CONCLUSION GENERALE
Le contrôle juridictionnel des droits de l'homme en
Afrique est un problème assez délicat et fait l'objet de vives
critiques. Cette mission qui a été assignée à la
Cour africaine des droits de l'homme et des peuples fait l'objet de plusieurs
interrogations. La principale de toutes est celle de son effectivité.
Celle-ci a engendré plusieurs autres. La
première est celle de l'exécution réelle des arrêts
de la Cour par les Etats qui se sont engagés au terme du Protocole. La
deuxième est celle de l'accès direct des individus (ou le jus
standi) à la Cour au regard de la procédure devant elle ainsi que
du formalisme que prévoit la Protocole portant son institution.
En effet, nous avons démontré que la structure
de la Cour est particulière. L'accès des individus à la
Cour est soumis tout d'abord à la déclaration par l'Etat de
l'acceptation de la compétence de la Cour pour recevoir des
requêtes individuelles.
Vient ensuite l'interrogation liée à
l'indépendance budgétaire réelle de la Cour.
Plus loin, il s'agit de savoir si, au regard de
l'expérience de la Commission africaine qui est et demeure un organe non
juridictionnel, la Cour, organe juridictionnel, saura assurer la protection des
droits de l'homme en Afrique et rendre effective l'exécution de ses
arrêts.
Nous avons montré qu'en Afrique, les droits de l'homme
ont été bafoués et violés systématiquement
et continuent à l'être jusqu'à présent. La
dignité, l'honneur de la personne humaine ont connu une transgression
sans pareil à travers la colonisation imposée aux africains par
les pays occidentaux. Peu après les indépendances, le tour des
régimes dictatoriaux est venu ; plus d'un individu ont subi torture
et discrimination. Plusieurs encore ont été privés du
droit à l'éducation, à la santé et, dans des
régimes autoritaires et militaires leur droit à un procès
équitable n'a pas connu bel accueil.
Face à ce constat, la Communauté Internationale
africaine s'est soulevée pour manifester son indignation. Dans ce cadre,
une avalanche des textes consécrateurs des droits fondamentaux y compris
la Charte africaine, à titre principal, ont été
adoptés par l'Union Africaine et auxquels les Etats se sont
engagés.
Et pour rendre plus efficace cette consécration des
droits et cet engagement des Etats plus rigoureux, l'Union Africaine a, au
terme de la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, prévu
un organe de surveillance et de contrôle, la Commission africaine,
chargée de promouvoir les droits de l'homme et des peuples et d'assurer
leur protection en Afrique.
Mais il s'est avéré que la mission de cette
Commission africaine et les résultats escomptés se sont
révélés par la suite, mitigés. En fait, on a
reproché à ses décisions leur caractère
non-contraignant à l'endroit des Etats auteurs des violations des droits
humains. A côté de ce premier reproche, il lui est imputé
plusieurs autres déficiences liées par exemple au délai
d'examen des requêtes, à la mobilisation des ressources
nécessaires indispensables à l'accomplissement de sa mission et
à sa tendance à vouloir toujours privilégier un
règlement à l'amiable au détriment de l'efficacité
des voies judiciaires.
Bien plus, il a été établi que la
Commission africaine fut incapable d'assurer son double travail : à
savoir promouvoir et protéger les droits de l'homme en Afrique. Si l'on
admet d'une part que brillant fut son acharnement quant à la
reconnaissance des droits de l'homme et donc à leur promotion, d'autre
part il urgeait de mettre en place un organe de contrôle de nature
juridictionnelle pour la protection réelle de ces dits droits.
Voilà comment, l'idée de la création
d'une Cour africaine des droits de l'homme et des peuples, après avoir
fait l'objet des débats bien avant c'est-à-dire contemporainement
à l'époque de la naissance de la Commission, réapparut et
fut concrétisée.
Sa mission a été bien précisée
à savoir compléter les fonctions de la Commission soit assurer la
protection des droits de l'homme en Afrique, par un contrôle, cette
fois-ci juridictionnel.
Après l'entrée en vigueur du Protocole portant
sa création le dimanche 20 janvier 2004, nous nous sommes
interrogés sur les possibilités pour la Cour d'assumer
réellement sa mission.
La plus importante de ces interrogations, et la plus
essentielle de toutes d'ailleurs, est celle qui porte sur la question de savoir
les obstacles qui pourraient bâillonner l'action véritable de la
Cour.
En réponse à cette interrogation, il a
été observé que moult obstacles se dressent devant la
Cour. Ils sont tout d'abord identifiables dans le système africain de
promotion et de protection des droits de l'homme en général et
qualifiés de juridiques et/ou institutionnelles (Insuffisances de la
Charte africaine, faiblesses de la Commission, tentative de fusion des Cours de
Justice de l'Union et africaine). Ensuite, ils sont à retrouver dans les
déficits et inaptitudes que la Cour accuse. C'est notamment ce manque
identifié dans plusieurs systèmes de contrôle
juridictionnel international. En effet, au regard de l'appel lancé aux
Etats de se conformer aux décisions rendues par la Cour dans tout litige
où ils sont en cause et de s'engager à en assurer
l'exécution, il ressort que, au pied de l'article 30 du Protocole,
l'exécution reste et demeure volontaire. Cependant, connaissant bien le
caractère de « mauvais élèves » de
plusieurs dirigeants africains au regard du manque de volonté politique
qu'ils affichent, des doutes sérieux subsistent encore au sujet de
l'effet réel ou mieux de l'effectivité des arrêts de la
Cour, et du souci de les voir souscrire à la clause facultative de
l'art. 34 (6) du Protocole. A cette effectivité de l'exécution
volontaire des arrêts de la Cour s'ajoute la problématique de
l'indépendance des membres de la Cour et de son autonomie
financière. Cette dernière doit être comprise en termes
d'efficacité et de suffisance. Ceci rencontre encore la volonté
politique recherchée dans le chef des dirigeants d'Etats africains et
plus concrètement dans leur engagement à apporter
régulièrement leurs contributions financières sans
lesquelles le travail de la Cour serait voué à l'échec.
De la présente étude, nous avons
dégagé que l'une de grandes questions sur lesquelles la Cour
Africaine devra s'étendre, devra être précisément
celle de l'accès à la justice au niveau international, à
sa hauteur donc, par la mise en oeuvre du droit de recours individuel tel que
posé par l'article 5 (3) du Protocole. A nos yeux, ce droit de recours
individuel le jus standi-véritable pierre angulaire de la protection
internationale des droits de l'homme- est si important que toute
démarche visant à l'affaiblir menacerait le fonctionnement et
partant, l'effectivité, de l'ensemble du système africain de
protection des droits de la personne. Nous disons même plus, cette
disposition relative au « jus standi » constitue le
principal pilier du mécanisme qui permet à l'individu de
s'émanciper à l'égard de son propre Etat.
Au jour d'aujourd'hui, il nous est difficile
d'apprécier, à leur juste valeur, les actions de la Cour car elle
n'a pas encore eu l'occasion de recevoir, pour examen, une quelconque affaire.
Nous ne pourrons donc pas savoir concrètement si les questions
soulevées avec acuité seront posées, durant
l'accomplissement de sa mission, avec une aussi grande ferveur.
Eu égard à cela, nous estimons que c'est de
bonne logique que des recherches ultérieures pourront se pencher
à cette besogne et partant, apprécier le travail de la Cour au
regard de la mission lui assignée et ce, face aux critiques que nous
adressons aujourd'hui et aux diverses interrogations qui animent
présentement nos esprits. Le champ est donc ouvert aux recherches
ultérieures sur notamment les mécanismes que la Cour mettra en
oeuvre pour assurer, de manière efficiente, l'exécution de ses
arrêts.
Au demeurant, malgré les limites et les faiblesses de
la Cour africaine aujourd'hui, nous affirmons qu'elle a le potentiel de se
développer comme un instrument important de protection des droits de
l'homme. Toutefois, cette évolution nécessite des gages quant
à l'indépendance et la volonté ferme des juges pour
s'affirmer sur le plan du droit contre des Etats souvent réticents
à ces mécanismes supranationaux. En définitive, il est
également urgent que la Cour africaine se dote d'un Règlement
Intérieur susceptible de combler les lacunes du Protocole portant
création de la Cour Africaine. Un travail de promotion et de
sensibilisation de la part de tous les défenseurs des droits de l'homme
est nécessaire pour affirmer le rôle crucial de cette Cour dans la
lutte contre l'impunité en Afrique.
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