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Etre une femme en Algerie, action sociale

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par Liliane Mébarka GRAINE
Université Paris 8 - St Denis (93) - Doctorat en sociologie 2006
  

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III- CONTENU DU CODE DE LA FAMILLE

Le 9 juin 1984, l'Assemblée Populaire Nationale algérienne adopte, à huit-clos, le Code de la Famille. Cette assemblée, essentiellement masculine, est constituée d'un parti unique, le F.L.N. Ce code, inspiré de la Charia (loi islamique) réglemente le statut personnel de la femme et ses relations avec l'homme au sein de la famille. Il considère toute femme algérienne, quel que soit son pays de résidence.

Ce code ne reconnaît aucun droit à la femme, l'asservissant entièrement à son rôle de reproductrice et d'éducatrice. Il la maintient dans un état d'infériorité et institutionnalise sa minorité à vie. La femme est enfermée dans la famille par filiation, elle est propriété du père ou, à défaut, du tuteur matrimonial (frère, oncle). Puis, par mariage, elle passe sous l'autorité de son mari qui doit subvenir à ses besoins mais il dispose de sa vie. Seul le père ou le tuteur décide de son mariage.

Une musulmane n'a pas le droit d'épouser un non musulman ; par contre, un musulman peut épouser une non musulmane. La dissolution du mariage est aisée pour l'homme qui peut, à tout moment, répudier son épouse et contracter jusqu'à quatre mariages selon ses moyens financiers. Par contre, la demande de divorce est excessivement difficile à obtenir pour la femme qui doit fournir des preuves sur l'infidélité et les fautes de son mari ou racheter sa liberté en versant une somme d'argent, le "khol`". Le divorce met la femme dans une situation catastrophique tant sur le plan matériel que moral. C'est le cas où le Code de la Famille est le plus injuste et préjudiciable pour la femme.

Ce code, au lieu de protéger la femme, la livre à toutes incertitudes. Il est totalement en opposition avec les droits humains fondamentaux tels qu'ils sont consignés dans les textes internationaux et également en contradiction avec la constitution de l'État algérien qui garantit les droits entre les hommes et les femmes.

Les luttes autour du Code de la Famille et aussi autour de l'école, lieu de dressage idéologique, est en fait une lutte entre l'ordre familial ancien et l'ordre politique nouveau, donc, entre le droit naturel (présenté comme religieux) et le droit civil. Voilà le véritable enjeu.

La sphère publique, obéissant à l'ordre ancien à travers l'adoption du Code de la Famille, s'est introduite dans la sphère privée en essayant de replâtrer son écroulement produit par l'environnement socio-économique et, de ce fait, a réduit à néant la possibilité de mettre en place un État démocratique.

La démocratie fait émerger l'individu et s'adresse à lui alors que, auparavant, le politique était géré par le chef de tribu charismatique et s'adressait au groupe. C'est pourquoi aujourd'hui, en Algérie, on se trouve dans une situation ambiguë où la constitution s'adresse à des citoyens et des citoyennes et le Code de la Famille adopté avant la Constitution de février 1989 s'adresse à des familles et à leurs chefs.

La famille se trouvant à la jonction du public et du privé, les conservateurs luttent contre le contrôle de l'État démocratique qui s'accroît par sa gestion de la démographie donc de la sexualité, des lignages, des transmissions de patrimoines, des structures de pouvoir à l'intérieur de la famille, en cherchant à séparer la reproduction de l'espèce de la sexualité et des fantasmes qui sont liés à cette dernière. Mais, par ailleurs, ces mêmes conservateurs somment l'État de gérer la vie spirituelle des individus en faisant de l'Islam une religion de l'État alors que la meilleure façon de faire triompher leur conception de l'Islam eut été, pour les associations religieuses, d'en délester ce dernier alors que prôner une séparation de l'État et de la religion est encore la meilleure façon de préserver la religion qui ne pourra plus noyer dans les considérations temporelles.

Mieux encore, il devait exister, comme dans d'autres pays musulmans, plusieurs Codes de la Famille selon le rite que pratiquent les candidats au mariage. Un Code Civil pourrait aussi être élaboré et proposé comme l'une des formes d'union proposée par l'État aux citoyens qui auraient, dès lors, le libre choix de décisions.

Dès l'indépendance de l'Algérie en 1962, alors que de nombreuses femmes avaient participé à la guerre et, de ce fait, avaient acquis une certaine émancipation, les courants religieux et conservateurs défendent une conception rétrograde de la famille et de la femme. Ils proposent l'adoption d'un Code de la Famille. Les anciennes "moudjâhidâtes" ainsi que les étudiantes, enseignantes et militantes politiques manifestent violemment contre un code qui ne respecterait pas l'égalité des sexes. 1965, 1971 et 1981 seront les étapes importantes de cette opposition, avec des manifestations dans les rues.

Cependant, la crise économique et morale des années 1980 favorise la progression des courants islamistes. Les intégristes invoquent avec succès, même auprès des femmes, que le choix du socialisme a entraîné le peuple algérien dans la dépravation et a éloigné les femmes de leur mission naturelle de procréatrices et d'éducatrices. Pour eux, l'égalité des droits entre hommes et femmes est une "aberration" qu'ils combattent.

Après l'adoption du code, des mouvements féministes vont voir le jour. En 1988, il existe une trentaine d'associations féminines qui vont former un collectif, la Coordination des femmes. Cette coordination va dénoncer les points les plus cruciaux de ce code : les modalités de conclusion du mariage, le divorce, le droit au travail, la légalisation de la polygamie. Parallèlement, en décembre 1989, plus de 100 000 femmes vont participer à une manifestation pour le maintien du Code de la Famille. Malgré les divergences entre les femmes elles-mêmes et malgré le déchaînement de violence dont elles font l'objet, de très nombreuses femmes vont continuer à s'opposer à ce code, bien souvent au risque de leur vie. Le gouvernement algérien reste sourd à leurs revendications. En avril 1996, le ministre de la Solidarité et de la Famille s'engage vaguement à entreprendre une révision du Code de la Famille.

En mars 1997, à quelques semaines des élections législatives, treize associations lancent un appel pour l'amendement de ce code et l'abrogation de vingt-deux de ses articles, elles comptent recueillir un million de signatures. La révision demandée porte essentiellement sur l'abolition de la polygamie, la suppression du tuteur matrimonial pour la femme majeure, l'annulation du "khol`" (rachat de la liberté) pour la femme désirant divorcer, l'attribution du logement conjugal au parent qui a la garde des enfants. De son côté, la section des femmes de l'Association Orientation Religieuse et Réforme (émanation du mouvement HAMAS : parti politique islamique modéré) lance un appel pour recueillir trois millions de signatures pour le maintien du Code de la Famille. Cette collecte de signatures sera sans doute plus facile pour les femmes islamistes que pour les femmes progressistes qui sont plus isolées et disposent de moins de moyens. Quant au gouvernement, il renvoie cette question au parlement qui sera issu des élections législatives de juin 1997.

Une pétition intitulée "un million de signatures pour le droit des femmes dans la famille" visait la renégociation, avec le pouvoir, du statut de la femme : c'est un échec cuisant. Elle a été initiée par un collectif de 14 associations de femmes, à l'occasion de la Journée de la Femme, le 8 mars 1997. Le contexte politique est important : pour tenter de reconstruire la légitimité des institutions mise à mal depuis 1992, le président Zéroual organise quatre scrutins : l'élection présidentielle en 1995, le référendum constitutionnel en 1996, les élections législatives et municipales en 1997. Le vote des femmes est donc un véritable enjeu de campagne.

Les dirigeantes du Mouvement des Femmes appartiennent souvent à la génération de l'après-indépendance. Elles se recrutent dans les élites francophones de l'opposition laïque mais des femmes proches du pouvoir les rejoignent aussi. Farouchement opposées au projet islamiste en général et au F.I.S. en particulier, elles ont activement contribué à médiatiser l'image de l'islamisme "ennemi des femmes, barbare et moyenâgeux". Au niveau national, mais surtout international, leur discours est une aubaine pour le régime algérien car il justifie, après coup, l'annulation du processus électoral et la stratégie du tout sécuritaire qui entraîne une militarisation sans précédent de la société algérienne.

Considérant que les succès remportés par l'armée sur la rébellion islamiste sont aussi les leurs, ces associations de femmes attendent en retour non plus l'abrogation du Code de la Famille mais la renégociation du droit des femmes dans la famille. Pour elles, l'État doit rompre l'ambivalence : d'une part, il reconnaît aux femmes des droits constitutionnels (droit de vote, au travail, abolition de toutes les discriminations) mais, d'autre part, il dénie aux femmes leurs droits dans la famille.

La pétition de 1997 était donc un test et un pari. Le régime algérien était-il prêt à soutenir cette démarche ? Et la société qui, hier encore, votait massivement pour les islamistes, était-elle enfin acquise aux valeurs de l'égalité entre les sexes ?

Le collectif proposait 22 amendements du Code de la Famille autour des articles de loi jugés les plus discriminatoires à l'égard des femmes, l'objectif étant d'ouvrir le débat sur des propositions alternatives. "L'espoir est permis", disent-elles puisque le Premier ministre déclare la révision du Code de la Famille et que le sujet n'est plus tabou.

Seule la presse privée francophone soutient le collectif en publiant, chaque jour, un talon-réponse d'adhésion à la pétition. Selon le Quotidien d'Oran (à l'ouest de l'Algérie), le nombre de signatures n'a pas atteint la barre des 50 000. Cet échec s'explique, sans doute, par une certaine candeur des initiatrices de la pétition qui, dans leur enthousiasme anti-islamiste, ont oublié le caractère profondément conservateur de toute dictature auquel l'Algérie ne fait pas exception, un régime dont le socle idéologique reste profondément arabo-musulman.

Le collectif invoque le climat sécuritaire et les massacres horribles qui l'ont amené à taire ses revendications car l'ordre des priorités était basculé. D'autres observatrices estiment que le Mouvement des Femmes né dans les années 80, toutes tendances confondues, est arrivé aux limites de son efficacité et de ses contradictions. Impliquées dans les luttes partisanes sous la pression des événements, ces différentes associations sont perçues comme des coquilles vides dispersées dans des luttes de leadership.

Les femmes algériennes ont toujours eu un rôle au moment des crises traversées par l'Algérie : elles ont participé aux guerres d'invasion et d'indépendance ainsi qu'aux événements du 5 octobre 1988. De 1988 à 1992, un mouvement démocratique est né, il luttait pour revendiquer la citoyenneté des femmes et montrer que l'on voulait appartenir à un pays moderne, une volonté qui était éloignée de tout sentiment ou position anti-islamiques. Ce mouvement fut étranglé.

Aujourd'hui, 5 % des femmes travaillent en Algérie : une minorité vit dans la modernité, une minorité encore peut, par exemple, poursuivre de longues études. Est-ce aussi difficile de lutter pour obtenir légitimement sa citoyenneté ? Qui continue cette lutte alors qu'elle n'a pas le droit à la parole ? Il ne s'agit que d'une minorité d'expression et d'action mais, d'aucune manière, d'une minorité d'opinion. Combien sont-elles à dire "NON" à la polygamie, aux conséquences du divorce... ?

Le Code de la Famille est, en ce moment, amendé par le parlement algérien alors que seule une abrogation de ce code est acceptable. La question de la femme est restée en suspens depuis des décennies et le reste encore aujourd'hui. Il semble que ce problème crucial pour l'avenir de la femme en Algérie et pour la société algérienne tout entière soit de nouveau mis en exergue. Cependant, même si la mise en place d'une véritable démocratie est la condition sine qua non pour qu'un contre-pouvoir puisse s'exercer, il faut regretter qu'une action forte de pression sur le gouvernement algérien n'ait pas lieu en Algérie (parce qu'elle est impossible) mais en France où l'on peut agir plus librement, où l'on sait combien ont été difficiles les combats des femmes pour garantir toutes les libertés (comme la lutte pour l'avortement) et où l'on sait combien, aujourd'hui, l'égalité entre les femmes et les hommes n'existe pas dans les faits.

1 -DES EXEMPLES D'ARTICLES DU CODE DE LA FAMILLE

(VOIR ANNEXES I : Code de la Famille)

D'une manière générale, à deux exceptions près, le texte institutionnalise simplement la famille organisée par le fiqh à partir de la lettre du Coran, une famille "légitime" au sens de la Charia, c'est-à-dire exclusivement fondée sur le mariage, une famille de type patriarcal basée sur le respect des solidarités agnatiques et des hiérarchies où la femme est traitée comme mineure permanente. Les prérogatives traditionnelles du père et du mari y sont peu détaillées. L'autorité du mari en tant que chef de famille reste entière. La femme a le devoir de lui obéir et de lui accorder les égards dus à son rang de chef de famille (art. 39).

La pratique montre que ce devoir est assorti pour le mari du droit d'interdire à son épouse l'exercice d'une profession. Sans doute l'épouse peut-elle se protéger contre ce risque en faisant inscrire dans le contrat de mariage une clause l'autorisant à "sortir travailler" (art. 35). Mais, c'est insuffisant. C'est pourquoi le "droit inconditionnel" au travail est l'une des revendications des militantes qui insistent pour que soit ainsi protégée une pratique de plus en plus courante. Des études ont montré que le travail salarié de l'épouse à l'extérieur du foyer met la prééminence masculine hautement en péril 51(*).

La fidélité, devoir légal, semble poser, en droit musulman classique, deux questions : la première est de savoir l'intérêt du devoir de fidélité pour le mari lorsque la polygamie lui est permise ? La seconde pose le problème du caractère du devoir de fidélité en droit musulman classique. Autrement dit, la fidélité est-elle une obligation réciproque ou, au contraire, pèse-t-elle unilatéralement sur la femme ?

Le rapport entre le devoir de fidélité des époux et la permission polygamique pose en Islam la triple question de savoir : si la fidélité est exclusive comme l'entend la législation occidentale ou si, au contraire, la fidélité s'impose au mari vis-à-vis de ses différentes épouses. Enfin, faut-il nier pareille obligation pour le mari car elle ne présente aucun intérêt en dehors du mariage monogamique ?

La notion de réciprocité dans les droits et devoirs du mariage ne peut s'entendre selon la tradition comme une égalité entre le mari et la femme. Comparée à la notion actuelle de fidélité, cette obligation semble écartée en droit musulman. Il n'y a pas de "respect d'un double engagement vis-à-vis du conjoint". Le problème, en tout cas, n'a pas pu se poser aux premiers légistes puisque l'homme peut avoir jusqu'à quatre épouses à la fois, sans compter un certain nombre de concubines. Il va donc de soi que l'obligation de fidélité ne présente aucun intérêt pour le mari si ce n'est qu'il doit se limiter à quatre épouses. Le concept de fidélité n'aurait donc aucun sens dans un pareil contexte. La réponse à la dernière question relative au caractère de fidélité paraît donc aller de soi en droit classique.

La vertu sexuelle de la femme demeure, en Islam, identifiée à l'honneur familial, d'où l'importance que revêt la claustration des femmes. Dans le mariage, cela pose concrètement le problème de la fidélité conjugale. Au regard de la femme, le Prophète semble avoir régler la question lorsqu'il a déclaré :

"O Hommes, vous avez des droits sur vos femmes et vos femmes ont des droits sur vous. Leur devoir est de ne point souiller votre lit par l'adultère ; si elles le transgressent, Dieu vous autorise à ne plus cohabiter avec elles".

Il n'est donc pas douteux que la fidélité soit un devoir pour la femme. Sa violation ne peut que tomber sous le coup de la loi civile (répudiation) et pénale (lapidation, flagellation). Au regard du mari, le devoir de fidélité pèse indiscutablement sur la femme mais la question de savoir si le mari aussi y est tenu s'est posée.

"Il vous est permis d'épouser les filles honnêtes des croyants et de ceux qui ont reçu les écritures avant vous, pourvu que vous leur donniez leur récompense. Vivez chastement avec elles en vous gardant de la débauche et sans prendre de concubines ".

Certains auteurs ont déduit de ce verset que le musulman marié ne pouvant prendre de concubines serait tenu du devoir de fidélité envers la femme épousée. L. Milliot récuse cette argumentation et propose que la traduction du verset soit rectifiée, notamment à la fin où il y est dit : "Vivez chastement avec elles (...) et ne les prenez pas pour concubines".

Le verset n'impose pas le devoir de fidélité à l'homme, il lui recommande de vivre légitimement avec sa ou ses femmes dans le mariage. Le mari n'est pas tenu du devoir de fidélité envers son épouse, deux arguments peuvent nous interpeller. Il existe dans la loi musulmane un seul terme pour désigner les relations illicites : "az-zinâ" ou "fornication". L'acte est sanctionné surtout si l'auteur est marié.

La loi musulmane règle minutieusement les conditions et les conséquences de l'adultère de la femme mariée qui revêt un aspect particulier en droit musulman classique, connu sous le vocable de "li`âne" ou "serment d'anathème". Il entraîne deux conséquences : d'une part, la dissolution du mariage et, d'autre part, le désaveu de l'enfant conçu ou déjà né. Cette situation se réalise dans certaines circonstances lorsque la femme a été surprise en flagrant délit d'adultère ou lorsque, durant le mariage, elle a été violée et qu'une grossesse s'ensuive ou encore si elle accouche alors que le mari sait ne pas être l'auteur de la grossesse.

Comment décliner la paternité qui incombe au mari en vertu de la présomption légale "l'enfant appartient au lit" ou "al-walad li-l-firâche" ? L'unique sorte de désaveu de paternité reconnue par la loi musulmane, c'est le li`âne. Pour être légalement admis à prononcer la formule, le mari doit être musulman et sain d'esprit. Lorsque la procédure est engagée, le juge vérifie la recevabilité de la prétention et le mari est invité à prononcer le li`âne dans une mosquée devant des témoins. Le juge prononce ensuite la dissolution du mariage. En droit malékite, la femme convaincue d'adultère se trouve à jamais interdite à son mari. Nous constatons que la loi musulmane ne dit rien de l'adultère du mari si ce n'est qu'il encourt la peine de flagellation. Quant au droit positif, il établit une certaine discrimination entre l'adultère de l'homme et celui de la femme.

En réprimant sévèrement la "fornication" (az-zinâ), le Coran, renforcé par la sunna, interdit absolument les relations sexuelles hors mariage. C'est pourquoi, comme le fiqh, le Code de la Famille ne prend aucune disposition concernant les mères célibataires et leurs enfants alors qu'il s'agit d'un vrai problème de société (surtout que, depuis les événements, leur nombre n'a pas cessé d'augmenter : depuis 1992, plus de 8 000 femmes ont été violées, certaines se sont retrouvées enceintes ...). L'adoption palliative utilisée, en fait, par bien des personnes est même formellement interdite (art. 46).

Le code innove, cependant, avec l'institution de la kafâla ou "recueil légal" comme substitut de l'adoption interdite par la lettre du Coran (XXXIII, 4-5) dans l'intérêt des enfants sans famille.

"L'innovation, résultat de l'action conjuguée des associations de postulants à l'adoption, est à mettre à l'actif d'un véritable effort d'acculturation du droit musulman aux besoins actuels de la société, effort réussi d'idjtihâd qui mérite d'être relevé" 52(*).

Les aménagements modernistes concernant la kafâla et la tutelle légale prennent en compte des besoins réels de la société algérienne. Quel que soit son âge, la femme ne peut jamais se marier de sa propre autorité, c'est à son "tuteur matrimonial" (walî) qu'incombe la responsabilité (yatawallâ) de la marier. Sans doute les prérogatives données au tuteur par le fiqh sont-elles quelque peu réduites puisque la traditionnelle "contrainte matrimoniale" (djabr) est désormais interdite (art. 13) mais, ce tuteur n'étant pas autrement défini, il convient, pour sa désignataire, de s'en référer à la Charia (la charge devrait en être dévolue au plus proche parent agnat de la femme : son père, son oncle, mais aussi son fils lorsqu'elle se remarie après un divorce ou un veuvage), comme l'indique clairement l'article 222 53(*).

Cette disposition, qui maintient la femme dans une minorité permanente, surprend dans un pays où celle-ci jouit des même droits politiques et civiques que l'homme et accède effectivement à de hautes fonctions d'autorité dans le gouvernement, la magistrature, la fonction publique, l'entreprise, etc.

Quant à la polygamie, elle reste maintenue non plus comme un empêchement dont on peut être dispensé mais comme une permission réglementée par la Charia (art. 8 et 37). Sans doute la première épouse doit-elle être consultée mais elle ne saurait s'opposer à l'exercice par le mari d'une prérogative que lui accorde la lettre même du Coran en l'assortissant d'une condition d'équité laissée à l'appréciation du croyant (Coran, IV, 2 et 129) ; sa seule ressource est le divorce avec tous les aléas que comporte cette solution (art. 53). Il faut rappeler que sur le terrain, il y a beaucoup d'abus, la pratique judiciaire montre que les hommes (maris) multiplient des manoeuvres dilatoires sans être empêchés pour autant de se remarier, à la différence de l'épouse exclue d'un éventuel "droit à la polyandrie" (art. 30). Nul ne paraît se préoccuper de l'interdiction faite aux hommes par le Coran de retenir les femmes veuves ou répudiées par contrainte (Coran II, 231) !

L'organisation du divorce reste tributaire des principes élaborés par le fiqh qui donne prééminence à l'homme sur la femme, les causes sont définies par le Code de la Famille (art. 48) et le mari conserve son droit exclusif à la répudiation. Sa décision s'impose au juge avec une innovation puisque celui-ci peut infliger des dommages et intérêts (très souvent maigres, l'équivalent de deux mois de salaire) au mari (art. 52). Certaines causes peuvent évoquer comme le "refus de l'époux de partager la couche de l'épouse pendant plus de quatre mois" (art. 5, alinéa 3 ; Coran II, 226). Les preuves sont souvent délicates à rapporter.

Les causes de divorce / répudiation qui installent femmes et familles dans un statut de grande précarité sont vivement contestées par les militantes. La précarité de la situation des divorcées / répudiées est accentuée par le fait que le droit au logement qui leur est reconnu lorsqu'elles ont la garde des enfants est complètement vidé de son contenu par la restriction qu'y met le code : "Est exclu de la décision le domicile conjugal s'il est unique" (art. 52). L'application constante de ce texte, dans un contexte de crise aiguë de logement, a jeté à la rue bon nombre de femmes accompagnées de leurs enfants. La situation est d'autant plus dramatique que, conformément à la philosophie générale de la répudiation dans le fiqh, les jugements de divorce ne sont pas susceptibles d'appel sauf leurs aspects matériels (art. 57). La situation n'est guère plus brillante en ce qui concerne les droits pécuniaires.

On peut relever dans le code d'autres reprises du Coran (mot pour mot) : par exemple, pour la formulation des empêchements de mariage où l'on retrouve l'expression coranique des "femmes prohibées" (muharramât) pour l'homme (Coran, IV, 23-24), c'est donc bien encore l'homme qui se marie tandis que la femme est mariée ; de même pour le "livre des successions" dont tout le chapitre est consacré aux "héritiers à parts" déterminés et qui reprend la liste coranique (Coran, IV, 11-12).

Le Code de la Famille montre clairement ce renforcement de la famille par le contrôle strict de la femme et le caractère plus que démesuré du pouvoir accordé aux hommes sur elles. Les articles suivants sont, à nos yeux, les plus significatifs de la place accordée à la femme à l'intérieur de la famille et du renforcement de la famille patriarcale tribale.

Les articles 2, 8, 9, 11, 12, 14, 19, 36, 37, 38, 39, 48, 52, 53, 54, 62, 65, 66... Ces articles sont extraits du Code de la Famille qui s'apparente très fort au Code de l'indigénat.

2- ÉTUDE/ANALYSE DU CODE DE LA FAMILLE

En Algérie, comme dans tous les États maghrébins ayant constitutionnalisé la religion, le Code de la Famille promulgué le 9 juin 1984, vingt-deux ans après l'indépendance, est fondé sur une lecture interprétative des principes de la Charia. Il rattache l'organisation des relations matrimoniales et parentales au type de la famille agnatique des civilisations patrilinéaires ; il est décrit par les spécialistes 54(*) comme le texte le plus régressif dans la législation algérienne et le plus discriminatoire à l'égard des Algériennes.

Les circonstances de sa discussion à l'Assemblée Populaire Nationale et sa promulgation ne sont pas neutres. En effet, c'est dans une situation de malaise social et économique sans précédent, dans le tourbillon d'une crise identitaire dont le paroxysme a favorisé la montée de l'islamisme et dans le contexte d'une répression massive des militantes de mouvements féministes et d'opposition - entre autres, trois femmes du Comité d'Action contre le Code ont été incarcérées - que ce code a été adopté. Ceci a eu lieu en dépit de la réprobation exprimée lors des discussions et des débats de 1980 à 1984. Les sept femmes députées à l'Assemblée Nationale et les deux femmes ministres du gouvernement en place se sont ralliées au mouvement de protestation mené par les féministes, les moudjâhidâtes (combattantes de la lutte d'indépendance) et des milliers de femmes au foyer ou de travailleuses 55(*).

Ce code donnerait force de loi au droit musulman dans une interprétation équivoque des principes de la Charia et du fiqh et dans un esprit réducteur de l'adaptation de l'Islam (idjtihâd) 56(*) au contexte moderne des relations humaines. Il est en contradiction quasi-totale aussi bien avec la Constitution Algérienne qu'avec les instruments et normes internationales ratifiées par l'Algérie.

Par ailleurs, parmi les quelques aspects positifs de ce code, il y a :

q La fixation de l'âge légal du mariage à 18 ans pour les femmes et à 21 ans pour les hommes, ce qui est conforme à la recommandation des Nations Unies de 1965 qui fixe l'âge minimum à 15 ans (art. 7).

q L'égalité entre les deux époux dans le consentement au mariage, malgré l'obligation de la présence d'un tuteur matrimonial pour la femme (père, parent proche ou juge) (art. 9). Ceci atténuerait du sens de l'égalité si le législateur algérien n'avait pas prévu des dispositions à travers l'article 12 empêchant le père de s'opposer au mariage de sa fille.

q L'article 36 du code des droits et devoirs réciproques pour la sauvegarde des liens conjugaux et les devoirs de la vie commune. Prise dans l'absolu, cette disposition est certes non discriminatoire mais elle perd de son contenu dans la mesure où l'article 19 du même texte donne la primauté dans la relation matrimoniale non seulement à l'homme sur son épouse, mais aussi à la parenté du mari sur celle de la femme. La réciproque n'étant pas de rigueur, les droits et devoirs réciproques semblent ambigus et plutôt discriminatoires !

q L'une des seules dispositions du code totalement égalitaires est celle relative à la liberté et à la maîtrise de l'épouse, et de la femme en général, de ses revenus propres et de son patrimoine (art. 38). Cette disposition, qui est confirmée aux instruments internationaux sur l`élimination des discriminations et sur l'égalité des droits, est fondée sur les principes de la Charia instituant la capacité légale de la femme et sa liberté de gérer ses biens.

Enfin, la tendance à l'inégalité et à la discrimination prédomine dans la quasi-totalité des dispositions du Code de la Famille algérien. L'institution du tuteur matrimonial quel que soit l'âge, le niveau d'instruction et l'activité économique de la femme sont mis en vigueur à travers l'article 11 du Code de la Famille algérien. Par ailleurs, le maintien de la polygamie sous condition de l'acceptation de l'épouse précédente et du traitement équitable entre les épouses (art. 8) constitue un élément d'inégalité entre les sexes. Et ce d'autant plus que la prééminence de l'autorité masculine comme chef de famille est établie dans la relation conjugale (art. 39).

L'inégalité devant la dissolution du mariage est abordée sous forme de la répudiation déclarée devant le tribunal (art. 48). Bien que le divorce par consentement mutuel soit réintroduit par l'article 52, il reste toujours en faveur de l'homme puisque le domicile conjugal lui est dévolu et que l'épouse est tenue de restituer sa dot dans le cas où elle abandonnerait le domicile conjugal, quelles que soient les circonstances.

Après le divorce et dans le cas où la mère qui a acquis le droit de garde des enfants mineurs se remarie, elle est déchue de ce droit. Ceci est en contradiction avec le Code Civil algérien (art. 467), avec la Constitution ainsi qu'avec les principes du droit universel. L'inégalité des droits est, par ailleurs, instituée par des dispositions régissant la relation parentale dans laquelle la filiation légitime est exclusivement paternelle (art. 41.1), la filiation maternelle est de fait interdite. La tutelle sur les enfants est du ressort exclusif du père. La mère d'enfants mineurs, comme partout au Maghreb, n'acquiert cette tutelle qu'en cas de décès ou d'incapacité du père. Le système successoral, qui occupe une place importante dans ce code, ouvre le droit d'héritage aux Algériennes de façon inégalitaire du fait qu'un homme reçoit le double de ce que reçoit une femme.

Enfin et pour conclure ce tableau qui démontre que la loi algérienne régissant le statut des femmes dans la famille est inégalitaire, il est opportun de rappeler la remarque de N. Saadi qui dit : " Ces droits sont appliqués par les Algériens sans faire référence au Coran mais par respect des traditions" 57(*)

a- LE MARIAGE

Aujourd'hui, le mariage s'analyse en un ensemble de liens mutuels entre deux individus amenés à partager une commune destinée. Le mari demeure chef de famille mais les rapports d'autorité et de dépendance tendent à s'affaiblir pour céder le pas aux rapports de réciprocité. On assiste alors a une redistribution des pouvoirs et des fonctions au sein du ménage. Cette conception tend à s'élargir pour devenir la base du nouvel équilibre conjugal.

Ainsi, en matière de mariage - outre l'interdiction faite à la musulmane de se marier avec un non musulman car les enfants suivent la religion de leur père - et comme dans tous les pays de culture musulmane, le Code de la Famille stipule que le consentement de la femme est subordonné à celui du tuteur matrimonial, en l'occurrence le plus proche parent mâle (art. 11). Le père a, en outre, le droit d'empêcher le mariage de la fille vierge mineure ou majeure "si tel est son intérêt" (art. 12).

L'art. 39 prévoit qu'institutionnellement, on doit également lui rappeler sa conduite comme à une petite fille alors que cette dernière est préparée par l'éducation traditionnelle. Le principe selon lequel le mari est le chef consacré par la loi (art. 39) et la doctrine islamique est maintenu par le Code de la Famille. En maintenant cette qualité du mari, la loi reconnaît que l'association conjugale a besoin d'une direction, elle est assurée par le mari. La qualité de chef de famille comporte, bien sûr, la puissance maritale et le devoir d'obéissance que la femme lui doit dans certaines limites.

Par ailleurs, la qualité de chef de famille implique aussi l'idée que le mari a la responsabilité morale de la direction du ménage en dernier ressort. C'est à la femme de s'incliner en cas de conflit. Le mari commande, mais il agit "dans l'intérêt de la famille". C'est ce que décide l'article 36 -1- relatif aux obligations des époux dont celles de sauvegarder les liens conjugaux et de contribuer à la sauvegarde des intérêts de la famille. La qualité de chef de famille reconnue au mari n'est plus l'ancienne puissance lui appartenant sur sa femme et ses enfants, c'est une fonction sociale fondée sur l'affection, elle ne lui est accordée que dans l'intérêt de la famille.

Nouveau concept emprunté au droit français (ancien art. 213 du Code Civil français), la notion d'intérêt du ménage va permettre, pour freiner l'autorité maritale, de faire jouer la théorie de l'abus de droit jusque-là peu ou pas utilisée dans les conflits conjugaux. Dans ce cas, la question ne représentera plus grand intérêt car la répudiation perd de son caractère discrétionnaire et domestique. Il n'appartient plus au mari de "répudier" mais au Juge de "prononcer le divorce".

L'article 36 du Code de la Famille opère, en quelque sorte, un certain bouleversement dans la répartition traditionnelle des fonctions au sein du ménage. En limitant les pouvoirs du mari, la loi a élargi le champ d'action offert à la femme. Afin qu'une véritable association conjugale soit instaurée, il était nécessaire d'équilibrer les obligations personnelles de chaque conjoint pesant jusqu'alors lourdement sur la femme. "La femme contribue à la protection des enfants et à leur saine éducation...". La possibilité est accordée à la mère, en cas d'abandon de famille ou de disparition du mari, d'obtenir un jugement l'autorisant à signer tout document administratif concernant l'enfant (art. 63). Elle peut, enfin, être tutrice de plein droit en cas de décès du mari.

L'article 48 confirme que la dissolution du mariage peut intervenir "par la volonté de l'époux, par consentement mutuel des deux époux ou à la demande de l'épouse dans la limite des cas prévus aux articles 53 et 54". Ce sont des conditions très restrictives. Alors que le droit de répudiation existe sans contrainte pour les hommes, la femme peut emprunter deux voies : le divorce judiciaire (art. 53) ou la répudiation moyennant une compensation financière (art. 54).

L'assistance conjugale est un devoir qui consiste à donner des soins attentifs, à apporter une aide morale et matérielle, un réconfort 58(*). S'agissant d'une obligation de faire, le devoir d'assistance s'exécutera d'une manière insensible dans le mariage. L'assistance relève de sentiments affectifs, c'est un domaine peu juridique à l'instar du devoir de secours et on n'y accède qu'en cas de conflit conjugal. Relevant de sentiments d'affection, elle s'exécute en nature par l'aide et le dévouement que le conjoint apporte à l'autre en cas de maladie, d'infirmité...

Sous cet angle, elle est réciproque. Sous l'angle de l'assistance ménagère quotidienne, la réciprocité semble peu marquée. En effet, la loi musulmane fait obligation à l'épouse de vaquer aux soins du ménage et des enfants. Cette forme d'assistance, la tenue du foyer, est généralement analysée comme une fonction principale de l'épouse. C'est la seule expression d'assistance conjugale que la femme puisse apporter en permanence. En raison de son caractère, la doctrine refuse à l'épouse le droit de réclamer un salaire pour ce travail.

Les codes modernes font de l'assistance conjugale un devoir réciproque, ce qui ne manquera pas d'entraîner une nouvelle distribution des rôles et fonctions dans le ménage. L'assistance évolue en même temps que le statut social de la femme. S'il demeure des femmes asservies au service des maris, assaillies par les travaux ménagers en raison d'une certaine suprématie maritale, dans d'autres couples, en revanche, la fonction d'assistance sous ses aspects tend à devenir ambivalente. Les tâches domestiques sont souvent partagées et ne relèvent absolument pas de l'assistance féminine.

b- LA DOT

Définir la dot dans le monde arabo-musulman, c'est la différencier du douaire qui représente, en Occident, des biens paraphernaux accompagnant la future mariée et offerts par les donneurs. En Orient musulman, ces biens sont offerts à la jeune fille à marier par les preneurs et viennent s'ajouter au trousseau et autres biens mobiliers que les donneurs octroient à leur fille. Dans les deux cas, ce sont des biens qui aident le futur couple à s'installer et, éventuellement, à se stabiliser.

La dot remplit des fonctions diverses dans les pays musulmans :

q Sacrée dans le texte coranique, elle reste, aujourd'hui encore, une condition de validité et un effet du mariage dans tous les codes de statuts personnels, même les plus novateurs (Tunisie) ;

q Moyen de faire valoir, elle consacre la hiérarchie sociale et évite toute mésalliance ;

q Elle peut paraître en dehors de sa faculté sacrée et de son exigence à la validité du mariage et elle est consistante comme une garantie matérielle pour l'épouse.

Quant à son contenu, il peut se chiffrer à des millions (dans certaines régions en Algérie comme à Oran ou Tlemcen) comme il peut avoir une valeur symbolique ou une valeur représentative d'un don (comme de vingt centimes par exemple) comme le font les confréries des marabouts ou les Kabyles. Par la diversité de ses fonctions, elle semble être un régulateur social, économique, culturel et politique.

Considérant l'ampleur du sujet, je n'aborderai pas la relation entre la dot et la virginité mais on peut signaler plusieurs types de dots tels que :

q La dot déterminée ou musâwama dont le contenu et la délivrance sont connus dès la signature du contrat de mariage (basé sur la séparation des biens) ;

q La dot différée ou mu'akhkhar, dont le contenu est connu et la délivrance est différée dans le temps (lorsque la femme divorce, elle demande cette somme : c'est un gage de scurité);

q La dot de parité ou mahr al mith`, que le Code de la Famille reprend sans en connaître les tenants et les aboutissants.

Dans la famille traditionnelle, l'épouse musulmane n'exerce pas de profession rémunérée. Sa fortune ne peut provenir que de deux sources : la dot que son mari lui verse lors de la conclusion du mariage et les biens que sa famille lui remet, qu'il s'agisse du trousseau proprement dit ou d'une fortune personnelle (rarement). Quant au mariage, il fait mettre à la charge du mari l'obligation de répondre aux besoins de subsistance de son épouse quel que soit son degré de richesse.

La dot n'est pas une particularité typique du droit musulman, elle est une condition de validité du mariage qu'il régit, il s'agit d'accorder une importance considérable à la dot non pas en tant que convention matrimoniale mais en tant que condition du mariage lui-même. La dot forme donc un élément essentiel du mariage, mais la question s'est posée de savoir s'il s'agissait d'une condition de validité du contrat de mariage ou d'un élément dont le défaut ne porterait aucune atteinte à l'existence du contrat. C'est la question qui divise la doctrine islamique quant à la nature de la dot qui demeure donc controversée. En revanche, son régime ne varie que très sensiblement d'un rite à l'autre.

La dot, appelée également "mahr", constitue, en droit musulman, un don nuptial stipulé généralement dans le contrat de mariage. Dans le système musulman, elle forme la masse des valeurs fournies par le mari à la femme. Dans la dot, on a cru voir la contrepartie fournie par le mari en échange de la personne (de la femme) car "mahr" désignait le prix d'achat de la femme en Arabie préislamique. Est-ce que la dot est le prix de vente de la femme ? La majorité des doctrines soutiennent l'idée selon laquelle la dot n'est qu'un effet du mariage, seuls les malékites affirment que la dot est une condition du mariage, à défaut de quoi, le contrat de mariage serait nul.

Le législateur algérien attache un respect au rite malékite en la matière car il dispose que le mariage est contracté par le consentement des futurs conjoints, la présence du tuteur matrimonial et de deux témoins ainsi que la constitution d'une dot (art. 9). La dot est donc une condition de formation du mariage. Elle était envisagée comme une garantie pour l'épouse contre les abus du mari : mesure dissuasive, mais aussi moyen de réparation en cas de rupture du mariage puisqu'elle se transforme en don de consolation.

La dot est désormais un élément symbolique du mariage : l'hommage rendu par le mari à sa future épouse sous forme d'un présent de valeur. Elle va même au-delà de cette signification puisque, généralement versée avant le mariage, elle remplit une fonction sociale dans l'intérêt exclusif du nouveau ménage : subvenir aux premières nécessités d'installation du couple. La dot va-t-elle servir à payer en partie le trousseau apporté par la femme ? Quelle que soit la consistance de la dot qui demeure régie par les moeurs et les coutumes, elle est une condition du mariage en Algérie dont le défaut entraîne la nullité.

La jurisprudence française en Afrique du Nord (Algérie, Maroc, Tunisie) a été formelle à cet égard. Ainsi, un ancien arrêt de la Cour de Cassation dispose expressément que : "Le paiement de la dot est un des éléments substantiels du mariage" 59(*).

L'article 14 du Code de la Famille précise que la dot est ce qui est versé à la future épouse... Cette dot lui revient en toute propriété et, très souvent, elle la reverse aux parents pour couvrir les frais du mariage.

Aucun texte ne précise un montant maximum ou minimum de la dot. Toutefois, le Prophète va laisser entendre que la dot pouvait consister en un objet symbolique : "Présente un anneau de fer", a-t-il répondu à un indigent qui se plaignait de ne pouvoir payer de dot 60(*). Cheikh Mahmoud Chaltout, célèbre juriste, explique à cet égard que : "L'élévation du montant de la dot est contraire à l'intérêt des femmes car les jeunes ne seraient pas encouragés à la demande en mariage" 61(*) (valable encore aujourd'hui en Algérie).

Alors que la condition précaire de la femme musulmane ne soulève pas les passions (même chez les femmes elles-mêmes), le problème des dots excessives attire la faveur des deux sexes dans tout le Maghreb où les pratiques ont dépassé toutes les proportions imaginables. Dans certaines régions d'Algérie comme Tlemcen, Constantine... , la fille n'est accordée en mariage qu'au plus offrant. Les familles se livrent à de véritables transactions en contrepartie d'une dot élevée, la femme devra offrir un trousseau d'une aussi grande valeur.

Il arrive que le montant (de la dot) soit inestimable et ne soit même pas discuté. Il est laissé à l'appréciation et à la générosité de la famille du fiancé. Mais il arrive aussi que, sans scrupules, les pourparlers soient engagés afin de s'accorder sur le montant de la dot. Tout s'évalue en argent et si les négociations n'aboutissent pas, il est très aisé de rompre une union sur le point de naître.

Signalons que le trousseau est une pratique qui s'est constituée en marge du droit. Elle ne trouve en fait sa source ni dans le Coran, ni dans la Sunna. Cette pratique immémoriale a pris aujourd'hui figure d'institution ancrée dans les milieux sociaux. Les parents de la femme ont une obligation morale de lui fournir un trousseau, la dot doit être versée par le futur époux. Si le trousseau et la dot sont joints, ils doivent être obligatoirement proportionnés, faute de quoi, la mariée ne serait pas à l'abri de reproches de la part de sa belle-famille.

Le trousseau offert par le père apparaît comme une donation. Il est soumis à toutes les règles qui régissent les libéralités. Pour les malékites et les hanbalites, la donation est irrévocable en vertu d'un hadith qui affirme que : "Aucun donateur n'a le droit de révoquer sa libéralité, sauf le père". Si la donation est faite en faveur du mariage (dot du fils, trousseau de la fille), elle aura un caractère synallagmatique : le donateur a gratifié son descendant dans le but que ce dernier soit marié, si le mariage est conclu, le but est atteint.

L'article 211 du Code de la Famille est demeuré fidèle à cette règle :

Le trousseau n'est qu'une forme de convenance et pour réagir contre ces pratiques excessives, l'article 18 décide que :

"L'époux n'est pas fondé à exiger de sa future un apport quelconque de meubles, literie, effets vestimentaires en contrepartie du sadâq offert".

Obligatoirement dotée par son mari, la femme aura aussi droit à l'entretien, quelle que soit sa fortune.

Ces droits sont appliqués par les Algériens sans faire référence au Coran mais par respect des traditions.

À cela vient s'ajouter le versement d'une dot qui, matériellement et définitivement, marque de son sceau l'infériorité de la femme. De là découle le droit de l'époux à la polygamie et à la répudiation. Toutes ces dispositions ont été proposées comme fondamentalement islamiques par les membres de l'Assemblée Populaire Nationale. Or, selon les chercheurs en sciences islamiques, tel qu'El Assiouty 62(*), il semblerait que la dot et la polygamie soient des survivances pré-islamiques. Aussi retrouvons-nous la dot chez tous les pays historiques :

"C'est le "mohar" des hébreux, le mariage "arsha", "ashoura", dans l'Inde brahmanique, le mariage par achat, la seule forme de mariage connue en Grèce homérique, le mariage compta, le "mundr", "gabe" ou "méta" chez les Germains, le "mahr" des Arabes djahilites" 63(*).

Le versement d'une dot, lors du mariage, doit être compris dans le cadre de la dialectique du don et du contre-don propre aux sociétés traditionnelles où l'exogamie était la pratique dominante. Dans la Mecque préislamique, le mariage est exogamique, c'est-à-dire qu'il s'effectue de groupement à groupement (famille, clan, tribu) par un échange ne pouvant que très difficilement être simultané, le versement d'une contre-valeur s'impose bien moins comme un prix quelconque que comme une indemnité pour la perte provisoire que subit le groupe, en attendant la contre-prestation que présente la cession d'une autre femme, livrée en contre-échange.

c- LA POLYGAMIE

En permettant d'assurer une large progéniture, elle constituait une solution aux problèmes de main-d'oeuvre et de mortalité infantile : survivance préislamique et biblique,

"La polygamie est une institution qui remonte à la civilisation de l'agriculture et de l'élevage" 64(*).

Il est vrai que le Coran autorise la polygamie, mais il impose également au mari d'avoir un comportement équitable envers ses épouses ; et on lit ceci :

"Vous ne serez jamais capables d'agir équitablement à l'égard de vos femmes, quand bien même vous le désireriez ardemment".4(*)

Or, le Code de la Famille maintient la polygamie "si les conditions d'équité entre les épouses sont réunies" et si la première épouse est consentante. Au regard de cette disposition de l'article 37, on se demande pourquoi le législateur n'a pas cru bon de préciser quel motif de remariage peut être considéré comme acceptable par la justice ? Qu'appelle-t-il les conditions d'équité qui doivent être réunies par le mari pour que son remariage soit autorisé ? Il eut été plus simple d'en dresser une liste qui soit suffisamment lourde pour faire de la polygamie un acte impossible. Par contre, il s'agit ici d'autoriser la femme à demander le divorce si elle refuse le remariage de son époux comme si cela était une solution. Est-ce cela qu'on appelle réunir les conditions d'équité ?

Si la première épouse, pour diverses raisons surtout économiques, ne peut demander le divorce, elle se trouve acculée à jouer le rôle de maman de son époux. Il faut supposer, en effet, que l'épouse entretient des rapports mère / fils avec son mari pour imaginer qu'elle puisse tolérer son remariage, sans trop de dégâts psychiques. Dans un pays comme l'Algérie où un véritable culte est voué à la jalousie masculine, où il est, par conséquent, possible de mesurer la valeur affective de la relation conjugale, l'institution de la polygamie suppose ceci : ou bien la femme est supposée incapable de ressentir la jalousie donc de l'amour aussi, ou bien l'homme est décidé à passer outre. Dans les deux cas, même s'ils se trouvent souvent amalgamés, le mépris de la femme est flagrant. Et pour cela, la polygamie est d'une cruauté illimitée.

L'article 8, qui concerne la polygamie, précise que si les épouses précédentes ne consentent pas au remariage du mari, elles peuvent demander le divorce. Le consentement des épouses n'est donc pas une condition nécessaire puisqu'elles ne peuvent pas empêcher le remariage. Le mari est seulement tenu de les informer. En cas de décès du mari, s'il y a une descendance, la veuve n'a droit qu'au huitième de ce que laisse son mari alors que le veuf a droit au quart (art. 145 et 146) et, en matière de succession, "au partage, l'héritier mâle reçoit une part de succession double de celle de l'héritière" (art. 172).

En fait, le mari acquiert le droit à la polygamie et à la répudiation par l'obligation d'entretien qu'il doit à son épouse. Ainsi, ce qui est considéré comme étant un privilège accordé à la femme représente, si on y regarde de plus près, une perte pour elle. Motif d'un chantage éhonté qui touche à la dignité même de la femme, l'obligation faite au mari d'entretenir sa femme se retourne contre cette dernière comme un boomerang. En effet, en échange de cet entretien, la femme doit céder une partie de ses droits, à commencer par sa liberté de mouvement. Elle doit, par exemple, demander à son mari l'autorisation de rendre visite à sa famille et ce droit de regard la met dans la même position que ses enfants. Ecartée des responsabilités sociales, elle se voit transformée en enfant incapable de se contrôler elle-même et ignorant les dangers réels ou fictifs de la rue.

Le rôle de la femme-enfant se trouve, dès lors, être le deuxième rôle que doit jouer la femme, après celui de la mère. Quant à l'homme, grâce à un nouveau renversement de la situation, l'entretien de sa femme le valorise socialement et sa femme lui doit sa reconnaissance. Au regard de ce processus, je constate que nous sommes loin de la fameuse libération de la femme en raison du droit qu'elle a de se faire verser une dot par son époux. Appréhendée dans sa signification historique, on peut comprendre que, dans une Arabie où dominait le mode de vie tribal et où la pratique de l'exogamie était la pratique dominante, la perte d'un membre du groupe soit compensée par un don.

Mais aujourd'hui, le processus de mise en place d'une société moderne étant en voie de réalisation, la signification de la dot doit changer. En effet, le mariage n'est plus un échange entre groupes socio-économiques vivant en autorail et dans lesquels le départ d'une femme peut-être considéré comme la perte d'une force de travail pour une famille. Le mariage revêt une nouvelle signification, celle de l'union légalisée entre deux individus dans le but de créer une famille.

d- LE DIVORCE ET SES CONSÉQUENCES

Le problème du divorce est, lui aussi, une des plaies de la société algérienne contemporaine. Alors que, selon les chiffres, leur nombre va en croissant d'année en année, le Code de la Famille a proposé de perpétuer les facilités de rupture du lien conjugal.

Dans l'Islam, deux formes de répudiation sont prévues et, pour chacun des cas, il est exigé la prononciation rituelle. Dans le premier cas, la répudiation est révocable (talâq radj`î) : il est accordé au mari quelques mois de réflexion avant que le divorce ne devienne effectif. Dans le second cas, la troisième répudiation est considérée comme irrévocable : réépouser une femme répudiée trois fois est strictement interdit par la religion musulmane sauf si elle a, entre-temps, contracté mariage avec un tiers (El Mouhallal : rendre la femme licite).

Conformément à l'article 37, la femme qui fuit un époux violent, par exemple, pour se réfugier chez ses parents peut être ainsi considérée comme ayant abandonné le domicile conjugal. Cette cohabitation forcée doit subsister même durant la période précédent un divorce sur l'initiative de l'épouse. Quelle que soit l'attitude du mari, celle-ci doit continuer à vivre avec lui sous le même toit jusqu'à la prononciation du divorce au risque de devenir "coupable" d'abandon du domicile conjugal et de voir le divorce prononcé à ses torts.

Dans la procédure de répudiation par compensation, la femme achète sa propre répudiation à son époux. Alors que n'importe quelle femme a le droit, en théorie, d'y recourir, certains juges soumettent, semble-t-il, cette sorte de "rachat" à l'autorisation préalable du mari qui peut ne pas l'accorder. Beaucoup de femmes ne peuvent racheter leur liberté car il leur est demandé des sommes faramineuses afin de les dissuader de leur demande de divorce. Ainsi, leur divorce reste en suspens (ni divorce, ni entretien du mari et, bien sûr, sans pension alimentaire) : cela peut durer plusieurs années (sans pouvoir également se remarier : leur vie de femme s'arrête !). De son côté, le mari qui veut répudier son épouse se contente de manifester sa volonté devant le tribunal qui est obligé de prononcer le divorce.

Si le divorce peut avoir un effet dramatique sur le devenir social et affectif de la femme (la prostitution devient de plus en plus importante), il a un effet dramatique, aujourd'hui, sur le développement de l'enfant. En effet, dans la société

traditionnelle, l'enfant n'est pas pris en charge uniquement par sa mère, tous les membres de la famille élargie, tantes et grands-mères, interviennent dans son éducation.

L'article 87 confie au seul père la tutelle des enfants mineurs. Celle-ci ne peut être exercée par la mère qu'après le décès de l'époux. Même en cas de divorce et même si la garde des enfants échoit à la mère, le père conserve seul la tutelle. Cette disposition, comme on le verra plus loin, peut avoir des conséquences dramatiques si le père disparaît dans des circonstances inconnues. On assiste alors à un blocage total du cours normal des affaires familiales : allocations familiales non versées, situations scolaires bloquées...

Il faut rappeler qu'un enfant ne peut sortir du territoire algérien sans l'autorisation de son père ou du procureur (ou juge) quelle que soit la situation (parents séparés ou divorcés, parents de mariage mixtes...).

En cas de séparation des parents, le droit de "hadâna" (droit de la mère à garder son enfant), la solidarité communautaire et la conception "humaniste" des relations sociales viennent tempérer un tant soi peu les retombées psychoaffectives du divorce sur l'enfant. Ce dernier, pouvant continuer à circuler entre les deux familles qui l'accueillent avec une tendresse égale, voit normalement son père. Le divorce étant une pratique courante, le groupe, en prenant en charge l'enfant, rend cette séparation moins dramatique.

En ce sens, le divorce n'est pas considéré tout à fait comme un drame, la femme pouvant facilement se remarier, plusieurs fois même, à condition de respecter le délai de trois mois imposé par la religion entre deux mariages successifs. Les facilités du mariage et du divorce impriment, il est vrai, au mariage et à la famille qui en résulte un caractère d'instabilité, lequel peut devenir dangereux pour l'équilibre des parents et des enfants. Ce d'autant plus que la famille n'est pas celle fondée par les deux époux et leurs enfants, mais comprenant également les ascendants et descendants de l'époux. Et parfois, ceux de l'épouse. Cette dernière, hantée par l'obsession du divorce, considère sa présence dans sa belle-famille à la limite comme provisoire et continue à entretenir des relations privilégiées avec sa propre famille. Ce n'est souvent que lorsqu'elle aura marié son fils qu'elle commencera à s'identifier aux intérêts de son époux, le fils jouant le rôle de protecteur de la mère contre les vexations qu'elle aurait à subir de son père.

Mais, l'industrialisation et l'urbanisation font éclater progressivement la cellule familiale traditionnelle qui a tendance à se transformer en famille nucléaire se réduisant au couple et à ses enfants (voir chapitre espace privé/public) et ceci constitue une donnée qui semble irréversible. En effet, en raison de cette évolution, les statuts et les rôles assignés à l'homme et à la femme sont en mutation rapide. Les relations familiales et, plus particulièrement, les relations entre couple et leurs parents respectifs ont changé.

Les grands-parents acceptent de plus en plus difficilement de prendre en charge les enfants du couple divorcé. La femme divorcée ne peut plus retourner aussi aisément chez ses parents, ni se remarier facilement. En raison de l'exiguïté des logements et leur rareté, en raison du changement de société qui s'opère.

Le divorce devient maintenant un vrai drame social. La femme répudiée, selon les formes traditionnelles, même si elle a une formation universitaire, a des difficultés énormes à se faire accepter socialement. Vit-elle seule ? Voilà la traditionnelle qualification de prostituée qui la guette : la société hantée par l'idée de la prostitution n'imagine même pas la possibilité d'une relation amicale entre un homme et une femme.

Les raisons du divorce ont tendance à devenir multiples : la cohabitation avec la belle-famille est de plus en plus refusée par la jeune épouse. Si celle-ci est obligatoire, ce qui est souvent le cas en raison de la tradition et parfois de la simple crise de logement qui sévit en Algérie,. La tutelle de la belle-mère est refusée de façon de plus en plus systématique par la belle-fille, même lorsqu'elle est analphabète car elle tient à fonder une famille dont elle sera membre à part entière. Cette affirmation de sa dignité, qui est aussi un refus des anciennes modalités de vie, constitue souvent pour la femme un motif de divorce.

Une autre raison de divorce est constituée par l'exercice d'une activité salariée qu'exigent un nombre croissant de femmes. Le mari, obéissant au système de valeurs traditionnelles, considère l'apport d'un salaire par son épouse et sa fréquentation d'un milieu professionnel à composition essentiellement masculine comme une atteinte à son honneur, à sa "masculinité" pour tout dire. L'honneur d'un homme n'est-il pas constitué autour de l'obligation que lui pose la société d'entretenir sa femme? Ne lui fait-elle pas croire à la fidélité de sa femme ? Doit-il croire seulement à la soumission de sa femme, laquelle est basée sur sa dépendance économique ?

La société lui enseigne que la femme, incapable de se contrôler elle-même n'est fidèle que par peur et non par choix. La femme mariée, si elle exerce une activité salariée, se trouve la dépositaire de l'honneur de son mari qu'elle doit défendre contre une opinion sociale tatillonnée. Lourde charge qui amène certaines travailleuses à ne jamais adresser la parole à leurs collègues masculins en dehors du travail.

En outre, la situation est aggravée pour la femme répudiée qui n'a pratiquement jamais droit au logement car l'article 52 ne lui permet pas de garder le domicile conjugal, s'il est unique. Il est évident qu'il eut suffit d'écrire que la femme divorcée ayant la garde des enfants n'a pas droit au logement et les choses auraient été plus claires quand on sait que l'Algérien moyen a, parfois, un logement. Quant aux cas extrêmement rares, on pourrait créer des dispositions particulières les concernant.

L'article 52 prévoit que le domicile conjugal revient à l'homme après le divorce même si la femme a la garde des enfants (sa voisine tunisienne garde toujours le logement conjugal). Si aucun tuteur n'accepte de l'accueillir, elle n'a droit à un logement fourni par l'ex-mari que selon les possibilités de ce dernier. Elle risque donc de se retrouver à la rue avec ses enfants alors que le mari conserve l'ancien domicile conjugal. Qu'elle ait été répudiée sans appel ou contrainte à racheter sa liberté, le statut social de la femme se trouve changé, accompagné du regard traditionnellement péjoratif porté sur "la divorcée". Résulte de cette séparation une instabilité économique pour une majorité de femmes analphabètes et jusque-là sans emploi, des femmes et leurs enfants se retrouvent à la rue tandis que le mari jouit seul ou avec une autre épouse du logement conjugal.

Cette façon de présenter les choses est d'autant plus choquante qu'elle se trouve en retrait avec les dispositions du Code Civil lui-même qui stipule dans son article 467 que :

"En cas de divorce, le juge peut désigner l'époux qui bénéficie du droit au bail, compte tenu des charges par lui assumées, notamment la garde des enfants".

La jurisprudence établie par la Cour Suprême donne le droit au logement à la mère qui a la garde de plus de deux enfants (en réalité même avec 8 enfants, la mère se retrouve à la rue ou chez ses parents). Si elle a plusieurs enfants à charge, seul le juge de la Cour Suprême peut apporter son appréciation.

On se demande comment on peut attendre d'une mère qui a plusieurs enfants à charge et à laquelle le droit au logement n'a pas été assuré de pouvoir respecter les dispositions de l'article 62. Il suffit que le père démontre que la mère n'a pas les moyens d'entretenir ses enfants, ce qui est généralement très facile, pour que la garde lui soit retirée, sachant que les pensions alimentaires sont dérisoires (200 dinars par enfant, soit l'équivalent 17 euro par mois).

Or, l'expulsion de l'épouse répudiée ou divorcée de son domicile est contraire à l'esprit du Coran. N'y est-il pas dit ceci :

"Ne les sortez de leurs maisons que si elles commettent un acte immoral prouvé. Là sont les limites de Dieu et celui qui transgresse les limites de Dieu, se fait justice à lui-même" 65(*).

Voilà donc un verset du Coran qui aurait pu donner matière à réflexion à nos députés, alors qu'ils se réclament à corps et à cris de l'Islam. En fait, les droits retirés à la femme ne l'ont été qu'au nom de la tradition, de la politique et de la toute bête crise de logement.

Le seul point qui reste plus ou moins positif dans ce code demeure le droit donné à la jeune épouse de se marier avec l'homme de son choix même si son tuteur matrimonial s'y oppose, comme le prévoit l'Islam. Mais le législateur s'est cru obligé de rajouter une petite phrase sublime qui annule ce que l'article 12 vient de poser : "Si celui-ci (le mariage) lui est profitable".

Avant d'achever cette réflexion, il faut faire référence à l'article 39 qui stipule que l'homme peut exiger de sa femme qu'elle allaite ses enfants. On hésite entre le rire et la colère qui finit par l'emporter vu le caractère loufoque de cette proposition. Les députés avaient-ils poussé leur misogynie jusqu'à dépouiller la femme de l'instinct maternel ? Face à cet obscurantisme triomphant, on ne peut que rester songeur et comprendre enfin où l'extrémisme religieux a pu commencer à faire son nid.

On pourrait continuer longuement cette énumération des dispositions du Code de la Famille mais inutilement, tant il est clair qu'il a été réalisé pour défendre les intérêts de l'époux au détriment de ceux de l'enfant et de sa mère. La loi n'est que l'expression, sous forme schématique, d'une réalité sociale et il eut été inconvenant d'imaginer qu'on pouvait y trouver autre chose que ce qu'on a trouvé. Mais ceux qui se battent aujourd'hui pour la mise en place d'un État de droit doivent se rendre compte que la réforme du Code de la Famille n'est pas un cadeau à faire à la femme par bonté mais bel et bien le premier acte politique réel qui engage tout l'avenir d'une société.

La réforme de l'école, qui doit apprendre aux enfants les paradigmes fondamentaux de la modernité qui sont : tolérance, civisme et égalité devant la loi, fait partie de cette bataille qui, si elle n'est pas gagnée aujourd'hui et vite, risque d'être perdue pour très longtemps.

Le Code de la Famille montre clairement ce renforcement de la famille par le contrôle strict de la femme et le caractère plus que démesuré du pouvoir accordé aux hommes sur elle. Les quelques articles choisis sont ceux qui, à mes yeux, sont les plus significatifs de la place accordée à la femme à l'intérieur de la famille et du renforcement de la famille patriarcale tribale.

En signant puis en ratifiant, en 1996, la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes, le gouvernement algérien avait émis des réserves qui découlent du Code de la nationalité mais surtout du Code de la Famille en vigueur.

Comme à d'autres occasions, et notamment devant d'autres mécanismes de l'O.N.U., le rapport algérien énonce, d'entrée de jeu, les articles de la Constitution qui posent l'égalité entre les sexes et ajoute que :

" (...), la loi algérienne veille à ce que dans aucun domaine de la vie il n'y ait de distinction entre l'homme et la femme qui jouissent ainsi d'une totale égalité en droits et en devoirs" (page 14 du rapport algérien, in La Convention sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes de 1996).

Cet énoncé n'a en fait aucune portée réelle en raison de la réserve formulée par l'Algérie concernant l'article 2 de la constitution qui exige notamment, faut-il le rappeler, de :

"Prendre toutes les mesures appropriées, y compris les dispositions législatives, pour modifier ou abroger toute loi, disposition réglementaire, coutume ou pratique qui constitue une discrimination à l'égard des femmes".

En effet, si l'Algérie n'avait pas formulé cette réserve, elle serait tenue de réviser très substantiellement voire d'abroger le Code de la Famille qui organise, d'une manière on ne peut plus claire, l'infériorité juridique de la femme. Les autorités semblent, d'ailleurs, tout à fait conscientes de cela puisque le rapport officiel stipule que :

En l'état, force est de constater que la législation algérienne, et plus particulièrement le Code de la Famille, organise sur plusieurs points la subordination légale des femmes algériennes et entrave la jouissance de leurs droits. D'ailleurs, le Code de la Famille viole de nombreuses dispositions de la Convention et notamment les articles 2, 15 et 16. Il faut, enfin, relever que dans l'attente de l'adoption par l'Assemblée Populaire Nationale du projet d'amendements, l'article 39 du Code est en contradiction flagrante avec l'article 5 de la Convention pour lequel l'Algérie n'avait pas émis de réserve.

À travers cette étude du Code de la Famille, j'ai essayé de montrer comment cette lutte politique, qui se déroulait, continue aujourd'hui au sein de l'A.P.N. (Assemblée Populaire Nationale) d'un État de droit.

3- COMPROMIS ET RÉSISTANCE

"L'adoption de ce texte vise à la correction des dysfonctionnements apparus tout au long de la mise en oeuvre du Code de la Famille et à donner un sens plus concret au principe de l'égalité des droits de l'Homme et de la Femme que la Constitution a consacré dans l'intérêt de la famille, de la société et dans la fidélité à nos principes et à nos valeurs spirituelles et civilisationnelles authentiques".

C'est en ces termes que l'ancien Président Liamine Zéroual (1979-1990) a annoncé, dimanche 24 mai 1988, l'adoption en Conseil des ministres du projet de texte portant amendement du Code de la Famille. Il a ajouté que :

"La condition de la femme s'est améliorée depuis la lutte de libération nationale. Il reste que sa promotion constante exige encore des efforts... Cette promotion est loin d'être subordonnée uniquement à un quelconque effort de modernisation de notre arsenal juridique qu'elle ne l'est de certaines pratiques et pesanteurs sociales encore persistantes".

En prononçant ces mots, l'ex-président a montré qu'il était conscient que la question de la femme en Algérie continuera encore longtemps à soulever les passions.

Les débats autour du Code de la Famille datent d'avant l'indépendance. Ils se sont poursuivis par la suite, revenant régulièrement à chaque changement de conjoncture politique. On peut affirmer que l'histoire de l'Algérie indépendante a vibré régulièrement au rythme de ses femmes, prouvant ainsi que, d'une part, la société algérienne est encore à la recherche de son identité et que, d'autre part, ce sont les femmes qui marqueront de leurs empreintes cette identité. Même si les pouvoirs publics ne cessent de répéter que leur principal souci est d'assurer une plus grande harmonisation de la famille dans la société, c'est toujours autour de la place de la femme dans cette société que s'articulent, inévitablement, les débats.

Entre les différentes positions qui se sont exprimées, le gouvernement semble avoir opté pour une attitude de juste milieu. Le R.C.D. (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie), le F.F.S. (Front des Forces Socialistes) et le M.D.S. (mouvement pour la Démocratie Sociale, communiste) sont pour l'abrogation pure et simple de ce code et son remplacement par des lois civiles tirant leur source du droit positif. Les partis islamistes, le M.S.P. (Mouvement de la Société pour la Paix, membre de la coalition gouvernementale) ou NAHDA (dans l'opposition), sont farouchement opposés à cette idée. Pire, ces derniers estiment que le code actuel est encore en deçà des exigences de la Charia.

Quant au F.L.N., qui était l'unique parti existant en Algérie au moment de l'adoption du code en 1984, il a rallié les positions dominantes au sein du gouvernement. Il faut bien admettre que, tout en ne donnant pas totalement satisfaction aux revendications des féministes, le gouvernement a tenté, dans les amendements qu'il propose et chaque fois que possible, d'introduire des notions allant dans le sens de plus de liberté pour les femmes et supprimant les archaïsmes flagrants que comporte le code. L'abrogation pure et simple de l'article 39 en est un exemple.

C'est en vertu de cet article qu'un mari peut aujourd'hui interdire à son épouse de travailler. Les rédacteurs des amendements ont même renversé la tendance en ajoutant un alinéa à l'article 37 qui stipule :

"Le mari est tenu de faire preuve de prévenance à l'égard de son épouse et préserver son honneur et sa dignité".

Ainsi, pour la pratique de la polygamie qui, sans être abolie, deviendra quasiment impossible. Elle sera désormais soumise à autorisation du juge, lequel devra tenir compte, d'une part, de la capacité de l'époux à assurer une équité totale dans son comportement envers ses épouses. En proposant cet amendement, le gouvernement se met à l'abri des critiques des islamistes. Il peut, en effet, arguer du fait qu'il ne fait que se conformer aux préceptes du Coran, lesquels insistent sur la notion d'équité que doit assurer le mari envers ses épouses.

Les plus grands changements concernent le divorce. Parmi les amendements avancés, celui de l'article 53 permettra aux femmes de demander le divorce "pour impossibilité de vie commune et d'entente". Cette nouvelle disposition rendra les époux presque égaux devant le divorce. Autre nouveauté au sujet de la tutelle (article 65)

Le gouvernement tente, par ces amendements et au risque de déplaire à ses partenaires de la coalition gouvernementale, de ratisser large. De cette manière, il donne des gages aux femmes - nombreuses - qui ont voté pour lui et il assure, par ailleurs, tous ceux qui avaient exprimé leurs appréhensions devant l'entrée des islamistes au gouvernement.

Pour ne pas trop heurter ses alliés, il s'est bien gardé du reste d'apporter un quelconque correctif concernant l'héritage, lesquels comportent des inégalités et des archaïsmes flagrants. Certaines féministes ne comptent pas, quant à elles, faire l'impasse sur ces "oublis".

Opposant les modernistes laïques aux conservateurs proches des islamistes, le Code de la Famille a toujours servi de monnaie d'échange, voire de moyen de chantage entre ces groupes. Il a, en vérité, souvent servi d'exutoire à d'autres problèmes politiques. C'est ainsi qu'en 1972, le président Boumédiène avait relégué cette question aux oubliettes afin de faire passer sa réforme agraire à laquelle les conservateurs étaient farouchement opposés. Dans une société qui reste, malgré tout, profondément attachée aux valeurs traditionnelles et à laquelle le discours moderniste post-indépendance n'a pas apporté tout le bien-être promis

Or, s'il est difficile d'en appeler aux valeurs traditionnelles lorsqu'il s'agit d'économie ou de progrès technique, le domaine privé familial reste la proie facile de toutes les théories rétrogrades. C'est pourquoi, prenant le relais des conservateurs de l'ex-parti unique, les islamistes ont choisi comme terrain de prédilection pour leur propagande la place de la femme dans la société. Car il faut bien admettre que les tenants du retour aux valeurs traditionnelles s'appuient sur une réalité sociale : sur une population de trente millions d'âmes, près de 40 % sont analphabètes, dont la majorité sont des femmes. Pour cette catégorie de la population, ces valeurs traditionnelles sont le seul refuge vers lequel elle se tourne lorsqu'elle n'a plus de repères ou que les autres discours lui deviennent étrangers.

Si l'on ajoute à cela le fait que nombre de femmes citadines et cultivées sont acquises aux idées islamistes, il reste très peu de place pour celles qui prônent des lois civiles tirant leur source du droit positif. Il est aussi vrai que, dans la perception de beaucoup d'Algériens - pas forcément islamistes -, la lutte des femmes pour l'égalité des droits reste assimilée à un avatar du colonialisme et à un mimétisme des femmes occidentales. Pour eux, le retour à la tradition est la dernière étape de la "décolonisation  des mentalités" longtemps réclamée - avant et après l'indépendance - par de nombreux Algériens.

Les promoteurs du texte revendiquaient, pour leur part, un droit de la famille "nationale", "décolonisée" et tirant ses sources de l'identité algérienne. Mais les dirigeants du pays de l'époque le rejetèrent d'autant plus facilement que la première constitution algérienne (1963) affirmait, dans son article 12, l'égalité des sexes.

Les femmes, encore dans l'ambiance "révolutionnaire" d'alors, ne s'étaient pas laissées faire. Des mouvements de protestations avaient vu le jour dans les universités, les lycées, les lieux de travail. C'est surtout par pragmatisme que les autorités d'alors n'ont pas cédé aux pressions des conservateurs. L'exode massif des colons au lendemain de l'indépendance exigeait, pour les remplacer, d'utiliser toutes les potentialités disponibles.

Les femmes, et pas seulement pour les emplois subalternes d'entretien et autres, représentaient à cet égard une source considérable de main-d'oeuvre. Les écoles, les hôpitaux, les administrations, les usines, etc. avaient employé un nombre important d'entre elles. Aujourd'hui, on peut dire que c'est encore le pragmatisme qui guide l'action du gouvernement. En effet, si la proportion des femmes travailleuses par rapport à la population active reste faible (elle est passée de 8 % en 1987 à 14 % aujourd'hui), elle est tout de même constituée essentiellement de cadres hautement qualifiées dont il serait difficile de se passer. Dans deux secteurs au moins, l'enseignement et la santé, elles sont majoritaires y compris aux postes les plus élevés.

Par ailleurs, la détérioration de la situation économique, d'une part, ainsi qu'une réelle prise de conscience, d'autre part, font que la condition des femmes a pris aujourd'hui une toute autre tournure. Elles arrivent de plus en plus à grignoter des espaces de liberté. Si, jusqu'au milieu des années 1980, les travailleuses étaient en majorité des diplômées qui occupaient des postes de cadres, aujourd'hui, on les retrouve à tous les niveaux de la hiérarchie et, notamment, à des emplois habituellement réservés aux hommes. Il n'est plus rare de voir des jeunes femmes tenir des commerces . Ce qui, il n'y pas si longtemps encore, était perçu par la société comme une honte pour la famille. De même, les emplois qu'elles exercent à domicile (couture, coiffure, confection de gâteaux ou de plats cuisinés, etc.) participent pour une bonne part dans l'économie informelle, par définition difficile à mesurer mais bel et bien croissante : par choix ou nécessité.

4 - LE PROJET D'AMENDEMENTS : QUELQUES RETOUCHES

Mis en chantier, notamment, du fait de l'adhésion de l'Algérie à la Convention, le projet d'amendement du Code de la Famille algérien constitue-t-il une véritable avancée dans la lutte contre la discrimination à l'égard des femmes ?

Le projet d'amendement déposé par le Gouvernement en janvier 1999 prévoit en l'état l'amendement des articles 8, 9, 12, 37, 38, 40, 52, 52 bis, 53, 63, 65, 65 bis, 73, 80, 120, 169, 170 et 212 d'un texte qui en compte 222.

Sur quatre points, cet avant-projet de loi pourrait constituer une avancée plus ou moins notable. Ainsi, la femme divorcée ayant obtenu la garde de ses enfants serait assurée du "maintien au domicile conjugal" ou de la fourniture, par l'ex-mari "d'un logement décent". Une nouvelle justification, "l'impossibilité de vie commune et d'entente" s'ajouterait aux motifs légitimes de divorce pour la femme et devrait lui permettre d'échapper à l'exigence redoutable de la preuve d'une faute "grave" du mari. En troisième lieu, un amendement prévoit l'ajout d'un paragraphe disposant "qu'il peut avoir procédé après autorisation du juge à une saisie sur salaire de l'époux ou sur ses biens", disposition d'une importance capitale pour la femme démunie de ressources et ayant la charge de ses enfants. Cependant, comme pour le deuxième amendement projeté, l'efficacité d'une telle disposition dépendra de l'interprétation qui en sera faite par les juges.

Enfin, l'amendement projeté de l'article 8 devrait protéger théoriquement les femmes contre le recours à la polygamie. Celle-ci ne serait plus autorisée que :

"Au moyen d'une autorisation délivrée par le juge, si le motif est justifié, les conditions et l'intention d'équité réunies et après consentement préalable des précédentes et futures épouses".

D'autres amendements constituent, de prime abord, un progrès mais leur mise en oeuvre pourrait être lente et difficile. Mais alors que, dans le Code en vigueur, le père peut s'opposer au mariage de sa fille, l'avant-projet prévoit que le juge peut l'ordonner si tel est le désir de la fille en question et si le tuteur est présent lors de la conclusion du mariage. On peut se demander comment cette dernière obligation sera remplie par le tuteur qui vient justement de s'opposer au mariage ?

On ne parlera même pas ici des simples modifications de pure forme consistant, par exemple, à remplacer l'expression "le mari est tenu d'agir en toute équité envers ses épouses", par une autre formulation tout à fait équivalente (art. 37). L'abrogation de l'article 39 du Code de la Famille lève la contradiction relevée plus haut avec l'article 5 de la Convention et débarrasse la législation algérienne d'une disposition particulièrement choquante qui maintenait clairement la femme dans un statut de subordination par rapport à son mari.

Au total, on ne peut que déplorer le caractère mesuré des avancées contenues dans cet avant-projet de loi amendant le Code de la Famille. À supposer qu'il soit adopté rapidement, le Code de la Famille "rénové" maintiendra la subordination des femmes sur au moins quatre questions essentielles : la répudiation, la tutelle des enfants, la présence d'un tuteur lors du mariage (même si c'est un juge) et la polygamie qui reste possible même si elle est juridiquement contrôlée.

Les autorités algériennes invoquent l'état des mentalités pour refuser de considérer une abrogation pure et simple du Code et n'envisagent pas, d'évidence, une levée à moyen terme des réserves émises lors de la signature de la Convention. Cette levée ainsi que la publication du texte de la Convention dans le journal officiel permettraient aux femmes algériennes qui le souhaitent d'invoquer ce texte devant les juridictions nationales. Les autorités algériennes manifesteraient ainsi leur volonté d'adopter des mesures appropriées pour :

"Modifier les schémas et modèles de comportement socioculturel (...) en vue de parvenir à l'élimination des préjugés et des pratiques coutumières (...) qui sont fondés sur l'idée de l'infériorité ou la supériorité de l'un ou l'autre sexe (...)".

Les spécificités ne peuvent pas non plus dégager l'État de ses responsabilités : contenu de l'éducation et des valeurs qu'elle véhicule. Les corps organisés comme la justice, l'administration, la police, la santé sont autant d'acteurs qui participent activement à déterminer le climat de violence ou de non-violence à l'égard des femmes.

IV- LA CITOYENNETÉ DES FEMMES ET L'ÉGALITÉ

DES DROITS

En Algérie, l'évolution de la question féminine puise ses origines dans la dialectique qui s'établit entre le positivisme juridique et l'action collective d'une composante sociale qui, à force d'avoir participé aux mouvements nationaux d'indépendance au même pied d'égalité avec les hommes..., se découvre l'ambition de promouvoir sa condition de vie en conformité avec les principes élémentaires de liberté, de citoyenneté et des droits de l'homme 66(*).

Le positivisme juridique qui caractérise les pays du Maghreb n'est pas toujours l'émanation d'une réalité sociale conflictuelle porteuse de changements structurels, il est souvent le fait d'impératifs économiques ou politiques recourant aux formes modernes de la rationalité.

Aujourd'hui, au nom de ce positivisme juridique et par volontarisme politique, la femme se trouve enfermée dans des schémas imposant la négation permanente du caractère multidimensionnel de sa condition et de son statut. La problématique définie vers les années soixante-dix à partir de l'approche des besoins essentiels (ou besoin humain fondamental) et du nouvel ordre économique international (N.O.E.I.) 67(*) illustre bien cette vision partielle qui dénote, en fait, une incapacité des États à percevoir la femme comme un vecteur primordial de développement et de progrès social.

Cette approche sera, d'ailleurs, mise en cause quant à l'utilité de ses principes pour les femmes du fait :

"Qu'ils se cantonnent aux aspects légaux, politiques et institutionnels des inégalités sans faire mention des changements d'attitudes qui restent nécessaires" 68(*).

Le concept de "l'intégration des femmes au développement", dont l'émergence coïncide avec la proclamation par les Nations Unies de la décennie de la femme lors de la Conférence mondiale de Mexico (1975), permettait d'espérer encore une fois la fin des inégalités avec l'entrée en force des femmes dans l'économie de marché.

En Algérie, comme partout dans le monde, la question de la nature même du développement n'était posée que dans un cadre restrictif de la croissance économique. Toute vision féministe du développement était considérée comme marginale et irréaliste. La situation des femmes au plan économique allait en empirant, d'autant que le travail n'était pas toujours reconnu dans les statistiques et dans les comptabilités nationales.

La santé, l'éducation et l'emploi des femmes ont certes été considérés par les planificateurs et les décideurs algériens comme des objectifs et des investissements à long terme et d'intérêt national. Ceci explique les progrès remarquables. Néanmoins, le déficit social qui s'est accumulé au détriment des femmes dans les domaines économiques et politiques n'est plus à démontrer.

Vingt ans après la proclamation de la décennie mondiale de la femme, le triptyque "Égalité, Développement et Paix", qui a fait office de slogan lors de la Conférence Internationale des Femmes de 1995 à Beijing (Chine), prouve que le débat reste d'actualité et dénote d'une évolution lente de la condition féminine mondiale. Mais, s'il est évident que "l'égalité des chances entre hommes et femmes ne se rencontre dans aucune société actuelle" comme l'affirme le P.N.U.D. 69(*), il est encore plus difficile d'affirmer que les droits des femmes algériennes seraient des acquis irréversibles.

En effet, une adhésion Internationale autour des valeurs avancées depuis les Conférences de Vienne, de Copenhague et du Caire semble être acquise : la Conférence de Vienne a fait triompher le principe de l'universalité des droits de l'homme et celle du Caire a valorisé celui de la spécificité des cultures. Après Beijing, c'est la dialectique de ces deux termes qu'il faut faire jouer 70(*).

Est-il opportun d'aborder le débat sur les droits de citoyenneté des femmes en Algérie selon cette approche ? En tout état de cause, la spécificité des femmes algériennes ne peut être appréhendée sous le seul angle culturel. La condition des femmes ainsi que leur participation aux processus de développement seront appréhendées à partir des éléments d'information et d'analyse fournis par le rapport mondial sur le développement humain de l'année 1995 et à partir de la documentation existante sur les pays concernés.

A- DU CONTEXTE D'EXCLUSION ET D'ÉGALITÉ DES DROITS

"L'exclusion" est un des thèmes qui est au centre des débats internationaux. En effet, la société moderne est globalisante et tout ce qui n'entre pas dans le système est considéré comme marginal et, par conséquent, rejeté vers les périphéries.

Qu'il prenne la forme de ségrégation, de discrimination, de non-intégration ou de crise identitaire (comme en Kabylie), le problème de l'exclusion est plus ou moins présent à tous les niveaux des hiérarchies sociétaires et sociales. C'est à juste titre qu'Alain Touraine affirme :

" (...) Le problème d'aujourd'hui n'est pas l'exploitation mais l'exclusion, par conséquent, le problème concret est de créer les instruments et les formes d'action politique qui permettent une intégration sociale..." 71(*).

Au risque de verser dans la masse des communautés mondiales périphériques, l'Algérie se développe et se modernise de plus en plus. Mais la modernité dans cette région ne s'opère pas toujours dans une intégration symbiotique des principes et des pratiques puisant sa double source à la fois dans sa culture humaine universelle et dans sa sub-culture locale.

En ce début du XXI ème siècle, l'Algérie vit "le passage des sociétés verticales à des sociétés horizontales" 72(*). Mais, à la différence des sociétés post-modernes, la société algérienne est jeune et n'a pas encore l'expérience d'une transition achevée entre l'État de droit et la démocratie : la société civile est embryonnaire, le multipartisme effectif est récent ou factice, la culture participative et le respect de la différence se réduiraient à des discours élitistes ou officiels.

Vers les années soixante-dix, la prise de conscience de cette situation ne pouvait s'opérer, en premier, qu'au sein des élites intellectuelles, comme ce fut le cas au début du siècle et à une certaine période de l'occupation coloniale des pays maghrébins. Encore une fois, l'auto-conscience s'est effectuée à cette époque en comparaison avec ce qui constitue un modèle de progrès et de modernité, à savoir l'Occident. Mais, à la différence du passé, les femmes sont plus nombreuses à revendiquer des droits et cette fois-ci, leurs aspirations ne sont plus portées seulement par des hommes réformateurs 73(*).

Depuis, à potentialités égales avec les hommes, les femmes aspirent peu à peu à des opportunités en rapport, au moins, avec leurs expectations et l'approche de la question s'est peu à peu modifiée :

"L'approche purement juridique comme, d'ailleurs, l'approche strictement culturaliste ou développementaliste classique seraient trop réductionnistes" 74(*).

Le problème de la discrimination envers les femmes est complexe et il serait erroné de chercher une solution partielle au seul aspect législatif du phénomène.

La dialectique entre ces deux pôles caractérise, sous des formes nuancées et diverses, les législations maghrébines en matière d'égalité des droits. La conviction que le développement durable des sociétés ne peut se réaliser que sous la condition principale de la promotion de la condition féminine impose donc de considérer l'égalité des droits comme absolue.

Ce principe est fondé aussi bien sur les droits des femmes dans la cité que sur leurs droits en tant que personnes humaines. C'est donc par référence aux normes internationales consacrées en la matière qu'il s'agit de voir dans quelle mesure les cadres législatifs de l'Algérie ont intégré des droits. Quelques éléments essentiels permettent de tirer l'énoncé, loin d'être exhaustif, de la signification de la notion d'égalité des droits telle que reconnue et admise par le cadre législatif de l'Algérie. Ces éléments sont reconstitués à partir :

q De l'engagement de l'État vis-à-vis des ratifications des principaux instruments Onusiens relatifs aux droits de l'Homme et à la non-discrimination ;

q Des droits constitutionnels ;

q Des cadres législatifs algériens relatifs aux statuts de la famille.

B- RATIFICATION DES PRINCIPAUX INSTRUMENTS INTERNATIONAUX RELATIFS À L'ÉGALITÉ DES DROITS

Si la quasi-totalité des États maghrébins adhèrent, ratifient et incluent dans leurs législations beaucoup de Traités, Chartes et Déclarations relatifs aux droits de l'Homme en général, ils formulent toutes les réserves à l'encontre des normes internationales consacrées au droit de la femme. Parfois, ils les rejettent purement et simplement et cela est significatif de l'ambivalence juridique des cadres législatifs maghrébins. Cette ambivalence s'exprime à travers des engagements contradictoires ou plus ou moins nuancés vis-à-vis des instruments internationaux proclamant l'égalité des droits entre les sexes. Et parmi les principaux instruments universels relatifs aux droits de l'Homme, généralement admis, on cite :

q La Déclaration Universelle sur les Droits de l'Homme (1948) ;

q Le Pacte International relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (1966) ;

q La Déclaration relative à l'article 41 du Pacte International relatif aux droits civils et politiques, entrée en vigueur en 1979 ;

q La Déclaration sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes adoptée en 1967.

D'autres instruments juridiques ont été adoptés à l'occasion de la décennie de la femme. Malgré leur caractère juridique non obligatoire, les instruments afférents à la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme ont été déterminants dans l'adhésion des États maghrébins aux normes des Nations Unies sur les droits des femmes. D'ailleurs, la convention Internationale de Copenhague de 1979 relative à l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes est un repère intéressant pour apprécier la place du principe d'égalité des droits dans les cadres législatifs maghrébins.

L'Algérie fait partie des quarante et un pays membres de l'O.N.U. qui n'ont ni signé ni accédé à la Convention de Copenhague. Il est significatif que la Tunisie, unique pays arabo-musulman à avoir promulgué un code de statut personnel relativement égalitaire (en 1956) par rapport aux autres codes maghrébins, soit classée en tête des pays maghrébins ayant ratifié (avec réserves).

L'absence de l'Algérie sur la liste des pays ayant ratifié la convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination à l'égard des femmes est tout aussi révélatrice des entraves juridiques dont sont victimes les Algériennes. La dite convention aurait été soumise au débat lors d'une séance à l'Assemblée Nationale après les élections présidentielles en vue d'une ratification assortie de réserves. Encore une fois, la reconnaissance de l'égalité de jure en Algérie est au centre des luttes que mènent les femmes et pour lesquelles elles ont payé un lourd tribu dans leur combat séculaire pour la liberté et la démocratie.

Les amendements des dispositifs antérieurs du code électoral (suppression du vote par procuration) ont enfin permis aux Algériennes de récupérer un droit confisqué et de l'exercer pleinement. En effet, les dernières élections présidentielles de novembre 1995 ont été marquées par une participation massive des femmes qui ont exprimé, à cette occasion, leur refus de tout système politique totalitaire.

Seul point positifn à titre d'exemple, la convention de l'UNESCO de 1960 contre la discrimination dans l'enseignement a bénéficié de l'adhésion de la signature des quatre États maghrébins considérés. Ils ont aussi adhéré à la convention des Nations Unies sur la suppression de la traite des être humains et de l'exploitation de la prostitution d'autrui de 1949.

Concernant les conventions adoptées par les Nations Unies sur la nationalité de la femme mariée (1957), sur le consentement au mariage et sur l'enregistrement des mariages (1962), les informations disponibles révèlent que ces normes font généralement l'objet de résistance de la part des pays maghrébins soit sous forme de réserve soit sous forme de rejet. Seule la convention de 1962 sur le consentement au mariage, sur l'âge du mariage et l'enregistrement des mariages aurait été ratifiée par la Tunisie. Ceci pourrait s'expliquer par l'existence d'un code de statut personnel moins infériorisant que celui de l'Algérie ou des pays voisins (Maroc, Mauritanie).

Parmi les principales conventions de l'O.I.T.75(*) relatives aux droits des femmes travailleuses et ratifiées par les autres pays maghrébins, je citerai : :

q Les conventions relatives au travail de nuit des femmes, notamment les conventions n° 04 de 1919, n° 41 (révisée) de 1934 et n° 89 (révisée) de 1948 ;

q La convention n° 11 sur le droit d'association (agriculture) de 1921 ;

q La convention n° 19 sur l'égalité de traitement (accidents du travail) de 1925 ;

q La convention n° 29 sur le travail forcé de 1930 ;

q La convention n° 111 concernant la discrimination (emplois et professions) de 1958 ;

q La convention n° 122 sur la politique de 1964 ;

q La convention n° 103 sur la protection de la maternité (révisée) de 1956 ;

q La convention n° 156 sur les travailleuses ayant des responsabilités familiales de 1981 entrée en vigueur en 1983.

D'autres conventions de l'O.I.T. protégeant les femmes travailleuses, notamment les mineures, et certaines autres permettant la liberté d'association et le droit syndical et par extension aux femmes ont été ratifiées par l'Algérie :

q La convention de l'O.I.T. portant sur la protection de la maternité n° 3 de 1919 ;

q La convention n° 138 sur l'âge minimum de 1973. La ratification de l'Algérie à cette convention est signifiante par son adhésion à l'ensemble des normes limitant l'âge minimum du travail indifféremment des secteurs d'activités professionnelles ;

q La convention n° 06 sur le travail de nuit des enfants (industrie) de 1919, ratifiée par l'Algérie en 1962, la Tunisie en 1959 ;

q La convention n° 87 sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical de 1948, ratifiée par l'Algérie en 1962 ;

q La convention de l'O.I.T. n° 100 relative à l'égalité des rémunérations de 1951 ;

q La convention n° 105 sur l'abolition du travail forcé de 1957, ratifiée en 1969 ;

q La convention n° 142 sur la mise en valeur des ressources humaines 1975 n'a pas bénéficié des ratifications de l'Algérie en 1984 ni de la Tunisie en 1989. Ceci traduit les efforts déployés par ces deux pays en politique de formation et de l'emploi.

L'examen de l'État de ratification des conventions de l'O.I.T. par l'Algérie autorise à tirer un bref énoncé :

q Au lendemain de l'indépendance, l'État algérien manifeste plus de volontarisme juridique en faveur des droits des femmes travailleuses qu'à l'heure actuelle. La crise économique internationale et ses répercussions sur la condition de travail et sur les marchés de l'emploi, en général, relèguent au second plan les questions spécifiques aux travailleuses. Le nombre de conventions de l'O.I.T. en la matière ratifiées au-delà des années quatre-vingt en témoigne ;

q L'Algérie adhère plus facilement aux normes protégeant les femmes travailleuses et notamment celles abolissant le travail des filles mineures.

Les instruments découlant des instances régionales comme la Ligue Arabe, l'ALESCO, l'Organisation de la Conférence Islamique... dont les teneurs sont parfois basées sur des fondements immuables dits de la Charia s'interposent aux principes d'égalité des droits de non-discrimination entre les sexes. En fait, s'agissant de la femme, la réalité immuable des débats théologiques engendre des situations juridiques ambivalentes, contradictoires et souvent intolérantes.

C- L'OPPRESSION DES FEMMES ALGÉRIENNES

Les femmes algériennes dénoncent l'oppression lors de diverses rencontres organisées par les associations et lors de mes entretiens. Elles s'expriment dans différents domaines tant sur le plan socio-économique, politique qu'idéologique, du travail, de l'école, des instances politiques et des mass médias.... Elles dénoncent également l'infamie du Code de la Famille qui institutionnalise la minorité à vie des femmes. Elles dénoncent ainsi les points suivants.

1- DANS LE DOMAINE POLITIQUE

q L'insuffisance voire l'absence de représentativité dans les institutions politiques ;

q L'Assemblée Populaire Communale ( mairies) ;

2- AU PLAN JURIDIQUE

Le fait que, bien qu'elles soient majeures pénalement et vont en prison au même titre que les hommes pour tout délit, le Code de la Famille les confine, par ailleurs, dans un statut de mineure à vie. La minorité de la femme est consacrée par le Code de la Famille.

3- DANS LE DOMAINE DE L'ENSEIGNEMENT

q L'utilisation de l'école comme outil idéologique déformant et dévalorisant l'image de la femme (l'exemple des manuels scolaires reproduisant systématiquement les rôles traditionnels dévolus aux hommes et aux femmes) ;

q La discrimination liée au sexe dans la scolarité (moyenne de passage plus élevée pour les filles), dans la pratique sportive rendue facultative pour les filles et à travers les campagnes contre la mixité ;

q La ségrégation dans l'orientation scolaire et professionnelle ;

q Le refus de scolarisation des petites filles dans les campagnes.

4- DANS LE DOMAINE DU TRAVAIL

q Les campagnes de propagande visant à faire croire qu'elles volent l'emploi aux hommes et sont la cause du chômage ;

q Les licenciements et mutations abusifs, les carrières gelées (pas de promotion), la remise en cause de leur compétence par des grèves orchestrées dans différents secteurs (enseignement, santé...) visant à les exclure du monde du travail ;

q L'utilisation du principe de la retraite anticipée systématisée comme moyen d'exclusion des femmes du travail ;

q Le travail au noir des femmes et des enfants ;

q L'absence d'infrastructures de prise en charge des enfants (crèches, garderies...) entravant leur liberté d'exercice du droit au travail.

D- ÉGALITÉ DES DROITS À TRAVERS LES CONSTITUTIONS

On a vu la question de la femme face au code de la famille et ce paragraphe démontre l'opposition face à la Constitution. La Charte des Nations Unies, les instruments internationaux des Droits de l'Homme ainsi que toutes les normes universelles y afférant, provenant des institutions et organisations spécialisées et intergouvernementales de l'O.N.U. posent le principe de la condamnation de toutes les formes de discrimination 76(*) et engagent les États à inscrire dans leur constitution nationale ou dans d'autres dispositions législatives l'application effective du dit principe 77(*).

La norme internationale relative aux droits des femmes consacre trois principes importants "la liberté, l'égalité et la non-discrimination". Ce sera donc par référence à ces normes que sera cernée la teneur du principe d'égalité entre hommes et femmes dans les constitutions.

1- LA CONSTITUTION ALGÉRIENNE

La Constitution garantit à tous les citoyens sans distinctions :

q Le droit à l'éducation et au travail ;

q La liberté de circuler dans tout le pays (pour les femmes sans être accompagnées d'un tuteur...) ;

q La liberté d'association (depuis le 5 octobre 1989) et la liberté d'adhésion à toute organisation syndicale (autre que l'U.G.T.A. émanant du Parti unique : le F.L.N.) ;

q La liberté d'opinion, de réunion et d'expression sous toutes ses formes (depuis seulement 1989, avec la recrudescence du terrorisme, les actions sont limitées...) ;

L'élément fondamental qui singularise la Constitution algérienne et qui permet de comprendre et d'interpréter la notion d'égalité des droits et le concept de citoyenneté des femmes tels qu'admis par les législateurs est la proclamation de l'Islam comme religion d'État.

Ce dénominateur commun aux Etats maghrébins, à savoir l'inexistence de la séparation entre le pouvoir politique et la religion, fait que les questions d'égalité des droits soient encore des sujets de débats conflictuels entre l'universalité et la spécificité des "droits au féminin".

Par contre la Convention sur l'élimination de toutes formes de discrimination n'a pas été, à ce jour, publiée dans le journal officiel algérien. De ce fait, en dépit de la décision du Conseil Constitutionnel du 20 août 1989 qui pose le principe de primauté des conventions internationales sur le droit interne, le texte de la Convention n'est toujours pas opposable devant les juridictions nationales. La non-publication de la convention CEDAW révèle les réticences des autorités à en voir appliquer les dispositions les plus favorables aux droits des femmes et permet, en pratique, à certains juges de s'abriter derrière ce fait pour ne pas s'y référer.

Par ailleurs, il est choquant de constater que le rapport algérien n'aborde pas la question de la violence à l'encontre des femmes. Les Recommandations générales 12 et 19 du Comité sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes encouragent pourtant les États à inclure ce sujet dans leurs rapports.

Quelle que soit l'appréciation que l'on porte sur les causes profondes du conflit en cours en Algérie et sur son évolution, il est absolument indéniable que les femmes ont été, de manière de plus en plus systématique, victimes de la violence politique que connaît le pays. Cette violence s'ajoute à d'autres formes de violences domestiques et sociales que les autorités ne peuvent méconnaître, ce qui engage leur responsabilité à plusieurs niveaux.

En conclusion on peut noter à l'exception de certaines dispositions impératives, le code de 1984, à l'instar de toute loi, ne s'applique effectivement que lorsque surgissent les conflits qui peuvent diviser les familles. Mais, c'est alors qu'apparaît l'injustice de ses dispositions si l'on n'a pas pris soin de s'en prémunir en temps utile par contrat subterfuge juridique. Le plus grand reproche que l'on puisse faire au Code de la Famille est d'avoir organisé et figé des statuts et des rôles selon un modèle qui ne correspond pas au pluralisme de la société algérienne. Le mouvement féminin "laïciste" préconise et lutte pour la promulgation d'un "code civil totalement indépendant de toute option confessionnelle" 78(*).

Des groupes de travail inter-associatif et des collectifs se sont constitués en quête d'un consensus pour adapter le code à la réalité plurielle avec 22 propositions et certaines associations féminines proches des islamistes se sont opposées au changement car "la Charia est intouchable". Actuellement, des amendements sont discutés à l'Assemblée mais sans résultats.

Est-ce que, dans le futur, le statut de la femme changera ? Dissociera-t-on la religion de la législation ?

CHAPITRE II

ESPACE PRIVÉ / ESPACE PUBLIC

"La répartition des femmes et des hommes entre un espace domestique et un espace public, avec des rôles spécifiques et des prérogatives prédéfinies, est probablement un des clivages les plus anciennement constitués et un des tous premiers facteurs de l'oppression féminine traditionnelle" 79(*).

Cette dichotomie a été observée aussi bien par les anthropologues étudiant des sociétés traditionnelles que par les historiens de l'Antiquité.

Dans la société algérienne contemporaine, on retrouve cette division traditionnelle entre les hommes et les femmes. Malgré les changements importants qui sont intervenus depuis plus d'une décennie, qui rendent formellement possible l'accès des femmes à la sphère politique et à la plupart des lieux où s'élabore et se décide tout ce qui concerne la collectivité, elles restent massivement sous-représentées dans la vie associative, syndicale, politique et, de manière générale, dans tous les lieux de pouvoir. On ne peut, en effet, que constater la perpétuation de l'hégémonie masculine sur la vie publique.

La position de la femme reste moindre que celle des hommes : comme si la femme ne pouvait avoir d'existence que par l'homme dans le cercle étroit où, par conjoncture universelle, les hommes l'ont enfermée.

Pourquoi faut-il parler du combat féministe et de l'émancipation de la femme, sinon pour dénoncer un ghetto moral ?

La société algérienne se caractérise par une ségrégation sexuelle de l'espace. L'espace privé est considéré comme féminin et séparé de l'espace public classé comme masculin, bien que la dichotomie espace privé / espace public ait été remise en question par de nombreux anthropologues féministes en arguant qu'elle ne tient pas compte de la dynamique de l'interaction sociale.

La dichotomie privé / public a trait aux relations entre individus et non pas seulement au partage géographique de l'espace entre les hommes et les femmes en relation avec la division du travail. Les espaces sont donc classés comme privés ou publics en fonction des personnes présentes et des activités qui s'y déploient. L'espace intérieur est plus souvent privé et associé aux activités féminines et aux relations intimes. L'espace extérieur est majoritairement public et réservé aux activités politique, économique, juridique et religieuse dans lesquelles les hommes jouent un rôle prépondérant. Mais, dans la dynamique de la pratique sociale, on assiste quotidiennement à des interprétations.

La place normative d'une femme algérienne est au foyer domestique. Si elle veut se rendre dehors, elle est censée se "voiler", c'est-à-dire se soustraire aux regards des hommes, se rendre invisible. Cette règle est inhérente à la classification de l'espace et à la conception sous-jacente de la sexualité active et séduirait inéluctablement les hommes. Donner libre cours aux femmes aboutit à un désordre social (fitna) craint par les hommes et désapprouvé par l'Islam. Pour prévenir les femmes de détourner les hommes de leurs devoirs conjugaux et religieux, les hommes ont créé des institutions culturelles qui légitiment la domination masculine.

I- SPHERE PRIVÉE / SPHERE PUBLIQUE

Pour tout Algérien, la famille représente la référence suprême, le pôle de ses horizons intérieurs, le lieu d'ancrage de ses racines. C'est dire de quelle essentielle valeur elle est investie. Dans le triangle (dans toute culture) que compose l'ensemble : la société, la famille et l'individu, la famille est, en Algérie, au centre du triangle, elle englobe le Tout, renvoie au Tout, reflète le Tout.

C'est en cela que mon approche sur la femme algérienne se doit d'être initiée par la famille parce qu'en Algérie, davantage qu'ailleurs, la famille est au centre de toutes intimités. Elle en est le lieu même et le sens profond, en est transmis par la femme. Un proverbe kabyle dit : "La femme est le pilier central de la maison, l'homme en est la poutre maîtresse". Ou encore : "L'homme est la lampe du dehors, la femme, la lampe du dedans". C'est la femme qui donne vie et prospérité à la maison, qui la "remplit" comme disent les ruraux. C'est la femme qui en est l'âme et le coeur. La maison et la femme sont liées entre elles par un rapport étroit d'analogie symbolique. L'une ne peut se comprendre hors de l'autre. Elles s'expliquent mutuellement.

Aujourd'hui encore dans l'Algérie actuelle, serait-il illusoire et faux de penser appréhender de l'intérieur les problèmes complexes qu'affrontent quotidiennement les femmes algériennes si l'on n'a pas, au préalable, tenté de saisir le sens profond dont est chargée la famille ? Dans l'Algérie d'hier, la famille, c'est la grande famille patriarcale. Groupant dans la même demeure trois ou quatre générations d'individus, elle est "l'alpha et l'oméga de tout le système : groupe primaire, modèle structural de tout groupement possible" 1(*).

La division de l'espace social en sphère domestique, royaume des femmes, et sphère commune, empire des hommes, est un résultat de la dynamique qui limite les rapports sexuels au cadre familial et à des fins de procréation. Une femme s'aventurant dans le domaine des hommes transgresse la morale et provoque ces derniers suscitant en eux l'idée de plaisir sexuel. 

La rue est masculine en Algérie parce que la société est structurée par l'ordre familial réservant l'espace de la rue aux hommes. Les femmes tolérées dans ce dernier sont des femmes âgées, faisant des courses, se rendant à leur travail ou en revenant. La jeune femme, dans la rue, est "excusée" si elle est accompagnée de l'un de ses parents, de ses enfants ou d'une autre personne plus âgée qu'elle ou si elle sort pour étudier. Autrement dit, une jeune femme seule en ville est suspecte, elle est sortie de son espace "nature", la sphère familiale. Si elle a pu sortir sans raison valable, c'est que sa famille n'a pas suffisamment d'autorité sur elle et donc que c'est une famille à l'honneur douteux ou bien une famille où il n'y a ni père, ni frères... Le regard porté sur elle la réduit à un sexe. Elle n'est donc pas considérée comme un individu social mais comme un corps, un élément incontrôlé de la civilisation (familiale) qui s'est échappé de la nature. C'est donc une femme "émancipée" que l'on peut solliciter sans souiller l'honneur de quelqu'un.

L'organisation de la société, en termes de ségrégation, de frontières, d'interdits, etc., repose sur les normes de régulation et des valeurs fondatrices de l'ordre moral. La modernisation qu'a introduit l'échange marchand et l'urbanisation contreviennent à l'organisation spatiale où déploie cet ordre moral, désormais transgressé par deux éléments perturbateurs : l'anonymat et la femme.

Agressée par la rue, la famille ou par les institutions, la femme ne peut se plaindre car sa plainte n'est pas recevable dans un milieu qui la considère comme fautive en premier. La moralité de la rue a incité certaines femmes à porter le hidjâb (tenue islamique). Le projet de l'Islam politique est de gérer la collectivité nationale non pas comme une société moderne à travers l'espace public à formaliser mais plutôt comme une communauté familiale structurée autour des devoirs de l'individu envers le groupe.

A- LA MAISON, ESPACE FERMÉ ET SACRÉ (autrefois)

Dans la pensée traditionnelle algérienne, la maison constitue le monde de l'intérieur, du secret, de l'intimité, de la pénombre auquel elle se rattache symboliquement en s'opposant au monde de l'extérieur, du public, du social, de la lumière. À travers les murs aveugles de la maison, rien ne transpire vers l'extérieur de son intimité intérieure et profonde. Entre l'extérieur et son intimité, la maison aménage un espace-tampon où sont reçus des visiteurs qui ne doivent pas pénétrer plus avant, où s'attardent les autres, pendant que les femmes font disparaître tout ce qui ne doit pas être saisi par un regard étranger.

La pudeur de ce qui se passe à l'intérieur (de la maison comme de l'individu) constitue une valeur fondamentale de l'éthique algérienne. Il ne s'agit pas là de pudibonderie mais de la pudeur de ces choses profondes (que beaucoup qualifie souvent "d'incommunicables") qui doivent demeurer au chaud de l'être, à l'ombre de la maison sous peine de perte de sens, d'érosion de matière. Une forme de pudeur qui consiste aussi en une esthétique du regard. Dans la pensée traditionnelle algérienne, le regard n'est pas neutre. Il est porteur d'influences, chargé de pouvoir, parfois de malédiction, le "mauvais oeil" n'étant que l'exemple limite de cette symbolique du regard. Ne dit-on pas, partout ailleurs, qu'un regard peut-être "charmeur", "envoûtant", "pénétrant" ? Le regard posé sur les choses de l'intérieur est transgression. En surprenant, d'une certaine manière, il prend, il s'approprie.

Il serait erroné de penser que la maison est fermée à l'extérieur et au regard, se repliant sur elle-même, dans la seule intention de cacher ses femmes. Il est établi que la femme et la maison sont toutes deux

"Symboliquement rattachées au monde du dedans, de l'intérieur et de l'ombre et se situent l'une par rapport à l'autre dans une relation d'analogie" 80(*).

Alors que, de façon opposée et complémentaire, l'homme se situe dans une relation d'analogie symbolique avec l'extérieur, la lumière, le public et le social. Au terme de cette conception du monde, la maison constitue le domaine privilégié de la femme tandis que la rue, la place publique, le marché, l'extérieur, le social constituent le domaine privilégié de l'homme qui n'est autorisé qu'à de brèves apparitions à l'intérieur de sa propre maison : pour y prendre ses repas et dormir. Ceci ne signifie pas pour autant que la maison soit la prison de la femme.

En milieu paysan, multiples et divers sont les lieux (aux champs, dans les bois, à la source ou fontaine, aux pâturages...) où elle passe le plus clair de son temps. La maison n'a pas pour fonction d'enfermer la femme. À la campagne, les femmes ne se déplacent jamais voilées. Chacun y connaît tout le monde. Tous les habitants d'un même village sont unis par une trame très dense de relations parentales tissées tout au long des siècles. Ils observent, en outre, les règles codifiant la hiérarchie des espaces publics et privés qui évitent aux femmes des rencontres très malvenues.

À l'opposé, la ville n'offre pas les mêmes garanties car l'espace citadin constitue un espace essentiellement public. J'entends par-là qu'il est fréquenté par les hommes qui ne sont d'aucune manière apparentés aux femmes qu'ils pourraient rencontrer. Pire, il est sillonné par les gens venus d'ailleurs, des étrangers qu'on ne peut nommer et qui constituent l'extérieur de l'extérieur.

Ainsi, la maison comme la femme se trouvent protégées par un double et symétrique rempart de pudeur. La pudeur des gens de l'intérieur qui n'ont pas à extérioriser ce qui doit demeurer caché et celle des gens de l'extérieur qui n'ont pas à surprendre l'intimité domestique. Ce double rempart confirme le caractère sacré et inviolable de la demeure, son "horma" (honneur et respect liés à la maison et aux femmes). L'espace est, en effet, conçu comme essentiellement sacré à différents niveaux de la réalité.

La maison est singulièrement "habitée" par les esprits invisibles qui peuplent l'univers. Ils deviennent, ici, ses esprits tutélaires, ses gardiens invisibles qui la protègent en l'assurant de leur bienveillance. Surtout, ils traduisent la sacralité essentielle de la maison. En retour, les habitants (les femmes surtout) doivent les reconnaître et les honorer de simples et multiples gestes quotidiens qui réaffirment, avec les rites.

La violation de la "horma" (caractère diversement sacré) de la maison constitue l'un des actes les plus graves qui puisse être commis. Elle peut être le fait de gens de l'intérieur (c'est-à-dire les femmes) mais surtout de gens de l'extérieur (c'est-à-dire les hommes extérieurs à la grande maison, même s'ils lui sont apparentés). C'est aux hommes de la maison qu'il appartient de veiller au respect de leur horma et d'en assurer la défense. Il en va de l'honneur.

La conduite impudique des femmes, c'est-à-dire non conforme à l'éthique traditionnelle de pudeur et de réserve, constitue déjà une atteinte à la "horma" en ce sens qu'elle expose à l'extérieur ce qui doit demeurer à l'intérieur. L'adultère, le viol et les relations sexuelles prénuptiales en sont la violation suprême car ce sont des transgressions de la sexualité conjugale qui constitue ce qu'il y a de plus intime, de plus réservé et de plus caché, de plus socialement dense aussi, liée directement à l'obsédante pérennité du lignage. Quel qu'en soit le motif, un homme qui s'introduit dans une demeure sans y être expressément invité, en la présence ou en l'absence des femmes, commet une profanation à la "horma" presque aussi grave que celle de l'adultère.

Dans tous ces cas de violation, l'atteinte ne peut être lavée que dans le sang. C'est seulement à ce prix que sera rétabli le cercle sacré et intangible qui protège la maison et les femmes. L'homme extérieur est d'abord considéré comme le sujet responsable du crime et devra le payer de sa vie. Les femmes fautives d'adultère ne sont, elles, que l'objet de cette violation au même titre que la demeure dans laquelle pénètre l'intrus car seul l'extérieur peut agir sur l'intérieur et lui porter atteinte. L'homme devra donc payer le terrible affront de son sang (code coutumier).

Quant à la femme fautive, le droit coutumier est, à son égard, moins précis et surtout moins homogène, variant selon les régions. Souvent l'adultère est assimilée au viol même s'il y a eu consentement de la femme, ce qui atténue le déshonneur de la famille victime. Le mari reste alors libre de son attitude. Pour le moins, il répudie la femme. Il peut aller jusqu'à la tuer mais ce n'est pas systématique. Tandis que l'homme, considéré comme le réel auteur du crime, aura, dans tous les cas, à subir la vengeance des hommes de la maison s'exerçant avec l'assentiment, voire sous la pression, du village tout entier et légalisé par le droit coutumier.

B- LA MAISON, ESPACE FERMÉ ET SACRÉ (aujourd'hui)

Considérables sont les mutations subies par la société algérienne dans son ensemble et par la famille en particulier : bouleversements de l'époque coloniale sapant les bases de l'organisation traditionnelle et déchirant l'identité, puis mutations induites par le nécessaire développement du pays. Tous ces changements n'ont pas atteint les différentes régions d'Algérie uniformément le pays.

Certaines régions de montagnes ou de steppes arides (telles les Aurès, l'Ouarsenis, la Petite Kabylie et quelques villages de la Grande Kabylie...) commencent seulement à sortir de leur isolement ressenti comme une douloureuse marginalisation. Aussi, jusqu'à ces dernières années, les populations de certains villages ou bourgs éloignés continuèrent-elles à vivre selon les formes traditionnelles d'organisation et de relations sociales. Tandis que dans les grandes métropoles urbaines comme Alger, Constantine, Annaba, Oran, Tizi-Ouzou, où les mutations sont anciennes et profondes, parler de processus de changement apparaît totalement anachronique car c'est une situation d'ores et déjà fondamentalement modifiée, sinon bouleversée, que vit quotidiennement l'Algérien des grandes villes.

Les milieux sociaux qui ont subi les plus profondes mutations sont ceux des cadres supérieurs et moyens : hauts fonctionnaires, responsables d'organismes d'État, membres des professions libérales, cadres administratifs et techniques, universitaires, enseignants. Il est bien évident qu'il s'agit d'un milieu économiquement favorisé. On comprend que le paramètre économique soit essentiel dans l'accès au processus de changement. Il n'est toutefois pas exclusivement déterminant.

L'ancienne aristocratie algérienne, appelée communément les "grandes familles citadines" (à ne pas confondre avec l'ensemble des citadins de souche) et qui constitue la classe économiquement privilégiée, demeure très attachée au système familial traditionnel. Du moins reste-t-elle très largement fidèle aux anciennes stratégies matrimoniales et, à un moindre degré, au principe patriarcal regroupant toutes les familles des fils dans la grande maison du père. En dépit du fait que, de par sa "citadineté" et de par sa position sociale et économique, cette aristocratie a été plutôt influencée par les modèles étrangers plus enclins aux changements, tout porte à penser que la pérennité est, ici, le résultat d'une volonté de défense de privilèges communs, volonté d'autant plus aiguë que la politique algérienne cherche à la combattre.

Dans les montagnes (comme en Grande Kabylie) et les hauts plateaux, les changements ont pénétré les maisons par l'intermédiaire des gros bourgs environnants où se rendaient les jeunes à l'affût de nouveautés. Fiers et heureux, ceux-ci ont ramené dans les maisons de pierres les premiers éléments de confort, objets dérisoires mais chargés de signification nouvelle : marmites et casseroles modernes, chauffage à gaz butane et, surtout, le modeste réchaud circulaire à gaz, la fameuse "tabouna" (trépied), qui allait bientôt trôner dans toutes les demeures en supprimant l'essentiel des pénibles corvées de bois. De nouveaux modèles ont commencé alors à filtrer à travers les murs de pierre et de terre. Ils étaient véhiculés par les hommes qui se rendaient fréquemment dans les villes proches où tout les attirait et les intriguait. Ils étaient aussi apportés par les émigrés et encore par ceux qui, poussés hors du village par le mouvement de l'exode rural, y revenaient régulièrement en visite... Les changements se sont accélérés...

Jusqu'alors, les villages étaient restés tels qu'ils avaient toujours été, avec leurs maisons serrées les unes contre les autres au flanc ou sur la crête des montagnes. Aucune habitation en ciment. Aujourd'hui, rares sont les maisons traditionnelles encore habitées (ne seront pas détruites). À l'intérieur des anciens villages, mais aussi sur de nouveaux sites éparpillés alentour, ont poussé des dizaines de constructions en "dur", toutes grises de leur béton brut. Ainsi, sous l'impulsion du changement, les antiques bourgs ont-elles littéralement explosé, familles projetées à leur périphérie. Ces nouvelles maisons de ciment, de fer et de béton (où le gaz a remplacé le bois et, tout récemment, les paraboles font leur entrée dans les foyers avec des programmes de télévisions étrangères), de quel éclatement plus intime sont-elles issues et quelles mutations provoquent-elles au sein même de l'ancienne grande famille ?

C- NOUVEAUX ESPACES DOMESTIQUES RURAUX

L'architecture extérieure et les matériaux modernes utilisés dans les nouvelles constructions rurales aient, comme première finalité, exprimé également une organisation intérieure différente s'inspirant des nouveaux principes architecturaux urbains.

Mais, parallèlement, cet ordonnancement de la maison traduit certaines tendances nouvelles qui agitaient souterrainement et confusément la grande famille. La nouvelle architecture induit d'autres changements au sein de la famille qui, à son tour, réagira sur l'ordonnancement de la maison. Ainsi s'engage tout un processus cumulatif d'interactions de la maison sur la famille et vice-versa.

Le travail de la terre est partout l'objet d'une dévalorisation croissante. Les jeunes filles quittent leurs villages pour étudier en ville afin d'aboutir à un emploi (elles trouveront toujours un parent pour les héberger). Le salaire immédiat de la fréquentation de la "ville" constitue des attraits non négligeables. Mais ce "simple" changement induit en cascade toute une série de mutations cumulatives atteignant la famille et la maison. Simultanément, l'accès au salariat induit la fragmentation et la séparation des activités des membres de la grande famille qui, jadis, n'avaient qu'une occupation : la culture des terres léguées par les ancêtres. Il en résulte la perte de l'ancienne cohésion familiale qui se dilue lentement dans une manière d'habitude là où il y avait, jadis, nécessité et volonté de cohésion.

Dans tout ce contexte, des tensions diverses agitent la famille. Les fils, occupés à des activités salariales différentes, en retirent des revenus inégaux rendant la mise en commun des ressources moins facile qu'à l'époque où tous travaillaient ensemble les terres ancestrales. Des conflits, de plus en plus fréquents, surgissent entre belles-soeurs pour l'utilisation de la part commune et s'enveniment de jalousie quant aux dépenses personnelles de chacun des couples. La mésentente aboutit à la création de cuisines séparées, sombres réduits concrétisant l'apparition du foyer conjugal qui se substitue à l'ancien foyer commun, âme et coeur de la grande famille.

Malgré tous ces changements, la nouvelle maison rurale s'ouvre peu sur l'extérieur, reproduisant l'ancien sentiment de pudeur envers le monde du dedans. Tandis que dans les nouveaux ensembles urbains perdure l'ancienne attitude de réserve. Le visiteur qui s'annonce s'éloigne largement du seuil afin que son regard ne puisse pénétrer l'intimité domestique. Le vestibule prend le sens de la traditionnelle "sqîfa" (espace situé immédiatement après le seuil, séparant de l'extérieur le monde domestique intime). S'il n'a pas été prévu par les architectes, il est aménagé par les usagers eux-mêmes.  

Ainsi faut-il comprendre la répugnance des hommes à demeurer chez eux lors de leurs moments de loisirs. Reproduisant à leur insu les anciens schémas traditionnels, leur réservant le domaine public et les excluant du domaine domestique, les hommes préfèrent déambuler à pied ou en voiture, parfois accompagnés de leurs enfants, discuter avec des collègues ou des amis autour d'une table de café et ne rentrer à la maison que pour le dîner. Il ne faut pas croire que l'épouse est toujours tenue, dans ces mêmes moments, à rester chez elle. Selon ses disponibilités, elle va en visite chez des amies ou parentes ou bien sort en ville avec une de ses voisines faire quelques menus achats.

Cependant, ces emplettes sont davantage loisir qu'obligation car l'approvisionnement régulier du foyer est généralement assuré par les hommes. Rares sont les Algériennes qui ont à s'occuper du marché hebdomadaire. Non pas que les femmes, comme autrefois leurs aïeules, aient l'"interdiction" de se rendre au marché, jadis domaine exclusivement masculin mais, pour les Algériens, c'est là une façon commode et conforme de décharger partiellement leurs femmes des obligations domestiques tout en perpétuant et en reproduisant, à leur insu, l'attitude traditionnelle de relation privilégiée avec l'extérieur et le social. Ce comportement est beaucoup moins anodin qu'il paraît. Il montre simultanément la pérennité de certaines pratiques, la fidélité aux horizons intérieurs et la possibilité de les adapter au nouveau contexte car c'est bien cette adaptation qui pose généralement problème.

Au fond, tout se passe comme si les êtres, gardant intacts au fond d'eux-mêmes leurs paysages intimes, se sentaient impuissants à les restituer dans ces nouveaux espaces, si différents de ceux qui les ont composés. Comme si le monde avait changé mais pas la lumière, pas le regard, et qu'on en soit perdu, qu'on ne sache plus bien où et comment poser le passé, les habitudes chères, les attachements indéfectibles.

Dans cette difficile rencontre des fidélités enracinées et des changements voulus, le voile ancestral a pratiquement disparu du paysage urbain. Seules certaines vieilles femmes et quelques jeunes paysannes perdues dans la Grande Cité où les projette l'exode rural s'enveloppent encore dans le traditionnel "haïk blanc" d'Alger ou la "melaya noire" de Constantine. Sans excentricité toutefois, les toilettes, pour être élégantes, n'en demeurent pas moins discrètes et souvent classiques, préservant la pudeur à laquelle, comme les hommes, les femmes algériennes demeurent profondément attachées. Certes, le voile prend une récente revanche avec le hidjâb des intégristes (vêtement très enveloppant comportant un long foulard) mais aussi une signification plus large.

D- RITES DE PASSAGE

Le passage de l'intérieur vers l'extérieur se marque donc par un rite : la femme se voile ou marche la tête baissée en ayant une tenue correcte. L'espace extérieur, étant défini comme public et masculin, se voit menacé dans son essence par la venue des femmes qui, d'habitude, sont associées à la vie privée. Les femmes ne peuvent y accéder qu'en se rendant invisibles. Elles se conforment aux règles de conduite et de comportement en vigueur. L'infraction à ces règles constitue une menace pour les prérogatives de pouvoir des hommes.

C'est dans cette perspective qu'il faut considérer des luttes, des ruptures parfois violentes autour de la question du voile et de la liberté de circulation des femmes (heurts entre frères et soeurs, menaces de mort des islamistes...). En envahissant la territorialité masculine, ces femmes remettaient en cause le pouvoir établi des hommes. La domination masculine ne s'exprime donc pas seulement par l'accès à un espace plus étendu mais aussi par la défense de cet espace. Des étudiantes, des travailleuses n'étaient pas des prostituées, elles enfreignaient seulement les règles spatiales : après dix huit heures trente, les femmes désertent les rues et ne sortent à l'extérieur qu'accompagnées d'un homme, même d'un petit frère.

Le passage de l'extérieur vers l'intérieur par un homme est également ritualisé. Lorsqu'un homme veut rentrer chez lui et qu'il craint d'y trouver des visites féminines, il est tenu d'annoncer son arrivée en élevant la voix ou en heurtant la porte (quelle que soit la manière : il y a toujours un signal). Il ne fait rien d'autre que de s'étaler dans l'espace. À l'intérieur, les femmes s'activent aussitôt pour servir leurs hommes. L'homme ne dispose que d'un espace limité. Il doit tout mettre en oeuvre pour éviter de croiser les autres femmes ; par sa seule présence, une partie de sa maison est devenue publique.

De même, si l'homme se fait accompagner par un ami, il se signale également avant d'entrer. Les hommes se mettront alors dans la pièce destinée à l'accueil des invités et se feront servir par la personne âgée de la famille ou de la petite fille de la maison. L'épouse, la fille aînée ne paraîtront jamais devant l'étranger. Il n'est cependant pas fréquent qu'un homme transforme sa maison en lieu public. Les affaires publiques, pour lui, se déroulent dans la mosquée, dans la rue ou au café.

On peut dire que les femmes en Algérie ne peuvent quitter le foyer domestique qu'avec l'accord de leurs maris et ce seulement pour se rendre au bain maure ou au tombeau d'un saint. "Ces lieux sont, par essence, classés comme privés parce que l'on reconnaît un caractère sacré et les femmes y sont sous la protection divine" 81(*).

Dans la pratique, les femmes disposent de marges de manoeuvre pour décider quand, avec qui et où elles se rendent au-dehors. À l'extérieur, elles observent toutefois strictement l'étiquette spatiale. Elles font des courses dans le quartier en longeant les murs et en se rendant directement au but. Il ne sied pas de s'attarder dans la rue, ni de regarder ostensiblement autour d'elles. Dans la sphère publique, une femme ne doit pas se faire remarquer, elle baisse la voix et le regard et se garde de rire. En revanche, les hommes peuvent s'attarder sans motifs et lancer des regards à tous les passants.

E- LA TENUE

Ce n'est pas seulement par la circulation dans l'espace mais aussi par la façon dont on se tient assis ou debout que les gens expriment leur position sociale par rapport à d'autres. Selon Goffman, "dans les sociétés occidentales, les hommes occupent plus d'espace que les femmes" 82(*)..

Un homme véritable est grand et large, une femme honorable est discrète et petite.. La femme se met en valeur en accentuant sa docilité. Le couple idéal dans nos sociétés est composé d'un époux plus grand et généralement plus âgé. Les mécanismes de sauvegarde de la domination masculine sont culturellement sanctionnés.

Dans la plupart des foyers, on aime bien s'asseoir par terre. S'il est permis à l'homme d'étirer ses jambes et d'appuyer ses coudes contre un support, la femme garde ses jambes sous elle et reste assise le dos tout droit. Le jeans et certaines tenues modernes empêchent les jeunes femmes de s'asseoir comme il faut, elles n'ont plus de quoi se couvrir les jambes. Elles sont souvent critiquées par leurs mères et mettent finalement des robes larges à la maison. Le vêtement permettant aux jeunes femmes des mouvements plus larges est rejeté avec des arguments symboliques qui contribuent implicitement à légitimer l'apanage spatial des hommes.

Lorsque le mobilier moderne existe dans un foyer (chaises, fauteuil, lit avec sommier, etc.), celui-ci sera occupé par un homme de la maison. La construction symbolique prime ici sur les considérations d'ordre pratique. Bien que le repas soit servi sur une table basse, l'homme le mangera de sa position assise sur la chaise. L'occupation dominante de l'espace exprime bien sa position sociale par

rapport aux femmes et aux autres membres de la famille..

L'utilisation de l'espace est modelée par les rapports de pouvoir entre les acteurs sociaux et permet de les reproduire. On s'aperçoit effectivement que les rapports de pouvoir sont renforcés par l'intériorisation des règles de l'utilisation de l'espace par les catégories sociales subordonnées. Il est alors lieu de se demander pourquoi ces codes ne sont pas contestés ? Pour cela, il faut se concentrer sur les transgressions et analyser dans quelle mesure celles-ci constituent une menace pour l'ordre social. Une catégorie de femmes qui transgressent les codes spatiaux de conduite féminine sont les femmes libres, les prostituées et les danseuses de cabarets, des jeunes filles révoltées.

F- VOILER OU DÉVOILER LA FEMME

Dévoiler la femme en Algérie, faire tomber cette barrière qui sépare les hommes des femmes, n'aurait pas été une démarche plus aisée. Traiter une question telle que le voile constitue, même à l'heure actuelle, un point chaud en Algérie. Aucun des deux espaces n'est suffisamment neutre pour permettre d'aborder une telle problématique avec suffisamment de sérénité. En fait, ce ne sont pas ces espaces, en tant que tels, qui sont à considérer ou à incriminer mais c'est notre propre angoisse qui a été déclenchée. Il s'agit donc de notre "contre-transfert" 83(*) par rapport à notre recherche qui a été analysé à travers notre lutte (et notre engagement dans l'associatif) qui s'est faite le porte-parole de ce que signifiaient pour nous le voile et la perspective du dévoilement.

À travers ma propre expérience, j'ai constaté qu'en dehors de sa dimension sociale, le voile a un impact au niveau psychologique. D'autre part, être étranger aiguise la vue comme cela affine l'ouïe et c'est dans cette distance extérieure que le voilement et le dévoilement de la femme algérienne s'imposent comme un phénomène dont le mouvement est en relation avec les grandes ruptures d'équilibre social. Chaque fois qu'il y a une rupture dans la continuité de l'histoire tels que la colonisation ou la décolonisation, le renversement d'un État, la révolution islamique, il y a un retentissement au niveau de la femme. Certains vont la dévoiler, d'autres vont la voiler.

Ce petit point de cette recherche va consister à essayer de comprendre cette société lorsqu'elle voile ou dévoile ses femmes. À quel moment intervient l'une ou l'autre séquence ? Et enfin quels sont la fonction et le sens de ce phénomène ? Car il me semble que le voilement de la femme a un sens caché, occulté et, précisément pour cela, important.

Le voile dans la société algérienne, et arabe en général, fait partie d'un système cohérent. Y toucher, le questionner implique le questionnement de la structure d'ensemble qui le sous-tend et, par conséquent, exige du chercheur le recours aussi bien "à la dimension historique, sociologique, que psychologique". Nous sommes donc "en présence d'un fait social total" au sens où l'entend Marcel Mauss 84(*).

L'élément féminin dans les sociétés musulmanes infiltre, par son caractère caché, occulté et voilé, tout l'ensemble et apparaît en filigrane aussi bien dans le comportement quotidien du particulier - son honneur et sa dignité sont largement tributaires du comportement de ses femmes (sa femme, ses filles, ses soeurs, ses cousines...) qui peuvent l'élever aux yeux de la société par un comportement fait de réserve et d'effacement ou le rabaisser en contrevenant aux coutumes - que dans les décisions prises à l'échelle nationale. En effet, malgré les options modernistes des gouvernants, leur silence ou leur malaise dans le traitement de toute question concernant la femme signifie la complexité du problème et la multiplicité des ses incidences.

La femme semble détenir ou être la garante de l'honneur de la nation, de la société ou tout simplement de la famille. Dès lors, son immobilisation ou son voilement devient une nécessité car, dès qu'elle bouge, elle menace les valeurs ancestrales qui constituent le groupe. Pour comprendre le voilement, il va donc falloir "dénuder les fondations de notre propre société" 85(*). Il est présent dans la structure même de cette société endogame et tribale.

Étymologiquement, le voile signifie, en algérien, le "haïk", le "hidjâb", autrement dit protection. Les femmes kabyles ne se voilent pas au sens de se couvrir totalement mais se protègent par le port du foulard et de la "fouta" (morceau de tissu à rayures qui noue la taille et qui doit cacher les genoux, Les couleurs de la fouta sont identiques dans toute la Kabylie, c'est à dire : marron / orange / noir pour tous les jours et orange vif / jaune... pour les événements).

Or, les protecteurs de la femme sont en premier lieu sa parenté mâle. Le premier voile de la femme est présent dans ce tissu serré constitué par le père, les oncles, les frères et les cousins. Il est présent dans ce lien mystique qui les unit les uns aux autres. Ils ont le même ancêtre, le même sang coule dans leurs veines et ils luttent contre le même ennemi. Le voile est encore présent dans cette volonté antique de "vivre entre soi", sous le même toit, dans le même village et surtout "garder les filles de la famille pour les garçons de la famille, du village ou de sa région" et, ainsi, l'honneur est sauf. Il s'agit bien sûr de l'honneur des hommes qui serait atteint si on touchait à la femme de leur groupe.

Lorsque la femme algérienne se dévoila durant la guerre d'indépendance et participa au mouvement de libération, plusieurs observateurs étrangers proclamaient son évolution fulgurante et considéraient le fait comme un acquis fondamental, un point de non-retour. Les mêmes personnes, qui venaient retrouver l'Algérie libre, sont surprises par ses efforts considérables mais ils sont encore plus surpris par ce frein souterrain, incident, insidieux qui se présente sous la forme de femmes encore voilées dont le nombre s'est accru dans certaines régions et dont le voile s'est fait plus austère sur certaines femmes.

Le voile islamique (du modèle iranien et afghan) a remplacé le voile traditionnel algérien c'est-à-dire le haïk (voile blanc à l'Ouest et au centre de l'Algérie), la melaya (voile noir à l'Est), la fouta (chez les Berbères) ...

"C'est encore cette contrariété chronique, le vieux réflexe est toujours à l'oeuvre. Nous sommes toujours dans la république des cousins, mais alors pour quand la république des citoyens ?", nous dirait G. Tillion.

Je pense que le voilement comme le dévoilement sont profondément inscrits dans la structure de cette société. L'apparition de l'un ou de l'autre phénomène doit toujours être interprétée en fonction du contexte historique ou politique.

Dans sa préface à l'oeuvre de M. Mauss, Lévi-Strauss dit que :

"Nous ne pouvons jamais être sûrs d'avoir atteint le sens et la fonction d'une institution si nous ne sommes pas en mesure de revivre son incidence sur une conscience individuelle (...), toute interprétation doit faire coïncider l'objectivité de l'analyse historique ou comparative avec la subjectivité de l'expérience vécue" 86(*).

À travers mes entretiens, j'ai essayé de mesurer l'impact de cette institution sur les comportements. Ce serait un truisme que de dire : le voile ne contribue guère à la rencontre de l'homme et de la femme. Cependant, le moins banal est que l'évitement qui concernait l'étranger au groupe familial finit par s'étendre aux hommes de la famille et aboutit à une sorte de clivage à l'intérieur d'un même groupe familial. Ainsi, dans une même famille, nous voyons cohabiter deux mondes parallèles, ce qui n'est pas sans incidence au niveau de la structure des personnalités de ceux qui vivent cette réalité.

C'est par l'intermédiaire de l'éducation que la famille va intervenir activement pour développer chez ses enfants, garçons et filles, des attitudes qui vont dans le sens de leur exclusion mutuelle et du renforcement de la barrière qui les sépare. Ainsi, pour la fille, lorsque le voile apparaît dans sa vie, il n'est que l'aboutissement d'un long processus de nivellement et d'effacement de toute agressivité et positivité en elle.

L'attitude de la femme dévoilée en Algérie est frappante. Pour comprendre le processus de dévoilement, il serait intéressant de citer des propos assez significatifs des femmes interrogées sur cette question : "Je suis déshabillée ou même je me sens dénudée", dira la femme qui se libère de son voile, ou d'emprunter des passages de l'oeuvre d'Assia Djebbar dans Femmes "d'Alger dans leur appartement" :

"Le corps avance hors de la maison et, pour la première fois, il est ressenti comme "exposé" à tous les regards : la démarche devient raidie, le pas hâtif, l'expression du regard contractée (...), ne plus l'avoir, c'est être totalement exposée" 87(*).

Ceci, bien sûr, j'ai pu le percevoir (ou du moins sans les analyser avant les événements d'Algérie) qu'en voyant une autre catégorie de dévoilées, celles qui n'ont jamais porté le voile et celles qui s'inventent un nouveau voile (à l'Iranienne). "On ne peut être à la fois dans le paysage et en avoir la vue" 88(*), c'est là que prend tout son sens la notion de "report" de G. Devereux qu'il définit comme étant :

"L'influence subjective ou objective d'expectatives et aussi d'expériences antérieurement vécues avec une autre tribu, sur l'attitude adoptée envers la tribu présentement étudiée" 89(*).

Cette mise à distance à permis l'émergence d'un questionnement sur la femme algérienne et le processus de son être et de sa construction. Et c'est à ce moment-là qu'apparut la dimension contre-transférentielle. Pour s'en rendre compte, J.-Bernard. Pontalis a écrit :

"On ne peut parler du contre-transfert en vérité, mais on peut le rendre sensible avec le tact. Le mot tact évoquera ici moins une discrète circonspection que la sensibilité à une surface ! Cette sensibilité est d'abord méconnaissable par les formes qu'elle revêt, qui sont : soit éluder la question, soit ajourner son abord... " 90(*).

Mais ce genre d'étude ayant une limite dans le temps, il a bien fallu se pencher à un moment donné sur le problème soulevé et, à ce moment-là, d'autres manifestations se sont fait jour, heureusement consignées ou enfouies dans le subconscient : l'impression que ce phénomène de dévoilement n'a aucune impertinence. La compréhension du processus de voilement ou de dévoilement a toujours été un sujet qui questionne.

* 51 Dahbia ABROUS, L'honneur et le travail des femmes en Algérie, édit. L'Harmattan, Paris, 1989 ;

"L'honneur et l'argent des femmes en Algérie", In Peuples méditerranéens, 44-45, n° spécial, Les femmes et la modernité, 1988, pp. 49-165.

* 52 Lucie PRUVOST, "Intégration familiale de l'enfant sans généalogie en Algérie et en Tunisie: kafâla ou adoption", In Recueil d'articles offert à Maurice BORMANS, édit. PISIA, Roma, 1996, pp. 155-180.

* 53 Art. 222 : "En l'absence d'une disposition dans la présente loi, il est fait référence aux positions de la Charia".

* 54 Monique GADANT, Zakia DAOUD, Fatima MERNISSI, op. citées.

* 55 Zakia DAOUD, Féminisme et politique au Maghreb, édit. Eddif, Maroc, 1993 ; édit. Maisonneuve &Larose, Paris, 1993.

* 56 Interprétation animée d'un esprit réformateur des principes de l'Islam.

* 57 N. SAADI, La femme et la loi en Algérie, Collection Femme Maghreb 2000, édit. Le Fennec, Casablanca, 1991 ; édit. Bouchène, Alger, 1991.

* 58 H. MAZEAUD, Leçons de droit civil, T.I.N. n° 1079.

* 59 Cassation Civile, Alger, 4 février 1931 - RA 1931- 2 - 167.

* 60 El Yafi ABDOULLAH, La condition privée de la femme dans le droit de l'Islam, Thèse de Doctorat ès-Droit, Paris, 1928.

* 61 Cheikh CHALTOUT, cité par Yahia DENNAOUI, La famille musulmane dans certains codes contemporains (Ottoman, Syrien, Tunisien), Thèse de Doctorat, Paris II, 1978.

* 62 EL ASSIOUTY (ouvrage collectif), Le Maghreb musulman en 1980, édit. Du CNRS, Paris, 1981.

* 63 Ibid, p. 32

* 64 Ibidem, p. 34.

* 4 Sourate Ennissa (les femmes)

* 65 CORAN, Sourate n° 65, At-Talâq (le divorce), traduction Salah Eddine, édit. Dar Gharb El Islam, Bayrout (Liban), 1990.

* 66 Ibid, p. 20.

* 67 Concepts introduits à la Conférence Mondiale sur l'emploi de l'O.I.T., 1976.

* 68 Rapports de Jain DEVAKI, Institute of Social Studies de New-Delhi, cité par Marilee KARL In Les femmes et le développement rural, Articles sur le féminisme, France, 1989.

* 69 Rapport mondial sur le développement humain, Chapitre II, "La persistance des inégalités dans le monde", P.N.U.D., 1995

* 70 Z. BENROMDHANE, Dossier égalité et droit, Entre universalité et spécificité, Publication ENDA, Tunisie, Vivre autrement, 5ème série, numéro bilan sur Beijing, 1995.  

* 71 Alain TOURAINE, "Face à l'exclusion", In Citoyenneté et urbanité, édit. Esprit, Paris, 1991.

* 72 Alain TOURAINE, op. cit.

* 73 Penseurs réformateurs ayant mené des mouvements nationaux et de défense de la femme : Messali EL HADJ, Ferhat ABBAS, Mohamed Abdelhamid BOUDIAF (présidents ), de 1930 à 1960.

* 74 Akila BOUDIAF, op. cit.

* 75 Liste des ratifications par convention en 1994. Rapport III, partie 5, BIT, Genève, 1995.

* 76 Articles 01, 13, 76 de la Charte des Nations Unies, Déclaration Universelle des Droits de l'Homme de 1948, déclaration des Droits de l'Enfant de 1959, Déclaration sur l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes de 1967.

* 77 Pacte International relatif aux droits économiques et socioculturels, 1991.

* 78 Z. HADDAB, Collectif Maghreb-Égalité, Cent mesures et dispositions. "Pour une codification maghrébine égalitaire du statut personnel et du droit de la famille" (Document élaboré en vue de la Conférence de Pékin de septembre 1995 et co-édité en anglais et en arabe par la Friedrich Elbert Stiftung et l'Union européenne), avec le même groupe et sponsor, "Women in the Maghreb, Change and resistance".

* 79 Pierre BOURDIEU, "La domination masculine", In Actes de la Recherche en Sciences Sociales, n° 84, septembre 1990, p. 31.

* 1 Pierre BOURDIEU, "Sociologie de l'Algérie", In QSJ, édit. PUF, Paris, 1962.

* 80 Pierre BOURDIEU, "Sociologie de l'Algérie", édit. PUF, Paris, 1962.

* 81 Reysoo FENNEKE, Pèlerinages au Maroc : fête, politique et échange dans l'Islam populaire, édit. Neuchâtel / Institut d'ethnologie / Maison des sciences de l'Homme, Paris, 1991.

* 82 Ervin GOFFMAN, Gender advertisements, New York, MacMillan, 1979.

* 83 Expression de G. DEVEREUX, In De l'angoisse à la méthode, édit. Flammarion, Paris, 1980.

* 84 M. MAUSS, op. cit.

* 85 G. TILLION, op. cit., p. 11.

* 86 C. I. LEVI-STRAUSS, Introduction à l'oeuvre de Marcel Mauss, op. cit., p. XXVI.

* 87 Assia. DJEBBAR, Femmes d'Alger dans leur appartement, édit. Des Femmes, Paris, 1979, p. 175.

* 88 G. DEVEREUX, op. cit., p. 201.

* 89 Ibidem, p. 307.

* 90 J.-B. PONTALIS, "À partir du contre-transfert, le mort et le vif entrelacés", In Nouvelle revue de psychanalyse, août 1975, n° 12, p. 73.

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