Chapitre 3. Analyse comparative des performances de ce
marché sur les deux périodes étudiées.
Pour expliquer cette meilleure performance observée
dans le secteur de la téléphonie cellulaire pour la
période mai-décembre 2006, nous partons de l'hypothèse
suivante : « La stratégie concurrentielle de la Digicel est le
facteur déterminant du dynamisme du secteur de la
téléphonie cellulaire en Haïti en 2006 ». Et pour
soutenir cette proposition, nous considérons deux autres
hypothèses secondaires mettant en relief les stratégies des
firmes sur chacune des deux sous périodes étudiées. Pour
vérifier la validité de ces hypothèses, nous
procédons à une analyse comparative de ces deux sous
périodes.
Tout d'abord, nous présentons la notion de dynamisme de
marché. Pour rendre opérationnel ce concept, nous
considérons deux grandes dimensions qui sont le degré
d'accessibilité et la nature des choix des produits et services. Ainsi,
dans ce chapitre nous étudions sur chacune des sous périodes
considérées le niveau de dynamisme atteint dans le secteur en
fonction des dimensions retenues.
Ensuite, nous vérifions les hypothèses du travail
de recherche en analysant les causes des performances obtenues à travers
les périodes étudiées.
Enfin, nous présentons sur chaque sous période
les relations de causalité existant entre la structure, le comportement
et la performance du secteur et nous procédons à une analyse par
la théorie des jeux pour modéliser les interactions
stratégiques des opérateurs.
A. L'analyse économique du secteur de la
téléphonie cellulaire sur la période 1999 à avril
2006.
A.1 Peut-on parler de dynamisme dans ce secteur
considéré sur la période 1999-avril 2006 ?
Dans un marché concurrentiel, le concept de dynamisme
fait référence à une situation dans laquelle les
consommateurs bénéficient, en termes de quantité et de
qualité des produits et/ou services, des avantages résultant de
la concurrence accrue entre les firmes.
Considérant le marché de la
téléphonie cellulaire en Haïti, il y a lieu de poser le
problème du dynamisme de ce secteur quand on considère son
évolution sur la période 1999 à avril 2006. Plusieurs
experts reconnaissent que le dynamisme du marché de la
téléphonie mobile ne se résume pas seulement à la
quantité d'opérateurs qui interagissent sur ce marché.
Pour cerner le concept de dynamisme, il faut prendre en compte deux grandes
dimensions qui sont le degré d'accessibilité au secteur et la
nature des choix des produits et services mis à la disposition des
consommateurs. Le degré d'accessibilité permet
d'évaluer la capacité du secteur à offrir le service
à une population donnée, mais aussi le rythme auquel cette
population utilise ce service. Trois principaux indicateurs rendent
opérationnel le degré d'accessibilité, ce sont : les
prix, les canaux de distribution et le taux d'utilisation des services, les
taux
de pénétration et de couverture de ce
service. La nature des choix des produits et services met
en évidence les caractéristiques des produits et services
offerts, elle peut être expliquée par : la qualité des
services et la diversification des produits et services.
Dans le cas haïtien, l'analyse des données
disponibles met en évidence un service à diffusion plutôt
limitée offert au consommateur qui certes ne dispose pas
forcément d'un pouvoir d'achat lui permettant toujours de se payer un
terminal et les coûts de recharge. Ainsi, après plus de 6 ans
d'introduction du cellulaire en Haïti, le taux de
pénétration du téléphone de façon
générale a certainement évolué, car il est
passé de 0.72% en 1998 à plus de 9% en avril 200637.
Toutefois, ce taux restait encore très faible par rapport à nos
voisins des caraïbes (60% en moyenne). Ce service jusqu'en avril
2006 était disponible seulement dans les grandes villes du pays
tandisque la plupart des zones rurales n'y avaient pas accès. C'est
là l'une des causes expliquant le faible taux de couverture de ce
service qui dépassait à peine 50% du territoire national. Bien
d'autres arguments pourraient encore être évoqués pour
étayer le caractère stagnant de ce secteur, on pourrait alors
faire référence à la gamme de services offerte par les
principaux opérateurs qui comprenait tout simplement le service de
téléphonie à proprement parler (transfert de la voix) et
la messagerie vocale.
Il est certain que le marché de la
téléphonie cellulaire a apporté une amélioration
dans le paysage des télécommunications en Haïti. Toutefois,
s'il est vrai que ce marché qui au début paraissait dynamique a
fait nitre de grandes attentes relatives à l'explosion d'un service qui
serait étendue à toute la population, l'analyse de
l'évolution du secteur montre pourtant un faible degré
d'accessibilité qui s'explique par des prix élevés, de
faibles canaux de distribution, des taux de pénétration et de
couverture très faibles. Cette analyse met aussi en évidence une
gamme de produits assez restreinte et un service de qualité plutôt
modeste. A la lumière de ces constats nous concluons que le secteur de
la téléphonie cellulaire sur cette période était
peu dynamique.
Trois variables sont à l'origine de ce faible
dynamisme constaté dans le secteur au cours de cette période. Ce
sont : Le comportement des opérateurs, la technologie utilisée et
l'absence d'une politique publique efficace.
A.2. Quelles stratégies les opérateurs en place
ont-ils adopté ?
L'analyse des comportements des différents
opérateurs évoluant sur le marché de la
téléphonie mobile cellulaire haïtien révèle
que les deux principaux opérateurs Comcel et Haitel ont opté pour
des choix très différents en ce qui a trait aux services offerts
à la clientèle, au type de technologie utilisée, à
la qualité des investissements, etc.
37 Tableau en Annexes
Le point fort qui différencie ces deux concurrents sur
la période 1999-avril 2006 porte sur le type de technologie
utilisée et l'impact de ces choix sur la manière de desservir la
clientèle et la relation qui se développe entre
l'opérateur et ses clients. Depuis 1999, la Haitel a introduit en
Haïti la technologie CDMA alors que la Comcel quelques mois plus tard a
commencé à fournir le service de téléphonie mobile
utilisant la technologie TDMA. Ces deux technologies étant
incompatibles, le coût supporté par un client pour passer du
réseau d'un opérateur à un autre est très
élevé, ce transfert impliquerait l'acquisition d'un nouveau
terminal, un nouveau contrat incluant des frais d'activation, un nouveau
numéro, etc. De plus, l'utilisation de deux technologies
différentes a eu une conséquence directe sur la capacité
des opérateurs à activer certains terminaux selon leur marque.
Par exemple certaines marques de téléphone comme Nokia, Motorola
étaient utilisées exclusivement par les clients de la Comcel
alors que d'autres marques comme Qualcomm ne pouvaient être
activées que par la Haitel.
Cependant, à partir de novembre 2005 la Comcel adopte
la technologie GSM, plus moderne que le TDMA, et du coup va accentuer sa
différenciation par rapport à la Haitel. Entre novembre 2005 et
avril 2006, la compagnie enregistre une croissance de 7% du nombre
d'abonnés sur son réseau et parvient à conserver ses
anciens clients du réseau TDMA en leur offrant la possibilité de
migrer vers le GSM.
Dans leur phase de duopole, Comcel et Haitel se sont donc
efforcés à fidéliser leur clientèle respective en
utilisant chacune une technologie perçue comme unique au niveau du
secteur. Cette approche fait référence à la
stratégie de différenciation évoquée par
Michael Porter.
A.3. L'impact de la stratégie de
différenciation sur le marché.
La stratégie de différenciation pratiquée
par la Haitel et la Comcel octroie un certain pouvoir de monopole à ces
deux opérateurs sur la technologie adoptée et sur les terminaux
utilisant ces technologies. L'utilisation de deux technologies cellulaires
différentes se traduit par un partage du marché entre ces deux
concurrents, chacun desservant une clientèle qui lui est fidèle,
mais aussi par un faible degré de substituabilité des services
parce que le coût de transfert d'un opérateur à un autre
devient alors très élevé pour le consommateur. Cette
situation de monopole que chacun de ces opérateurs possède sur sa
technologie comme toute situation de monopole est à l'origine d'un
surprix sur le marché. Dans le cas haïtien, cette situation a
perduré dans le temps principalement pour deux raisons : un
coût de transfert trop élevé et la parité
des tarifs chez les opérateurs. Car même si le client de la
Haitel mécontent des tarifs pratiqués par son fournisseur accepte
de supporter les frais de transfert nécessaires pour s'abonner chez
Comcel, il verra en fin de compte que les tarifs exercés par ce dernier
sont aussi chers que ceux de la Haitel, parce que la Comcel lui aussi a un
pouvoir de monopole sur son segment de marché.
La différenciation des services, du fait que Haitel et
Comcel possèdent chacune une clientèle attachée à
son propre réseau n'entraîne aucun risque de guerre des prix. Les
tarifs des services sont pratiquement les mêmes pour l'abonnement et pour
les services prépayés. Cette stratégie telle que
pratiquée par ces opérateurs n'a entraîné aucun
risque pour l'une ou l'autre de ces compagnies de perdre sa clientèle ou
d'essuyer le mécontentement de son concurrent et ceci essentiellement
parce qu'elles n'ont mené aucune politique active de vente.
Aussi l'étude du comportement des deux principaux
opérateurs de téléphonie cellulaire
révèle-t-elle une certaine complicité dans le choix des
stratégies respectives des entreprises car on ne retrouve pas chez l'un
ou l'autre des deux opérateurs cette agressivité
caractéristique d'une vraie concurrence. Comment peut on expliquer cette
complicité ?
Pour limiter les retombées négatives qui
pourraient résulter de l'utilisation de technologies différentes,
dans certaines régions comme par exemple en Europe, les
régulateurs nationaux exigent que les opérateurs utilisent la
même technologie (GSM). Cette mesure garantit une plus grande concurrence
entre les opérateurs et aboutit à un marché plus
compétitif et très dynamique. Toutefois, en Amérique du
Nord et dans certains pays asiatiques, les régulateurs acceptent
l'exploitation de technologies différentes sur leur marché qui
pourtant reste dynamique. Par rapport à ce constat, il parait alors
nécessaire de trouver les particularités du marché
haïtien qui expliquent les résultats obtenus à partir de la
stratégie de différenciation. En premier lieu, il n'y avait que
deux opérateurs, cette situation stimulait une réelle tentation
à coopérer en vue de partager le marché, ensuite le fait
que ces derniers n'utilisent pas une technologie identique limite la
mobilité des utilisateurs sur les deux réseaux, un verrouillage
systématique qui rend les abonnés moins sensible aux tarifs. Dans
un pareil contexte, les opérateurs ont plus intérêt
à coopérer en pratiquant une politique de segmentation du
marché à travers des politiques concurrentielles similaires qui
garantissent de meilleurs profits, alors qu'une concurrence pourrait conduire
l'une ou l'autre en dehors du marché, d'autant plus que le Conatel,
contrairement au régulateur du marché américain, n'a pas
instauré de balises pour empêcher de telles pratiques.
La stratégie de différenciation employée
par Comcel et Haitel sur la période 1999-Avril 2006 est de toute
évidence un des principaux facteurs ayant contribué au faible
dynamisme de ce secteur. Tout d'abord la différenciation, parce qu'elle
donne lieu à un pouvoir de monopole de chaque opérateur et par
conséquent la capacité pour chacun d'eux de pratiquer des tarifs
élevés, restreint l'accès au marché. De plus, le
pouvoir de monopole dont bénéficiaient ces opérateurs ne
les incitait pas à innover, il en résulte une faible
disponibilité des produits et services standards accessibles à
tout utilisateur d'un téléphone portable à travers le
monde (SMS, MMS, Internet, roaming, etc.).
Mise à part l'analyse purement microéconomique
considérée antérieurement, d'autres facteurs doivent
être pris en compte pour expliquer le manque de dynamisme observé
dans le secteur. Pour la crédibilité de l'étude il faut
aller encore plus loin pour exploiter d'autres points de vue si on veut cerner
tous les aspects de cette problématique, d'autres paramètres
inhérents au domaine des télécommunications et à
l'état haïtien sont mis en cause dans l'explication de ce
phénomène :
i. La technologie utilisée : A ce niveau on
pointe du doigt les limites des technologies CDMA et TDMA utilisées par
ces deux concurrents qui étaient dans l'incapacité de satisfaire
une très grande partie de la population. Ces deux technologies
étant dépassées, par conséquent leur réseau
ne pouvait pas accueillir un grand nombre d'abonnées. De plus, ces
opérateurs ne pouvant plus trouver des équipements qui
étaient déjà en voie de disparition, pour ne pas saturer
leurs cellules, pour maîtriser la qualité du service et pour
financer de nouveaux investissements, ils pouvaient avoir intérêt
à fixer des tarifs élevés et à cibler une
clientèle d'affaire. Par ailleurs, Comcel avec son nouveau
système, le GSM 850, pouvait parfaitement se contenter
de cibler une clientèle d'affaires à travers une politique de
prix élevés. Une stratégie convenant bien au GSM 850
puisqu'elle permet d'offrir une couverture complète du territoire, sans
pour autant densifier son réseau. Pour cela Comcel pouvait commencer par
déployer un réseau de densité moyenne afin de couvrir le
plus rapidement l'ensemble du territoire avec des cellules de tailles
importantes. Ensuite on questionne les moyens financiers de ces firmes à
savoir s'ils étaient insuffisants pour de nouveaux investissements ou
les utilisait-on a d'autres fins. Toutefois, face aux réticences des
responsables des principaux opérateurs de téléphonie
à faciliter l'accès aux informations relatives aux données
financières des entreprises, nous avons été dans
l'impossibilité de répondre adroitement à cette
interrogation qui pourrait faire plus tard l'objet d'une étude beaucoup
plus approfondie.
ii. Politique publique : Une politique publique visant
à promouvoir la diffusion des NTIC comme facteur de développement
devrait pouvoir établir un calendrier de diffusion de ces technologies
et élaborer un cadre légal adapté aux
spécificités du secteur.
On a exposé antérieurement l'importance des NTIC
comme outils de progrès par lesquels doivent passer
nécessairement les nouveaux pays en quête de développement
socioéconomique. Or, le développement social et économique
étant principalement l'affaire des Etats, il est nécessaire
d'identifier les secteurs clés devant permettre d'atteindre ce but. Dans
cette optique, l'enjeu des télécommunications étant si
importants, il nous faut des politiques publiques adéquates.
Les premières impressions laissent croire que la
diffusion du service téléphonique au niveau national n'a jamais
été une priorité des pouvoirs publics. L'évolution
pour le moins insatisfaisante des télécommunications d'Haïti
S.A. (Teleco) comme entreprise publique ne plaide pas en faveur de
l'existence d'une politique publique visant à
promouvoir l'accès des moyens de télécommunications
à tous. Mais qu'en est-il en réalité ? Doit-on parler de
désengagement réel de l'Etat dans ce domaine ? C'est plutôt
un problème qui s'inscrit dans un cadre plus général
d'absence ou plutôt d'incohérence des politiques publiques de
l'Etat haïtien. En effet, l'apparition des premières compagnies de
téléphonie cellulaire s'est faite dans ce contexte
d'inadéquation des efforts des pouvoirs publics en vue de promouvoir la
diffusion du service téléphonique à travers le pays. Il
faut ajouter à cela l'existence d'un cadre légale38
régissant ce secteur totalement dépassé qui ne prend pas
en compte les particularités propres de la téléphonie
cellulaire. Le Conatel qui est l'organe de régulation étatique
utilise pour sa mission de contrôle du secteur des lois qui ont
été mises en place depuis 1977 pour contrôler
l'évolution de la Teleco jouissant alors d'un monopole naturel dans
l'exploitation de la téléphonie par câble. Le
régulateur ne dispose donc d'aucune force légale adaptée
à la nouvelle configuration de ce secteur où évoluent des
opérateurs de téléphonie mobile. Il faut noter aussi que
les autorisations pour la fourniture d'un service de téléphonie
(fixe ou mobile) seront accordées seulement sur la base d'un appel
public de soumission assorti d'un cahier des charges (appel d'offres) pour
obtenir un contrat de concession avec l'état Haïtien. Cette
disposition nous révèle encore une fois des barrières
à l'entrée que pose le Conatel qui jusqu'à présent
ne souhaite pas libéraliser totalement le secteur comme cela se fait
ailleurs. De plus, avec l'exploitation de deux technologies différentes
dans ce secteur, le Conatel a, en fait, cautionné une segmentation du
marché qui va influencer énormément le comportement des
opérateurs et qui, par la suite, va donner lieu à une situation
de monopole pour la Haitel sur la technologie CDMA, et pour la Comcel sur la
technologie TDMA.
Donc le manque de dynamisme observé dans le secteur de
la téléphonie cellulaire au cours de cette période
résulte principalement de la stratégie de différenciation
pratiquée par les opérateurs. Les technologies utilisées
et l'absence d'une politique publique efficace en matière de
télécommunication expliquent aussi le faible taux de
pénétration et le piètre résultat
enregistrés dans le secteur sur la période 1999-avril 2006.
Une analyse des relations de causalité entre la
structure du marché, le comportement des firmes et la performance du
secteur résume parfaitement la situation du marché. Et pour mieux
saisir l'évolution du secteur sur cette période, il faut aussi
comprendre les enjeux auxquels faisaient face les firmes concurrentes, la
théorie des jeux nous aidera à mieux élucider ces
enjeux.
38 Mémoire de sortie de Thadal et Amelin,
CTPEA, 2005.
A.4. Relation de causalité entre structure,
comportement et performance.
On peut affirmer que la relation de causalité existant
entre la structure de ce marché, le comportement des opérateurs
et la performance du secteur n'est pas une relation unidirectionnelle, au
contraire elle va dans les deux sens conformément à la logique de
Jean Tirole. Tout d'abord, le fait par le Conatel de laisser les deux
opérateurs utiliser deux technologies différentes influence
grandement le comportement de ces derniers. Cette situation leur donne la
possibilité de se comporter en monopoleur sur la technologie
exploitée et ce comportement aura des répercussions sur la
performance du secteur notamment, la pratique de tarifs élevés,
le faible taux de pénétration du téléphone
cellulaire et la mauvaise qualité du service. La structure du
marché dans un sens influence le comportement des opérateurs dans
le secteur qui affiche alors une performance peu satisfaisante. En retour, le
fait que ces deux opérateurs se comportent en monopoleur grâce
à leurs technologies, traduit une situation de concurrence
monopolistique et étant seuls sur le marché de la
téléphonie cellulaire, Comcel et Haitel évoluaient en
situation d'oligopole. Ces deux situations reflètent un marché
hybride d'oligopole et de concurrence monopolistique qui traduit l'influence du
comportement des opérateurs cette fois-ci sur la structure du
marché. Cette pratique de tarifs élevés adoptée par
les compagnies leur a été bénéfique car elles ont
réalisé des surprofits durant toute la période. Cette
performance obtenue leur a incité à garder et à renforcer
les mêmes stratégies : politique de tarification
élevée, segmentation du marché, comportement de
monopoleur. Ceci traduit directement la répercussion des
performances réalisées par ces opérateurs sur leurs
comportements, et de façon indirecte va consolider cette structure de
marché (hybride ou segmentée).
Fig.3.1
Fig 3.1 Le modèle
Structure-Comportement-Performance
Structure
Comportement
Performance
.
A.5. Une analyse par la théorie des jeux du
secteur.
Les différentes analyses relatives au secteur de la
téléphonie cellulaire montrent que le comportement des
opérateurs joue un rôle prédominant dans son
évolution. La stratégie de différenciation
employée par les principales firmes accouche une structure de
marché hybride d'oligopole et de concurrence
monopolistique et aboutit à un secteur peu
dynamique39. Donc une amélioration de la situation dans ce
marché devrait passer par un changement dans le comportement des
opérateurs.
Toutefois, considérant les conditions dans lesquelles
évolue le marché de la téléphonie cellulaire entre
1999 et avril 2006, Comcel et Haitel se sont livrés à un jeu
où elles ont pu trouver un équilibre satisfaisant pour chacune
d'elle. En effet, Comcel aussi bien que la Haitel en adoptant un comportement
assez conciliant vis-à-vis de sa rivale s'est assurée que cette
dernière ne tentera aucune action de représailles, néfaste
pour son évolution. Donc, aussi longtemps que l'une ou l'autre ne change
sa ligne d'action il est certain qu'elle ne risque d'engendrer aucune guerre de
publicité, ni vol de marché, ni de politique concurrentielle
agressive. Ces opérateurs semblent alors employer une stratégie
« coopérer- coopérer », et plus d'un pense à
l'éventualité d'un accord tacite40 entre eux notamment
quand on analyse l'évolution des prix respectifs qu'ils pratiquent. Ces
opérateurs depuis 1999 ont fixé leur tarif à la minute au
même niveau, ce tarif était fixé à 3 gourdes
jusqu'à Décembre 2001 ce qui représentait
l'équilibre obtenu en situation collusive. A partir de Janvier 2002, se
basant sur la dépréciation de la gourde qui passe de $1USD pour
17 gourdes à $1 USD pour 35 gourdes, les opérateurs fixent le
prix de la minute à 5 gourdes sur les deux réseaux, ce qui alors
donne lieu à un nouvel équilibre collusif.
Comcel et Haitel certes avancent la dépréciation
du taux de change pour justifier l'augmentation des tarifs pratiqués sur
le marché. Cependant, grâce au raisonnement de la théorie
des jeux nous pouvons expliquer comment la pratique de tarifs
élevés résulte surtout d'un comportement collusif. Nous
avons montré qu'en dépit du fait que Comcel et Haitel exploitent
deux technologies différentes, elles vendent un service de
qualité presque identique si bien que le consommateur prend en compte
seulement la variable prix de la minute'' lorsqu'il veut s'abonner
à l'un ou l'autre des deux réseaux. Chaque firme a deux
stratégies possibles pour la tarification des minutes : fixer un prix
élevé (PE) ou un prix bas (PB). Dans le tableau 3 nous
présentons les conséquences monétaires de ces
différentes stratégies tel que le premier nombre de chaque case
de la matrice est le profit de Comcel et le second celui de Haitel.
Tab. 6 Haitel
Comcel
|
PB
|
PE
|
PB
|
40 u, 40 u
|
90 u, 10 u
|
PE
|
10 u, 90 u
|
70 u, 70 u
*
|
39 Les critères de dynamisme sont
définis à la page 53.
40 La faiblesse du cadre légal est mise en
cause ici. Réf. mémoire de sortie de Thadal et Amelin «Pour
une régulation efficace du secteur de la téléphonie en
Haïti», CTPEA, 2005
Si ces firmes fixent toutes les deux un prix
élevé, nous sommes dans une situation collusive qui nuit au
consommateur mais chaque firme obtient un profit de 70 u 41.
Cependant si une firme fixe un prix élevé alors que l'autre,
déviant la stratégie de prix élevé, peut obtenir un
profit encore plus grand en baissant son prix. Cette dernière
enlève de fait la quasi-totalité du marché et obtient un
profit de 90 u ne laissant à sa rivale qu'un profit de 10 u. Si les deux
fixent un prix bas, elles partagent à parts égales un
marché plus étendu mais comme le prix est plus faible, elles ne
gagnent que 40 u.
Supposons que le régulateur joue pleinement son
rôle et arrive à empêcher qu'il y ait entente entre les
firmes, elles se retrouvent alors dans le dilemme du prisonnier, dans ce cas la
seule combinaison de stratégies conduisant à un équilibre
de Nash est celle dans laquelle Comcel et Haitel fixent un prix bas et
obtiennent un profit de 40 u. Sous la même hypothèse,
considérant le cas où les deux firmes fixent un prix
élevé, cette combinaison de stratégie incite chacune des
firmes à tricher en fixant un prix bas, ainsi son concurrent n'aurait
d'autre choix que de revenir à un prix bas. Donc, si Comcel s'attend
à ce que Haitel fixe un prix élevé sa meilleure
réponse est de fixer un prix bas car il gagne 90 u au lieu de 70 u. Par
contre, si Comcel s'attend à ce que Haitel fixe un prix bas sa meilleure
réponse est encore de fixer un prix bas. En ne choisissant pas un prix
élevé il évite ainsi de perdre de l'argent : son gain est
de 40u au lieu de 10 u. Comcel est toujours mieux en fixant un prix
bas quelle que soit la stratégie attendue de Haitel. Ce raisonnement
étant symétrique, nous voyons donc que fixer un prix bas est une
stratégie dominante pour les deux firmes.
Dans le cas haïtien, l'équilibre a toujours
été maintenu à un niveau de prix élevé. Si
les opérateurs mettent en relief le taux de change pour justifier ces
choix, il n'est pourtant pas certain que cet argument suffise à faire
taire les critiques qui voient dans le choix de faire augmenter leurs tarifs
dans les mêmes proportions et au même moment un comportement
collusif. Dans les faits on a constaté que Comcel à partir de
janvier 2002 fait augmenter le tarif sur les minutes de 65% au risque de perdre
des parts de marché ; au cours de la même semaine, la Haitel fait
augmenter ses tarifs au même niveau. Pourtant, en fonction du choix fait
par la Comcel d'augmenter ses tarifs, la Haitel pouvait choisir entre garder le
même tarif (3gdes/mn), ou bien l'augmenter à un niveau plus faible
que celui de Comcel et du coup capter une plus grande part de marché
(par exemple : 4gdes/mn), ce qui est tout à fait conforme à la
logique concurrentielle. Mais le choix de pratiquer un tarif aussi
élevé que son concurrent traduit une certaine entente visant
à assurer de surprofit pour les deux firmes. Ainsi, l'action de la
Comcel peut donc s'interpréter comme un signal envoyé à
Haitel, auquel ce dernier répond favorablement. La
41 A défaut d'informations relatives aux
profits des firmes, ces nombres qui sont des valeurs théoriques choisies
arbitrairement représentent leur niveau d'utilité. Avec
U(utilité) U 0
théorie des jeux nous permet de dire dans ce cas que seule
une entente, formelle ou tacite, en l'absence de politique de régulation
rigoureuse et efficace garantit le maintien d'un tel équilibre.
Cette situation dans laquelle a évolué ce
secteur est à l'origine de surprofit pour les deux opérateurs.
Tout ceci s'est fait au détriment des consommateurs qui se retrouvent
alors dans une situation d'équilibre sous optimal traduite par les
mauvaises performances du marché et par une perte sociale42.
Cependant, en dépit des surprofits qu'elle permet de réaliser,
nous pouvons montrer que la stratégie (PE, PE) qui traduit un
équilibre optimal pour les opérateurs peut être
améliorée. En effet, admettons que les profits en situation
collusive (70 u, 70 u) ont été obtenus au temps t ; supposons
qu'à t+1 les firmes modernisent leur réseau, faisant ainsi
augmenter leur nombre d'abonnés. Cette croissance de la demande
effective engendrait une situation dans laquelle les gains obtenus seraient
supérieurs aux résultats observés au temps t. Tout
d'abord, si l'équilibre du marché reste un équilibre
collusif les gains seraient tels que (PE, PE)t+1 > (PE, PE)t. Si par contre
les opérateurs se livrent à une concurrence sans aucune
possibilité de faire des ententes, nous nous retrouvons dans une
situation d'oligopole pure qui correspond au dilemme du prisonnier. Les prix du
marché tendent alors vers le coût marginal des firmes et sont donc
inférieurs aux prix de collusion. Dans ce cas, le niveau de profit
correspondant à l'équilibre de Nash serait supérieur
à celui de l'équilibre collusif au temps t : (PB, PB)t+1
> (PE, PE)t.. Ceci s'explique par la croissance
du nombre des abonnés sur les deux réseaux impliquant un plus
grand trafic, les opérateurs grâce à cet effet de volume
réaliseraient des ventes plus importantes. Une situation semblable
à t+1 éviterait une perte du surplus des producteurs, elle
réduirait aussi la perte du surplus des consommateurs qui
eux-mêmes accéderaient à ce service à moindre
coût.
Tab. 7 Haitel
Comcel
|
PB
|
PE
|
PB
|
75 u, 75 u
|
120 u, 40 u
|
PE
|
40 u, 120 u
|
90 u, 90 u
|
Donc, le nouveau dynamisme recherché passe soit par une
situation dans laquelle les firmes en place investissent dans la modernisation
de leur réseau pour élargir le marché ; soit par une
nouvelle configuration du secteur où au moins un troisième
opérateur évoluerait en adoptant un comportement plus agressif
qui aboutirait à un système de tarification plus concurrentiel et
une plus grande gamme de services rendant le marché plus accessible et
plus dynamique.
42 Ensemble des préjudices subis par la
collectivité lorsque le marché s'écarte de l'idéal
concurrentiel.
|