La condition juridique du salarié dans les procédures collectives( Télécharger le fichier original )par Cyrille MONKAM Université de Douala - DEA 2005 |
A- LES MESURES DE GARANTIE ANTERIEURES AU JUGEMENT D'OUVERTURE.La créance salariale bénéficie d'une protection spécifique en cas d'ouverture d'une procédure collective. Cette protection découlant du régime des sûretés est réaffirmée sur le plan international. En effet, l'alinéa 3 de l'article 1181(*) énonce que « le salaire constituant une créance privilégié sera payé intégralement avant que les créanciers ordinaires ne puissent revendiquer leur juste part ». Il ressort des dispositions combinées ci-dessus mentionnées que ces mesures antérieures sont de deux ordres : d'une part le privilège général (1) et le super privilège d'autre part (2). 1-Le privilège ordinaire Le principe du privilège a trouvé son expression pour la première fois dans le code civil du XIXème siècle, le but étant initialement de protéger les salaires des domestiques. Cette protection a progressivement gagné d'autres catégories de salariés, si bien que le principe fut reconnu par la législation commerciale et par celle du travail. L'évolution du cadre juridique des affaires a précipité le législateur OHADA à faire sienne cette protection dans les procédures collectives. Le privilège est une faveur concédée par la loi à certaines catégories de créanciers sociaux dont les salariés, d'être payé par priorité aux créances ordinaires. Ce privilège s'applique uniquement à la fraction saisissable du salaire et passe après les privilèges spéciaux. Après avoir fait ce bref aperçu sur l'évolution du privilège, une analyse minutieuse du mécanisme (a) de cette garantie permet d'en déduire sa portée (b) et ses insuffisances (c). a- Le mécanisme de la garantie Le traitement préférentiel de la créance salariale se justifie du fait que l'insolvabilité d'une entreprise et, en conséquence, la suspension de ses paiements font peser une menace directe sur la subsistance du travailleur et de sa famille. Par ailleurs, l'absence d'un classement des privilèges dans la diversité des législations héritées de l'époque coloniale, donnait naissance à de fréquents conflits82(*). En procédant à un classement, l'OHADA dans l'acte uniforme sur les sûretés et sur les procédures collectives83(*), permet de dégager avec précision les bénéficiaires et les créances garanties. Peuvent bénéficier du privilège général toutes les personnes qui sont liées à l'employeur par un contrat de travail, ce qui exclut les activités professionnelles indépendantes dans l'exécution du contrat. Tous les apprentis liés par un contrat d'apprentissage bénéficient également de ce privilège dans le cadre d'une procédure collective. Cependant, il faut noter qu'une société de travail temporaire est le seul employeur des salariés qu'elle a mis à la disposition d'une entreprise placée en redressement judiciaire. Elle ne peut donc demander que sa créance soit assortie d'un privilège afférent aux créances des salariés.84(*) Les créances garanties sont le seul salaire c'est-à-dire la seule rémunération due en vertu du service rendu mais aussi des indemnités liées à la rupture du contrat de travail et des dommages intérêts pour rupture abusive. Ce privilège couvre d'après l'Art 107 A.U portant organisation des sûretés le salaire des douze derniers mois précédent la décision d'ouverture de la procédure collective. Cette protection privilégiée accordée au salarié n'est pas sans portée. b-La portée du privilège Le titulaire d'un privilège dispose d'un droit de préférence qui porte sur les biens du débiteur défaillant. A ce niveau, il faut relever que le privilège immobilier a un caractère subsidiaire85(*). C'est dire donc que le privilège immobilier ne peut intervenir que lorsque le privilège mobilier ne suffit pas pour apurer la dette.86(*) Autrement dit, le privilège salarial s'appliquera en premier lieu sur les meubles et en cas d'insuffisance sur les immeubles de l'employeur. Ces créances privilégiées doivent être payées par le syndic dès les premières rentrées financières, chacun suivant son rang. Cette mesure est sans doute un moyen de garantie offert au salarié par le législateur ; et qui lui permet de réduire ou au mieux d'échapper à une éventuelle insolvabilité de son employeur. Cependant, la mise en oeuvre de cette garantie présente des insuffisances. c-Les insuffisances du privilège Il ressort du dispositif mis en place par le législateur que le mécanisme de protection privilégiée, comporte en lui-même une certaine faiblesse ayant des origines diverses. La première est relative à la question du rang du privilège provenant de la réalisation des meubles. En effet, l'Article 167 de l'Acte Uniforme Ohada portant Procédures Collectives d'Apurement du Passif qui prévoit un classement des créanciers pouvant bénéficier des deniers, place les créanciers munis d'un privilège général au huitième rang, rang pas du tout excellent. Sachant que les créances seront réglées en totalité, le plus souvent par ordre, il est fort probable que les créanciers de salaires privilégiés voient leur dette pas du tout payée ou payée en partie. Encore faut-il relever que le législateur a prévu un classement particulier des créanciers du même rang. Ce classement interne place le salarié en troisième rang après le privilège des frais d'inhumation et celui des fournitures de subsistance87(*). La seconde est liée à la lenteur de la réalisation des immeubles. En dehors du problème du rang du privilège général mobilier, il est certain que la réalisation de l'actif immobilier ne s'effectuera pas aussi rapidement de manière à offrir une satisfaction immédiate au créancier de salaire. En effet, l'article 150 de l'Acte Uniforme Ohada portant Procédures Collectives d'Apurement du Passif prévoit que les ventes d'immeuble se feront suivant les formes prescrites en matière de saisie immobilière, opération coûteuse, complexe et très longue. De même, le salarié peut subir en cas de connivence entre le syndic et le juge commissaire, autorités compétentes pour ordonner la saisie, puisqu'elles peuvent faire durer cette opération. Enfin, la non détermination de la date de réalisation pratique du privilège, constitue une autre limite à la garantie de la créance salariale. Le salarié soumis à cette incertitude, sera abandonné à lui-même. Mais en attendant, que feront le salarié et sa famille ? Doivent-ils se nourrir d'espoir dans l'attente de cette réalisation ? Il serait donc préférable que le législateur mette sur pied des mesures palliatives88(*) qui compenseront le retard de la perception du montant de la créance résultant de cette réalisation. Bien que présentes, ces insuffisances n'obstruent pas totalement la garantie conférée par le privilège ordinaire. L'instauration du super privilège participe aussi de cet effort de protection du salaire. 2-Le super privilège Certaines créances salariales bénéficient d'une garantie de paiement particulière que l'on nomme super privilège. Il est consacré par le code du travail de1992 en son Article 70. Il n'est pas inutile de rappeler que ce code intervient à la suite de l'aggravation de la crise économique et la multiplication des liquidations de sociétés. C'est aussi conscient de ce phénomène que le législateur OHADA des procédures collectives a pris des mesures afin d'atténuer dans la mesure du possible, les conséquences dramatiques de cette mutation économique sur les salariés des entreprises en difficulté. Les salariés seront en principe payés en cas de redressement judiciaire pour la fraction des salaires garantie par le super privilège. Même s'il est une mesure limitée (c), l'étendue du super privilège (a) permettra de mieux comprendre sa mise en oeuvre (b). a- L'étendue du super privilège Il ressort du code de travail que le super privilège garantit la partie insaisissable du salaire. Le décret n°94/PM/177 du 4 mai 1994 fixe ce montant d'après les proportions suivantes : - 1/10 de la fraction de salaire au plus égal à 18750 FCFA - 1/5....................................> à 18750 et = à 37500 FCFA - 1/4......................... ...........> à 37500 et = à 75000 FCFA - 1/3....................................> à 75000 et = à 112500 FCFA - 1/2....................................> à 112500 et = à 142500 FCFA - la totalité sur la fraction de salaire > à 142500 FCFA. Par ailleurs, il s'étend aux indemnités liées à la rupture du contrat de travail89(*) et aux dommages intérêts, que doit verser l'employeur à l'employé dont le contrat a été rompu de façon abusive. Le super privilège couvre les rémunérations dues pour les douze derniers mois précédent le jugement d'ouverture de la procédure collective. Mais, contrairement à la cour de cassation française 90(*) qui précisait qu'il s'agit de douze mois de travail peu importe que le contrat ait pris fin plus de six mois avant le jugement déclaratif, il faut entendre par-là douze mois de travail effectif dans l'entreprise. Ainsi, le super privilège ne joue sans doute pas pour la rémunération du travail postérieur au jugement d'ouverture car, ces travailleurs entrent dans la catégorie des créanciers de la masse par opposition aux créanciers dans la masse, la masse étant constituée par tous les créanciers dont la créance est antérieure à la décision, peu importe qu'ils soient chirographaires, titulaires de sûretés ou de privilèges. Cette précision permet d'entrevoir sa mise en oeuvre avec simplicité. b-La réalisation du super privilège Les sommes garanties doivent en principe être payées par le syndic sur simple décision du juge commissaire. En effet, il ressort des dispositions de l'Article 96 AUPCAP que le paiement doit intervenir au plus tard dans les dix jours qui suivent la décision d'ouverture sous déduction des acomptes déjà perçus.91(*) Pour pallier une absence d'acompte, le même article en son alinéa 3 prévoit une subrogation des droits au profit du syndic ou de toute personne qui aurait pris l'initiative de procéder au paiement. Les rémunérations garanties doivent être payées, nonobstant l'existence de toute autre créance privilégiée y compris celle du trésor ; d'où son efficacité.92(*) Elles viennent d'après la répartition des deniers pour les immeubles en deuxième position après les frais de justice et pour les meubles en 3e position après les frais de justice et les frais engagés pour la conservation des meubles93(*). Mais, cette efficacité du super privilège est considérablement limitée par le législateur. c-La limitation du super privilège Le code de Travail de 1992 a réduit cette garantie à la fraction incessible et insaisissable du salaire. Cette réduction produit un effet certain sur la portée de la mesure dans le cas où son calcul varierait en fonction du salaire perçu par chaque travailleur. Il serait donc nécessaire de fixer un plafond permettant de simplifier son calcul comme en France. Le même législateur a prévu que la mesure ne portera que sur les seuls salaires échus et antérieurs à l'ouverture de la procédure. Par ailleurs, de nombreuses limites financières atteignent le super privilège. Son paiement est cantonné à un montant spécifique et à une certaine durée. Mais compte tenu du caractère alimentaire, il nous semble qu'il serait nécessaire, afin d'améliorer son efficacité, d'étendre la mesure à toute la rémunération. Cette extension obéira à des règles précises de telle sorte qu'elle ne soit pas un handicap au souci de redressement de l'entreprise. En somme, le super privilège est une procédure accélérée de paiement. Il a été institué afin d'adopter en cas des procédures collectives, des mesures d'urgence au profit des salariés. Cependant, privilège et super privilège ne sont efficaces que si l'actif de l'entreprise en cessation des paiements est suffisant pour en permettre le règlement. Si les fonds disponibles ne permettent pas le règlement de ces créances à leur échéance, elles seront réglées par priorité à toutes les autres créances assorties, ou non de privilège, ou de sûreté et dans l'ordre établi94(*). Si par contre ils sont partiellement désintéressés, les créanciers privilégiés seront considérés pour le reste de la créance comme créancier chirographaire. Le désintéressement se fera donc en fonction du droit de priorité.
* 81 Convention no 95 de l'O.I.T du 1er juillet 1949 sur la protection du salaire. * 82 voir DIALLO (J.K), Conflit entre super privilège des salaires et hypothèques, Revue EDJA n°11-12 P.13 cité par ANOUKAHA (F) in Le droit des sûretés dans l'acte uniforme OHADA, collection droit uniforme P. U.A p.66. * 83 Respectivement art 107 et art 95. * 84 Cass. Com. 12 juillet 1993, Quotidien Juridique 25 août 1994 p.2. * 85 Voir Revue fiduciaire n°817, Les difficultés de l'entreprise p.26. * 86 cf. Art. 2105 C.Civ. * 87 Art. 107 A.U du 17 avril 1997 portant organisation des sûretés. * 88 Voir infra. * 89 C. A Douala, Arrêts du 26 juillet 1995, 1er décembre 1995. * 90 Cass. Soc 15 mars 1983, B.C.V n°159, J-S 1983. p.46. * 91 Ce délai n'est- il pas bref pour effectuer cette opération délicate aux enjeux multiples ? Nous pensons que ce bref délai participe à la protection du salarié. * 92 GUYON (Y), in Droit des affaires, Entreprises en difficulté, Redressement judiciaire, Faillite 9e économica n°1349-1 p.398. * 93 Nous convenons avec PECHE (A) dans «Le classement des sûretés dans l'OHADA», mémoire de DEA, Université de Dschang 1998, p.62 que ce classement est illusoire. En principe les frais de justice ne seront payés qu'à la fin de la procédure collective, ce qui n'est pas le cas pour le super privilège, dont le paiement est rapide. C'est donc l'avantage de cette garantie par rapport aux frais de justice. * 94 RIPERT (G) ET ROBLOT (R), Traité de droit commercial, T2, 16 et 2000 n°3098. |
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