1.3. Entre voyeurisme et suggestion, le cruel dilemme du
cinéma d'horreur
Dès lors comment dépasser cette recherche
d'efficacité réactive, qui est un gage de qualité pour
certains, une pure facilité permettant d'esquiver la question d'un bon
scénario pour d'autres, un passage obligé pour beaucoup ? C'est
également sur ce dilemme que se penche Eric Dufour, en contestant cette
conception qui détache trop souvent le fond de la forme. Pour lui, le
problème suscité par cette restriction de sens brouille les
repères entre contenu effectif et effectivité du contenu :
«Nous entendons par l'expression cinéma d'horreur une
catégorie esthétique et non psychologique. Autrement dit : cette
expression doit désigner un certain dispositif du film même, de
l'image même, indépendamment de tout affect (la peur) que le film
peut susciter chez les spectateurs»1 affirme le philosophe. Il
faut donc tenir compte des effets souhaités mais pour définir le
cinéma d'horreur il faut également s'intéresser au fond.
En effet c'est l'association du propos narratif et de ses modes d'expression
qui fait naître le récit filmique, la diégèse. Il
semble que les films d'horreur, au sens où nous l'entendrons dans cette
étude, peuvent se comprendre comme une association d'effets suscitant la
peur -voire la répulsion en ce qui concerne les films gores- sur une
trame narrative évoquant une situation inquiétante,
particulièrement propice à l'expression de crimes,
renforcés par une musique extradiégétique ou des sons
intra-diégétiques sur fond de silence pesant2. La
complexité du jeu entre champ et hors champ, permettant simplement de
suggérer ou au contraire de faire voir au spectateur, brouille les
repères de celui-ci et suscite sa déstabilisation physique et
mentale.
On est alors en droit de se demander si un film comme
Psychose (1960) d'Alfred Hitchcock peut toujours relever aujourd'hui
du genre de l'horreur3. Sa puissance de suggestion, qui doit plus au
génie du réalisteur qu'aux impératifs de la censure,
est-elle encore formatrice pour les films d'aujourd'hui ? Le «maître
de l'angoisse» fait-il toujours la loi au sein des réalisations
horrifiques ? En effet, malgré le fait que le meurtre de Marion dans la
douche du motel se déroule hors-champ, le récit avance dans un
climat inquiétant, à l'image de la musique, usant de travellings
et de zooms avant et arrière. Néanmoins, il semble que la
libération des moeurs ayant pour conséquence la fin de la censure
(qui n'exclut pas la protection des jeunes spectateurs), ajoutée au
voyeurisme latent dans nos sociétés, ait quelque peu
bouleversé ces codes, sans nécessairement s'y
1 in Le cinéma d'horreur et ses
figures, Paris, PUF, Lignes d'Art, 2005, p. 55
2 Sur le rôle du son dans le cinéma voir
M. Chion, La toile trouée, le son au cinéma, la voix au
cinéma, Paris, Ed. Cahiers du cinéma, coll. Essais, 1985 ou
encore P. Hutchings, op. cit. chapitre 6
3 idem, p. 56, 59-60
susbstituer totalement. Avec l'apparition de nouveaux genres
comme le gore ou le thriller, l'horreur a changé de forme. Les meurtres
ne sont plus relégués dans le registre du hors champ pour
apparaître le plus souvent dans le cadre, accentuant plus ou moins le
choc produit. Il n'y a pas d'impératif de mise en scène,
même si celui-ci regorge de codes, qu'ils soient respectés,
adaptés ou transcendés. L'histoire des genres connexes
(fantastique, science-fiction, réalisme documentaire,...) ainsi que les
possibilités offertes par les effets spéciaux forment une
véritable boîte à outils, dans laquelle chaque
réalisateur est supposé piocher pour en tirer le meilleur.
Cependant, malgré ces évolutions et les règles qu'elles
ont établies, il semble que la suggestion soit toujours de mise pour
susciter l'horreur et que la déferlente d'hémoglobine ne
constitue pas la règle ultime de l'épouvante au cinéma.
Xavier Palud, l'un des deux réalisateurs de Ils, affirmait
à ce propos: «[Le] parti pris était de faire travailler la
suggestion en ne montrant jamais la nature réelle de la menace.» A
David Moreau d'ajouter : «Une imagination bien stimulée engendre
beaucoup plus de frayeur que tous les monstres gluants ou toutes les
têtes sanguinolentes décapitées qu'on pourra montrer. Notre
but n'était pas de dégoûter ou d'horrifier, mais de mettre
les nerfs à vif et de terrifier»1. S'il n'y a pas de
nécessité sur la manière de susciter l'horreur, l'analyse
des schémas narratifs semble cependant en révéler quelques
uns.
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