La mobilisation des savoirs chez les retraités à travers la pratique bénévole( Télécharger le fichier original )par Anne Gometz Paris 8 Vincennes Saint-Denis - Master 1 2008 |
2.3. La retraite.2.3.1. Quelques chiffres.L'évolution démographique initiée après la seconde guerre mondiale va conduire un nombre impressionnant de personnes à la retraite à l'horizon 2040. En France, seuls sont considérés comme actifs les individus qui ont un emploi rémunéré. De quatre retraités pour dix actifs aujourd'hui, ils seront sept pour dix demain, selon Alaphilippe et al. (2001)20(*). Selon Guérin (2007)21(*) entre 55-60 ans, il n'y a plus que 54% d'actifs, et entre 60-64 ans, ils ne sont plus que 13,2%. Sur l'ensemble des 55-64 ans, seuls 37,8% sont encore en activité (selon l'indicateur Le Monde/Eurostat de février 2007), contre 69,5% en Suède. Dans l'Europe des 27, le taux moyen est de 43,4% des 55-64 ans à être actifs. Guérin (2007) dénonce le choix politique comptable, qui, en conduisant un certain nombre de quinquagénaires en pré-retraite comme moyen pour diminuer le taux de chômage, a privé le développement des entreprises de la contribution en termes de savoir-faire, savoir-être, d'expériences des seniors, alors que ceux-ci sont « tout à la fois la mémoire, les détenteurs de savoir-faire et les passeurs entre les générations » (p.76)22(*). Dans de récentes études, Davoine et Méda (2008)23(*) montrent que les Français accordent une place importante au travail (92% de français contre 84% du reste de l'UE 25). Les facteurs explicatifs seraient à rechercher du côté des valeurs intrinsèques que sont l'épanouissement personnel et la réalisation de soi par opposition aux valeurs extrinsèques (salaire, prestige, sécurité de l'emploi). Ainsi la dimension affective du travail semble être une spécificité française. Pour Grosjean (2003)24(*), cet épanouissement attendu serait surtout lié au besoin d'être dans la norme, d'être reconnu socialement à travers le salaire que fournit le travail plutôt qu'en relation avec le contenu de celui-ci. Dans cette perspective, le bénévolat ne saurait rivaliser tout à fait avec le travail salarié, tant la reconnaissance sociale passant par le biais d'une activité rémunérée reste une référence qui détermine la place qu'occupe un individu au sein de la société. Il manquerait ainsi la gratification essentielle que permet le versement d'un salaire. Si l'engagement bénévole chez le retraité se substitue au travail il ne peut toutefois le remplacer. Il permet de réemployer des compétences acquises dans l'activité professionnelle et procure le sentiment d'être toujours utile dans une société où la retraite résonne parfois comme une mort sociale. Et ils ne ravissent pas des emplois puisque les activités associatives prennent en charges des missions que l'État ne peut ou ne veut plus assurer. Le bénévolat des retraités permet de revisiter la notion d'« utilité » autrement qu'à travers une logique marchande. 2.3.2. Passage à la retraite.Dans l'histoire d'une vie, la retraite représente un moment de transition radicale. Sur ce point, tous les auteurs s'accordent sur la brisure imposée par la retraite, celle-ci correspondant souvent dans l'opinion courante à l'entrée dans la vieillesse. Pourtant, ainsi que cité ci-dessus, avec l'allongement de la durée de la vie, le découpage ternaire des temps de la vie qui prévalait encore hier est aujourd'hui remis en cause. Vieillesse (âge chronologique) et retraite (âge social) se sont progressivement désynchronisées, les variations des données démographiques redéfinissant de nouveaux âges de la vie. Sexagénaires et même septuagénaires ne peuvent plus êtres appréhendés comme des personnes âgées. La retraite - limite sociologique - ne correspond plus aujourd'hui à la limite biologique, et les frontières de la vieillesse sont à redéfinir (Puijalon et Trincaz, 2000)25(*). Caradec (2008)26(*) souligne que ce passage à la retraite, s'il s'avère être une crise responsable en plus de la perte du statut, de la privation d'un rôle instrumental et de la disparition d'un groupe de pairs, n'est souvent que passagère. Cette nouvelle phase existentielle à investir nécessite un réaménagement des conditions de vie; et pour beaucoup de seniors, la retraite résonne comme une mise à l'écart dans une société où les valeurs de la productivité sont prépondérantes. Peu d'études s'intéressent au vécu entraîné par le passage à la retraite, les recherches étant surtout orientées par le problème du manque de main d'oeuvre et la question des pensions à payer. Pourtant, en tant que moment qui vient rompre la continuité de l'existence, elle provoque une rupture à la fois au niveau du statut et au niveau du rapport au temps (Vankemmel, 2006)27(*). Alaphilippe et al. (2001) partent des trois temps de vie - temps de la formation, de la production et temps de la retraite - pour s'interroger sur l'âge de passage du second au troisième qu'ils déclinent en trois niveaux : l'âge légal qui est arbitraire, l'âge réel soumis à une importante variation interindividuelle et l'âge idéal qui fluctue en fonction de la pénibilité du métier, des histoires de vie et du souhait de prolonger ou non une activité salariée. Le passage de la vie active à la retraite serait illustré par quatre formes de transition (Thierry, 2007) : transition-reproduction, dans laquelle l'individu reproduit complètement son mode de vie professionnelle tant au niveau des horaires qu'au niveau des responsabilités, la transition de transposition qui permet de réinvestir les compétences et expériences dans de nouvelles activités bien souvent bénévoles, la transition-rupture avec la concrétisation d'un projet très différent mûri longtemps avant la retraite et l'impossible transition où la personne se disperse dans de nombreuses activités ou lutte contre la dépression. Toutefois ces phases de transition seront vécues très différemment selon qu'il existe une perte de pouvoir pour ceux qui occupaient auparavant des positions hiérarchiques élevées ou au contraire un gain de liberté. L'investissement dans une activité bénévole pourrait bien représenter une solution qui aide le retraité à se recomposer une identité et se reconstituer un réseau de sociabilité (Vankemmel, 2006). Les évènements de vie et les infléchissements dans le parcours des individus sont souvent cités pour expliquer l'engagement bénévole, et que celui-ci marque une rupture ou s'inscrive dans la continuité, il est toujours en lien avec un cheminement dans la vie des sujets. L'entrée dans la retraite serait particulièrement facilitée lorsque les activités nouvellement entreprises seraient en continuité avec les anciennes, permettant de mobiliser des compétences reconnues socialement utiles (Caradec, 2008). Donc, la retraite constitue bien une rupture ainsi que le révèle Georges Lapassade (2007)28(*) au cours de l'entretien qu'il a avec Lucette Colin. Ce sont des « dilemmes perturbateurs »29(*) qui vont entraîner des « transformations de perspectives »30(*), des nouvelles manières de comprendre et de percevoir l'existence. Ainsi l'affirme également Lapassade (2007) « Pour qu'il y ait des innovations, il faut qu'il y ait des ruptures » (p. 147). Si la retraite est une rupture, c'est qu'elle représente un passage vers l'étranger, car en bouleversant un quotidien rassurant rythmé par l'activité professionnelle, elle conduit à une relecture des schémas habituels de l'existence. On peut parler de mobilité, construction de soi et donc d'éducation parce qu'il y a « engendrement de rapports inédits à l'existence et donc traversée de frontières »31(*). * 20 Alaphilippe, D. Gana, K. et Bailly, N. (2001) Le passage à la retraite : craintes et espoirs, Connexions, 76/2001-2 * 21 Guérin, S. (2007) L'invention des seniors, Hachette Littératures. * 22 Ibid., Guérin (2007) * 23 Davoine, L., et Méda, D., Place et sens du travail en Europe : une singularité française ?, Document de travail, N° 96-1, février 2008, Centre d'études de l'emploi. Site : http://www.cee-recherche.fr/fr/doctrav/travail_europe_96_vf.pdf * 24 Grosjean, M-F. (2003) Chômeur et bénévole, Thèse de doctorat de sociologie et sciences sociales sous la direction de Claude Giraud, Faculté d'Anthropologie et de Sociologie, université Lumière Lyon II. Site : http://demeter.univ-lyon2.fr/sdx/theses/these/lyon2/2003/grosjean_mf/pdf/grosjean_mf.pdf * 25 Op. Cit., Puijalon et Trincaz, 2000. * 26 Caradec, V. (2008) Sociologie de la vieillesse et du vieillissement, Armand Colin, 2 ème édition. * 27 Vankemmel, A. (2006) « Retraite et recomposition des temps de vie et des identités : le cas des retraités du milieu associatif », Dire le monde social : les sociologues face aux discours politiques, économiques et médiatiques, Bordeaux, du 5 au 8 septembre 2006. * 28 Colin, L. et Lapassade, G. (2008) « De l'entrée dans la vie à une éducation tout au long de la vie ». Entretien avec Georges Lapassade, in Colin, L. et Le Grand, J-L. (2008) [dir.] L'éducation tout au long de la vie, Economica Anthropos. * 29 Mezirow, J. ((2001) Penser son expérience, développer l'autoformation. Lyon : Ed. De La Chronique Sociale. * 30 Ibid., p. 184 * 31 Colin, L. (2008) « Passer les frontières : une éducation tout au long de la vie ? » in COLIN, L. et Le GRAND, J-L. (2008) [dir.] L'éducation tout au long de la vie, Economica Anthropos. |
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