IV- Le venin du scorpion
Le venin du scorpion est un mélange complexe de
substance toxique (Tianbao et al., 2005 ; Schwartz et al.,2008). Il est
utilisé par le scorpion pour se défendre contre les
prédateurs en les paralysant (Jungo & Bairoch, 2005 ; Birgit et al.,
2007).
1- Extraction de venin du scorpion
Le venin du scorpion peut être obtenu de trois
façons (Oudidi, 1995):
n Attachement manuel en tapotant le dos ou les flancs de
l'arthropode dont l'irritation libere une gouttelette limpide de venin.
n Stimulation électrique (Akihiko et al., 1999 ; Plessis,
2005).
n Broyage du telson préalablement amputé et
desséché.
2- Pharmacocinétique du venin
D'après Krifi et ses collaborateurs (2005), le venin du
scorpion est caractérisé par : - Une forte résorption
- Une distribution rapide avec une demi-vie de 4 à 7
min et un pic maximal à la 37ème minute après
une injection intraveineuse, la concentration maximale est atteinte au bout de
15 min
- Une durée d'élimination longue, elle est de 4
à 21 heures, détectable par la radioactivité
jusqu'à la 37ème heure après une injection
Le venin d' Androctonus crassicauda a une
pharmacocinétique différente de tous les venins des scorpions.
C'est le venin qui a une élimination très lente de 24 heures
(Ismail et al., 1994).
3- Propriétés physiques du
venin
C'est un liquide visqueux et opalescent (Inceoglu et al.,
2003), stable à pH acide, thermorésistant, miscible à
l'eau et pouvant se conserver plusieurs années (Aliane, 2005). Sa
toxicité ne disparaît qu'après un chauffage à 100
° C pendant 90 min (Oudidi, 1995).
La quantité injectée du venin par un scorpion
est très petite dans la gamme de 100-600 gg (Hutt & Houghton, 1998),
alors que la quantité du venin dans un scorpion varie d'une
espèce à l'autre : Androctonus mauretanicus : 8,24 mg et
Buthus occitanus : 0,29 mg (Oudidi, 1995).
En plus la toxicité du venin varie selon :
- La taille
- L'âge
- La nutrition
- Les conditions climatiques du scorpion (Dittrich et al.,
2002).
4- Propriétés chimiques du
venin
Le venin du scorpion est composé de diverses
substances telles que les protéines, les lipides, les sels, les enzymes,
les amines biogènes notamment de la sérotonine
(5-hydroxytryptamine), les nucleotides et les neurotoxines (Inceoglu et al.,
2003 ; Frank et Jan, 2007 ; Florence, 2005 ; Matthew et al.,2002). Les
composantes du venin sont complexes et spécifiques à chaque
espèce (Gouge et al., 2001), celles de la famille des
Buthidés étant les plus toxiques pour l'homme
(Wudayagiri et al., 2001 ; Badher et al., 2007). Pour le venin des
Chactidés, sa composition est comparable à celle des
Buthidés, il possède en plus diverses activités
enzymatiques (protéase, phospholipase et hémolysine).
La toxicité du venin des Buthidés est
due à la présence de toxines qui sont des petites
protéines basiques faiblement antigéniques, constituées
par l'enchaînement d'une soixantaine de résidus d'acide
aminé. Chaque venin contient plusieurs toxines en nombre variable selon
l'espèce (jusqu'à 11 chez Buthus occitanus) (Broglio
& Goyffon, 1980).
Ces toxines ont une action sélective vis-à-vis
des insectes, mammifères et crustacés (Tourreilles, 2002) et
plusieurs recherches montrent que leur poids moléculaire est de 7000 Da
(Vatanpour, 2003 ; Devaux et al., 2004).
La technique de spectrométrie de masse se
révèle être actuellement la technique analytique de choix
pour l'étude de la biodiversité des toxines. Cette technique
donne très rapidement les renseignements sur la nature des toxines
présentes dans le venin (Auvin, 2002).
5- Toxines et mode d'action
Les toxines du scorpion présentent un motif structural
commun composé d'une hélice a et d'un feuillet p (Figure 20). Ces
structures sont reliées par trois ponts disulfures, des liaisons
covalentes qui confèrent à l'ensemble du motif une
stabilité remarquable. La structure reste ordonnée, même
dans l'eau portée à ébullition ou après traitement
par des agents dénaturants (Claudio, 1996).
Feuillet f3
Hélice a
Pont dissulfure
Figure 20: Structure d'une toxine de
scorpion
Le venin du scorpion contient une diversité de neurotoxine
composé de deux populations principales : les toxines à longue
chaîne et à courte chaîne (Soudani et al., 2005).
Les toxines à longue chaîne comportant 60
à 70 résidus d'acide aminé réticulés par
quatre ponts disulfure (Devaux & Rochat, 2002) sont spécifiques des
canaux Na voltage dépendants des cellules excitables nerveuses ou
musculaires. Elles induisent une prolongation du potentiel d'action en bloquant
l'inactivation du canal sodique, qui se manifeste par une
hyperexcitabilité du système nerveux suite à une
augmentation de la perméabilité de Na et une libération
accrue des neuromédiateurs (catécholamine,
acétylcholine...) (Srairi et al., 2002). Ces toxines possèdent
une action cardiotoxique directe d'une part et indirecte par effet des
catécholamines sur le myocarde d'autre part (Rhalem et al., 1998). Alors
que les toxines à courte chaîne affectent les canaux potassium
comportant 31 à 39 résidus d'acide aminé
réticulés par trois ponts disulfure (Srairi et al., 2002), les
canaux chlore comportant 29 à 41 résidus d'acide aminé et
les canaux calcium comportant 29 à 31 résidus d'acide
aminé (Possani et al., 2000 et 2002).
6-La physiopathologie de l'envenimation
scorpionique
Les venins des scorpions contiennent un certain nombre de
principes actifs de structure polypeptidique (enzymes, sérotonines,
histamines...). Ils ont tous une action neurotoxique et cardiotoxique. Le venin
du genre Centruroïdes de l'Arizona et du Mexique est
principalement neurotoxique. Il affecte les canaux sodiques et entraîne
une prolongation du potentiel d'action et de la dépolarisation
spontanée des nerfs du système autonome (Gonnetilleke et Harris,
2002).
Le venin des espèces du Buthus et
Parabuthus de l'Inde et de l'Afrique possède
une phospholipase A qui entraîne des problèmes
hématologiques, comme des hémorragies
digestives et pulmonaires ainsi qu'une coagulation
intravasculaire disséminée (Gadwalkar et al., 2006). Quant au
venin du genre Tityus, il peut entraîner une pancréatite
(Gaudreault, 2000). Malgré la différence qui existe entre les
nombreuses espèces scorpioniques, il y a une assimilation au niveau des
effets toxiques de leurs venins, ce qui explique une grande similitude de
réactions immunologiques (Rochat et al., 1979).
Les effets du venin de scorpion sur l'organisme sont
illustrés par la figure 21:
Système nerveux Cardiovasculaire Poumons Appareil
digestif Métabolisme
Symptômes:
- Agitation
- Tremblement
- Convulsion
- Hyperthermie
- Rigidité des muscles
- Mouvement anormaux
Symptômes:
- Tachycardie
- Bradycardie
- Hypotension
- Hypertension
Physiopathologie de l'envenimation
scorpionique
Symptômes: -OEdème pulmonaire
Symptômes:
- Vomissement -Nausée
- Diarrhée
- Pancréatite
- Hypersalivation
Symptômes:
- Hyperglycémie
- Troubles électrolytiques
- Augmentation du cholestérol
- Augmentation de l'acide urique
Figure 21: Schéma récapitulatif de
l'effet de venin de scorpion
· :* Au niveau cellulaire
L'action du venin de scorpion s'exerce sur le
métabolisme cellulaire du sodium en perturbant ses systèmes de
transport transmembranaires et en créant de nouveaux courants sodiques.
En effet le venin augmente la perméabilité de sodium au niveau de
la membrane par l'ouverture des canaux sodiques sensible au voltage, qui est
accompagné d'entrée de calcium (Christian et al., 2005). Les
expériences de Gerardo et ses collaborateurs (2008) ont montré
aussi que le venin bloque les courants de potassium des canaux voltage
dépendants.
· :* Au niveau du système
nerveux
L'injection expérimentale de venin purifié dans
les ventricules cérébraux chez le chat, le lapin et le rat
entraîne des manifestations très variés d'excitation du
système nerveux : état d'agitation, tremblement, mouvement
anormaux, convulsion, rigidité des muscles, hyperthermie et troubles
respiratoires (Osman et al., 1973 ; sofer, 1995).
Le système nerveux autonome comporte deux parties : le
système sympathique et le système para-sympathique.
La stimulation du système nerveux autonome sympathique
engendre la libération massive des catécholamines dans le tissu
(Ismail, 1996), alors que le système parasympathique est aussi mis en
jeu par le biais de la libération de l'acétylcholine (Amitai,
1998).
· :* Au niveau cardiovasculaire
Le venin du scorpion stimule les deux branches du
système nerveux autonome, et libère les catécholamines et
la rénine qui ont un effet toxique direct sur les myocytes cardiaques
conduisant à une diminution du myocarde. (Gueron et al., 2000 ; Meki et
al., 2002 ; Cupo et al., 2007).
L'injection d'une dose faible de venin chez le rat produit
une tachycardie sinusale due à l'activation des récepteurs
bêta-adrénergiques dans le coeur par les catécholamines.
Alors que l'injection d'une dose importante de venin entraine une bradycardie
due à la libération d'acétylcholine par des actions de la
toxine sur les terminaisons nerveuses post- ganglionnaires. En effet,
l'hypertension est causée par la libération de
catécholamines à partir de glandes surrénales et les
terminaisons nerveuses postganglionnaires. Quant aux effets
hypotenseurs sont lies à la bradycardie sinusale (Freire
et al., 1974).
· :* Au niveau pulmonaire
L'oedème pulmonaire du á l'envenimement
scorpionique, représente une forme évolutive grave dont les
mécanismes physiopathologiques restent débattus. Deux
hypothèses sont évoquées : un oedème de surcharge
confirmé par les études hémodynamiques ; cardiomyopathie
ischémique secondaire à la décharge
catécholaminergique ou à la défaillance biventriculaire
évoquant une myocardite par toxicité directe du venin et un
oedème lésionnel par atteinte de la microcirculation pulmonaire
avec présence de nombreux médiateurs inflammatoires (Rebai et
al., 2003).
Une étude histopathologique a été
réalisée sur le foie, après envenimation des souris avec
une dose sublétale (10ug / 20g souris) ou une dose létale 50
(17ug / 20g souris) de venin de scorpion d'Androctonus australis
hector montre des modifications morphologiques et une
désorganisation de la structure tissulaire.
L'examen histologique des coupes de poumon a montré un
épaississement des parois alvéolaires et une infiltration de
polynucléaires après injection d'une dose sublétale ou
d'une DL50 de venin d' Androctonus australis hector (Bessalem,
2003).
Sofer et Gueron (1990) ont rapporté que l'hypertension
artérielle aigue constitue un facteur important pour la survenue d'un
oedème pulmonaire via une insuffisance ventriculaire gauche. Par
ailleurs, les catécholamines favorisent la survenue de l'insuffisance
cardiaque en perturbant le remplissage de ventricule gauche. L'oedème
pulmonaire est aussi le résultat de l'augmentation de la
perméabilité vasculaire pulmonaire secondaire dûe à
la libération de la kinine.
v Atteintes digestives
Elles sont sous forme de nausées, vomissements et
diarrhée. Au niveau gastrique, l'injection de venin chez l'animal
provoque une diminution de pH de la muqueuse gastrique et une augmentation de
la concentration du lactate ainsi qu'une libération importante
d'adrénaline, de noradrénaline et de catécholamines (Sofer
et al., 1997). Des études expérimentales ont montré que le
venin de scorpion stimule la sécrétion de l'amylase
pancréatique et altère la motilité du duodénum et
de la vésicule biliaire. Ces changements contribuent à
l'apparition de symptômes gastro-intestinaux associés aux
premières phases de l'envenimation (Chen et al., 2004).
v Troubles métaboliques
Des études expérimentales effectuées sur
le lapin envenimé montrent que le venin dépolarise les nerfs
intra-muraux et libère les émetteurs qui sont à l'origine
de sécrétion de chlorure (Hubel et al., 1983) et provoque des
troubles électrolytiques sous forme d'hypokaliémie qui ont
été décrits aussi bien chez l'enfant que chez l'adulte
(Osnaya et al., 2008).
Les modifications causées par le venin sont
confirmées par une perturbation du taux des enzymes dans le sérum
des rats. En effet, une diminution du taux des activités enzymatiques de
l'aspartate aminotransférase et de l'alanine aminotransférase est
observée dans tous les organes se traduisant par leur
élévation dans le sérum. En plus de ces enzymes, il y a
aussi une augmentation de glucose, de cholestérol et de l'acide urique
dans le sérum (Ozkan et al., 2008).
L'étude de Goldstein et ses collaborateurs (1995) a
montré que l'augmentation d'adrénaline a été
associée à une augmentation de la production hépatique de
glucose due à la glycogénolyse hépatique, avec une carence
de la sécrétion d'insuline et une augmentation de la
sécrétion de glucagon (Krishna, 2000 ; Krishna et Zare, 2002).
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