intérêt peut être
prématurée.
La périodisation de la libéralisation du
secteur financier constitue un problème qui occupe une place
particulière dans la théorie financière. Si la
période de transition est permanente, la déréglementation
du système financier ne peut être faite que lorsque
l'économie est aboutie à une phase de maturité plus
appropriée. Ensuite, la longueur de la répression
financière qui précède la politique de
libéralisation financière entrave l'approfondissement financier
et cause des effets néfastes sur la croissance économique. Il
serait donc utile de mettre un programme d'apprentissage des nouvelles
règles.
Nous pouvons ainsi affirmer que l'application d'une politique
de libéralisation financière ne peut être adoptée
que dans une économie stable et un ordonnancement optimal qui
prévoit le passage de la stabilisation à la croissance.
1.9.2.2 La libéralisation financière
graduelle
Dans certaines économies émergentes, les
expériences de libéralisation financière s'avèrent
prudentes (cas des pays d'Amérique Latine). Les structures
économiques et les modes de fonctionnement des économies sont des
variables dont dépend la réussite des réformes
financières. En effet, lorsque la réforme est graduelle, la
libéralisation risque de perdre son impulsion à travers le temps.
De même, plus les mesures de réformes sont rapides et profondes,
plus les gains potentiels sont importants mais le passage est risqué
d'être coûteux. D'après la Banque Mondiale (1989), la
libéralisation du système financier ne doit être ni trop
rapide ni trop longue. Si la libéralisation est trop rapide, les
entreprises pourraient encourir de lourdes pertes alors qu'elle est trop
longue, le prix à payer pour la persistance de l'inefficacité
financière sera plus élevé.
A titre d'exemple, McKinnon (1991) en analysant la voie
optimale de la libéralisation financière conclut que le Japon n'a
commencé à libéraliser son système financier qu'a
une époque récente, après que les conditions initiales
sont remplies.
Au total, les gouvernements doivent s'engager dans la voie de
réformes avec prudence, dans la mesure où la stabilisation
macro-économique et la supervision bancaire sont importantes à la
modernisation du secteur financier et à la croissance
économique.