WOW !! MUCH LOVE ! SO WORLD PEACE !
Fond bitcoin pour l'amélioration du site: 1memzGeKS7CB3ECNkzSn2qHwxU6NZoJ8o
  Dogecoin (tips/pourboires): DCLoo9Dd4qECqpMLurdgGnaoqbftj16Nvp


Home | Publier un mémoire | Une page au hasard

 > 

Justice, équité et égalité entre philosophie utilitariste et Science économique: Bentham, Mill, et Rawls

( Télécharger le fichier original )
par Didier HAGBE
Université Lyon II - Master 2 Histoire des théories économiques et managériales 2005
  

précédent sommaire suivant

Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy

Section III : L'utilitarisme et l'unique principe ultime

Bentham défendit l'idée qu'il n'y a qu'un unique principe moral ultime, le «Principe d'utilité». Ce principe veut qu'à toutes les fois que nous devons faire un choix entre deux actions ou deux règles, nous devons opter pour celle qui engendre les meilleures conséquences pour tous ceux concernés. Comme Bentham l'écrit dans son Introduction aux principes de la morale et de la législation75(*) : Chaque personne désire son propre bonheur, on ne désire jamais en définitive que le bonheur, mais cela ne suffit pas à prouver qu'il soit le seul critérium. Ce qui va pousser Mill à s'interroger :

Les questions qui portent sur les fins sont, en d'autres termes, des question sur ce qui est désirable. « La doctrine utilitariste pose que le bonheur est désirable et que c'est la seule chose désirable en tant que fin ; toutes les autres n'étant désirables que comme moyens pour cette fin. »76(*). Que faut-il pour que cette doctrine puisse justifier sa prétention à recueillir notre adhésion ? - quelles sont les conditions qu'elle devrait remplir à cet effet ?

La seule preuve que l'on puisse donner qu'un objet est visible est le fait qu'effectivement les gens le voient. La seule preuve qu'un son est audible est qu'on l'entende : et il en est de même pour les autres sources de notre expérience. De la même manière pour Mill, le seul indice qu'il soit possible de produire qu'une chose est désirable, c'est que les gens la désirent effectivement. Si la fin posée par la doctrine utilitariste n'était ni en théorie ni en pratique reconnue comme une fin, rien ne pourrait jamais convaincre qui que ce soit que c'en est une. Aucune raison ne peut être donnée prouvant que le bonheur général est désirable si ce n'est que chacun, dans la mesure où il pense qu'il peut l'atteindre, désire son propre bonheur.

Mais puisque c'est bien là un fait, non seulement nous avons toute la preuve possible dont notre cas est susceptible, que le bonheur est un bien, mais encore tout ce qu'il est possible d'exiger : que le bonheur de chacun est un bien pour lui et que, par conséquent, le bonheur général est un bien pour la somme (aggregate) de toutes les personnes. Le bonheur a ainsi prouvé qu'il mérite d'être l'un des fins de la conduite et, en conséquence, l'un des critères de la moralité. Mais cela ne suffit pas à prouver qu'il soit le seul critère. Pour cela, il faudrait également montrer, semble-il, que non seulement les gens désirent le bonheur, mais même qu'ils ne désirent jamais autre chose. Or il est clair qu'ils désirent en fait des choses qui, pour le langage ordinaire, sont nettement distinctes du bonheur. Par exemple, il désirent la vertu la vertu et l'absence de vice aussi réellement que le plaisir et l'absence de douleur. Le désir de vertu n'est pas aussi universel que le désir du bonheur, mais c'est un fait aussi authentique. C'est pourquoi les adversaires de la norme utilitariste estiment qu'ils ont le droit d'en inférer qu'il existe d'autres fins de l'action humaine que le bonheur et que le bonheur n'est pas la norme de l'approbation et de la désapprobation. Mais est-ce que la doctrine utilitariste nie que les gens désirent la vertu ou est-ce qu'elle soutient que la vertu n'est pas une chose désirable ? Tout au contraire. Elle soutient non seulement que la vertu doit être désirée, mais encore qu'elle doit l'être de manière désintéressée, pour elle-même. Les utilitaristes placent la vertu en tête des choses qui sont bonnes comme moyens d'atteindre la fin ultime, mais ils reconnaissent également comme fait psychologique la possibilité qu'elle soit, pour l'individu, un bien en soi, sans considérer aucune fin au delà d'elle-même ; ils tiennent que notre esprit n'est pas dans l'état souhaitable, dans l'état conforme à l'Utilité et le plus susceptible d'engendrer le bonheur général, s'il n'aime pas la vertu de cette manière - comme une chose désirable en elle-même, même si, dans le cas individuel, elle ne produit pas toujours les autres conséquences désirables qu'elle tend à produire et à cause desquelles elle est considérée comme une vertu.

Cette opinion ne s'écarte en rien du principe du plus grand bonheur. Les éléments du bonheur sont très variés et chacun d'entre eux est désirable en soi et pas seulement comme une partie qui vient grossir un agrégat. Le principe d'utilité ne veut pas dire qu'un plaisir donné, comme par exemple la musique, ou une absence de douleur, comme la santé, doivent être considérés comme des moyens d'atteindre une réalité collective77(*)[ collective something] appelée bonheur et doivent être désirés pour cette raison. Ils sont désirables et désirés en eux-mêmes et pour eux-mêmes ; ils ne sont pas seulement des moyens, ils sont des parties de la fin. La vertu, selon la doctrine utilitariste, n'est pas naturellement et originellement une partie de la fin78(*), mais elle est capable de le devenir ; ainsi, chez ceux qui l'aiment de manière désintéressée, elle est devenue non comme un moyen, mais comme une partie du bonheur79(*). Pour mieux illustrer ce point, nous pouvons nous rappeler que le cas de la vertu n'est pas unique, qu'il y a bien des choses qui étaient à l'origine un moyen et qui, si elles n'étaient pas devenues un moyen pour quelque chose d'autre, seraient restées indifférentes, mais qui, par association80(*) avec ce dont elles sont un moyen, en sont venues à être désirées pour elles-mêmes et, qui plus est, avec la plus grande intensité.

Prenons l'exemple de l'argent, sa valeur est seulement celle des choses qu'il permet d'acheter ; des désirs pour les autres choses qu'il est un moyen de satisfaire. L'argent est désiré non en vue d'une fin, mais comme une partie de cette fin. D'un moyen du bonheur, il est devenu lui-même un des principaux éléments de la conception individuelle du bonheur. On pourrait en dire autant de la majorité des principales fins de l'existence humaine-le pouvoir, par exemple, ou la célébrité ; avec cette différence que chacune de ces fins comporte une certaine quantité de plaisir immédiat qui semble, au moins, lui être naturellement inhérente. Dans ces cas, le moyen est devenu une partie de la fin et une partie plus importante qu'aucun des objets dont il est le moyen.

Mill fait bien la distinction entre la vertu et l'amour de l'argent, du pouvoir, ou de la célébrité : « tous ces désirs peuvent rendre, et souvent rendent effectivement, l'individu nuisible aux autres membres de la société à laquelle il appartient, tandis que rien ne peut mieux préparer l'individu à devenir une providence pour ses semblables que la culture en lui de l'amour désintéressé de la vertu. En conséquence, l'utilitarisme, tout en tolérant, tout en approuvant ces autres désirs acquis par nous, jusqu'à la limite au-delà de laquelle ils deviendraient plus nuisibles qu'utiles au bonheur général, prescrit et exige que l'on cultive l'amour de la vertu et qu'on l'élève au plus haut degré possible, parce qu'il la tient pour la chose qui contribue le plus au bonheur général. »81(*).

« Si la nature humaine est constitué de telle sorte que nous ne désirons pas ce qui n'est ni une partie du bonheur ni un moyen du bonheur, nous ne pouvons fournir d'autre preuve que ce sont là les seules choses désirables et nous n'en avons pas besoins. S'il en est ainsi, le bonheur est la seul fin de l'action humaine et la promotion du bonheur est la pierre de touche qui permet de juger la conduite humaine ; de là il suit nécessairement que le bonheur doit être le critère de la moralité, puisque la partie est toujours incluse dans tout »82(*).

Il apparaît donc une contradiction possible entre cette affirmation et l'affirmation qui envisage un utilitarisme hédonistique. La seule chose qui sauve la cohérence risque d'être purement nominaliste : qu'on appelle « plaisir » tout ce qui est désirable, même s'il n'y a pas de continuité ou homogénéité entre les différentes choses qui sont désirables. Il s'agit là d'un utilitarisme « idéal » et non pas hédonistique. Plusieurs choses sont intrinsèquement désirables par les individus. Ce qui pose un réel problème :

Comment choisir entre plusieurs plaisirs idéaux qui peuvent entrer en conflit ? Il y a là le même problème qu'avec les droits naturels, critiqués par Bentham.

Peut-on dire que la vertu est bonne en soi, si ses conséquences sont néfastes ? Exemple : un individu respecte les règles morales et cause pour cela des souffrances innombrables à d'autres. Un autre n'a pas de goût pour la vertu, mais ne fait aucun mal ou fait du bien par inadvertance. Peut-on trouver désirable en soi le comportement du premier ? La seule réponse possible est qu'on peut considérer comme bon en soi seulement ce qui est un moyen de provoquer du bien sur les autres.

Nous examinerons dans la deuxième partie, au chapitre III intitulé Discussion et commentaire autour du principe d'utilité à la section II, comment Monique Canto-Sperber analyse et conçoit sa théorie du bonheur.

* 75 Publié en 1789, l'année de la révolution française.

* 76 Mill L'Utilitarisme Essai sur Bentham PUF, éd. 1998, p. 85-86

* 77 caractère « agrégatif » du bonheur pour Mill comme pour Bentham : c'est le solde net des utilités individuelles (déduction faite des « désutilités », pour employer le vocabulaire contemporain).

* 78 Référence à Hume et aux vertus artificielles comme la justice.

* 79 Voir Mill L'Utilitarisme éd. 1988 pp. 106-107

* 80 C'est l'association des idées, non la loi de la nature, qui permet de comprendre nos jugements moraux, conformément à la thèse de hume ; voir aussi Mill, Le système de logique, 2e loi de l'association.

* 81 Mill, L'Utilitarisme, éd. 1988, p.109

* 82 Mill, L'Utilitarisme, Essai sur Bentham éd. 1998 p. 93

précédent sommaire suivant






Bitcoin is a swarm of cyber hornets serving the goddess of wisdom, feeding on the fire of truth, exponentially growing ever smarter, faster, and stronger behind a wall of encrypted energy








"Il existe une chose plus puissante que toutes les armées du monde, c'est une idée dont l'heure est venue"   Victor Hugo