5 DISCUSSION
5.1 Vulnérabilité des stades larvaires de
Megalurothrips sjostedti à la prédation de
Amblyseius swirskii
Les larves 1 de M. sjostedti sont très
vulnérables à la prédation de A. swirskii. Par
contre, les larves de deux jours (larves 2) sont invulnérables à
la prédation de A. swirskii. La forte consommation des larves
par le phytoséiide laisse présager que le phytoséiide peut
consommer plus de 5 larves 1 par jour. Ces résultats confirment ceux
obtenus par nombre d'auteurs ayant étudié la
vulnérabilité des stades de développement des thrips
à la prédation des espèces du genre Amblyseius.
En effet, bien que des espèces comme Amblyseius scutalis et
Amblyseius tularensis attaquent et consomment les stades larvaires des
thrips floricoles de niébé (M. sjostedti) et du
citronnier (Scirtothrips citri ( Moulton), elles n'ont aucun effet sur
les autres espèces de thrips (Bounfour & McMurtry, 1987; Tanigoshi
et al., 1983; 1984, 1985; Tanigoshi, 1991; Jones & Morse, 1995).
Aussi, les prédateurs qui se sont révélés efficaces
contre une vaste gamme de thrips, sont-ils incapables de maîtriser des
larves de certaines espèces de thrips. Par exemple, Amblyseius
barkeri (Hughes), Euseius hibisci, Amblyseius
degenerans (Berlese) et Typhlodromus rickeri (Chant) sont
même incapables d'attaquer les premiers stades larvaires de
Heliothrips haemorrhoidalis sur les avocatiers (McMurtry & Badii,
1991).
Apparemment, l'incapacité des phytoseiides à
attaquer les larves réside dans un mécanisme de défense
que développent ces larves. Dans le cas de la présente
étude, l'invulnérabilité des larves 2 peut s'expliquer par
le fait qu'à ce stade, celles-ci sont très robustes et plus
fortes que les prédateurs. Ces résultats concordent avec ceux
prévus par la théorie de prédation qui stipule un rapport
de proportionnalité entre la forme et la taille du prédateur et
de sa proie (Sabelis, 1992, Diehl, 1993). En effet, le prédateur doit
avoir une taille supérieure ou égale à celle de sa proie
(Van Rijn, 2002). Ce même auteur ajoute que dans les conditions
naturelles, la plante hôte offre au ravageur, des sites de refuge dans
lesquels les ravageurs se cachent. Il est nécessaire que le
prédateur soit au moins de taille similaire à sa proie et bien
robuste, pour pouvoir pénétrer dans les sites et attaquer la
proie. Dans ces conditions, la proie devient plus exposée au
prédateur, lorsqu'elle sort de son refuge. D'autres résultats
renforçant ce mécanisme
postulent que, pour échapper à la
prédation, les larves donnent des coups aux prédateurs par leurs
segments terminaux de l'abdomen. Elles éclaboussent aussi les
prédateurs avec leurs sécrétions anales qui sont
spontanément secrétées lors du combat de la
prédation (Lewis, 1973 ; Bakker & Sabelis, 1986; 1989).
Probablement, les prédateurs ont instinctivement "peur" des larves 2 et
ne s'en approchent pas au risque de recevoir des coups ou des
secrétions. On pourrait supposer que ces secrétions anales
contiennent des substances corrosives qui pourraient provoquer des
démangeaisons chez le phytoseiide.
L'application directe qui découle de la
vulnérabilité de ce premier stade larvaire est que A.
swirskii peut efficacement contrôler la prolifération de la
population de M. sjostedti et rendre plus durable la production de
niébé. En effet, les stades larvaires de ce thrips sont les plus
redoutables au niébé. Et il suffit que six (6) larves de M.
sjostedti se nourrissent sur une inflorescence de niébé
pendant 5 jours pour provoquer la déhiscence de toutes les fleurs (Tamo,
1991). Ainsi, A. swirskii peut être employé à
titre préventif dans les champs de niébé pour la
réduction progressive de la densité des populations des larves 1.
Par ailleurs, le même auteur a établi un modèle relatif
à l'interaction trophique entre M. sjostedti et son hôte,
le niébé; lequel modèle a fait l'objet d'une
évaluation préliminaire pour déterminer l'effet d'agents
de lutte biologique potentiels sur les interactions ravageur / plante.
5.2 Influence des densités de larve 1 sur la
capacité de prédation de Amblyseius
swirskii
Il a été obtenu comme résultat que le
taux de prédation des larves L1 de M. sjostedti par les
femelles de A. swirskii, suit une corrélation positive avec la
densité de larves. Ces résultats suivent la théorie de
prédation postulée par nombre d'auteurs qui stipulent que le taux
de prédation évolue avec la densité de proie. En effet,
Van Rijn (2002) a obtenu les résultats similaires lors de ses travaux
sur la réponse fonctionnelle de certaines espèces de la famille
des Phytoseiidae. Il obtient que la courbe de prédation en fonction de
la densité, suit l'allure d'une courbe asymptotique. Il trouve que cette
relation est indépendante des espèces de prédateurs et de
leurs proies. Tout ceci confirme les résultats de Sabelis
(1992) qui expliquent cet état de chose par le fait
que le prédateur est attiré par des substances
volatiles secrétées par les proies (fèces, traces de
passage des proies) qui permettent au prédateur de repérer
facilement sa proie. Ainsi lorsque l'effectif de la proie augmente, la
concentration de ces substances volatiles augmente aussi et le prédateur
est facilement sensibilisé à la recherche de sa proie. De plus,
lorsque la densité de proies augmente, la probabilité de
rencontre du prédateur et de sa proie, est élevée (Van
Rijn, 2002), ce qui fait que le prédateur attaque plus de proies. Selon
cet auteur qui a étudié la réponse fonctionnelle des
phytoséiides Neoseiulus barkeri et N. cucumeris avec
les larves de Thrips tabaci et de Frankliniella occidentalis
comme proies, les taux de prédation augmentent lorsqu'on passe de
faibles aux fortes densités de proies. Ces différences
constatées entre les densités peuvent être
renforcées par d'autres paramètres propres aux
phytoséiides. En effet, naturellement, les prédateurs sont
supposés être limités par le temps de recherche de leurs
proies à de faibles densités. De même, ces
phytoséiides sont limités par le temps qu'ils passent sur une
proie abattue (Van Rijn, 2002). Un autre point de vue peut expliquer la
différence de prédation en fonction des densités. C'est la
vitesse de conversion de la proie par le prédateur en biomasse. En
effet, le prédateur peut bien avoir une aptitude intéressante
à capturer sa proie, mais le temps qu'il mettra à digérer
la proie peut retarder le processus de chasse (Hazzard & Ferro, 1991; Shipp
& Whitfield, 1991; Mansour & Heimbach, 1993; Fan & Petitt, 1994;
Nwilene & Nachman, 1996; Castagnoli & Simoni, 1999; Montserat et
al., 2000).
Dans le cas des larves 1 utilisées pour le
présent essai, le temps de passage de larves 1 à la larve 2 est
d'un jour. Donc le peu d'heures que perd le phytoséiide à
identifier, à chasser, à capturer, à ingérer et
à digérer une proie, donne assez de chance aux autres larves,
d'entrer progressivement dans le stade suivant, et par conséquent, les
rendre peu à peu invulnérables. C'est pourquoi, nous pouvons
soutenir que les taux de prédation obtenus avec les différentes
densités de larves sont très intéressants dans une
perspective de lutte contre les thrips floricoles de niébé,
puisque le prédateur capture les larves à de très faibles
densités. Une analyse similaire est faite par Nomikou (2003), qui a
rapporté que A. swirskii possède une aptitude de
prédation très intéressante sur les stades immatures de la
mouche blanche, Bemisia tabaci Gennadius (ravageur de
cultures maraîchères et du cotonnier), aux faibles
densités, mais n'extermine pas toute sa population.
5.3- Fécondité de Amblyseius
swirskii suivant différents pollens
Pour évaluer l'influence des pollens des plantes
hôtes sur la fécondité du prédateur, il a
été recueilli comme données, le nombre d'oeufs pondus par
les femelles du prédateur, selon qu'elles sont nourries aux pollens de
V. unguiculata, T. candida, Z. mays, L. sericeus
ou T. australis. Les résultats obtenus montrent que le
prédateur se nourrit bien des différents pollens quelle que soit
leur source. Ces résultats ont été prédits par
Nomikou (2003), qui, ayant étudié l'oviposition du
prédateur, a constaté que cette espèce d'acarien est un
polyphage. Il peut se nourrir et se reproduire à partir du régime
alimentaire autre que les proies. Ce même auteur a évoqué
que les pollens des espèces du genre Typha assurent mieux la
fécondité des femelles du prédateur, ce qui est
également le cas dans la présente étude. Les
résultats de Nomikou (2003) montrent que les femelles peuvent pondre
jusqu'à 5 oeufs par femelle et par jour à 25°C et 70%
d'humidité relative. La différence entre le taux de ponte obtenu
dans nos conditions d'essais, peut s'expliquer par les écarts entre nos
conditions thermo-hygrométriques et celles de Nomikou (2003). En effet,
nos essais ont été effectués dans une gamme de
température de 25 à 27°C avec une humidité de 54
à 70%. Cette capacité de A. swirskii à se
reproduire si aisément sur les pollens trouve son application dans
l'utilisation de ces substrats en particulier celui de T. australis
pour l'élevage au laboratoire de A. swirskii en vue des
lâchers au champ.
5.4- Table de vie de Amblyseius swirskii
La table de vie de A. swirskii a été
étudiée avec différents régimes alimentaires pour
évaluer leurs effets sur certains paramètres biologiques du
prédateur.
5.4.1- Effet de la combinaison de
pollen et larves sur le taux de prédation
Les analyses effectuées sur l'influence de la combinaison
de pollen de niébé et larves sur le prédateur montrent que
la différence entre les deux traitements est
significative au seuil de 5%. Ces résultats sont
conformes à ceux obtenus par Nomikou (2003), qui a
révélé que la capacité de prédation de
A. swirskii diminue lorsqu'il est en présence simultanée
de la proie et d'un aliment alternatif comme le pollen. Van Rijn (2002) a
découvert que lorsque le phytoséiide I. degenerans est
nourri aux larves de thrips, B. tabaci avec addition de pollen, ce
prédateur n'arrive pas à capturer les larves au moment de la
ponte (Nomikou, 2003). Il faut aussi rappeler que nos résultats ont
montré que le plus fort taux de ponte a été obtenu sur
l'aliment mixte. Donc, comme les femelles pondaient beaucoup, elles se
fatiguent plus vite et n'arrivent plus à remporter les combats de
prédation ou ne les engagent pas du tout, et se contentent facilement de
l'aliment alternatif qu'est le pollen. Cet état de chose pourrait aussi
expliquer le faible taux de prédation constaté avec l'aliment
mixte. De plus, puisqu'après la ponte, il est évident que la
femelle soit fatiguée, elle mettra sans doute plus de temps à
consommer l'aliment alternatif au détriment des larves. Car, la
prédation est un véritable combat (Van Rijn, 2002). Cependant, le
taux moyen de prédation obtenu avec le régime mixte, montre que
le prédateur peut réduire autant que possible la population de
ravageur lorsque ce dernier sera sur son hôte en train de causer des
dommages sur les pollens de niébé. De plus, cette habileté
du prédateur, montre que ce dernier peut réduire la population du
ravageur quel que soit l'aliment auquel il est soumis dans le temps.
Dans le cas précis de nos travaux, nous pouvons
expliquer cette diminution de la prédation par le fait que les larves
s'alimentent aussi du pollen de niébé, grandissent plus vite et
deviennent donc invulnérables (Tamo, 1991). Ces résultats
confirment ceux obtenus par Ragusa & Swirski (1977) qui stipulent que la
population des thrips ravageurs ne peut être exterminée par ce
prédateur. Dans la pratique, pour le succès de l'application de
A. swirskii dans la lutte biologique contre les thrips floricoles, il
s'avère nécessaire d'avoir des connaissances approfondies sur le
rapport entre le prédateur et sa proie. Pour ce faire, il faudrait
pouvoir déterminer pour le niébé, la période de son
pic de floraison et son pic de densité du ravageur. Ainsi, une
superposition de ces deux pics permettra de mieux identifier la période
critique à laquelle, l'application des phytoséiides sera
efficiente, de façon à éviter les périodes de
fortes densités du ravageur et celle du pic de floraison pour contourner
la préférence des phytoséiides aux pollens de
niébé. Ces résultats traduisent aussi une concurrence
résultant de la coexistence du
prédateur et du stade invulnérable de la proie
(Murdoch et al., 1987; Van Rijn et al., 2002).
5.4.2- Effet des aliments sur la
fécondité des femelles
Les résultats de l'effet des aliments sur la
fécondité des femelles montre que les traitements pollen de
niébé seul ou pollen de niébé + larve, sont
égaux à ceux obtenus avec le traitement témoin (pollen de
T. australis). Ceci permet de prédire une éventuelle
persistance de la population du prédateur dans les agro-
écosystèmes où il aura le pollen de niébé.
Ces résultats confirment ceux obtenus par plusieurs auteurs ayant
étudié la possibilité des phytoséiide à se
nourrir et à se reproduire à partir des sources alternatives
d'aliments, notamment le pollen, le nectar, les exsudats des fruits, ou
feuilles des plantes. Les phytoséiides possèdent en effet des
aptitudes à se nourrir et à se reproduire à partir de ces
sources alternatives d'aliments (Hagen, 1986; Alomar & Wiedenmann, 1996;
Zemek & Prenerova, 1997; Coll, 1998; Van Rijn & Tanigoshi, 1999a,
1999b). Les aliments alternatifs procurent aux prédateurs de l'eau et
des nutriments complémentaires au régime
préférentiel qui est la proie (Stoner, 1970; Salas-Aguilar &
Ehler, 1977; Limburg & Rosenheim, 2001; Coll & Guershon, 2002). La
différence significative entre la ponte sur le régime larve seule
et l'aliment mixte pourrait s'expliquer par le fait que la consommation des
larves seules, implique une rétention des oeufs dans l'oviducte des
femelles (Nomikou, 2003; observations personnelles, 2007). Nous pourrons
attribuer le faible taux de ponte obtenu au fait que la quantité de
larves offertes aux phytoséiides n'assure pas la satiété
des femelles. En effet, une moyenne de 3,33 larves est servie aux femelles par
jour alors que dans nos essais de prédation, une femelle peut consommer
plus de 5 larves. Les résultats que nous avons obtenus s'inscrivent
pleinement dans le contexte d'excellent agent biologique attribué
à A. swirskii. La disponibilité de sources d'aliments
autre que les proies, rassure sur la persistance de l'agent biologique, A.
swirskii, dans les champs, même dans les situations de rareté
de la proie.
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