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La mobilisation des savoirs chez les retraités à travers la pratique bénévole

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par Anne Gometz
Paris 8 Vincennes Saint-Denis - Master 1 2008
  

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2.4. Le Métier de Bénévole39(*) à l'heure de la retraite.

2.4.1. Le bénévolat.

Selon Dan Ferrand-Bechmann (1992)40(*), toute action non rétribuée financièrement, qui s'exerce sans contrainte sociale et qui est dirigée vers autrui ou vers la communauté (p.35) peut être qualifiée de bénévole. Dans cette définition, le bénévolat fait référence à un acte gratuit, librement consenti et en lien avec d'autres personnes que soi. La présence de la tierce personne est aussi un critère retenu par Edith Archambault (2002)41(*) pour différencier le simple adhérent à une association, du bénévole qui y accomplit un travail. Conceptuellement, le bénévolat s'oppose au travail, comme le montre Maud Simonet-Cusset (2004)42(*) qui évoque l'ambivalence sémantique éprouvée par les bénévoles lorsqu'ils parlent de travail pour désigner leur activité. Pour Dan Ferrand-Bechmann (2007), « [...] les bénévoles ont une activité proche du travail avec toutes les dimensions décrites par le travail »43(*), autorisant l'analyse de l'activité des bénévoles avec les concepts de la sociologie du travail. Ce qui distingue le travail bénévole du travail salarié, c'est peut-être la bonne volonté et sûrement l'absence de salaire autre que symbolique. Dans « bénévolat », il y a « bonne volonté », la volonté de faire le bien et c'est bien sous « l'impulsion de leur bonne volonté » (Vermeersch,2004)44(*)que les individus se mettent au service d'autrui. Il s'agit d'un « don entre étrangers » supposant l'existence d'un tiers qui n'appartient pas au cercle familial ou amical (Godbout, 199445(*); Gagnon et Fortin, 2002)46(*)

On pourrait en effet comprendre le bénévolat comme l'expression du besoin de l'Autre, besoin qui selon Lévinas (1984)47(*) serait inné. Ce besoin d'altérité serait un des moteurs de l'engagement et le bénévolat comme une modalité de l'engagement répond à cette attente. Lipovetsky (1983) parle du narcissisme qui serait « inséparable d'un engouement relationnel particulier »48(*), narcissisme collectif qui fait se regrouper entre eux les individus qui se ressemblent. Vermeersch (2004) l'atteste : l'engagement bénévole offrirait à l'individu le cadre collectif qui viendrait remplacer le rôle autrefois joué par les institutions. Amorce d'explication peut-être de l'ampleur du phénomène bénévole qui s'exprime dans la sphère associative par une augmentation de 5% chaque année particulièrement dans les domaines humanitaire et culturel (Bulletin de statistiques et d'études édité par le Ministère de la Santé de la Jeunesse et des Sports)49(*). L'enquête publiée estime à 18 millions le nombre de bénévoles dans les associations et à 14,2 millions ceux qui sont actifs dans plusieurs associations à la fois, représentant ainsi 935 000 emplois en équivalents temps plein. Parmi cette population, Lionel Prouteau et François-Charles Wolff (2007)50(*)font le constat d'une forte participation des seniors à la vie associative, les sexagénaires représentant la part la plus importante des bénévoles (57,8%), participation sensible à différentes caractéristiques concernant le niveau de diplôme et de formation élevés, un revenu domestique confortable, des antécédents associatifs familiaux et une pratique religieuse régulière (Enquête « Vie associative », INSEE, 2002).

De manière générale tous âges confondus, parmi les motivations à faire du bénévolat, Dan Ferrand-Bechmann (2007) cite le besoin d'échanges et de liens sociaux, la volonté de découvrir de nouveaux horizons, la perspective d'acquérir des savoirs, de les transmettre et celle de rompre avec la solitude ainsi que le souhait de rester actif. « Rendre à la communauté ce qu'elle vous a donné »51(*) est une réponse fréquente, selon l'auteur. De manière identique les recherches de Suzie Robichaud (2003)52(*) aboutissent aux mêmes conclusions : se sentir utile, partager avec les autres, rendre ce qui a été reçu et elle précise en outre que le sentiment d'appartenir à une communauté et de s'attacher au groupe accroit la motivation. Pour mieux saisir les raisons de faire du bénévolat, il faut en comprendre les intérêts inséparables de la communauté ou du groupe social. La reconnaissance est certainement une des conséquences espérée consciemment ou non de cet acte gratuit et tourné vers l'autre. Et cette reconnaissance passe par le souci de mesurer l'effet de leur action, la proximité entre donneur et receveur étant ici essentielle. Le bénévole « donneur de temps » trouve au contact de l'autre et du groupe sa motivation centrale. Il y puise son énergie à donner et à durer, très souvent animé d'un « projet militant » (Ferrand-Bechmann, 1988)53(*) qui le fait agir « pour » et « avec » l'autre.

2.4.2- Production et construction des savoirs à travers la pratique bénévole.

Le lien entre autonomie et apprentissage, permet selon Dan Ferrand-Bechmann d'explorer la question de l'autoformation. L'individu s'approprie ses savoirs, apprend en agissant, apprend de l'expérience à travers sa participation associative. Et dans ce contexte, il n'apprend pas uniquement pour apprendre, mais pour solutionner des problèmes, pour mieux maîtriser son environnement, ce qui constitue un moteur puissant. Il est motivé à apprendre, parce qu'il est intégré dans une association pour laquelle il oeuvre en tant que bénévole et que son activité rend nécessaire l'acquisition de connaissances nouvelles pour les besoins de l'action.

On apprend sur le tas à travers des situations inédites, par imitation, par l'identification à travers l'échange au sein d'une communauté. Le regard porté à l'expérience de l'autre conduit à des questionnements et réflexions qui sont sources d'apprentissage. D'après Dan Ferrand-Bechmann (2008)54(*) l'individu apprend en agissant, à travers un réel engagement. La motivation et l'intentionnalité sont ici des facteurs indispensables dans l'appropriation des savoirs, moteurs suscitant le désir d'apprendre pour mieux faire. Ces savoirs acquis à travers l'expérience sont d'ordre diffus, souvent cachés, difficiles à expliciter, ce que Illich nomme le travail de l'ombre.

Lochard et Simonet-Cusset (2003)55(*) évoquent les savoirs produits par l'acteur associatif, ce dernier disposant de savoirs de vie, savoirs d'action directement issus de l'expérience. L'expert militant, ainsi que le désigne Jacques Ion (2003)56(*) est aujourd'hui une réalité présente au sein des associations, concourant de par la mobilisation même de savoirs divers, de compétences complexes et multiples, d'expériences partagées, à une nouvelle redéfinition des rapports au savoir. Lochard (2003) cite le processus qui a conduit les associations de solidarité à produire leurs propres connaissances sur le monde de la pauvreté, en occupant une position d'expert sur ces différentes questions et leur assurant ainsi une reconnaissance de leur savoir. Les mouvements associatifs (ATD Quart Monde, Secours Catholique, Emmaüs) participent activement à la construction des connaissances sur les nouvelles formes de précarité au sujet desquelles il existe un déficit. L'expérience du mouvement ATD Quart Monde (Claude Ferrand57(*)) souligne bien l'existence de savoirs alternatifs produits par la sphère associative parce que au plus près des réalités sociales et fait la preuve de la nécessité de croiser ces connaissances avec celles issues de la recherche académique. La mobilisation des savoirs des bénévoles peut être alors conçue sous l'angle de la participation commune favorisant échanges, co-réflexion, coopération pour élaborer le sens de certaines expériences dans une « connaissance qui se construit par des allers-retours entres les groupes d'acteurs »58(*).

Dan Ferrand-Bechmann (2008) décrit bien les capacités mises en oeuvre chez les bénévoles au sein du milieu associatif. Il s'agit des capacités à échanger, recevoir de l'autre, donner, créer du lien, des capacités à assumer des responsabilités et celles de flexibilité pour innover, anticiper, toutes capacités qui ne sont pas forcément développées ailleurs. À travers l'expérimentation, les savoirs acquis s'exercent dans trois domaines en constante interaction :

- des savoir-faire, surtout techniques et pratiques pour solutionner des problèmes particuliers, savoirs transférables d'un lieu à l'autre, d'une activité bénévole à une autre;

- des savoir-agir, compétences organisationnelles, afin de faire évoluer une situation qui va motiver l'acteur à assumer de nouvelles responsabilités et acquérir du pouvoir;

- des savoir-être, permettant le développement de capacités relationnelles, des qualités telles que l'écoute, l'empathie, la négociation. Appartenant aux compétences sociales, la compétence interculturelle s'élabore en relation avec le vécu de la personne, en fonction de ses diverses expériences. Elle signifie la capacité d'ouverture à l'altérité, à la richesse de l'autre au cours des rencontres, des interactions et pose de fait, la reconnaissance de l'Autre comme indispensable au développement de l'individu. Rappelons que selon Abdallah-Pretceille (1999), pour avoir accès à la richesse d'autrui, il faut admettre sa propre diversité, puisque celle-ci "est constitutive de la nature de l'homme"59(*).

Les connaissances produites par les organisations associatives sont multiples et issues de l'expérience du terrain. Ces savoirs et connaissances mobilisés par les bénévoles sont différents de ceux produits par le monde scientifique ou par l'Etat (Simonet-Cusset, 2003) car au plus près des réalités sociales et méritent alors d'être reconnus.

* 39 Titre en référence à l'ouvrage de Dan Ferrand-Bechmann (2002), Op. Cit.

* 40 Ferrand-Bechmann, D. (1992) Bénévolat et solidarité, Paris, Syros-Alternatives.

* 41 Archambault, E. (2002), « Le travail bénévole en France et en Europe », Revue française des Affaires sociales, vol.56, n°4, décembre. Site : http://matisse.univ-paris1.fr/archambault/

* 42 Simonet-Cusset, M. (2004) « Penser le bénévolat comme travail pour repenser la sociologie du travail » in Ferrand-Bechmann, D. (2004) [dir.] Les bénévoles et leurs associations. Autres réalités, autre sociologie ? Paris, L'Harmattan, p.247-261.

* 43 Ferrand-Bechmann, D. (2007) « Vie associative et engagement. Éducation tout au long de la vie » in Cours de Master 1 « Education tout au long de la vie ». IED, Université Paris 8.

* 44 Vermeersch, S. (2004) Entre individualisation et participation : l'engagement associatif bénévole, in Revue française de sociologie, 2004/4 (Volume 45) sur CAIRN.

* 45 Godbout, J. T. (1994), « La sphère du don entre étrangers : le bénévolat et l'entraide », in Dumont, F., Langlois, S. et Martin, Y. [dir.] Traité des problèmes sociaux, chapitre 48, pp. 981-994. Québec : l'Institut québécois de recherche sur la culture, 1994, 1164 pp.

* 46 Gagnon, E., Fortin, A., (2002) « L'espace et le temps de l'engagement bénévole. Essai de définition. », in Nouvelles Pratiques Sociales, vol.15, n°2. Site : erudit.

* 47 Lévinas, E. (1982) Ethique et infini, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1990

* 48 Lipovetsky, G. (1983) L'ère du vide. Essai sur l'individualisme contemporain. Éditions Gallimard, p.21.

* 49 Tchernonog, V. et Thiery, P. (2007) « Le Paysage associatif français » Stat-Info, Bulletin de statistiques et d'études, N°07-04, Ministère de La Santé, de la Jeunesse et des Sports.

* 50 Prouteau L. et Wolff F.-C., Hors thème. La participation associative et le bénévolat des seniors, Retraite et société 2007/1, n° 50, p. 157-189. Site : cairn

* 51 Op. Cit., Ferrand-Bechmann (2007).

* 52 Robichaud, S. (2003) Le bénévolat : entre le coeur et la raison, Chicoutimi, Québec, Les Editions JCL inc.

* 53 Citée par Brodiez, A. (2004) « Militants, bénévoles, affiliés, affranchis,... : de l'applicabilité historique des travaux sociologiques » in Ferrand-Bechmann, D. [dir.] Les bénévoles et leurs associations. Autres réalités, autre sociologie ? L'Harmattan, 2004.

* 54 Ferrand-Bechmann, D., (2008), « Se former en s'engageant dans la vie associative », in COLIN, L. et Le Grand, J-L. (2008) [dir.] L'éducation tout au long de la vie, Economica Anthropos.

* 55 Lochard, Y., Simonet-Cusset, M. (2003) [coord.] L'expert associatif, le savant et le politique, Paris, Editions Syllepse.

* 56 Ion, J. (2003) « Modes d'engagements et savoirs associatifs : petit coup d'oeil dans le rétroviseur », in Lochard, Y., Simonet-Cusset, M. (2003) [coord.] L'expert associatif, le savant et le politique, Paris, Editions Syllepse

* 57 Ferrand, C.[dir.] (2008), Le croisement des pouvoirs. Croiser les savoirs en formation, recherche, action, Paris, Les Editions de l'Atelier/Editions ouvrières, Les Editions ATD Quart Monde.

* 58 Ibid., p. 90

* 59 Abdallah-Pretceille, M. (1999) L'éducation interculturelle, Pairs, PUF.

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"Je ne pense pas qu'un écrivain puisse avoir de profondes assises s'il n'a pas ressenti avec amertume les injustices de la société ou il vit"   Thomas Lanier dit Tennessie Williams