CHAPITRE 1: REVUE DE LA LITTÉRATURE
Les premières études sur la relation entre prix
du pétrole et cycle économique se sont développées
après 1973, notamment avec les travaux pionniers de Michael R. Darby
(1981) et ceux de James D. Hamilton (1983). Ce dernier a montré qu'il
existe une relation négative significative entre une hausse de prix du
pétrole et la croissance du PIB réel aux États-Unis sur
les périodes 1948 - 1972 et 1973 - 1980. Par la suite, de nombreuses
autres études intégrant de nouvelles variables telles que le
niveau général des prix, le taux du chômage,
l'investissement net, confirmèrent cette thèse de relation
inverse entre prix du pétrole et croissance économique.
Les prochaines sections exposent en détail les
éléments théoriques des effets d'un choc pétrolier,
les principaux canaux par lesquels le choc se transmet aux différents
secteurs de l'économie et la symétrie de la relation entre choc
pétrolier et variables macroéconomiques.
1. Effets d'un choc de prix du pétrole sur
l'activité économique
Entre la seconde guerre mondiale et l'année 2005, neuf
des 10 récessions qui ont frappé l'économie
américaine avaient été précédées par
des hausses importantes du prix du pétrole. Cette relation
négative entre choc de prix du pétrole et le niveau de la
production a été vérifiée par Hamilton (2005). La
régression du PIB (entre 1949 et 1980) sur ses propres valeurs
retardées et sur les prix en t et retardés du
pétrole donne des estimations significatives et négatives aux
prix du pétrole.
L'hypothèse d'un troisième facteur qui agirait
en même temps sur le niveau de la production et sur le prix du
pétrole est peu probable car les prix du pétrole sont
exogènes et la plupart des chocs sont dus à des
phénomènes tels que les conflits armés. Mais cette
hypothèse d'exogénéité des prix du pétrole
sera remise en cause, dans le cas des États-Unis, par Robert Barsky et
Lutz Kilian (2004).
Pour analyser les effets d'une variation de la quantité
du pétrole, qui est un input énergétique, sur la
production, on considère une firme représentative de
l'économie produisant Y selon la relation :
Chocs de prix du pétrole et macroéconomie au
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Y = F(K,L,E) (1),
où Y est le produit et K, L
et E sont respectivement les facteurs capital, travail et
énergie utilisés dans la production. Supposons que p est
le prix à l'unité du produit, r celui du capital,
w celui du travail et q celui de l'énergie. Ainsi, le
profit de la firme est donné par :
PY -- rK -- wL -- qE (2).
En situation de concurrence pure et parfaite, la firme
(optimisatrice) utilisera de l'énergie jusqu'au point où le
produit marginal du facteur énergie égalise le prix relatif de ce
dernier, c'est-à-dire :
FE (K,L,E)= q (3),
P
où FE (K, L, E) est la dérivée
partielle de F(K, L, E) par rapport à E. En
multipliant les deux membres de l'égalité ci-dessus par
E et en divisant par Y, il vient :
=
qE PY ;
aF/F aE/E
D'où :
|
a ln F alnE
|
qE
=P Y= ~ (4).
|
D'après (4), l'élasticité du produit par
rapport à la quantité d'énergie utilisée n'est
autre chose que la part des dépenses en énergie dans le produit
total. Cependant, dans beaucoup de pays, la part des dépenses en
pétrole dans le PIB est faible (environ 4 % aux États-Unis), ce
qui donnerait des baisses dans la croissance du PIB moindres que celle
constatées effectivement.
Deux options s'offrent aux consommateurs d'énergie, en
cas de choc sur les prix du pétrole : réduire sa consommation ou
la maintenir constante en dépensant plus. Dans ce dernier cas, la
dépense supplémentaire maximale du consommateur est E
dq, soit par rapport au produit total :
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Aq (5).
q
E Aq
PY = ~
Ainsi, la faible croissance du produit provient de la hausse
des dépenses. Pour un revenu donné, cette hausse des
dépenses conduit à utiliser moins les autres facteurs de
production. Comme la mobilité des facteurs capital et travail a un
coût, la baisse de la demande ou de l'offre consécutives au choc
pétrolier conduisent à des capacités oisives de
production, d'où le ralentissement de la croissance.
D'autres explications de la relation négative entre
choc des prix du pétrole et croissance du produit mettent en cause la
politique monétaire restrictive, menée après le choc, pour
lutter contre l'inflation. Mais beaucoup de travaux montrent que l'impact de la
politique monétaire est faible. Nous explorons ci-après les
principaux canaux par lesquels le choc du prix du pétrole affecte
l'économie.
2. Canaux de transmission
Les canaux de transmission de ces chocs à
l'activité économique passent par l'offre et aussi par la
demande. Du côté de l'offre, l'augmentation du prix du
pétrole se traduit par une faible disponibilité du pétrole
qui est input important dans la production. Les coûts de la production
augmentent, la croissance du produit et la productivité sont ainsi
réduites. Cette baisse de la productivité affecte
négativement la rémunération et l'emploi.
Lors des périodes de hausse de prix de pétrole,
il se produit un transfert de richesse de pays importateurs de pétrole
vers ceux qui en sont exportateurs, baissant ainsi le pouvoir d'achat des
ménages et des firmes dans les premiers pays et
détériorant leurs termes de l'échange. La consommation est
liée positivement au revenu disponible, qui baisse en cas de choc.
Cependant, si les consommateurs anticipent que le choc est transitoire, ils
lissent leur consommation en épargnant moins ou en empruntant plus. Ce
qui a tendance à augmenter les taux d'intérêt.
Chocs de prix du pétrole et macroéconomie au
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Lorsque la hausse du prix du pétrole dure longtemps, la
structure de production de l'économie change. La rentabilité dans
les secteurs intensifs en pétrole baisse et cela incite les firmes
à développer de nouvelles techniques de production. Ce changement
dans le mode de production se fait par une réallocation du capital et du
travail entre les secteurs. A court terme, si la réallocation des
facteurs est coûteuse, il s'en suit une baisse de la valeur
ajoutée des entreprises. Le chômage peut augmenter mais l'effet
à long terme n'est pas significatif. La baisse de la valeur
ajoutée peut aussi survenir par le canal du report des investissements.
En effet, la volatilité des prix crée de l'incertitude, ce qui
amène les producteurs à reporter les décisions
d'investissement.
D'après l'effet des encaisses réelles, une
augmentation du prix du pétrole entraîne celle de la demande de
monnaie. Lorsque les autorités monétaires ne répondent pas
par une offre supplémentaire, les taux d'intérêt augmentent
et la croissance du PIB ralentit. Dans l'explication du ralentissement de
l'activité économique, certains économistes mettent en
cause plus la politique monétaire menée suite au choc que le choc
de prix lui-même. Bernanke, Gentler et Watson2 (1997)
affirment, dans le cas des États-Unis, que le ralentissement
économique aurait pu être évité si les taux
d'intérêt n'avaient pas augmenté et montrent que la
réaction de l'économie face au choc positif du prix du
pétrole diffère selon que les taux d'intérêt sont
maintenus constants ou non par la Réserve fédérale.
Lorsque les taux d'intérêts fédéraux ne sont pas
contraints à la constance, ils augmentent en cas de choc positif de prix
de pétrole et le PIB diminue. A contrario, la hausse du prix du
pétrole entraîne celle du PIB et de l'inflation.
La hausse de prix du pétrole crée
nécessairement de l'inflation qui, elle-même, produit des effets
indirects appelés des effets de second tour. Face à
l'érosion du pouvoir d'achat, les ménages revendiquent une hausse
de leur salaire. Les firmes, de leur côté, peuvent
répercuter la hausse de l'intrant pétrole sur leurs prix de
vente. Ces actions entretiennent l'inflation. L'impact sur l'inflation a
été très net pendant les 2 premiers chocs
pétroliers ; mais depuis les années 2000, il est de plus en plus
faible. La crédibilité et l'indépendance de la plupart des
banques centrales se sont renforcées depuis les années 70. La
stabilité des prix est leur objectif primordial et leur réaction
face aux crises est plus rapide. L'abandon, depuis lors, de l'indexation des
salaires aux prix empêchent les effets de second tour de survenir. La
2
Bernanke Ben S., Gentler Mark, Watson Mark (1997), Systematic
Monetray Policy and the Effects of Oil Price Shocks, Brookings Papers on
Economic Activity, 1, pp. 91 - 142.
Chocs de prix du pétrole et macroéconomie au
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Revue de la littérature
concurrence internationale devenant plus forte, les
entreprises n'ont pas la possibilité de transmettre la hausse du prix du
pétrole sur le prix de leurs biens. Donc, de nos jours le risque
d'inflation consécutive au choc pétrolier est moins important
qu'en 1970.
Les travaux effectués au début de la
décennie montrent que la relation de causalité (au sens de
Granger) entre le prix du pétrole et certaines variables
macroéconomiques tend à devenir statistiquement peu
significative. L'argument principal est que les économies (surtout
occidentales), de nos jours, dépendent moins du pétrole qu'il y a
30 ans. D'autres analysent avancent qu'il y a de plus en plus de canaux de
transmission et d'effets indirects, donc la relation est devenue plus complexe.
Les contextes diffèrent aussi ; lorsque survinrent les deux premiers
chocs pétroliers, l'économie mondiale entrait en
récession, alors qu'en 2000 la hausse du prix du pétrole
intervient à un moment où l'économie mondiale est en
pleine expansion (forte croissance en Asie), d'où la faible
significativité de la causalité observée depuis peu.
3. Asymétrie de la relation prix du pétrole et
variables macroéconomiques
Après la baisse des cours du pétrole de 1986,
l'activité économique n'a pas connu une expansion
considérable comme le prédisait la thèse mentionnée
plus haut. Cette dernière s'avère n'être
vérifiée qu'en cas de hausse des prix du pétrole. Les
travaux s'orientent alors vers la vérification de la symétrie de
la relation entre prix du pétrole et activité économique
face à une hausse et une baisse de prix. Les études
effectuées à cet effet montrent généralement que
les coefficients estimés, dans le cas d'une hausse des prix, sont
négatifs et significatifs ; alors que pour les baisses de prix les
coefficients sont positifs, faibles et non significativement différents
de zéro.
La politique monétaire peut être une explication
de cette asymétrie. Les salaires nominaux étant rigides à
la baisse, lorsque la politique monétaire ne mène pas d'actions
pour soutenir la croissance en cas de choc sur le prix du pétrole, cela
crée de l'inflation qui ralentit fortement l'activité
économique. Cependant, une baisse des cours du pétrole ne stimule
pas la croissance économique par une désinflation car les
salaires nominaux s'ajustent.
Chocs de prix du pétrole et macroéconomie au
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En raison de la réaction asymétrique des variables
macroéconomiques face aux chocs de prix du pétrole, des
transformations non linéaires du prix du pétrole ont
été proposées.
· Les effets d'une hausse et ceux d'une baisse sont
captés respectivement à travers les deux variables suivantes :
?Oilt( = max(0,
?Oi/t) ?Oilt- = min~0, ?Oi/t)
· Hamilton propose une autre spécification
non-linéaire (net oil price increase, NOPI) qui est la variation entre
le prix actuel et le prix le plus élévé au cours des 4
dernières périodes, si cette variation est positive ; zéro
sinon.
NOP1t = max(0,ln(O11t) - ln(max(O11t-i, Oat-2,
O1&t-3, Otit-4)))
· La spécification Scaled Oil Price Increase (ou
Decrease) SOPI (ou SOPD) tient compte de la volatilité qui a
prévalu avant la hausse du prix du pétrole, car l'impact de la
hausse est plus important dans un environnement où les prix
étaient stables que dans un environnement où existaient
déjà des fluctuations.
k
?Oilt = 6 + 8 9:?O%&t-: + Et
j=1
Malgré des chocs d'ampleur équivalente à
celle des chocs des années 70, la diminution du PIB et l'augmentation de
l'inflation sont plus modérées. L'une des origines de cet
assouplissement dans la relation provient de la plus grande flexibilité
des salaires réels. Les rigidités de salaire entraînent un
arbitrage entre maîtrise de l'inflation et stabilisation de la
croissance. Pour une politique monétaire donnée et face à
un choc, si les salaires réels s'ajustent moins vite alors plus vite
baissera le produit et plus vite augmentera l'inflation.
L'évolution dans la conduite de la politique
monétaire est un autre facteur du changement des effets des chocs
pétroliers. De nos jours, l'engagement des banques centrales pour
assurer la stabilité des prix est plus grand. Les stratégies de
ciblage de l'inflation ont permis de réduire considérablement
l'impact des chocs. Enfin, l'importance de la part du pétrole dans
Chocs de prix du pétrole et macroéconomie au
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l'économie ne cesse de décliner depuis les
années 1970, réduisant ainsi l'ampleur des effets des chocs sur
l'activité économique.
La relation entre prix de pétrole et croissance du PIB
semble être non linéaire comme le montre la baisse des prix de
1986, qui ne s'est pas traduite par un boom économique. Cette non
linéarité provient du comportement des consommateurs et des
firmes, asymétrique face à la hausse et à la baisse. On
n'achèterait, par exemple, pas autant de voitures en cas de baisse qu'on
refuserait d'en acheter quand les prix du pétrole sont
élevés.
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Partie empirique
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