A l'examen, deux principales particularités se
dégagent du programme de gestion des risques relativement aux parties en
présence. La première est liée au nombre des parties qui
s'avère plus grand que celui que l'on retrouve dans la plupart des
opérations d'assurance. La seconde relève du rôle et du
statut de ces parties. Il est loisible de constater des cumuls et des
confusions dans le statut des parties. Nous examinerons tour à tour ces
deux particularités.
A - Des parties plus nombreuses que celles d'une
assurance classique Le contrat d'assurance met en principe quatre
parties en présence:
- l'assureur, qui offre les services et produits d'assurance
;
- le souscripteur, qui signe la police avec l'assureur et
s'engage à payer la prime convenue ;
- l'assuré, qui est celui sur la tête ou sur le
patrimoine duquel repose le risque assuré ;
- le bénéficiaire, qui est celui qui
perçoit l'indemnité en cas de réalisation du sinistre.
Il est fréquent que certains de ces rôles soient
cumulés. Le souscripteur peut notamment être à la fois
souscripteur, assuré et bénéficiaire. Ceci est d'autant
plus fréquent que les assureurs ne prévoient pas toujours sur
leurs formulaires les cadres nécessaires à la
matérialisation des quatre parties. La police ne prévoyant alors
que l'assuré et le souscripteur, sauf dans le cas des assurances vie
où le souscripteur ne peut être bénéficiaire que
dans des cas très rares103.
Dans le cadre du programme de gestion des risques, CamCCUL,
la COOPEC affiliée, le membre et un bénéficiaire
désigné par ce dernier sont toujours concernés. On
déborde donc sans exception le cadre classique du contrat entre assureur
et souscripteur où ce dernier cumule tous les statuts. La vocation
sociale de ce programme n'y est pas étrangère.
103 Assurance en cas de vie par exemple.
Il vise surtout un grand nombre de bénéficiaires,
ce qui justifie que l'essentiel de la confusion observée porte sur le
statut de bénéficiaire.
B - La confusion sur le statut des parties
Qui est assureur, souscripteur, assuré et
bénéficiaire dans le cadre du programme de gestion des risques ?
Le doute ne se pose pas sur la personne de l'assureur : c'est la ligue. Elle a
prépare une politique faisant également office de police que
chaque affilié peut consulter et souscrire. Il s'agit d'un document qui
donne toutes les informations relatives au programme de gestion des risques.
Jusqu'à sa signature, ce document correspond à la proposition
d'assurance.
Le souscripteur est également bien connu : c'est la
COOPEC affiliée. Bien que le programme de gestion des risques soit un
service destiné aux affiliés de CamCCUL, toutes les COOPEC
affiliées n'y sont pas inscrites. Certaines ne remplissent pas les
conditions d'adhésion au programme. Une caisse populaire voulant
adhérer doit soumettre ses états financiers les plus
récents. Ceux-ci et d'autres documents doivent justifier qu'elle remplit
les conditions suivantes :
- Etre enregistrée au registre des sociétés
coopératives et des groupes d'intérêt commun et
agréée par l'autorité monétaire ;
- Avoir libéré ses parts sociales à la
ligue ;
- Etre à jour pour les contributions aux frais de la
ligue et les dépôts obligatoires ; - Avoir un registre des membres
à jours et en accord avec les fiches d'adhésion ; - Avoir une
politique de crédit dûment approuvée et respectée
;
- Avoir un minimum de procédures et de règles
administratives ;
- Exercer ses activités en conformité avec le plan
comptable de la ligue, etc.
Le cumul et la confusion commencent avec la
détermination de l'assuré. En considérant la personne sur
la tête de laquelle repose le risque, le membre est l'assuré.
Lorsque l'on considère plutôt le patrimoine en cause, aussi bien
la COOPEC que le membre sont assurés. La COOPEC l'est car le
décès ou l'invalidité du membre compromet le recouvrement
de sa créance. Quant au membre ce sont ses parts sociales et son
épargne qui sont en cause. Dans un raisonnement plus osé, on
pourrait envisager les héritiers du
membre comme assurés car le passif de leur auteur ne
leur est pas transmis. On retiendra que le principal assuré est le
membre.
La confusion et le cumul sont plus sérieux en ce qui
concerne la détermination du bénéficiaire. Une
première solution consiste à dire que la COOPEC affiliée
est bénéficiaire. C'est à elle qu'est payée
l'indemnité sur le crédit. Autrement dit, la ligue se substitue
au membre décédé ou invalide et rembourse le crédit
de ce dernier. Le membre désigne au moment de son adhésion dans
la COOPEC un ayant droit. Ce dernier est bénéficiaire au titre de
l'indemnité sur les parts sociales et l'épargne. A défaut
de désignation, l'indemnité est payée aux héritiers
conformément au jugement d'hérédité ou à
l'administrateur des biens. Le programme de gestion des risques se
présente sous l'angle du bénéficiaire comme une assurance
personnelle et à la fois pour autrui. La caisse populaire se couvre
personnellement pour protéger son portefeuille des risques
d'impayés et couvre en même temps son membre. Sous ce rapport, il
est normal qu'elle soit seule assujettie au paiement de la prime. Lorsqu'elle
n'a pas payé la prime, aussi bien l'indemnité sur parts sociales
et épargne que celle sur les crédits ne seront pas payées
par la ligue en cas de sinistre.
Une question surgit dès lors, qui jusqu'ici ne se pose
cependant pas dans la pratique : les bénéficiaires d'un membre ou
ses héritiers peuvent-ils réclamer des dommages et
intérêts à leur COOPEC si cette dernière
n'était pas à jour dans le paiement des primes au moment
où leur parent décède ou devient invalide et que la ligue
refusait pour cette raison de rembourser le crédit et de leur payer
l'indemnité de parts sociales et d'épargne? En d'autres termes,
le bénéfice de l'indemnité constitue - t - il pour le
membre un droit dont il peut exiger le respect ou s'agit-il simplement d'une
faveur dont il ne peut s'en prévaloir si elle ne lui avait pas
été accordée ? La question est d'autant plus
intéressante que certaines familles sachant leur parent courir gravement
le risque de décès ou celui d'invalidité iraient
jusqu'à contracter de nouveaux crédits pour mettre à jour
celui du parent malade et éviter qu'il ne soit en retard de plus de deux
échéances.
Relativement à cette question, il faut remarquer que le
débat n'aurait pas lieu d'être si le membre n'était pas en
règle avec les conditionnalités du programme de gestion des
risques. Au fond, plusieurs points de vue peuvent être
considérés. L'on pourrait envisager la responsabilité de
la COOPEC. La souscription de la police est autorisée par
l'assemblée générale de la COOPEC qui donne mandat au
conseil d'administration à cet effet. Il autorise par là
même les organes dirigeants de la COOPEC à engager toutes
dépenses
nécessaires aux opérations de gestion des
risques. Le préjudice est par ailleurs certain : absence de
remboursement du crédit et de paiement de l'indemnité sur parts
sociales/épargne. Suivant cette théorie du mandat, le membre
serait fondé à exiger de la coopérative ou des organes
sociaux la réparation du préjudice subi. D'un autre point de vue,
la souscription au programme de gestion des risques pourrait simplement
être considérée comme de la stipulation pour autrui, une
assurance pour le compte de qui il appartiendra. D'ailleurs, tous les membres
qui bénéficient aujourd'hui du programme n'étaient pas
nécessairement membre de la COOPEC lorsque celle-ci souscrivait. Cette
assurance n'ayant pas un caractère obligatoire, la COOPEC ne serait
tenue ni d'y souscrire, ni tenue d'en garantir le bénéfice aux
membres.
Dans une perspective plus pratique et en l'absence d'une
solution claire que l'on aurait pu emprunter au code CIMA s'il avait
tranché la question à l'article 5 relatif au mandat et assurance
pour compte, l'on peut penser que l'action en dommages et intérêts
du membre aurait une chance d'aboutir si elle était intenter contre des
dirigeants négligents qui n'ont pas, alors que les moyens et les
circonstances le permettaient, honorer tous les engagements de la COOPEC
à l'égard de la ligue, de sorte à garantir le
bénéfice de l'indemnité aux membres.
Le programme de gestion des risques est donc
véritablement une formule d'assurance sui generis. Il ne constitue ni
une assurance crédit dans les formes habituelles, ni une assurance
risque comme les autres. Il met en présence des acteurs aux rôles
inhabituels et est à la fois une assurance pour soit et pour compte.
Qu'il ne soit pas souscrit par tout les affiliés ou que l'on lui
reproche de ne prendre en compte que des montants très réduits,
cette assurance a le mérite de constituer des tentatives de
réponses précises et adaptées à des
préoccupations tout aussi précises et particulières. C'est
la démarche innovante de la microfinance : concevoir, produire, penser
et « inventer » des outils et des produits adaptés aux
populations cibles. Le programme de gestion des risques reste néanmoins
plus classique dans son mécanisme.