1.1.2.2. La presse rwandaise après la colonisation
a) Sous la première
république
Kayibanda, ancien journaliste du Kinyamateka,
prit le pouvoir et devint le premier Président de la République
du Rwanda. Il avait lutté à cor et à cri pour la
création d'une presse indigène, capable de constituer un pont
entre les élites et les masses. Il avait donc les atouts pour
développer la presse rwandaise. Néanmoins, on a perdu tout
l'espoir qu'on avait en lui, car, arrivés au pouvoir, les premiers
dirigeants se sont contentés de multiplier uniquement les textes
officiels dans le souci de contrecarrer le pouvoir royal d'hier. Quant au
domaine de la presse, on n'a rien changé.
En effet, comme le croit Bart, (1982 :161) «il
semble donc que le Président, qui était arrivé au
pouvoir grâce à la presse et qui, de ce fait, en connaissait la
puissance, ne voulait pas qu'elle joue le même rôle, à ses
dépends cette fois-là. (...) Mais il ne voulait pas se
dédire et multiplia- ou laissa se multiplier- les grandes
déclarations tout en veillant à ce qu'une presse
étroitement contrôlée par le gouvernement occupe le devant
de la scène et que la presse catholique, ne soit plus un foyer de
contestation .»
On se rend compte que parfois le président avait peu de
confiance aux moyens de communication privée. Dans sa lettre aux
responsables du pays datée du 12 octobre 1968, le président
Kayibanda affirmait : «l'information des masses sur le programme
national est une nécessité. Presse écrite, radios,
cinémas, photos, réunions et meetings des populations qui
n'insisteraient que sur le coté négatif de la vie au lieu de
montrer l'objectif et d'indiquer les moyens, même modestes d'y arriver,
seraient des saboteurs pour le développement de la Nation. Tous ceux,
dans le pays, qui disposent de ce genre de moyens de communication
(d'information et de formation) sont responsables de la stagnation du
progrès du peuple. » (Bart, 1982 :162)
De tout cela, on peut conclure que pendant la première
République, l'autorité a su imposer son ton, la doctrine
prêchée par le pouvoir était de mise. A part les journaux
catholiques dont Kinyamateka, Dialogue et la revue des
jeunes, Hobe, aucune autre entreprise de presse privée n'a vu
le jour.
b) Sous la deuxième
république
Depuis le début de la deuxième république
jusqu'en 1990, il n'y a pas eu de grands changements en matière de
presse et particulièrement de presse privée. Les conceptions
souvent implicites chez Kayibanda ont été explicitées chez
son successeur.
On se rend compte même que parfois le Président
voulait se servir de la presse comme auxiliaire du gouvernement et, dans ce
cas, elle était destinée à conscientiser les masses
à bien accueillir les décisions prises. Le même auteur le
souligne quand il cite l'extrait de déclaration du Président
Habyarimana du 9 août 1974 qui développe d'ailleurs celle du
1er août 1973. « ...on ne peut pas se passer de
la presse puisque c'est un intermédiaire entre le chef et ceux qui
doivent exécuter les décisions qui ont été
prises... le chef connaît les desseins de ses subordonnés par la
presse et il communique sa pensée profonde par ce canal »
(Bart, 1982 :163).
De même, le Président Habyarimana avait
déclaré : « j'ai dit ailleurs que
l'information servira de trait d'union entre les gouvernants et les
gouvernés. C'est-à-dire que les gouvernants ont aussi un grand
besoin d'être éclairés et positivement critiqués.
Mais cette critique ne doit pas se faire dans notre pays, synonyme d'irrespect
et d'offense voulus. » (Dialogue N°79 1980 :2.)
En réalité, à travers ses
différents messages, le Président voulait montrer à
l'opinion publique son attachement à la déclaration universelle
des droits de l'homme tout en les limitant par des termes obscurs ou mal
définis. Cette pensée est accentuée un peu plus loin quand
il ajoute « c'est pourquoi, dans notre pays, mon gouvernement
s'attelle, autant que ses moyens le lui permettent, à développer
une information saine, répondant aux objectifs et à l'esprit de
notre programme d'action, louant, sans chauvinisme, mais fièrement,
l'âme de notre peuple... » (J. Habyarimana, Message
à Dialogue N°79, 1980 :2.)
Il est regrettable cependant, que toutes les initiatives qui
avaient été prises dans le cadre de la presse, ont
été freinées, à partir de l'Indépendance,
conséquence d'un régime dictatorial qui a marqué les deux
Républiques. La preuve en est que seuls trois journaux ont vu le jour
durant plus de 30 ans. Il s'agit de :
§ « Urumuri rwa
Demokarasi », journal du Parti MDR Parmehutu né en
1963 ; il s'arrêta en 1973 pour réapparaître en 1991,
avec la renaissance du Parti en question.
§ « Le coopérateur
- Umunyamuryango » créé en 1965 par la
coopérative TRAFIPRO et fermé en 1985.
§ En 1963, apparaît le journal
« Rwanda carrefour de l'Afrique » écrit en
trois langues : français, anglais, swahili. Il fut remplacé
par « Le Relève » en 1973, connu
aujourd'hui sous le nom de « La Nouvelle
Relève ».
On remarque alors que de 1973 à 1989, aucun journal n'a
été créé. Au contraire, les journaux ont
été découragés, ceux qui existaient
déjà ont été arrêtés, sans oublier la
persécution des journalistes d'alors. A partir des années 90, on
assiste à une prolifération des journaux de telle sorte qu'en
1993, on dénombre plus de 80 journaux. En plus, des radios furent
créées : « Radio Télévision des
Milles Collines (RTLM), et « radio Muhabura »,
propriété du FPR-INKOTANYI dans le temps.
c) La naissance de la presse contestataire
Depuis l'avènement de la deuxième
république, la presse rwandaise a été
représentée, à part la presse publique, surtout par les
titres catholiques dont Kinyamateka, tenu par la conférence
Episcopale, la revue Dialogue, un mensuel fondé par
l'abbé Massion en 1967 et dirigé, depuis lors par les
Pères Blancs, et Hobe, journal destiné à la
jeunesse. A côté de cette presse catholique, évoluait
Umunyamuryaango Trafipro, mensuel de la coopérative- Trafipro,
qui fut obligé d'arrêter ses parutions en 1985 à cause de
multiples pressions qu'il subissait de la part du régime.
Le déclic se produisit en 1987 avec le lancement du
journal Kanguka (Réveille- toi), un nouveau mensuel
indépendant. Son initiateur est Vincent Rwabukwisi, très
opposé au régime. « Rompant avec le ton
compassé de Kinyamateka et le discours ennuyeux des
médias officiels, Kanguka et le tout premier journal à faire
connaître au Rwanda les Øfaits diversØ,
en dénonçant de moins en moins timidement les abus du
régime et les affaires de corruption. » (Chrétien,
1995 :21)
Après Kanguka, d'autres nouveaux journaux inondent la
capitale en 1990, année que l'on considère comme Øle
printemps de la presse au RwandaØ. Cette prolifération aurait
aussi un rapport avec la politique générale du Rwanda
caractérisée par les violences dont Guichaoua nous donne les
explications suivantes : « parmi les explications de ces
excès de violence, on indiquera bien entendu, sur le plan historique,
les effets de mémoire, peurs et fantasmes légués par
l'histoire contemporaine, la ségrégation ethnique diffusée
et officialisée, sur le plan socio- économique, la violence
quotidienne des rapports sociaux dans un contexte de lutte pour la survie(...).
Sur le plan idéologique ensuite, peuvent être invoqués la
crise de la transmission des valeurs des aînés sur les collines
qui ne sont plus en mesure de proposer à leurs descendants,
l'enfermement culturel, la modification du ` Père de la Nation'. Au
niveau politique enfin, on insistera sur la cristallisation des appartenances
partisanes. » (Guichaoua, 1995 :36). Tous ces journaux
adoptent un ton nouveau, une liberté d'expression sans
précédent. Ils provoquent ainsi une grande panique chez certains
Rwandais comme l'écrit toujours Chrétien, et la réaction
répressive du pouvoir est alors considérée comme
légitime.
« Pour contrecarrer l'audace et quelques
débordements de la presse privée, l'autorité essaie
d'utiliser la presse officielle qui Ø pèche par
trop de sympathie aux pouvoirs établis Ø »
(Nubahumpatse, 1991 :6). Chrétien (1995 :44) ajoute à
ceci : « Et comme cette officielle n'a plus de crédit
aux yeux de tous, le régime se cherche d'autres porte-
voix ».
Le Président Habyarimana encouragea la création
de journaux concurrents, fortement engagés dans l'ethnisme et dans la
lutte contre l'ØennemiØ, aussi bien intérieur
qu'extérieur. A ce propos, Vidal (1995 :22) dit
que « l'état- major de l'armée rwandaise
définissait ainsi les ennemis et les complices : l'ennemi principal
est le Tutsi de l'intérieur et de l'extérieur extrémiste
et nostalgique du pouvoir, qui n'a jamais reconnu et ne reconnaît pas
encore les réalités de la révolution sociale de 1959.
Quant à ses complices, ils se recruteraient dans divers groupes sociaux
parmi lesquels figurent notamment les réfugiés tutsis, les tutsis
de l'intérieur, les hutus mécontents du régime en place,
les sans- emploi de l'intérieur et de l'extérieur du Rwanda, les
étrangers mariés aux femmes tutsi ». L'objectif du
Président Habyarimana est « de parler plus haut et plus
fort que les autres médias, d'où l'apparition des journaux
extrémistes qui vont relayer et amplifier cette définition de
l' Ø ennemiØ » (Rutembesa,
1999 : 6-7). C'est enfin ce que justifie Chrétien (1995 :45)
quand il précise que : « parmi les 41 titres
nouveaux qui voient le jour en 1991, le régime suscite la
création d'au moins 11 journaux à la dévotion du
régime »
|