INTRODUCTION GENERALE
I.
ETAT DE LA QUESTION
De nos jours, il ne fait l'ombre d'aucun doute que le
20ème siècle est connu comme le siècle le plus
meurtrier de l'histoire de l'humanité. Pour s'en convaincre, rappelons
à titre de mémoire le génocide des arméniens en
1917, l'extermination de 6 millions des juifs par le régime nazi
d'Hitler dans les camps de concentration et les chambres à gaz, avec
comme point culminant le crime absolu : l'holocauste.
Les affres de la deuxième guerre mondiale n'ont pas
moins étonné la planète terre, les 800.000 victimes qu'a
fait le génocide perpétré par les Khmers rouges au
Cambodge en 1976 encore moins.
[1]
En 1991, c'est au tour de l'ex-Yougoslavie de défrayer la chronique avec
le nettoyage ethnique, les crimes contre l'humanité et les crimes de
guerre. Et comme si tout cela ne suffisait pas, en 1994, le Rwanda surprend le
monde entier avec le génocide de près d'un million des tutsi et
hutu modérés en un temps record.
[2]
Tous ces crimes haineux et abominables qui ont heurté la conscience de
l'humanité n'ont pas manqué de susciter une vive indignation
universelle avec comme conséquences perceptibles l'énoncé
de grands principes, l'adoption des traités internationaux comme
pour donner plus de foi et de consistance au « plus jamais
ça ».
Cependant, le sentiment que l'on pourrait avoir c'est que toutes les fois qu'il
y a des crimes graves commis, c'est la répétition du même
rituel : indignation, énoncé de grands principes , adoption
des traités internationaux, création des institutions de
répression, etc.
De ce fait, une question persiste ; celle de savoir
pourquoi l'impunité n'en finit pas de faire son chemin?
Il est certes vrai que face à ces crimes
indescriptibles qui ont marqué le monde, la communauté
internationale n'est pas restée bras croisés. Plusieurs
mécanismes ont été imaginés et mis en application
pour constituer un rempart sérieux contre les auteurs des crimes les
plus graves qui défient l'imagination humaine en vue même de leur
prévention.
C'est dans cette optique que l'on a assisté au fil des
ans à la création de plusieurs juridictions pour saisir et juger
les auteurs de ces crimes qu'on a de la peine à qualifier.
Ainsi, les mises sur pied successive du tribunal militaire du
Nuremberg, du tribunal militaire de Tokyo, du Tribunal pénal
international pour l'ex -Yougoslavie (T.P.I.Y.) et du Tribunal pénal
international pour le Rwanda (T.P.I.R.) sont autant d'efforts
réalisés par la communauté internationale pour briser le
cycle d'impunité face aux violations flagrantes des droits de
l'homme.
S'il est vrai que les tribunaux militaires de Nuremberg et de
Tokyo ont joué un rôle en leur temps dans la lutte contre
l'impunité, s'il est aussi vrai que le T.P.I.Y. et le T.P.I.R.
continuent de jouer ce même rôle dans des espaces restreints et
bien définis, il n'en demeure pas moins vrai que des crimes odieux
continuent d'être commis en toute impunité de par le monde.
D'où, la nécessité de la création
d'une juridiction internationale mieux à même de poursuivre en
tout lieu et en tout temps les auteurs des crimes les plus graves qui blessent
la morale humaine et ce, quel que soit leur statut officiel ou non.
Dès lors, il va sans dire que l'adoption du statut de
la Cour Pénale Internationale (CPI) le 17
juillet 1998 à Rome, marque un changement de paradigme dans l'histoire
de la lutte contre l'impunité
[3], tant il
est vrai qu'elle instaure un ordre juridique international permettant de
traduire en justice ceux qui ont commis les crimes les plus odieux de
portée internationale et de contribuer ainsi à la lutte contre
l'impunité.
Vu sous cet angle, les peuples de plus d'un pays fondent leurs
espoirs dans cette Cour, projetant par là un lendemain où, par
principe, plus aucun crime ne restera impuni. Ainsi d'ailleurs que le
déclare le secrétaire général de l'Organisation des
Nations Unies (ONU), Kofi Annan,
« ...la Cour est un gage d'espoir pour les générations
futures qu'elle devrait protéger contre les crimes
épouvantables dont leurs ancêtres ont été
victimes ».
[4]
Il importe de signaler qu'en cette matière, des travaux
récents ont été réalisés comme celui de
Alioune Tine intitulé « La Cour Pénale
Internationale : L'Afrique face au défi de
l'impunité » et de Mireille Delmas-Marty : « La
Cour Pénale Internationale et les interactions entre droit interne et
droit international », etc.
II.
PROBLEMATIQUE
Pour peu que l'on sache, le statut de la CPI est
entré en vigueur depuis le 1er juillet 2002. Cette date
qualifiée d'historique par tous constitue un grand pas vers un respect
plus grand du droit international humanitaire et des droits de l'homme les plus
fondamentaux.
Et comme l'on peut s'en rendre compte, le statut de Rome revêt la
CPI des compétences devant lui permettre de réaliser sa mission
qu'est celle de réprimer des crimes abominables de portée
internationale et qui sont définis par ledit statut.
Toutefois, à la question de savoir si les règles de
compétence de la CPI sont réellement de nature à lui
assurer une pleine efficacité, un débat à ce sujet trouve
sa justification.
L'on sait en effet que la CPI n'exercera sa juridiction qu'à
l'égard des crimes commis postérieurement à
l'entrée en vigueur de son statut
[5]. Mais
alors, quid des auteurs des crimes commis avant le 1er juillet 2002
et ne faisant pas objet des poursuites?
L'on n'ignore pas par ailleurs que le domaine de compétence de la CPI
est directement relié au maintien de la paix et de la
sécurité internationales. Sa compétence est minimale et
restreinte à un noyau dur des crimes internationaux, c'est-à-dire
les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité, le génocide
et l'agression
[6].
A ce propos, que fait-on des autres actes inhumains et qui relèvent de
la pure barbarie que le statut de Rome n'entend pas poursuivre? Et en ce qui
concerne la répression du crime d'agression, la compétence de la
cour est suspendue jusqu'à ce que les Etats s'entendent sur la
définition de ce crime. A ce sujet, une inquiétude plane
lorsqu'on remarque la lenteur, sinon la négligence qui
caractérise les Etats parties au traité de Rome à
définir ce crime. Pour l'heure, constatons tout simplement qu'on n'en
parle d'ailleurs plus ou presque.
Nous pensons que cela risquerait de décourager certains Etats du
tiers-monde qui ont insisté que ce crime soit de la compétence de
la CPI suite aux agressions dont ils sont souvent victimes avec la
complicité de grandes puissances.
Par ailleurs, cette attitude passive face à la définition du
crime d'agression pourrait se révéler comme un encouragement
tacite à certains Etats d'assouvir leurs tendances belliqueuses.
C'est le cas de l'intervention de la coalition anglo-américaine en Irak
au grand dam de l'ensemble de la communauté internationale.
Il faut reconnaître, que l'une des raisons pour lesquelles la CPI
est applaudie, c'est sa compétence universelle devant lui
permettre de poursuivre les criminels en tout lieu. Quid alors des Etats non
signataires du traité face à cette prétendue
compétence universelle?
Par ailleurs, la compétence ex-officio du procureur de la CPI
lui reconnaît le pouvoir d'amorcer une enquête sans demander l'avis
de l'Etat duquel le criminel serait originaire. Pourtant, certains pays, en
l'occurrence les Etats-Unis, l'Israël et les autres voient en ce
procureur, un procureur du type Kenneth Starr capable d'inquiéter leurs
intérêts et ressortissants à tout moment, compris
même un président de la République encore en fonction. Pour
ce faire, ils veulent à tout prix paralyser la Cour. Mais alors, de
quels moyens dispose la cour pour contourner cette difficulté?
Pis encore, la fameuse compétence complémentaire pose un
problème. En effet,
le
principe de complémentarité entre la CPI et les juridictions
pénales nationales est consacré dès le préambule
(paragraphe 10) et réaffirmé à l'article 1er du
statut de Rome.
La CPI devient ainsi un mécanisme de soutien aux juridictions nationales
en difficulté, car elle ne peut intervenir que dans le cas de
mauvaise volonté d'un Etat ou dans le cas d'incapacité de juger
en raison de l'effondrement ou de l'indisponibilité de l'appareil
judiciaire
[7]. Que serait
alors la sanction contre un Etat dont la mauvaise volonté est manifeste,
mais qui se dit vouloir vider l'affaire à son niveau? Bien plus, est-il
vraiment facile de déceler la mauvaise volonté d'un Etat sur le
plan juridique?
De surcroît, il est inquiétant de constater la résistance
farouche qu'opposent les Etats-Unis et la Chine à la CPI, pourtant ils
sont membres du conseil de sécurité de l'ONU, lequel est garant
de la paix et de la sécurité internationales. Or, en pratique, le
statut de Rome comme l'affirme si bien Serge Sur, mise sur la bonne
volonté du conseil de sécurité
[8], car le
statut, tentant de concilier le maintien de la paix et l'action judiciaire,
prévoit que le Conseil de Sécurité peut suspendre les
enquêtes et les poursuites par une demande basée sur le chapitre
VII de la Charte de l'ONU pour une durée de 12 mois renouvelables
[9]
En fait, le problème réside dans ce que l'article 103 de la
charte des Nations Unies affirme que les obligations du Conseil
prévalent sur tout autre engagement international.
Il est donc logique que l'influence puissante qu'exerce
les Etats-Unis dans le Conseil de Sécurité appelle des
interrogations à plusieurs égards lorsqu'on sait que leur
position négative face à la CPI ne demande plus à
être démontrée.
En définitive, il est louable d'applaudir l'avènement heureux de
la CPI. Son statut est révélateur d'une prise de conscience
universelle vers la lutte contre l'impunité. Seulement, que dire des
sanctions qui, jusque là, ne sont pas encore prévues à
l'égard de tous ces crimes définis par le statut et relevant de
sa compétence?
Eu égard à tous ces dangers épinglés qui guettent
la CPI, quelles sont les chances de survie, mieux de fonctionnement efficace
que l'on peut lui accorder?
La CPI ne sera-t-elle pas qu'une simple institution de
prestige par laquelle la communauté internationale veut se donner bonne
conscience? C'est à cette réflexion globale que nous allons nous
adonner tout au long de ce travail.
III.
HYPOTHESES
L'évidence nous conduit à affirmer sans ambages
que la CPI est entrain d'effectuer ses premiers pas dans la marche vers les
objectifs qu'on lui a assignés.
Toutefois, à observer les embûches
parsemées sur le chemin que la CPI doit parcourir, il y a lieu de
remettre en cause sa viabilité ou tout au moins son efficacité,
sans tout de même nier sa raison d'être et encourager les espoirs
justifiés que les peuples du monde peuvent y fonder.
Il en va ainsi des efforts de tous les Etats parties au
traité de Rome si l'on veut que cette cour remplisse pleinement sa
mission.
Ces efforts doivent se traduire, d'abord, par la ratification
du traité par tous les Etats signataires.
Ensuite, comme l'impose la logique du droit international,
chaque Etat ayant ratifié le traité devrait voter le plus
tôt que possible une loi d'introduction du traité dans sa
législation. De ce fait, chaque Etat se sentira définitivement
lié, ou en tout cas, plus ou moins.
Enfin, estimons-nous, la bonne foi que résume le
sacro-saint principe « pacta sunt servanda » devrait
guider l'attitude de chaque Etat partie au traité.
Bien plus, une vaste et puissante campagne devrait être
engagée ou alors renforcée pour convaincre les grandes puissances
telles que les Etats-Unis et la Chine d'abandonner leur lutte contre la
CPI que tout le monde appelle de tous ses voeux.
De ce point de vue, il est nécessaire que les Nations
Unies, à travers le conseil de sécurité, servent non les
intérêts de quelques puissances, mais plutôt ceux de la paix
et de la sécurité internationales, en appuyant des initiatives
salutaires telle la CPI qui vise à faire triompher la justice dans le
monde.
Il est cependant important de reconnaître que la CPI
représente une avancée historique et, du reste, significative
dans la reconnaissance du droit des victimes lorsque le statut de Rome portant
sa création affirme le refus de l'immunité des auteurs des crimes
et soutient l'imprescriptibilité des crimes relevant de sa
compétence.
Par ailleurs, nous croyons dur comme fer que le plus important
à ce niveau sera de rédiger un code pénal qui
prévoit clairement les sanctions applicables aux crimes relevant de
la compétence de la cour. Sans cela, la CPI risquera de se
confondre avec un simple épouvantail, une cour basée sur
des déclarations de bonne intention.
IV.
INTERET ET CHOIX DU SUJET
Une étude critique sur la CPI à l'aube de son
entrée sur la scène internationale trouve toute sa justification,
car répondant à l'instinct ô combien normal de tout
chercheur en droit public international mû par le souci de palper la
réalité du droit international en recherchant ses failles et ses
points forts pour le respecter et le faire respecter.
Plus, le sujet abordé est sans nul doute d'actualité qu'il
s'avère opportun de se lancer dans le grand débat sur la CPI,
lequel est ovationné par tous les amoureux de la science et de la
justice.
A tout point de vue, ce travail qui n'a nullement la prétention
d'aborder tous les aspects de la CPI, veut simplement apporter une
réflexion, modeste soit-elle, sur le débat qui concerne la CPI
que les victimes des crimes internationaux appellent de tous leurs voeux et qui
serait un véritable legs aux générations futures.
Ce travail aura le mérite de contribuer à la vulgarisation
de la CPI, mais aussi à la sensibilisation pour une prise de
conscience de l'opportunité d'un mécanisme inébranlable de
la lutte contre l'impunité.
V.
METHODOLOGIE DU TRAVAIL
Un travail scientifique qui ne respecte pas les règles
méthodologiques n'en est pas un. Ainsi, ce travail se voulant
scientifique s'est appuyé sur des méthodes et techniques
acceptées pour la rédaction d'un travail de fin d'études
de licence . Tout d'abord, la méthode historique nous a permis de bien
comprendre l'évolution de la justice pénale
internationale ;
Ensuite, la méthode exégétique nous a conduit à
interpréter le traité de Rome, texte de base de notre travail, et
d'autres instruments tels que la Charte de l'ONU, le statut du T.P.I.R., le
statut du T.P.I.Y.,etc.
Nous ne nous sommes pas passés de la méthode comparative qui nous
a été plus qu'utile afin de déceler les différences
et dissemblances entre les différentes juridictions que la justice
pénale internationale a connues dans son histoire.
Enfin, la méthode sociologique nous a guidé à confronter
la théorie à la pratique. Sans doute, la technique documentaire
nous a obligé de fouiller avec rigueur des ouvrages, des articles de
revue et autres travaux de recherche pour alimenter le débat.
VI.
DELIMITATION DU SUJET
Comme l'intitulé l'énonce si clairement, ce
travail va se limiter à l'analyse des règles de compétence
de la CPI, afin de vérifier si elles peuvent ou non lui assurer pleine
efficacité pour remplir sa mission.
Il est évident que l'on ne peut parler de la CPI sans évoquer
l'historique qui a présidé à sa création le 17
juillet 1998.
En conséquence, il s'effectuera une confrontation entre
l'énoncé du traité de Rome et son application
réelle.
VII.
SUBDIVISION SOMMAIRE DU TRAVAIL
Outre l'introduction générale et la conclusion
générale, notre travail se subdivise en trois chapitres traitant
tour à tour de l'aperçu historique de la justice pénale
internationale (chapitre I), de l'étude des règles de
compétence de la CPI (chapitre II) et des compétences de la CPI
à l'épreuve de la théorie et de la pratique (chapitre
III).
CHAPITRE I.
APERCU HISTORIQUE DE LA JUSTICE PENALE
INTERNATIONALE
L'ampleur et la gravité des crimes perpétrés
par les nazis et l'horreur de la Shoah ont conduit au cours même de la
seconde guerre les Alliés à affirmer leur volonté de juger
et de châtier les coupables.
Les gouvernements de la Norvège, de la Hollande, de la
Belgique, du Luxembourg, de la Pologne, de la Yougoslavie, de la
Tchécoslovaquie et de la Grèce ainsi que le Comité
national français réfugiés à Londres
décident de collaborer afin d'assurer le châtiment de tous les
coupables : c'est la déclaration de Saint James Palace du 12 janvier
1942. Puis, les Etats-Unis, l'Union soviétique et la Grande-Bretagne
publient à Moscou, le 30 octobre 1943, une déclaration affirmant
leur détermination à châtier les criminels de guerre
après la victoire
[10].
A la fin de la guerre deux juridictions sont créées
: le Tribunal militaire international de Nuremberg par l'accord de Londres du 8
août 1945 et le Tribunal international pour l'extrême Orient
(Tribunal de Tokyo) par une déclaration du Commandant suprême des
Forces Alliées le 19 janvier 1946. Vingt deux dirigeants nazis ont
été déférés au Tribunal de Nuremberg, qui
était composé de quatre juges titulaires et de quatre juges
suppléants désignés respectivement par les Etats-Unis, la
France, la Grande-Bretagne et l'Union soviétique. Le jugement a
été rendu le 1er octobre 1946. Douze accusés
ont été condamnés à mort, trois à la prison
à vie, deux à vingt ans de prison, un à quinze ans, un
à dix ans et deux ont été acquittés. Toutes les
peines ont été exécutées. Quant au Tribunal de
Tokyo, il a rendu son verdict le 12 novembre 1948 : huit des vingt cinq
accusés ont été condamnés à mort, la plupart
des autres à la détention à perpétuité. Ces
procès ont une valeur exemplaire devant l'histoire, ils sont essentiels
dans le combat contre l'oubli et le négationnisme. Bien qu'étant
une "justice rétroactive appliquée par les vainqueurs" le
Tribunal de Nuremberg a dessiné les fondements du droit pénal
international moderne.
[11]
Restant dans cet esprit, les Nations Unies ont très
tôt voulu conférer un prolongement aux juridictions de Nuremberg
et de Tokyo mais la guerre froide a gelé toute avancée. Les
crimes perpétrés en ex-Yougoslavie et au Rwanda contre des civils
ont souligné l'urgence de la création d'une instance permanente
pour en connaître la répression.
Ainsi, face aux crimes contre l'humanité
perpétrés en ex-Yougoslavie et au Rwanda, le Conseil de
sécurité se plaçant dans le cadre du chapitre VII de la
Charte des Nations Unies relatif au maintien de la paix et de la
sécurité internationale, décidait de créer deux
tribunaux pénaux internationaux ad hoc."
[12], le TPIY (
en 1993 ) pour juger les personnes présumées responsables de
violations graves du Droit International Humanitaire ( DIH) commises sur le
territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 et le TPIR ( en 1994 ) pour juger
à la fois les personnes présumées responsables d'actes de
génocide ou d'autres violations graves du DIH commis sur le territoire
du Rwanda, et les citoyens rwandais présumés responsables de tels
actes ou violations commises sur le territoire d'Etats voisins.
Il sied de noter tout de même que le processus de la
création de la CPI a été long et marqué par
plusieurs blocages à des étapes différentes de
l'histoire.
1) L'impossible création d'une justice
pénale internationale pendant la guerre froide
Les premières initiatives des Nations Unies en la
matière se fondent sur le
statut et la
juridiction du Tribunal de Nuremberg
[13],
approuvés par les résolutions du 11 décembre 1946. Une
"commission pour le développement progressif du droit international
et sa codification" est alors instituée. Le représentant
français, M. Henri Donnedieu de Vabres, Procureur au Tribunal de
Nuremberg, soumet en 1947 à cette commission un mémorandum
contenant son Projet de création d'une juridiction criminelle
internationale, mais sa proposition ne parvient pas à réunir
l'accord général parce qu'elle dépasse la
compétence de la commission. Une résolution du 21 novembre 1947
confie à une commission du droit international (CDI) le soin
d'élaborer un code des crimes contre la paix et la
sécurité de l'humanité ; une résolution du 9
décembre 1948 charge la CDI d'examiner la création d'une cour
pénale internationale. Elle est l'aboutissement des débats sur la
Convention du même jour (9 décembre 1948) qui prévoit dans
son article 6 la possibilité de traduire les personnes accusées
d'un tel crime "devant la Cour criminelle internationale qui sera
compétente à l'égard de celles des parties contractantes
qui en auront reconnu la juridiction"
[14].
L'Assemblée générale, dans sa
résolution du 12 décembre 1950, décide de demander
à une commission spécialement instituée d'élaborer
un avant-projet de statut présenté en 1953 qui confère
à la Cour une compétence non obligatoire pour juger les personnes
physiques accusées d'avoir commis des "crimes de droit
international, prévus par les conventions ou compromis conclu entre
Etats parties au présent statut". Mais par la résolution du
14 décembre 1954, l'Assemblée générale
décide de suspendre la discussion de ce projet jusqu'à la reprise
de celle portant sur la définition de l'agression, premier des crimes
internationaux, ainsi que sur le projet pour un code des crimes contre la paix
et la sécurité de l'humanité. La définition du
crime d'agression en période de guerre froide resta problématique
et la procédure s'enlisa jusqu'à la chute du mur de Berlin
[15].
2) Des projets de statut marqués par les crimes
contre l'humanité commis en ex Yougoslavie et au Rwanda
Le 4 décembre 1989, l'Assemblée
générale des Nations Unies a demandé à la CDI
d'étudier à nouveau la question de l'institution d'une
juridiction pénale internationale. Les résolutions du 25 novembre
1992 et du 9 décembre 1993 demandent à la Commission
d'établir un projet de statut qui est présenté en 1994. Le
projet de la Commission du droit international se montre audacieux sur certains
points. Les modalités de fonctionnement de la Cour seraient
fixées par un règlement adopté par les juges à la
majorité absolue, sans que les Etats interviennent. Le procureur
disposerait de pouvoirs d'autosaisine et pourrait ainsi décider seul
d'ouvrir une enquête, sa décision n'étant pas soumise au
contrôle préalable d'une des chambres de la Cour.
Sur la base de ce texte, les Etats entament des
négociations intergouvernementales. En 1995, un premier comité
intergouvernemental mène une première étude
thématique qui relève les problèmes juridiques
soulevés par le champ de compétence matérielle de la cour,
la complémentarité.
Un comité préparatoire inter-étatique
chargé d'élaborer un projet de convention commence ses travaux en
1996. Il est présidé par un néerlandais, M. Adriaan Bos. A
ce stade, une coalition d'Etats représentant divers groupes
régionaux, auto-baptisée "Etats pilotes", et comprenant la
plupart de membres de l'Union européenne ainsi que le Canada,
l'Australie, l'Argentine, l'Afrique du Sud se donne pour objectif commun
l'aboutissement rapide des travaux. Très vite la France a le sentiment
que, pour des raisons de visibilité politique et pour conclure
rapidement, cette coalition est prête à adopter une
"convention-cadre" d'ordre général et à éluder les
questions essentielles : procédure, articulation entre la Cour et
l'ordre judiciaire interne, cohérence de l'action internationale en
matière de maintien de la paix
[16].
Le projet de la CDI, relevait cependant de graves
difficultés suscitées par le projet, relatives notamment aux
risques d'empiétement du procureur sur les prérogatives de
l'ordre judiciaire interne, ce qui conduisit certains pays, en l'occurrence la
France, à déposer à la session d'août 1996, une
série de propositions sous la forme d'un "projet alternatif restrictif"
soumettant entre autres la compétence de la Cour à un triple
consentement : celui de l'Etat où les faits se sont produits, celui de
la nationalité des victimes et celui de la nationalité des
auteurs présumés. Dans ses avis des 16 janvier 1997 et 14 mai
1998, la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH) avait
émis des réserves sur ces positions. Parallèlement dans
une approche plus constructive, la France exigeait d'une part un statut
détaillé et précis, et d'autre part que la
compétence matérielle de la Cour soit limitée à un
"noyau dur" de crimes internationaux clairement définis, en exigeant
l'intentionnalité de l'acte ; par ailleurs elle demandait qu'une
instance collégiale, la chambre préliminaire, permette un
contrôle juridique des actes du procureur pendant la phase d'instruction
et que les victimes se voient reconnaître un droit spécifique. Les
propositions françaises ont permis un débat utile et fructueux et
ont été intégrées au statut
[17].
En janvier 1997, l'Assemblée générale des
Nations Unies appelait à la tenue d'une conférence diplomatique
des Nations Unies pour la création d'une Cour pénale
internationale. Le 17 juillet 1998 la Conférence des Nations Unies
achevait ses travaux à Rome adoptant ainsi le statut portant
création de la CPI, qui, elle, sera une juridiction pénale
permanente.
Après ce survol plutôt rapide, nous allons nous
atteler, dans les lignes suivantes, à passer en revue les
différentes juridictions pénales en épinglant leurs
règles de compétence.
SECTION I. LE TRIBUNAL MILITAIRE DE NUREMBERG
ET LE
TRIBUNAL MILITAIRE DE TOKYO
Les crimes abominables, atroces et particulièrement
haineux, qui ont culminé avec la shoah et l'holocauste, où
près de six millions de juifs ont été exterminés
par les nazis dans les camps de concentration et les chambres à gaz, et
qui ont porté au paroxysme l'indignation universelle, ont eu pour effet
immédiat la création de deux tribunaux ad hoc.
Les alliés signèrent les accords de Londres le
08 août 1945 et c'est justement dans l'annexe de ces accords que figure
la Charte du Tribunal International de Nuremberg pour juger les crimes de
guerre commis par les responsables politiques et militaires des puissances de
l'axe
[18].
Le TMI de Nuremberg était une cour militaire,
établie par les quatre pays vainqueurs comme part d'un accord politique.
La guerre était terminée et les Alliés contrôlaient
la situation sur le terrain lorsque le TMI fut créé, facilitant
ainsi le rassemblement des éléments de preuve, les auditions des
témoins et l'appréhension des accusés. Le TMIN
détenait la plupart des accusés, et les procès
commencèrent 3 mois et demi après l'adoption de la Charte de
Nuremberg
[19]. Le
siège officiel du TMI était à Berlin (Art. 22 de la
Charte), bien qu'il siégeât à Nuremberg.
Le TMI n'a pas écarté la possibilité
d'application du "non bis in idem". Les individus jugés par le TMI
pouvaient également être jugés par des cours nationales,
militaires ou d'occupation, soit pour appartenance à un groupe criminel,
soit pour d'autres crimes. Pour le(s) même(s) crime(s), les cours
nationales pouvaient imposer des peines en sus de celles prescrites par le TMI.
Le Procès par contumace était autorisé, selon l'Article
12. Signalons aussi qu'il n'y avait pas de possibilité d'appel. Selon
l'article 26 de la Charte, le jugement prononcé par le TMI était
définitif et non susceptible de révision. Cependant, dans le cas
d'une culpabilité établie, le Comité de Contrôle
pour l'Allemagne pouvait réduire ou commuer les peines. La peine de mort
y était applicable.
En 1946, le commandement des forces alliées du
pacifique dirigé par le général américain Douglas
Mac Arthur créa, sur le même modèle, le Tribunal Militaire
International pour l'extrême Orient (dit Tribunal militaire de Tokyo)
pour juger les responsables japonais, auteurs de crimes de guerre, de crimes
contre l'humanité ou de crimes de génocide
[20].
A la différence du Tribunal de Nuremberg, le Tribunal
de Tokyo était compétent pour juger, en plus des crimes de
la compétence de Nuremberg, le crime de Génocide.
Pour plus de clarté, il serait indiqué de
déceler les différentes compétences des ces tribunaux.
Paragraphe I. Compétence temporelle
Le Tribunal de Nuremberg était compétent à partir
de la signature, par les forces alliées, de l'accord de Londres, le 08
août 1945, portant Charte du Tribunal International de Nuremberg
jusqu'au 1er octobre 1946, date de la dernière audience du
procès de Nuremberg.
Le Tribunal de Tokyo, quant à lui, a été compétent
à partir du 19 janvier 1946 jusqu'au 12 novembre 1948, date à
laquelle il a rendu son verdict.
Paragraphe II. Compétence territoriale
La compétence des deux tribunaux
s'étendait sur tous les pays de l'axe sur les territoires desquels
les crimes sus visés ont été commis.
Paragraphe III. Compétence
matérielle
Trois catégories d'infractions internationales ont
été définies dans l'article 6 du statut du Tribunal de
Nuremberg: les crimes contre la paix (1), le crime de génocide qui fut
ajouté parmi les crimes relevant de la compétence du Tribunal
Militaire de Tokyo (2), les crimes contre l'humanité (3), les crimes de
guerre (4).
1. Crimes contre la paix
et/ou crime d'agression
Le "crime contre la paix" est défini dans l'article 6
du
Statut du
Tribunal de Nuremberg
[21] comme "la
direction, la préparation, le déclenchement ou la poursuite d'une
guerre d'agression, ou d'une guerre en violation des traités, assurances
ou accords internationaux, ou la participation à un plan concerté
ou à un complot pour l'accomplissement de l'un quelconque des actes qui
précèdent."
2. Crime de génocide
La notion de crime de génocide a été pour la
première fois explicitée dans un texte à portée
internationale à l'issue du procès de Nuremberg.
Pour ce faire, point n'est besoin de signaler que ce crime
était de la compétence de Tokyo mais non celui de Nuremberg
[22]. La
définition de ce crime a été juridiquement
formalisée dans la
convention
pour la prévention et la répression du crime de
génocide
[23] du 9
décembre 1948, définition qui a été reprise mot
à mot, dans les statuts des Tribunaux pénaux internationaux pour
la
Yougoslavie
[24] et le
Rwanda
[25] et dans
l'article 6 du
statut
de Rome.[26]
Ainsi, "le génocide s'entend de l'un quelconque des
actes ci-après, commis dans l'intention de détruire, en tout ou
en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
meurtre de membres du groupe; atteinte grave à l'intégrité
physique ou mentale de membres du groupe; soumission intentionnelle du groupe
à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle; mesures visant à entraver les naissances
au sein du groupe; transfert forcé d'enfants du groupe à un autre
groupe."
3. Crimes contre
l'humanité
Le
statut du
Tribunal de Nuremberg
[27]
désignait sous le terme crimes contre l'humanité, "l'assassinat,
l'extermination, la réduction en esclavage, la déportation et
tout acte inhumain commis contre toutes populations civiles, avant ou pendant
la guerre, ou bien les persécutions pour des motifs politiques, raciaux,
ou religieux, lorsque ces actes ou persécutions, qu'ils aient
constitué ou non une violation du droit interne du pays où ils
ont été perpétrés, ont été commis
à la suite de tout crime rentrant dans la compétence du Tribunal,
ou en liaison avec ce crime"
[28].
4. Crimes de
guerre
Avant la signature des quatre conventions de Genève en
1949, les crimes de guerre avaient été définis dans le
Statut du
Tribunal de Nuremberg
[29] comme
" les violations des lois et coutumes de la guerre. Ces violations
comprennent, sans y être limitées, l'assassinat, les mauvais
traitements et la déportation pour des travaux forcés, ou pour
tout autre but, des populations civiles dans les territoires occupés,
l'assassinat ou les mauvais traitements des prisonniers de guerre ou des
personnes en mer, l'exécution des otages, le pillage des biens publics
ou privés, la destruction sans motif des villes et des villages ou la
dévastation que ne justifient pas les exigences militaires"
[30].
Le
statut du
TPIY
[31] (articles
2 et 3) reprend mot à mot la définition de certains crimes
donnée par le statut du Tribunal de Nuremberg, en ajoute d'autres
concernant l'emploi d'armes toxiques et les destructions patrimoniales
et fait explicitement référence aux Conventions de
Genève de 1949.
Paragraphe IV. Appréciation
critique
La charte de Londres accordait au tribunal militaire
international compétence pour trois sortes de crimes : 1° le "crime
contre la paix", que le tribunal qualifia de "crime international suprême
dans le sens qu'il recouvre tous les autres crimes"; 2° les "crimes de
guerre" et 3° les "crimes contre l'humanité".
De ceux-là, seuls les derniers, les "crimes contre
l'humanité", étaient nouveaux et sans précédent. La
guerre d'agression est vieille comme le monde, mais elle n'a jamais
été retenue comme étant "criminelle" au sens juridique du
terme, quoiqu'elle ait maintes fois été dénoncée
comme telle. (La façon dont on justifie couramment la compétence,
en la matière, du tribunal militaire de Nuremberg, n'a rien de
très recommandable. Certes Guillaume II avait été
cité devant le tribunal des puissances alliées au lendemain de la
Première Guerre mondiale. Mais on ne l'accusait pas d'avoir fait la
guerre mais plutôt d'avoir violé des traités, et
particulièrement d'avoir violé la neutralité de la
Belgique. Il est vrai aussi que le Pacte Briand-Kellogg d'août 1928 avait
exclu la guerre en tant qu'instrument de politique nationale; mais ce pacte ne
faisait pas mention d'un critère d'agression, ni de sanctions possibles;
en outre, le système grâce auquel le pacte entendait maintenir la
paix s'était effondré avant le début de la guerre.) L'on
pouvait toujours employer l'argument du tu quoque à
l'égard d'un des pays qui siégeaient en jugement : l'Union
soviétique
[32].
L'U.R.S.S. n'avait-elle pas impunément attaqué la Finlande et
divisé la Pologne en 1939 ?
[33]
Par contre les "crimes de guerre", qui avaient sûrement
autant de précédents que les "crimes contre la paix",
étaient couverts par le droit international. Les Conventions de La Haye
et de Genève avaient défini ces "violations des lois et des
coutumes de la guerre" qui consistaient à maltraiter les prisonniers et
à attaquer les populations civiles. Il n'était donc pas
nécessaire d'introduire ici une nouvelle loi rétroactive; et la
grande difficulté, à Nuremberg, était indiscutablement que
l'argument du tu quoque était applicable une fois de plus : la
Russie, qui n'avait jamais signé la Convention de La Haye (l'Italie,
incidemment, ne l'avait pas ratifiée) était pour le moins
soupçonnée de maltraiter ses prisonniers. Des enquêtes
récentes ont abouti à la conclusion que les Russes seraient
responsables du meurtre de quinze mille officiers polonais dont les corps
furent découverts dans la forêt de Katyn (près de Smolensk,
en Russie).
[34]
Pis encore, les bombardements des villes et, surtout, les
bombardements atomiques d'Hiroshima et de Nagasaki constituaient, de toute
évidence, des crimes de guerre au sens où les entendait la
Convention de la Haye. Certes, les bombardements des villes allemandes avaient
été provoqués par l'ennemi, par les bombardements de
Londres, de Coventry et de Rotterdam ; mais ce n'était pas le cas de la
bombe atomique, arme sans précédent et toute-puissante dont
l'existence aurait pu être annoncée, ou même
démontrée, par bien d'autres moyens. Il est évident qu'il
ne fut jamais question, juridiquement parlant, de violations, par les
Alliés, de la Convention de la Haye pour l'excellente raison que les
tribunaux militaires internationaux n'étaient internationaux que pour la
forme. En fait, c'étaient les tribunaux des vainqueurs;
étaient-ils habilités à juger les criminels de guerre
allemands ? Cela est discutable, d'autant plus que la coalition qui avait
gagné la guerre et entrepris de juger les vaincus se démembra
"avant que l'encre des jugements de Nuremberg n'ait eu le temps de
sécher", comme dit Otto Kirchheimer
[35].
Mais cette raison, évidente, n'est pas la seule, ni
peut-être la plus importante. Et il faut, pour être juste, rappeler
que le tribunal de Nuremberg avait prudemment évité de condamner
trop de criminels pour des crimes à propos desquels on aurait pu
invoquer le tu quoque. Si les crimes de guerre (au sens où les
entendait la Convention de La Haye) commis par les alliés n'ont
été, à Nuremberg, ni cités ni jugés, c'est
qu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, tout le monde savait que les
progrès techniques réalisés dans le domaine des armements
rendaient inévitable l'adoption de techniques de guerre "criminelles".
Car la définition que donnait la Convention de La Haye des "crimes de
guerre" reposait précisément sur une distinction entre soldats et
civils, entre armée et population indigène, entre objectifs
militaires et villes; et cette distinction était dépassée.
L'on estima donc que par "crimes de guerre" il fallait désormais
entendre ceux qui ne répondaient à aucune nécessité
militaire, ceux dont on pouvait démontrer qu'ils étaient
volontairement perpétrés dans un but inhumain
[36].
Ce facteur de brutalité gratuite était un
critère valable : il permettait de déterminer ce qui, dans les
circonstances, constituait un crime de guerre. Par contre, il n'était
pas valable pour les "crimes contre l'humanité".
Mais il fut malheureusement introduit dans les
définitions tâtonnantes que l'on donna de ce crime sans
précédent. La Charte le définissait (à l'article
6-c) comme un "acte inhumain". Comme si ce crime, lui aussi, n'était
qu'un abus perpétré dans la poursuite de la guerre et de la
victoire. Mais ce n'est pas ce genre de crime, d'ailleurs bien connu, qui
inspira aux Alliés, par l'intermédiaire de Winston Churchill,
cette déclaration : "Un des principaux buts de la guerre
[était] de punir les criminels de guerre"
[37].
C'était, au contraire, l'information que possédaient les
Alliés sur des atrocités inouïes, l'élimination de
peuples entiers, le "dégagement" des populations d'une région
entière - crimes qu'"aucune notion de nécessité militaire
ne pouvait justifier", crimes qui en réalité n'avaient rien
à voir avec la guerre. Ils annonçaient plutôt une politique
d'assassinat systématique qui devait être poursuivie en temps de
paix. Ni le droit international ni la législation nationale ne
couvraient ce crime, qui était le seul d'ailleurs à propos duquel
le tu quoque ne pouvait être invoqué. C'est pourtant ce
genre de crime qui causa le plus grand embarras aux juges de Nuremberg; ils
laissèrent planer sur lui une ambiguïté telle que tous les
juristes du monde devaient être tentés de le définir. Il
est bien vrai que "la Charte avait fait entrer, par la petite porte, une
nouvelle espèce de crime, le crime contre l'humanité; et ce crime
s'envola par la même porte lorsque le tribunal prononça le
jugement
[38]
".
Mais les juges furent aussi illogiques que la Charte de
Londres elle-même. Ils préférèrent condamner les
accusés "pour leurs crimes de guerre, catégorie qui
embrassait tous les crimes ordinaires classiques, et passèrent sous
silence, autant que possible, les accusations de crimes contre
l'humanité", comme dit Kirchheimer
[39]. Mais
quand ils en vinrent à prononcer la sentence, ils
dévoilèrent leurs véritables intentions en
prononçant la peine la plus sévère, la peine capitale,
contre ceux qui avaient été jugés coupables
d'atrocités tout à fait inhabituelles. Or, ces atrocités
constituaient en fait, des crimes "contre l'humanité" ou contre "le
statut d'être humain" comme disait très justement le
procureur français, François de Menthon
[40]. En
condamnant à mort un certain nombre d'hommes qui n'avaient jamais
été accusés d'avoir "conspiré" contre la paix, on
abandonnait discrètement la notion selon laquelle l'agression est "le
crime international suprême".
Somme toutes, il est inutile de faire remarquer que les deux
tribunaux (Tokyo et Nuremberg) ont souffert d'être des tribunaux des
vainqueurs sur les vaincus et partiaux à plus d'un aspect.
Toujours est-il que dans la recherche de mécanismes
puissants de la lutte contre l'impunité, la communauté
internationale, par la Société Des Nations (SDN), a mis en place
la Cour Permanente de Justice Internationale (CPJI). Malheureusement, cette
juridiction s'est révélée inefficace (n'a pas d'ailleurs
fonctionné) comme la SDN elle-même ; elle laissa ainsi la
place à la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui a vu jour avec
l'ONU.
SECTION III. LA COUR INTERNATIONALE DE
JUSTICE
La mission de la CIJ est de régler selon le droit
international les différends d'ordre juridique qui lui sont soumis par
des Etats. Elle répond donc à l'un des buts premiers de l'ONU qui
est, selon la Charte, de réaliser le règlement des
différends par des moyens pacifiques conformément aux principes
de la justice et du droit international
[41].
Un différend juridique international est, comme l'a dit
la CPJI, «un désaccord sur un point de droit ou de fait, une
contradiction, une opposition de thèses juridiques ou
d'intérêts».
[42] La
procédure contradictoire à laquelle il donne
éventuellement lieu devant un tribunal international est dite
procédure contentieuse. On peut concevoir qu'il oppose un Etat à
une organisation internationale, à une collectivité ou à
un individu. Dans leur propre ressort, des institutions comme la Cour de
justice des Communautés européennes (Luxembourg) ou la Cour
européenne des droits de l'homme (Strasbourg) seraient habilitées
à en connaître. Tel n'est pas le cas de la CIJ, à qui
aucune affaire ne saurait être soumise si le demandeur et le
défendeur ne sont pas des Etats. En dépit de propositions
diverses en ce sens, en dépit même de l'existence d'un
traité prévoyant la possibilité d'un procès devant
la Cour entre une agence internationale et des Etats, ni l'ONU ni aucune de ses
institutions spécialisées ne sauraient être parties
à une affaire contentieuse devant la CIJ
[43].
Quant aux intérêts privés, ils ne peuvent
faire l'objet d'une action devant la Cour que dans le cas où un Etat,
invoquant à son profit le droit international, prend fait et cause pour
l'un de ses ressortissants et fait siens les griefs de ce dernier à
l'encontre d'un autre Etat; il s'agit alors d'un litige entre Etats (exemples :
Ambatielos, Anglo-Iranian Oil Co., Nottebohm, Interhandel, Barcelona
Traction, Elettronica Sicula S.p.A. (ELSI))
[44].
Comme tous les tribunaux, la CIJ ne peut fonctionner que dans
les limites constitutionnelles qui lui ont été fixées. Il
ne se passe pratiquement pas de jour que le greffe ne reçoive des
requêtes écrites ou orales émanant de personnes
privées. Aussi tragiques, aussi fondées soient-elles, la CIJ ne
saurait en connaître et une réponse uniforme leur est faite :
«Selon l'article 34 du statut, seuls les Etats ont qualité pour se
présenter devant la Cour.»
La Cour Internationale de Justice, qui siège à
La Haye, est établie par l'art.92 de la
Charte des Nations
Unies
[45]. Elle
est donc l'héritière directe de la CPJI, organe
indépendant de la SDN (art.14 du Pacte de la SDN), qui n'avait pas
survécu au discrédit qui avait entaché la SDN. Organe
judiciaire de l'ONU, la CIJ s'inscrit dans le cadre du
chapitre VI de la
Charte sur le règlement pacifique des différends
[46].
Le
statut de la CIJ
[47] est
calqué sur celui de la CPJI. Il lui donne les instruments
nécessaires pour appliquer le droit international, même si
l'activité juridictionnelle de la CIJ reste tributaire du consentement
des États.
La CIJ est l'un des six organes principaux de l'ONU. Elle est
son seul organe judiciaire, ce qui la rend souveraine dans son ordre juridique.
Elle a compétence universelle, puisque tous les membres des Nations
Unies sont ipso facto parties à son statut. Les États
n'appartenant pas à l'ONU peuvent devenir parties au Statut sous
certaines conditions.
La CIJ jouit de garanties d'indépendance,
d'impartialité et de compétence. Et pour ce qui est de notre
étude, seules ses compétences vont retenir notre attention.
Paragraphe I. Compétence contentieuse
Seuls les États ont qualité pour agir dans le
cadre de la compétence contentieuse. Ni en 1921 ni en 1945, les
États n'ont pas voulu limiter leur souveraineté en créant
une juridiction obligatoire de règlement des conflits. La CIJ n'est
compétente que lorsque les parties se soumettent à sa
juridiction. Il y a 3 moyens d'y parvenir :
- les deux
parties concluent un compromis, convenant de soumettre leur
différend à la Cour. Ce mode de saisine se rapproche assez du
compromis d'arbitrage ;
- certains
traités ou conventions comportent des clauses compromissoires
énonçant que les litiges concernant l'interprétation ou
l'application du traité devront être soumis à la CIJ.
Exemples : le traité liant les États-Unis et le Nicaragua
(ce qui a donné lieu à la célèbre décision
Nicaragua c/. États-Unis de 1984 (activités militaires et
para-militaires au Nicaragua)) ;
- un
État peut souscrire à une déclaration facultative de
juridiction obligatoire. Cette déclaration peut se faire purement
et simplement, sous condition de réciprocité, ou pour un
délai de réciprocité. Des réserves (excluant
certains domaines de litiges) sont également possibles. Fin 1999, seuls
58 États sur 185 ont souscrit à une telle déclaration. La
France, après avoir accepté la juridiction obligatoire en 1966
(assortie d'une réserve concernant la défense nationale, en
particulier le nucléaire), a abrogé sa déclaration en
1973
[48].
L'on s'accorde aussi à dire que la CIJ a la
compétence de sa compétence : si un État
soulève une exception préliminaire à l'examen du litige
par la Cour, il appartient à celle-ci de juger si elle est
compétente ou non.
Une fois rendue, la décision est obligatoire pour les
parties (art.59 du Statut, art.94 de la Charte). En cas de non-exécution
par l'une des parties, le Conseil de sécurité peut être
saisi par l'autre partie.
Paragraphe II. Compétence consultative
La compétence contentieuse de la CIJ est limitée
aux États. Mais dans le cadre de la compétence consultative de
celle-ci, l'Assemblée et le Conseil de sécurité peuvent
lui adresser des questions. Cette compétence s'étend aux autres
organes et institutions de l'ONU (UNESCO, OIT...) après accord de
l'Assemblée. Les États eux, sont exclus de la compétence
consultative. Comme leur nom l'indique, les avis ne possèdent pas de
portée obligatoire
[49].
Paragraphe III. La CIJ et le droit international
public
La mission de la CIJ est «de régler
conformément au droit international les différends qui lui sont
soumis » (article 38 du Statut). Le droit applicable pour cela
est : les conventions internationales, soit générales, soit
spéciales, établissant des règles expressément
reconnues par les États en litige ; la coutume internationale comme
preuve d'une pratique générale, acceptée comme
étant le droit ; les principes généraux de droit
reconnus par les nations civilisées ; sous réserve de la
disposition de l'article 59, les décisions judiciaires et la doctrine
des publicistes les plus qualifiés des différentes nations, comme
moyen auxiliaire de détermination des règles de droit
[50].
Elle peut également statuer, comme on l'a vu, ex
aequo et bono, si elle y est autorisée par les deux parties. Elle a
néanmoins utilisé d'elle-même la notion
d'équité en tant que partie intégrante de
l'interprétation de la norme juridique, c'est ce qu'on appelle la
« suppléance normative » (1969 « Plateau
continental de la mer du Nord »). En effet, comme elle l'affirme dans
son arrêt « Cameroun septentrional » (1963) : sa
fonction est de dire le droit mais elle ne peut rendre des arrêts
qu'à l'occasion de cas concrets dans lesquels il existe, au moment du
jugement, un litige impliquant un conflit d'intérêts juridiques
entre les États
[51].
Que ce soit par ses arrêts ou par ses avis consultatifs,
la CIJ a contribué au développement progressif du DIP, imposant
une conception plus flexible et insistant sur l'importance de la coutume
(pratique générale et opinio juris des États).
Pour elle, la coutume peut s'exprimer dans les conventions et traités
internationaux par effet déclaratoire (la coutume
préexiste à la convention), effet de cristallisation
(règle en voie de formation) ou effet constitutif (une
disposition conventionnelle devient une coutume).
A. Confinement aux
conflits limités et marginaux
Depuis 1945, la CIJ est restée impuissante en ce qui
concerne les conflits majeurs entre États et par conséquent
politiquement plus sensibles, faute de saisine volontaire par les États.
Son action a donc été limitée aux conflits marginaux. La
CIJ a même eu un rôle dissuasif, une fois saisie, amenant les
États à s'entendre directement entre eux : ce fut le cas
pour l'affaire « Certaines terres à phosphates à
Nauru » (1993), opposant Nauru à l'Australie, qui vit
finalement le désistement à l'instance des deux parties. Durant
les années 1970, beaucoup d'États ont même refusé de
comparaître devant la CIJ ; d'autres ont retiré leur
déclaration facultative de juridiction obligatoire après des
décisions leur ayant été défavorables (France en
1974 après « Essais nucléaires » et
États-Unis en 1986 après « Activités militaires
et paramilitaires au Nicaragua »).
[52]
La CIJ s'est même auto-limitée pour ne pas se
discréditer dans le cas d'affaires sensibles. Ainsi, elle a
refusé de statuer au fond pour « Essais nucléaires
» (Australie c/. France et
Nouvelle-Zélande c/. France, 1986) et « Sud-Ouest
africain » (Éthiopie
c/. Afrique du Sud et
Libéria c/. Afrique du Sud, 1966). Devant les refus de comparution, elle
a souvent adopté une position de retrait : elle jugeait qu'il n'y avait
alors pas compétence, ou que l'affaire était devenue de fait sans
objet.
[53]
B. Concurrence
d'autres modes de règlement pacifique des différends
La CIJ n'est pas le seul moyen de règlement pacifique
des différends mis à la disposition des États. L'article
33 de la Charte en précise un certain nombre :
« Les parties à tout différend dont la
prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la
sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant
tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de
conciliation, d'arbitrage, de règlement judiciaire, de recours aux
organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de
leur choix ».
La multiplication des instances judiciaires internationales
vient également limiter le champ d'action de la CIJ. On peut citer le
Tribunal international du droit de la
mer,
[54] né
de la
Convention de
Montego Bay
[55] de 1982,
qui empiète directement sur les compétences de la CIJ en
matière de délimitation maritime.
La création en 1993 du Tribunal pénal
international pour l'ex-Yougoslavie (
TPIY) puis en 1994 du Tribunal
pénal international pour le Rwanda (
TPIR) et en 2002 de la Cour pénale
internationale (
CPI) peuvent également
introduire des conflits de compétence
[56].
Paragraphe IV. Appréciation
critique
Par ses jugements et ses avis consultatifs, la Cour a permis
de clarifier la relation du droit des conflits armés avec le droit
international général, les règles coutumières et le
jus cogens, et de mettre en évidence des principes fondamentaux
du droit international humanitaire.
En tant que principal organe judiciaire du droit international
public, la Cour internationale de Justice concourt à mettre en
évidence les valeurs fondamentales que la communauté
internationale a exprimées dans le droit international humanitaire. Sa
jurisprudence représente un apport essentiel, car d'une part, elle
clarifie la relation entre le droit international humanitaire et le droit
international général, et d'autre part, elle précise le
contenu des principes fondamentaux du droit international humanitaire. La Cour
internationale de Justice a en outre dégagé et
spécifié les principes fondamentaux du droit international
humanitaire, lesquels peuvent être regroupés en trois
catégories : les principes fondamentaux relatifs à la conduite
des hostilités, ceux qui gouvernent le traitement des personnes au
pouvoir de la partie adverse, et ceux qui touchent à la mise en oeuvre
du droit international humanitaire. Ces règles constituent à la
fois une synthèse du droit des conflits armés et la quintessence
normative de cette branche traditionnelle du droit international.
SECTION III. LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL
POUR L'EX-YOUGOSLAVIE
Face à la situation caractérisée
par des violations généralisées du droit international
humanitaire sur le territoire de l'ex-Yougoslavie, par l'existence de camps de
concentration et par l'application d'une politique de "nettoyage ethnique", le
Conseil de sécurité a adopté une série de
résolutions invitant les parties au conflit à se conformer aux
obligations découlant du droit international humanitaire, et en
particulier des Conventions de Genève, et à mettre fin aux
violations du droit international humanitaire. Le Conseil a
réaffirmé en outre le principe de la responsabilité
individuelle des personnes qui commettent ou ordonnent de commettre de graves
infractions aux Conventions de Genève et d'autres graves violations du
droit international humanitaire.
C'est ainsi que par sa résolution 808 (1993) du 22
février 1993, le Conseil de sécurité a
décidé la création d'un Tribunal international pour juger
les personnes présumées responsables de violations graves du
droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie
depuis 1991 et il a chargé le Secrétaire général de
préparer un rapport à ce sujet. Le rapport du Secrétaire
général contenant le statut du Tribunal a été
soumis au Conseil de sécurité qui, agissant en vertu du Chapitre
VII de la Charte, l'a adopté dans sa résolution 827 (1993) du 25
mai 1993. Par cette résolution le Tribunal pénal international
pour l'ex-Yougoslavie a été créé
[57].
Comme tout tribunal, le TPIY dispose des règles de
compétence que nous nous proposons d'examiner succinctement.
Paragraphe I. Compétence territoriale et
temporelle
La compétence ratione loci du tribunal
international s'étend au territoire de l'ancienne République
fédérative socialiste de Yougoslavie, y compris son espace
terrestre, son espace aérien et ses eaux territoriales. La
compétence ratione temporis du Tribunal international
s'étend à la période commençant le 1er janvier
1991
[58].
Il importe de faire remarquer qu'il n'a été établi aucune
date limitant la juridiction du TPIY.
Paragraphe II. Compétence personnelle et
matérielle
Le tribunal international est habilité à juger
les personnes présumées responsables de violations graves du
droit international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie
depuis 1991, conformément aux dispositions du présent statut
[59].
Le tribunal international a compétence à
l'égard des personnes physiques conformément aux dispositions du
présent statut
[60].
Le statut affirme avec clarté que la
responsabilité pénale individuelle ne pourrait se heurter
à des obstacles liés à la qualité officielle
de l'auteur présumé d'un crime du droit international en
précisant que :
1. Quiconque a
planifié, incité à commettre, ordonné, commis ou de
toute autre manière aidé et encouragé à planifier,
préparer ou exécuter un crime visé aux articles 2 à
5 du présent statut est individuellement responsable dudit crime
[61].
2. Aussi la
qualité officielle d'un accusé, soit comme chef d'Etat ou de
gouvernement, soit comme haut fonctionnaire, ne l'exonère pas de sa
responsabilité pénale et n'est pas un motif de diminution de la
peine
[62].
Ceci dit, le tribunal international est habilité
à poursuivre les personnes qui commettent ou donnent l'ordre de
commettre des infractions graves aux Conventions de Genève du 12
août 1949, à savoir les actes suivants dirigés contre des
personnes ou des biens protégés aux termes des dispositions de la
Convention de Genève pertinente
[63] :
a) L'homicide intentionnel;
b) La torture ou les traitements inhumains, y compris les
expériences biologiques; c) Le fait de causer
intentionnellement de grandes souffrances ou de porter des atteintes graves
à l'intégrité physique ou à la santé;
d) La destruction et l'appropriation de biens non
justifiées par des nécessités militaires et
exécutées sur une grande échelle de façon illicite
et arbitraire; e) Le fait de contraindre un prisonnier de
guerre ou un civil à servir dans les forces armées de la
puissance ennemie; f) Le fait de priver un prisonnier de
guerre ou un civil de son droit d'être jugé
régulièrement et impartialement; g) L'expulsion
ou le transfert illégal d'un civil ou sa détention
illégale; h) La prise de civils
en otages.
Le tribunal international est compétent pour poursuivre
les personnes qui commettent des violations des lois et coutumes de la guerre.
Ces violations comprennent, sans y être limitées
[64]:
a) L'emploi d'armes toxiques ou d'autres
armes conçues pour causer des souffrances inutiles; b)
La destruction sans motif des villes et des villages ou la dévastation
que ne justifient pas les exigences militaires; c) L'attaque
ou le bombardement, par quelque moyen que ce soit, de villes, villages,
habitations ou bâtiments non défendus; d) La
saisie, la destruction ou l'endommagement délibéré
d'édifices consacrés à la religion, à la
bienfaisance et à l'enseignement, aux arts et aux sciences, à des
monuments historiques, à des oeuvres d'art et à des oeuvres de
caractère scientifique; e) Le pillage de biens publics
ou privés.
Le statut précise sans équivoque en outre :
1. Le tribunal international est
compétent pour poursuivre les personnes ayant commis le génocide,
tel qu'il est défini au paragraphe 2 du présent article, ou l'un
quelconque des actes énumérés au paragraphe 3 du
présent article.
2. Le génocide s'entend de l'un
quelconque des actes ci-après, commis dans l'intention de
détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou
religieux, comme tel: a) Meurtre de membres du groupe;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique
ou mentale de membres du groupe; c) Soumission intentionnelle
du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa
destruction physique totale ou partielle; d) Mesures visant
à entraver les naissances au sein du groupe; e)
Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre
groupe. 3. Seront punis les actes suivants:
a) Le génocide; b) L'entente en vue de
commettre le génocide; c) L'incitation directe et
publique à commettre le génocide; d) La
tentative de génocide; e) La complicité dans le
génocide
[65].
En toute vraisemblance, le tribunal international est
habilité à juger les personnes présumées
responsables des crimes suivants lorsqu'ils ont été commis au
cours d'un conflit armé, de caractère international ou interne,
et dirigés contre une population civile quelle qu'elle soit:
a) Assassinat; b) Extermination;
c) Réduction en esclavage; d)
Expulsion; e) Emprisonnement; f) Torture;
g) Viol; h) Persécutions pour des
raisons politiques, raciales et religieuses; i) Autres actes
inhumains
[66].
Paragraphe III. Compétences
concurrentes
Selon l'esprit de son statut, la compétence concurrente du TPIY
peut se résumer en deux idées majeures contenues dans l'article
9 :
1. Le tribunal international et les
juridictions nationales sont concurremment compétents pour juger les
personnes présumées responsables de violations graves du droit
international humanitaire commises sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis
le 1er janvier 1991.
2. Bien plus, le tribunal international a la
primauté sur les juridictions nationales. A tout stade de la
procédure, il peut demander officiellement aux juridictions nationales
de se dessaisir en sa faveur conformément au présent statut et
à son règlement
[67].
Paragraphe IV. Appréciation
critique
Le Tribunal pénal international pour l'ex-yougoslavie
(TPIY), siégeant à la Haye (Pays-Bas), a été
institué par le Conseil de sécurité le 23 février
1993 pour « juger les personnes présumées
responsables de violations graves du droit humanitaire international commises
sur le territoire de l'ex-Yougoslavie depuis 1991 ». De
nombreux juristes se sont alors indignés contre la constitution d'un tel
tribunal ad hoc et soulignaient la nécessité d'un
tribunal international permanent et d'un corps judiciaire
indépendant :
-
décidée par le Conseil de sécurité, la constitution
du TPIY serait selon eux illégale car le Conseil n'a pas de pouvoir
législatif et n'a pas respecté le principe de séparation
des pouvoirs : une institution judiciaire a été mise au
service d'une instance politique ;
- des
critiques se sont également élevées contre sa
compétence limitée dans l'espace (ex-Yougoslavie), dans le temps
(depuis 1991) et « ratione materiae », dans son
domaine d'accusation : les crimes de guerre et crimes contre
l'humanité.
Pour de nombreux observateurs, les Occidentaux se sont
donné bonne conscience après les tragédies commises en
ex-Yougoslavie et ils ont également accentué leur pression sur le
gouvernement yougoslave. Contrairement aux autres instances des Nations unies,
régulièrement soumises à des restrictions
budgétaires, le budget du TPIY a été décuplé
en cinq ans, passant de 10 millions de dollars en 1994 à 94 millions
pour l'année 1999, les Etats-Unis se plaçant au rang des
principaux contributeurs
[68].
Au Kosovo, le Conseil de sécurité a voulu
renforcer les prérogatives du tribunal. La résolution 1160 du 31
mars 1998 a ainsi demandé à Belgrade de
« coopérer pleinement avec le bureau du procureur du
TPIY ». La résolution 1207 a étendu à
« tous les Etats » sa demande de
« coopérer pleinement avec le Tribunal et ses
organes ». Les pays membres de l'Alliance se sont montrés
davantage prêts à coopérer avec le tribunal pour le Kosovo,
mettant à sa disposition leurs services de renseignements pour
l'obtention de documents pouvant étayer les preuves contre les
inculpés et légitimer leur opération « force
alliée ». Le 27 mai 1999, le procureur du TPIY Louise
Arbour a pris la décision la plus importante du tribunal depuis sa
création, inculpant M. Slobodan Milosevic de
crimes de guerre et crimes contre l'humanité. Le tribunal mène
également des enquêtes : plusieurs sont en cours pour
déterminer les responsables serbes des violences
perpétrées contre les Albanais du Kosovo et les responsables
albanais, notamment l'
UCK
[69], des
exactions contre les populations non serbes du Kosovo.
Le 10 novembre 1999, le successeur de Louise Arbour,
Mme Carla Del Ponte, a dressé devant les Nations unies un premier
bilan des travaux d'exhumation au Kosovo après examen
d'un tiers des sites repérés : 2 018 corps exhumés,
sur 195 sites ayant fait l'objet d'une enquête.
Bien que lourd dans ses instructions
et enquêtes, ce tribunal
pourra servir
d'instrument de dissuasion aux potentiels criminels de guerre. Pour l'heure, il
mérite le bénéfice du doute
[70].
SECTION IV. LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL
POUR LE RWANDA
Devant les atrocités commises au Rwanda entre avril et
juillet 1994
[71], la
communauté internationale s'est engagée à faire respecter
le droit international humanitaire et à juger les responsables des
infractions à ce droit. C'est ainsi que le Conseil de
sécurité des Nations Unies, par sa résolution 955 du 8
novembre 1994, a créé le Tribunal pénal international,
chargé de juger à la fois les personnes présumées
responsables d'actes de génocide ou d'autres violations graves du droit
international humanitaire commis sur le territoire du Rwanda, et les citoyens
rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis
sur le territoire d'États voisins
[72].
Le Conseil de sécurité a ainsi
créé un précédent particulièrement
significatif, puisqu'il est « le tout premier cas d'un organe judiciaire
international ayant compétence en matière de violations du droit
international humanitaire dans le cadre d'un conflit interne »
[73]. Mais,
s'agissant d'un organe judiciaire institué par un organe essentiellement
politique dans un contexte international en pleine mutation, il convient de
s'interroger sur les considérations politico-juridiques qui ont
entouré la création et la mise en place du Tribunal, et qui ont
ensuite déterminé l'attitude des États et leur
méfiance ou leur soutien, selon le cas.
Le tribunal a été ainsi chargé de juger
les personnes présumées responsables d'actes de génocide
et d'autres violations graves du droit international humanitaire commises sur
le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés
responsables de tels actes ou violations du droit international commis sur le
territoire d'Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre
1994.
Le génocide rwandais a fait, d'avril à juillet
1994, de 500.000 à 800.000 morts. Le TPIR est la première
juridiction à statuer sur des accusations de génocide,
défini par une convention internationale datant du 9 décembre
1948
[74].
Le tribunal pénal international pour le Rwanda est
régi par son Statut qui est joint en annexe à la
résolution 955 du Conseil de sécurité des Nations unies.
Le Règlement de procédure et de preuve que les juges ont
adopté conformément à l'article 14 du Statut,
définit le cadre nécessaire au fonctionnement du système
judiciaire. Le Tribunal est composé de trois organes: les Chambres de
première instance et la Chambre d'appel, le Bureau du Procureur,
chargé des enquêtes et des poursuites et le Greffe responsable de
fournir un appui général judiciaire et administratif aux Chambres
et au Procureur.
Les compétences du TPIR le rapprochent certes des
juridictions d'après-guerre, mais dans certains cas, elles vont
même au-delà de celles-ci. À titre d'exemple, on pourrait
relever, entre autres, la compétence ratione personae. Dans le
cas du TPIR, elle vise non seulement tous les criminels en principe, mais elle
demeure prioritaire dans sa concurrence avec celle des juridictions
nationales.
Paragraphe I. Compétence temporelle
Elle porte sur les crimes commis entre le 1er janvier et le 31
décembre 1994. La compétence ratione temporis n'est pas
liée à un fait précis, tel que, en l'occurrence, la mort
[accidentelle] des présidents du Rwanda et du Burundi, le 6 avril 1994,
qui aurait pu être considérée comme
l'événement qui a déclenché la guerre civile et son
cortège d'actes de génocide
[75]. Cette
compétence est plus large, puisque le TPIR est appelé à
connaître des violations commises entre le 1er janvier 1994 et le 31
décembre 1994, et non des seuls crimes commis à compter du 6
avril 1994
[76].
Paragraphe II. Compétences territoriale et
personnelle
Elles portent sur les crimes commis par des Rwandais sur le
territoire du Rwanda et sur les territoires d'États voisins ainsi que
les citoyens non-Rwandais pour les crimes commis au Rwanda. La
compétence ratione loci n'est pas moins importante : le
Tribunal est compétent pour connaître non seulement des violations
graves du droit international humanitaire perpétrées entre le 1er
janvier et le 31 décembre 1994 sur le territoire rwandais, mais
également, sur celui des États voisins
[77].
Quant à la compétence ratione personae,
dans le cas du TPIR, elle vise non seulement tous les criminels en
principe, mais elle demeure prioritaire dans sa concurrence avec celle des
juridictions nationales
[78].
Paragraphe III. Competence matérielle
Elle recouvre le crime de génocide, les crimes contre
l'humanité, les violations de l'article 3 commun aux conventions de
Genève et du Protocole additionnel II (protection des civils en temps de
guerre et violations des lois ou coutumes de la
guerre).
Ils constituent donc la compétence matérielle du TPIR.
Paragraphe IV. Appréciation
critique
Par les jugements qu'il sera appelé à prononcer
sur les cas qui lui sont soumis, le TPIR contribuera à faire reculer
l'impunité en Afrique, car les peines prononcées
démontreront aux responsables politiques et militaires et aux chefs de
guerre qu'ils peuvent un jour être recherchés, jugés et
punis pour les violations du droit international humanitaire qu'ils auraient
commises dans le cadre d'un conflit interne. Le procès Jean Kambanda est
un exemple à saluer.
Comme l'avait fait remarquer le Tribunal pour l'ex-Yougoslavie
dans ses observations adressées au Comité ad hoc de la
commission du droit international pour la création d'une cour criminelle
internationale, « la création par le Conseil de
sécurité de tribunaux ad hoc, comme ceux
créés pour l'ex-Yougoslavie et pour le Rwanda, représente
un progrès considérable dans la lutte contre les violations des
droits de l'homme et répond à la préoccupation
fondamentale de voir la justice internationale contribuer à
l'instauration d'une paix réelle et durable dans les pays
déchirés par des conflits armés et où la
dignité même est bafouée sur une grande échelle
».
[79]
Au Rwanda comme dans les autres pays victimes de conflits
armés, la reconstruction nationale, son rétablissement social et
économique ne peuvent passer que par une réconciliation entre
groupes ethniques, fondée sur une justice impartiale et neutre. En
effet, tant que la justice n'est pas rendue, la haine ethnique peut se
perpétuer. Et dans un tel contexte, le sentiment d'impunité
justifie la multiplication des crimes. En punissant les coupables des
atrocités perpétrées au Rwanda en 1994, le TPIR
contribuera certainement à faire reculer l'impunité et à
faciliter la réconciliation nationale.
Certes, le TPIR n'a pas pour mandat de procéder au
développement du droit international humanitaire. Mais il convient
toutefois de souligner que, comme tout organe à caractère
judiciaire, il sera appelé dans le cadre de ses activités,
à clarifier les règles de droit applicables, à
préciser les normes coutumières relatives aux conflits
armés non internationaux, à apprécier les actes des
criminels au regard des dispositions pertinentes des Conventions et du
Protocole additionnel II, entre autres. Ce qui contribuera, sans doute,
à la réaffirmation du droit humanitaire, à la
clarification et à la détermination de la portée et du
contenu des normes de ce droit et, dans certains cas, à son
développement progressif.
Pour tout dire, la création du TPIR symbolise le refus
de l'impunité. Elle traduit également l'engagement de la
communauté internationale à faire respecter le droit
international humanitaire et à juger les responsables des graves
violations de celui-ci.
Comme l'on peut s'en rendre compte, ces juridictions pénales ad
hoc, en leur qualité d'organes subsidiaires du Conseil de
Sécurité voient leurs compétences limitées. Elles
ont été créées pour des fins
déterminées. Elles ne pouvaient donc être dotées que
des compétences strictement nécessaires à l'atteinte de
l'objectif de leur création, entendu, la cessation des violations du
droit international humanitaire constituant une menace à la paix et
à la sécurité internationales.
En ce qui concerne la compétence ratione loci, le tribunal pour
l'ex-Yougoslavie ne peut sanctionner que les crimes commis sur le «
territoire de l'ancienne République fédérale socialiste de
Yougoslavie »
[80], y compris
son espace terrestre, son espace aérien et ses eaux territoriales. Le
Tribunal pour le Rwanda a compétence sur le territoire du Rwanda et
celle-ci s'étend aux « territoires d'Etats
voisins »
[81].
En ce qui concerne la compétence ratione temporis, le Tribunal
pour l'ex-Yougoslavie n'est compétent qu'à l'égard des
crimes commis à partir du 1er janvier 1995
[82],date
indiquant selon le Conseil de Sécurité, le début des
hostilités sur le territoire yougoslave. Le Tribunal pour le Rwanda
connaît les violations commises entre le 1er janvier 1994 et
le 31 décembre 1994 ; ce qui le distingue de celui de
l'ex-Yougoslavie dont aucune date limitant sa juridiction n'a été
établie
[83].
Dans le cas du Tribunal pour le Rwanda , même si cette solution a
été adoptée afin que la planification du génocide
et des crimes contre l'humanité n'y échappe (sic) pas, il n'en
reste pas moins qu'elle comporte des limites : les crimes commis au Rwanda
en 1994 n'étaient que le point culminant d'un long processus
[84]. Ce
paradoxe est une des principales critiques à l'encontre du
Tribunal pour le Rwanda car le Statut du Tribunal ne considère pas
les causes et la planification du génocide
[85].
Cette compétence d'attribution limitée dans l'espace et dans le
temps est due au fondement juridique, soit le Chapitre VII de la Charte, soit
de la création de ces tribunaux. En effet, le problème
réside dans le fait qu'il ne pouvait être question pour ces
tribunaux de juger tous les crimes internationaux, fussent-ils
imprescriptibles, commis sur les territoires Yougoslave et Rwandais depuis
l'existence de ces pays. Cela aurait été incompatible avec leur
mode de création car le Conseil de Sécurité ne peut
créer une juridiction que dans l'objectif de rétablir la paix et
la sécurité internationales et non pour sanctionner des
crimes anciens.
La compétence ratione personae des deux tribunaux ad
hoc est limitée aux personnes physiques, soit les auditeurs (sic) -
nous pensons que l'auteur voulait dire auteur (présumés) des
crimes-, complices et instigateurs des crimes prévus par le statut.
[86]
Contrairement à Nuremberg, ils n'ont pas compétence pour
poursuivre pénalement les personnes morales ou privées et ne
peuvent déclarer criminels des groupes, des associations ou des
organisations
[87].
La réussite de ces tribunaux dépendra en grande partie de la
volonté des Etats à régler les obstacles à leur
mise en marche et à leur efficacité. En effet, tout le
système de ces tribunaux est fondé sur la coopération des
Etats. Si les Etats ne font pas preuve de bonne volonté, ces tribunaux
ne pourraient être que la manifestation de la bonne conscience de
la communauté internationale et devenir des «
tribunaux-alibis »
[88].
La multiplication des tribunaux ad hoc est le compromis de la
communauté internationale afin de redonner une certaine
crédibilité à l'O.N.U.
Les événements de l'ex-Yougoslavie et du Rwanda ont permis
d'accomplir un progrès remarquable en matière de
responsabilité pénale internationale de l'individu. Le respect
du « sacro-saint » principe de la
souveraineté des Etats en droit international public a subi quelques
brèches : l'approche est de plus en plus fondée sur la
protection de la personne et sur le respect des droits de l'homme les plus
fondamentaux.
Si ces précédents n'ont pas ou ne sont pas sans limites, au
moins ont-ils eu le mérite d'exister et d'agir. Ces
événements ont aussi permis de reprendre les négociations
et d'adopter le Statut de Rome créant la Cour Pénale
Internationale permanente. Tel n'a pas été le cas de la Cour
Pénale Internationale dont la création avait été
envisagée pour juger, après le premier conflit mondial,
l'Empereur Guillaume II, ou de celle dont la convention pour la
prévention et la répression du crime de génocide proposait
la création en 1948. Son examen fut cependant constamment
différé par l'Assemblée générale du fait de
la paralysie liée à la guerre froide et pour le motif qu'il
fallait attendre que soit adoptée une définition de l'agression,
qui aujourd'hui encore, dans le Statut de Rome, reste à adopter.
CHAPITRE II.
ANALYSE DES REGLES DE COMPETENCE DE LA COUR
PENALE INTERNATIONALE
L'idée selon laquelle " même la guerre ne peut
justifier toutes les atrocités " était déjà en
germe à la fin du 19ème siècle, suite au
conflit franco-prussien. Différents textes viennent corroborer cette
pensée. Les conventions de La Haye des 29 juillet 1899 et 17 octobre
1907, invoquent le droit des gens et les lois de l'humanité. Le statut
du tribunal militaire international de Nuremberg introduit la notion de crime
contre l'humanité. Les Conventions de Genève du 10 août
1949, instaurent une obligation d'entraide et de coopération en vue de
l'arrestation et de la poursuite de toute personne présumée
responsable d'un crime international
[89].
Mais, la nécessité d'ériger un système de justice
pénale internationale opératoire s'est imposée de
façon cruciale au début des années 1990, au lendemain de
la guerre de l'ex-Yougoslavie et des massacres au Rwanda. La communauté
internationale a exprimé l'idée de voir les auteurs, les
co-auteurs et complices de crimes contre l'humanité, des crimes de
guerre et de génocide poursuivis individuellement pénalement
selon les règles coutumières et conventionnelles du droit
pénal international.
C'est au sein d'un comité ad hoc, en 1995, que les discussions
sur la Cour pénale internationale ont débuté.
Considérée comme un impératif moral, la création de
la Cour pénale internationale a recueilli un large consensus dans la
communauté mondiale. Certains Etats, soucieux de leurs
intérêts, entendent pourtant en limiter les pouvoirs. Les
modalités de constitution et d'exercice de la Cour demeurent l'enjeu
d'âpres discussions
Il ne s'agit pas, pour cette cour de juger des Etats, des peuples
ou des nations mais des individus, innovation majeure et corollaire de
l'émergence, dans la seconde moitié du XXème
siècle, de l'individu comme acteur du droit international.
Dans le cadre de la justice pénale internationale telle
qu'elle se met en place actuellement, les accusés peuvent de moins en
moins, pour échapper au jugement, invoquer leur qualité de
personnage officiel, ce qui constitue une remise en cause des immunités
qui protègent traditionnellement les chefs d'Etat ou les hauts
fonctionnaires.
En effet, dans le droit international classique, un chef d'Etat
ou un diplomate en exercice bénéficient d'une immunité
attachée à leur personne, ce qui les met à l'abri de
poursuites judiciaires, y compris pour des agissements privés; un ancien
chef d'Etat conserve quant à lui une immunité pour les actes
publics réalisés lorsqu'il était au pouvoir.
On peut se référer là encore, au
procès de Nuremberg: l'affirmation d'une responsabilité pour des
actes publics des anciens dirigeants allemands a constitué une
véritable révolution juridique, car le
Statut de
Nuremberg préconisait déjà que : "la situation
officielle des accusés, soit comme chef d'Etat, soit comme hauts
fonctionnaires, ne sera considérée ni comme une excuse
absolutoire, ni comme un motif de diminution de la peine."
[90] Cependant
il ne s'agissait encore que d'une disposition exceptionnelle, qui ne s'est pas
étendue immédiatement après la seconde guerre mondiale.
La levée de l'immunité du général
Pinochet le 25 novembre 1998 a marqué un véritable
précédent. La chambre des Lords a jugé que des actes
publics accomplis par un chef d'Etat pouvaient faire l'objet de poursuites
lorsqu'ils ne relèvent pas des compétences de l'Etat. Ainsi, les
crimes tels que la torture ou les crimes contre l'humanité ne sauraient
appartenir aux fonctions d'un chef d'Etat.
Le principe d'absence d'immunité des chefs d'Etats et des
haut-fonctionnaires n'est pas mentionné explicitement dans les statuts
des Tribunaux pénaux internationaux, mais ces textes ne prévoient
pas non plus un traitement d'exception pour les dirigeants politiques. La mise
en accusation en mai 1999 par le procureur du TPIY de Slobodan Milosevic
pour "crimes contre l'humanité et violations des
lois ou coutumes de la guerre "
[91]
au Kosovo le confirme, d'autant plus qu'il s'agit de la
première mise en accusation d'un chef d'Etat en exercice par une
institution judiciaire établie à l'échelon international.
Restant dans cette même logique, le statut de la Cour
pénale internationale a consacré ce principe dans l'article 27
intitulé "Défaut de pertinence de la qualité
officielle" en précisant sans ambiguïté que:
"Le présent Statut s'applique à tous de
manière égale, sans aucune distinction fondée sur la
qualité officielle. En particulier, la qualité officielle de chef
d'État ou de gouvernement, de membre d'un gouvernement ou d'un
parlement, de représentant élu ou d'agent d'un État,
n'exonère en aucun cas de la responsabilité pénale au
regard du présent Statut, pas plus qu'elle ne constitue en tant que
telle un motif de réduction de la peine. Les immunités ou
règles de procédure spéciales qui peuvent s'attacher
à la qualité officielle d'une personne, en vertu du droit interne
ou du droit international, n'empêchent pas la Cour d'exercer sa
compétence à l'égard de cette personne."
[92]
La compétence de la CPI est soumise au principe de
complémentarité, c'est-à-dire que la CPI n'est
appelée à intervenir qu'en cas de défaillance des
juridictions nationales. Toutefois en matière de droit pénal
international les États exercent une compétence liée. Ils
agissent sur «commandement» du droit international.
Pour permettre une critique on ne peut plus objective des
règles de compétence de la CPI, il nous semble nécessaire
de les évoquer d'abord une à une.
SECTION I. COMPETENCES TEMPORELLE ET
PERSONNELLE
La Cour n'a compétence qu'à l'égard des crimes
relevant de sa compétence commis après l'entrée en vigueur
du Statut. Et après l'entrée en vigueur de celui-ci, la Cour ne
peut exercer sa compétence qu'à l'égard des crimes commis
après l'entrée en vigueur du Statut pour l'Etat qui ratifie,
c'est-à-dire après le 1er juillet 2002.
La Cour Pénale Internationale (CPI) sera la
première cour permanente, chargée d'enquêter et de juger
les individus accusés de violations massives du droit international
humanitaire et des droits de l'Homme, c'est-à-dire les crimes de
génocide, les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et,
une fois défini, les crimes d'agression.
A la différence de la Cour Internationale de Justice
(CIJ), qui ne peut connaître que des différends opposant des
Etats, la CPI est compétente pour juger les individus,
indépendamment de leur qualité officielle et hiérarchique.
De même, à la différence des Tribunaux Pénaux
Internationaux pour l'Ex-Yougoslavie et pour le Rwanda créés par
le Conseil de Sécurité de l'ONU, la compétence de la CPI
n'a pas de limite spatiale ou temporelle.
La juridiction de la CPI ne sera pas rétroactive et la
Cour ne pourra connaître que des crimes commis après son
entrée en
vigueur, le 1er juillet 2002
[93].
C'est là l'une de failles de cette juridiction, car elle laissera
impunis plusieurs crimes horribles pourtant bien définis par le statut
de Rome et devant relever de la compétence matérielle de la
CPI.
La CPI sera un organe complémentaire des juridictions
nationales, n'exerçant sa compétence que lorsque les Etats seront
dans l'incapacité ou ne manifesteront pas la volonté de
poursuivre eux-mêmes les responsables des crimes de la compétence
de la CPI (à la différence des TPIY et TPIR qui sont régis
par un principe de primauté sur les tribunaux nationaux). Cette
complémentarité à la base du fonctionnement de la CPI
devrait avoir un effet positif sur les systèmes juridiques nationaux ;
elle devrait inciter les Etats à moderniser leur système
juridique, à typifier les crimes internationaux, à renforcer
l'indépendance du pouvoir judiciaire. La protection des droits de
l'homme au niveau mondial ne s'en verra qu'améliorée. Mais, il
faut reconnaître que certains pays pourront se prévaloir de ce
principe pour entraver la bonne marche de la cour (on y reviendra).
En ce qui concerne la compétence personnelle, la Cour est
compétente à l'égard des personnes physiques
ressortissants des États qui auront ratifié le Statut ou qui ont
exprimé leur volonté de se soumettre à la juridiction de
la Cour. Le crime peut avoir été commis individuellement ou
conjointement. La personne est pénalement responsable si elle ordonne,
sollicite ou encourage la commission du crime, si elle facilite la commission
du crime, lui apporte son aide, ou contribue de toute autre manière
à sa commission ou à la tentative de commission
[94].
Ainsi, seuls les auteurs d'actes commis là où ni l'Etat dont il
est ressortissant ni celui où les actes ont été commis
n'ont reconnu la juridiction de la Cour échapperont à la
juridiction de la Cour. Le principe de base de l'exercice de la
compétence de la Cour est le suivant : la responsabilité
pénale pour les crimes de droit international est toujours individuelle.
Dans ce sens, le Statut de la Cour suit entièrement le principe
formulé par le Tribunal de Nuremberg, récemment confirmé
par les tribunaux internationaux pour l'Ex- Yougoslavie (art 7 du statut) et
pour le Rwanda (art. 6 du statut).
Cette responsabilité s'étend à toutes les
violations graves du droit international et des droits humains. La
responsabilité individuelle est cependant strictement limitée aux
personnes physiques.
Le Statut indique également les différentes
formes dans lesquelles la responsabilité d'une personne peut être
engagée sur le plan pénal. La personne peut être tenue
responsable pénalement :
a. lorsque l'acte qui
constitue un crime international a été commis avec sa
participation ;
b. si la personne a tenté
de commettre un tel acte ;
c. si elle a incité
à la réalisation d'un tel acte ou si la personne a
participé à sa planification ;
d. si la personne a
été complice dans l'exécution du crime ou si elle a
ordonné son exécution ;
e. si la personne n'a pas
tout fait afin d'empêcher la réalisation des actes criminels.
La responsabilité pénale peut être
engagée même si l'acte criminel n'a pas été
exécuté intégralement. Le fait de planifier la commission
de crimes internationaux constitue per se un comportement
délictueux.
Il est cependant à remarquer que le Tribunal de
Nuremberg avait retenu de manière explicite la notion d'appartenance
à une organisation criminelle. S'il est vrai que le crime de droit
international est commis par des personnes physiques et non par des
entités abstraites, leur exécution se fait souvent non par des
personnes prises individuellement, mais par des personnes liées à
une organisation.
Ainsi, si le génocide contre le peuple juif a
été exécuté par des personnes individuelles, il
n'est pas moins vrai que les organisations criminelles tels les SS ont
joué le rôle déterminant dans la mesure où cette
organisation criminelle a servi comme canal collectif par lequel les ordres ont
été transmis et exécutés. Une personne
isolée, agissant en dehors de tout cadre organisationnel, sans
rattachement à un groupement d'affinité
politico-idéologique pourrait difficilement planifier et exécuter
des crimes de droit international.
C'est toujours à travers les personnes morales ou
abstraites que les crimes sont normalement canalisés et que les
individus agissent. Dans ce sens, il faut retenir attentivement que les SS ont
été déclarés organisation criminelle par
le Tribunal de Nuremberg
[95].
Cette figure délictueuse d'organisation criminelle est
d'ailleurs tout à fait d'actualité car sur le plan des relations
internationales, il y a des cas où des personnes morales sont parfois
responsables de véritables comportements criminels.
Il est donc à regretter que ces personnes morales
n'aient pas été incluses comme responsables également des
crimes de droit international et en conséquence pouvant être
déclarées et poursuivies comme " organisations criminelles ",
qu'il s'agisse de personnes morales privées ou d'institutions
internationales possédant la personnalité juridique
internationale.
SECTION II. COMPETENCE TERRITORIALE
La Cour peut être saisie pour des crimes de génocide, des crimes
contre l'humanité, des crimes de guerre et du crime d'agression (cette
dernière qualification n'étant pas encore applicable dans
l'attente de sa définition). Sa compétence territoriale n'est pas
universelle. Dans les cas de saisine par un Etat partie ou d'autosaisine par le
procureur, sa compétence est subordonnée à l'obligation
suivante : l'Etat sur le territoire duquel le crime est commis ou dont la
personne accusée du crime est ressortissante doit être partie au
Statut, c'est-à-dire avoir reconnu par ratification ou
déclaration la compétence de la Cour. Le Conseil de
sécurité des Nations Unis peut également saisir la Cour
sur le fondement du chapitre VII de la Charte des Nations Unies, estimant la
paix en danger.
Le principe fondamental du statut de Rome est que la Cour est
complémentaire des juridictions nationales. Elle ne peut donc exercer sa
compétence que lorsque les Etats n'ont pas voulu (volonté de
faire échapper l'intéressé à sa
responsabilité pénale) ou n'ont pas pu (disparition de l'appareil
judiciaire) exercer des poursuites.
La
procédure devant la Cour est un mélange de common law et de droit
romano-germanique, avec une prédominance malgré tout de common
law. Le procureur est responsable de l'enquête. Il établit et
présente les charges contre les accusés, devant la chambre
préliminaire (proposition française) comparable par certains
côtés à une chambre d'accusation en France
[96].
Dès lors que les charges sont confirmées, l'accusé est
renvoyé en jugement devant une chambre de première instance
composée de trois juges. L'appel se déroulera devant une chambre
d'appel composée de cinq juges.
Dans la mesure où la CPI ne se substitue pas à la
compétence nationale et ne supplante pas les systèmes nationaux
de justice pénale, il appartient désormais aux Etats non
seulement d'adapter leur législation interne pour poursuivre les crimes
visés par le Statut, mais également de mettre en place un
système de coopération avec la Cour notamment pour la remise des
suspects ou pour l'entraide judiciaire. Sans ce système, cette
dernière se trouverait privée de tout moyen.
SECTION III. COMPETENCE MATERIELLE
La Cour sera compétente pour quatre catégories de
crimes : le crime de génocide, les crimes contre l'humanité, les
crimes de guerre et le crime d'agression
[97].
S'agissant des trois premières catégories, les définitions
reprennent des textes existants tels les conventions de Genève de 1949
et la convention sur le Génocide. Elles sont assez précises et
s'agissant des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre, la
liste est très longue. S'agissant des crimes de guerre, pas moins de 26
infractions sont mentionnées. Par contre il est dit dans le Statut que
« la Cour exercera sa compétence à l'égard du crime
d'agression quand une disposition aura été adoptée, qui
définira ce crime et fixera les conditions de l'exercice de la
compétence de la Cour à son égard ».
[98]
Nous ne reprendrons pas les définitions puisqu'il suffit
de se reporter à celles ci-haut données. Cependant, lors des
négociations du statut de la CPI, les Etats ne sont pas parvenus
à s'entendre sur une définition du crime d'agression. Une
commission préparatoire a donc été chargée de
rédiger un article sur le crime d'agression qui sera adopté plus
tard (sept ans après l'entrée en vigueur du Statut) par
voie d'amendement. Dans un premier temps, la Cour n'aura donc pas
compétence pour le crime d'agression.
Or, en principe, la Cour Pénale Internationale devrait
déjà exercer sa compétence aussi pour les crimes
d'agression. Mais, dans le contexte actuel, quel Etat oserait prendre le
leadership sur la délicate question de la définition de ce crime
?
Ce n'est qu'en 1974 qu'une définition consensuelle est
adoptée par l'Assemblée Générale des Nations Unies,
dans les termes suivants : « L'agression consiste en l'usage de la force
armée par un Etat, contre la souveraineté,
l'intégrité territoriale ou l'indépendance politique d'un
autre Etat ». Cette Résolution 3314 du 14 décembre
énumérait par ailleurs un certain nombre de moyens interdits,
tels que, l'invasion, l'attaque, le bombardement, le blocus. Cependant, des
dérogations à l'usage de la violence lui furent adjointes,
liées à l'autodétermination ou aux luttes de
libération nationale. Cela dit, le Conseil de Sécurité,
organe éminemment politique, restait seul juge en matière
d'agression
[99].
La Cour Pénale Internationale n'était pas encore affranchie de
toutes les raisons d'Etat et les divergences de vue concernant le crime
d'agression ne purent être résolues pendant cette
Conférence ; le crime fut inclus, mais les travaux concernant sa
définition et les éléments constitutifs, reportés.
Il y a fort à parier que des pressions des Etats-Unis se
renouvelleront, car le Pentagone s'est toujours opposé à
l'inclusion du crime d'agression dans le champ de compétence de la
Cour
[100].
L'on peut se douter d'ailleurs que la notion de guerre
préventive, mise au point par le Pentagone dans le cadre de la lutte
contre le terrorisme, n'est ni plus ni moins qu'une justification d'un
mouvement d'agression. La Charte des Nations Unies, et surtout son
Préambule « Nous, les Peuples », n'ont jamais
été autant en danger, car dans un monde démocratique, la
souveraineté appartient au Peuple, non à l'Etat. Le
précédent qui va peut-être avoir lieu, en-dehors de toute
légitimité onusienne, ouvre la porte au retour de la loi de la
jungle et de la loi du plus fort. Les populations civiles étant bien
sûr au premier rang des victimes touchées, c'est l'exemple
récent en Irak.
Aujourd'hui, il faudrait une sacrée dose de courage
politique pour progresser sur la voie de la sanction du crime d'agression, car
avant de poursuivre des individus, le Conseil de Sécurité doit
déterminer si oui ou non un Etat en a agressé un autre ! Il
semble que l'opinion publique internationale se soit massivement
prononcée en défaveur d'une guerre programmée contre
l'Irak. Alors oui, de même qu'il a fallu attendre que les conditions
soient favorables à l'émergence d'une Cour Pénale
Internationale, de même est-il opportun aujourd'hui d'aller au bout de la
logique de cette Cour, en lui donnant ses pleines et entières
compétences.
[101]
Quant aux crimes contre l'humanité
[102], une
précision mérite d'être donnée, et c'est là
une grande innovation du statut de Rome : la liste des crimes contre
l'humanité a été précisée et
allongée, notamment pour inclure les disparitions, l'apartheid (qui
avait été qualifiée de crime contre l'humanité dans
la
Convention
internationale sur l'élimination et la répression du crime
d'apartheid
[103]de 1973)
et les crimes sexuels graves autres que le viol.
Il faut noter en outre que si les crimes visés sont
qualifiés d'"internationaux", ce n'est pas tant du fait de leur
caractère intrinsèquement international, que parce qu'ils portent
atteinte à des valeurs jugées universelles, touchant à la
dignité humaine
[104].
Un mot sur le principe de complémentarité de la
CPI aux juridictions nationales ne serait pas de trop, car nous savons que le
statut de Rome établit une compétence partagée entre les
juridictions nationales et la Cour pénale internationale. En
effet, la CPI n'agira donc qu'en complémentarité des juridictions
nationales, mais les Etats sont tenus de coopérer pleinement avec la
Cour dans les enquêtes et poursuites pour les crimes relevant de sa
compétence.
a. le principe de complémentarité
En ce qui concerne la recevabilité des affaires, le
principe est qu'une affaire est jugée irrecevable par la Cour
pénale lorsqu'elle fait ou a fait l'objet d'une enquête ou de
poursuites de la part d'un Etat ayant compétence en l'espèce. La
solution retenue est donc différente de celle qui avait prévalu
lors de la création des tribunaux pénaux pour l'ex-Yougoslavie et
le Rwanda. Le statut de ces tribunaux pose en effet le principe de la
primauté sur les juridictions nationales et leur permet de demander le
dessaisissement de ces juridictions à tout stade de la procédure.
Or, il est dit aux termes de l'article 18 du statut de Rome que le procureur
doit informer les Etats dès le début de l'enquête. L'Etat
dont le suspect a la nationalité dispose d'un délai d'un mois
pour faire connaître l'état des poursuites concernant cette
personne. L'existence de telles poursuites oblige le Procureur à
suspendre l'instruction. La Cour doit s'assurer, aux termes de l'article 19 du
statut, qu'elle est compétente pour connaître d'une affaire
portée devant elle. Elle peut d'office se prononcer sur la
recevabilité de l'affaire. Le principe de compétence des Etats
est tempéré par le fait que cette règle ne s'applique pas
lorsqu'il apparaît que l'Etat en cause n'a pas la volonté ou est
dans l'incapacité de mener véritablement à bien
l'enquête ou les poursuites. Le statut précise les circonstances
qui permettent de déterminer qu'il y a un manque de volonté de
l'Etat. Il en va notamment ainsi lorsque la procédure est engagée
dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa
responsabilité pénale.
Naturellement, conformément à la règle
non bis in idem, nul ne peut être jugé par la Cour
lorsqu'il a été jugé par une autre juridiction pour les
mêmes faits, sauf si la procédure devant cette juridiction avait
pour but de soustraire la personne à sa responsabilité
pénale ou si elle a été menée d'une manière
qui démontrait l'intention de traduire l'intéressé en
justice.
Mais, comme on peut le constater, il n'est pas du tout facile de déceler
la mauvaise volonté ou l'incapacité d'un Etat à poursuivre
une enquête sauf, à notre avis lorsque ledit Etat est prêt
à coopérer.
b. Une obligation de coopération
L'article 86 prévoit une obligation
générale pour les Etats de coopérer pleinement avec la
Cour dans les enquêtes et poursuites pour les crimes relevant de sa
compétence.
La Cour peut adresser des demandes de coopération aux
Etats parties, notamment afin d'obtenir qu'une personne soit
arrêtée pour lui être remise. Elle peut également
formuler des demandes d'assistance concernant l'identification d'une personne,
le rassemblement d'éléments de preuve, la signification de
documents, l'examen de localités ou de sites...
Lorsque l'exécution d'une mesure d'assistance
demandée par la Cour est interdite dans l'Etat requis en vertu d'un
principe juridique fondamental d'application générale, ledit Etat
doit engager des consultations avec la Cour pour tenter de régler la
question. Si la question n'est pas réglée à l'issue des
consultations, la Cour modifie la demande.
Un Etat partie ne peut rejeter, totalement ou partiellement,
une demande d'assistance de la Cour que si cette demande a pour objet la
production de documents ou la divulgation d'éléments de preuve
qui touchent à sa sécurité nationale.
L'article 98 du statut, quant à lui, prévoit que
la Cour ne peut présenter une demande d'assistance qui contraindrait
l'Etat requis à agir de façon incompatible avec les obligations
qui lui incombent en droit international en matière d'immunité
des Etats ou d'immunités diplomatiques d'une personne ou de biens d'un
Etat tiers, à moins d'obtenir au préalable la coopération
de cet Etat en vue de la levée de l'immunité.
Cet article pourrait être manipulé par certains Etats qui
seraient contre la CPI dans la mesure où ils peuvent signer des accords
qui violent sensiblement le statut de Rome et se réfugier
derrière l'article 98.
SECTION IV. COMPETENCE EX-OFFICIO DU
PROCUREUR
L'article 99 prévoit notamment que le Procureur peut
procéder à certains actes d'enquête sur le territoire d'un
Etat partie, y compris en l'absence des autorités de cet Etat.
Le Procureur peut donc ouvrir une enquête de sa propre
initiative. Il est indépendant, toutefois son action ex-officio est
soumise à l'examen d'une chambre préliminaire qui décidera
du bien fondé de l'action entreprise et autorisera ou non la poursuite
des enquêtes.
Les mesures qu'il peut prendre dans ce cadre, notamment
recueillir une déposition ou inspecter un site public ou autre lieu
public, sont exclusives de toute contrainte. "
[105]
En marge de tout ce qui a déjà été
dit, on ne peut passer sous silence les modes de saisine pour que la cour
exerce sa compétence. Ainsi point n'est besoin de signaler que trois
voies possibles sont ouvertes afin que la Cour exerce sa compétence.
La première voie concerne l'Etat Partie. Celui-ci peut
remettre au Procureur des informations relatives à des crimes commis et
demander que des poursuites soient engagées contre les responsables. Il
est cependant très probable que cette voie ne soit jamais
utilisée. En effet, plusieurs conventions internationales de protection
des droits de l'homme contiennent déjà des dispositions
similaires, et sauf information contraire, à notre connaissance, aucun
cas de plainte d'un Etat contre un autre n'est connu devant un organe
international chargé de surveiller le respect des obligations
étatiques dans ce domaine
[106].
Dans le cas de la Cour Pénale Internationale, il ne
s'agit pas de violations qu'on peut appeler " non graves ", mais des crimes de
droit international. En réalité, les organisations de
défense des droits de l'homme, les ONGs et les victimes n'ont pas grand
chose à attendre de cette voie.
La deuxième voie, est celle du Conseil de
sécurité de l'ONU. Cet organe politique, dont les Etats-Unis sont
un membre permanent avec droit de veto, peut, à l'égal des Etats
Parties, remettre au procureur des informations et demander l'ouverture des
investigations sur des crimes commis sur le territoire d'un Etat Partie. Il est
important de rappeler que les Etats-Unis ont développé une
politique de boycott permanent contre la création de la Cour.
Donnée révélatrice, ce pays vient de
retirer tout appui à la Cour Pénale internationale. En effet, les
Etats-Unis par lettre envoyée au Secrétaire général
de l'ONU le 6 mai 2002, viennent de retirer leur signature du traité de
Rome, manifestant en même temps leur volonté de ne jamais devenir
Partie au Statut de la Cour. Deux arguments ont été
avancés par eux afin de justifier ce refus. D'abord, que les Etats-Unis
ne sont pas obligés par le droit international à ratifier le
traité de Rome. Deuxièmement, leur crainte que des plaintes
capricieuses soient déposées auprès de la Cour
Pénal Internationale contre leurs autorités gouvernementales,
leurs fonctionnaires civils, leurs militaires et leurs soldats
[107].
La voie du Conseil de sécurité reste un chemin
dangereux, surtout en tenant compte de la crise de légitimité et
le manque de crédibilité de cet organe de l'ONU. En effet, les
Etats-Unis, tiers au Statut de la Cour, pourrait à tout moment, tout en
refusant de se soumettre à l'ordre juridique pénal international,
utiliser cet organe en faveur de ses propres intérêts de
domination. Le danger est encore plus réel lorsqu'on constate que le
statut de la Cour Pénale Internationale prévoit que le Conseil de
sécurité a le pouvoir de paralyser totalement toute action
d'investigation ou suspendre tout procès ad infinitum contre
les responsables des crimes contre l'humanité. Il n'est donc pas
à exclure que là où les intérêts
stratégiques des Etats-Unis sont menacés ou en danger, cet organe
politique ne devienne un instrument de sa politique, consacrant juridiquement
l'impunité. Ces craintes sur la possible manipulation du Conseil de
sécurité sont, malheureusement, bien réelles
[108].
La troisième voie se présente lorsque le
Procureur de sa propre initiative ("d'office ") décide
d'ouvrir une procédure criminelle sur base d'informations relatives
à l'existence de crimes tombant sous la compétence de la Cour.
C'est au Procureur que revient le pouvoir de vérifier la
véracité des faits, en demandant notamment des renseignements aux
organisations gouvernementales et non gouvernementales, y compris, en principe,
aux victimes.
S'il est regrettable que les victimes des actes criminels ne
puissent pas accéder directement à la Cour, le pouvoir dont
dispose le Procureur constitue cependant une porte ouverte aux citoyens
[109].
Il n'est pas inutile de rappeler que la Cour applique le
Statut et le règlement de procédure et de preuve, les
traités applicables et les principes et règles du droit
international et à défaut les principes généraux du
droit.
Les principes généraux du droit pénal applicables sont les
suivants:
· Nullum crimen sine
lege: il faut que l'acte poursuivi constitue au moment où il se
produit un crime relevant de la compétence de la cour ?article 22 du
statut?.
· Nulla poena sine
lege: la Cour ne peut prononcer une condamnation que conformément
au Statut ?article 23 du statut?.
· Non
rétroactivité ratione personae: nul n'est responsable
pour un comportement antérieur à l'entrée en vigueur du
Statut ?article 25 du statut?.
· Responsabilité
pénale individuelle: la Cour est responsable à l'égard des
personnes physiques. Le crime peut avoir été commis
individuellement ou conjointement. La personne est pénalement
responsable si elle ordonne, sollicite ou encourage la commission du crime, si
elle facilite la commission du crime, lui apporte son aide, ou contribue de
toute autre manière à sa commission ou à la tentative de
commission ?article 25 du statut?.
Quant aux droits de l'accusé et les peines encourues,
l'accusé bénéficie des droits de la défense et
notamment de la présomption d'innocence.
S'agissant des peines encourues elles consistent en peines d'emprisonnement
allant jusqu'à trente ans au plus et dans des cas d'extrême
gravité l'emprisonnement à perpétuité.
La peine de mort n'a pas été retenue. L'Assemblée ne peut
qu'approuver l'exclusion de la peine capitale de l'échelle des peines,
car elle considère qu'il s'agit d'un traitement inhumain et qu'une
société qui se prétend évoluée ne saurait
l'accepter.
Ayant déjà passé en revue les compétences de la
CPI, une critique générale s'avère indispensable pour
vérifier si cette cour sera bien efficace ou vouée à
l'échec ou tout simplement à la disparition.
De ce fait, un argumentaire mettant en liaison l'analyse des
considérations théoriques de la Cour et l'étude d'un cas
spécifique d'handicap de la Cour va faire l'objet du troisième
chapitre que nous nous proposons d'aborder dans les lignes qui suivent.
CHAPITRE III.
LES COMPETENCES DE LA CPI
A L'EPREUVE DE LA THEORIE ET DE LA PRATIQUE
Le présent chapitre est subdivisé en deux
grandes sections dont les considérations théoriques (section 1)
et l'analyse critique de la position américaine contre
la
CPI (section 2).
SECTION I. CONSIDERATIONS THEORIQUES
Le principe d'une juridiction universelle indépendante
s'est souvent heurté à la structure même de la
société internationale, fondée sur la souveraineté
étatique. C'est cette dernière qui a servi de fondement à
l'organisation de la société internationale, aujourd'hui
incarnée par l'Organisation des Nations Unies. Comme l'a rappelé
M. de Montbrial, le terme de " société " convient mieux en
l'espèce que celui de "communauté ", celle-ci impliquant un lien
" affectif " entre ses membres, celle-là se bornant surtout à la
prise en compte " d'intérêts " communs. Or si une justice
indépendante peut, dans un système démocratique,
émaner d'une communauté nationale, il lui est
singulièrement plus difficile de le faire, à l'identique, au
niveau d'une société composée d'entités souveraines
que des intérêts peuvent, tour à tour, se rapprocher ou se
séparer
[110].
La création d'une instance judiciaire internationale a
toujours été confrontée à cette difficulté.
La Cour internationale de justice elle-même, organe judiciaire de l'ONU,
en est un premier exemple : elle ne peut concerner que les Etats qui ont
accepté sa création et sa juridiction, sachant qu'une soixantaine
d'entre eux -dont la France et les Etats-Unis- ont, par déclaration,
précisé qu'ils n'acceptaient plus a priori -après
des décisions de la Cour qu'ils avaient contestées-, sa
juridiction obligatoire.
La Cour pénale internationale reflète cette
contradiction, tant par certaines dispositions de son statut que par les
conditions qui ont entouré sa négociation. Conçue pour
transcender les blocages que pourraient poser certains Etats à la mise
en jugement d'auteurs de crimes particulièrement odieux, elle n'en doit
pas moins recourir, pour être efficace, à leur coopération.
Surtout, le Conseil de sécurité des Nations
Unies, qui incarne cette souveraineté des Etats et la
prééminence de certains d'entre eux, et que certains des
promoteurs de la Cour entendaient contourner, tient un rôle non
négligeable dans le dispositif final.
Comme nous l'avons vu, le statut de la Cour pénale
internationale reconnaît au Conseil de sécurité un double
rôle : il peut tout d'abord la saisir, ce qui confère d'ailleurs
à la Cour une compétence accrue par rapport aux autres cas de
saisine. Il peut enfin suspendre les enquêtes et les poursuites qu'elle
serait en train de conduire.
Paragraphe I. La saisine, par le Conseil de
sécurité, de la Cour Pénale
Internationale, confère a celle-ci des pouvoirs
importants
L'article 13 du Statut précise que " La cour peut
exercer sa compétence à l'égard des crimes visés
à l'article 5b si une situation dans laquelle un ou plusieurs de ces
crimes paraissent avoir été commis est
déférée au Procureur par le Conseil de
sécurité agissant en vertu du chapitre VII de la Charte des
Nations Unies ". Cette saisine, par le Conseil de sécurité,
constitue l'une des trois possibilités de saisine de la Cour, aux
côtés de celle reconnue à un Etat partie (article 13a) et
au Procureur lui-même (article 13c).
Le Conseil de sécurité ne peut saisir la Cour
que dans le cadre du chapitre VII de la charte des Nations unies,
c'est-à-dire " en cas de menace contre la paix, de rupture de la
paix et d'acte d'agression ". Cette faculté de saisine de la Cour
par le Conseil présente deux caractéristiques contradictoires :
sa mise en oeuvre est aléatoire ; en revanche, elle confère
à la Cour des compétences assez étendues.
Aléatoire, la procédure de saisine par le
Conseil de sécurité l'est, en premier lieu, en ce que toute
résolution du Conseil suppose un vote que peut venir entraver le
recours, par l'un des cinq membres permanents, à son droit de veto. Si
tel ou tel de ces Etats entend " protéger " un pays où se
dérouleraient des crimes relevant de la compétence de la Cour
pénale internationale, la saisine de celle-ci s'avérerait vite
impossible.
En second lieu, la nécessité pour le Conseil de
sécurité de se placer dans le cadre du chapitre VII suppose qu'au
préalable le Conseil ait constaté " une menace contre la
paix, une rupture de la paix ou un acte d'agression "
[111]. Or cette
constatation ne va pas de soi, dans les hypothèses de commission de
crimes relevant de la compétence de la Cour, si celles-ci interviennent
dans le cas de conflits armés non internationaux ou dans le cadre d'une
répression, purement interne, conduite par le gouvernement d'un Etat
contre un groupe ou des membres d'un groupe, ethnique ou religieux.
Certes, le Conseil de sécurité a souvent
considéré que des conflits, apparemment internes, pouvaient
constituer une menace contre la paix : Rwanda, Haïti, Angola, Somalie,
Afghanistan... Toutefois, dans chaque cas pouvait-il s'appuyer sur des risques
d'extension internationale de conflits, liés à des mouvements de
réfugiés, à des situations humanitaires dramatiques,
à des perspectives de destruction d'un Etat mettant en péril son
intégrité territoriale, etc. Il reste que, hors ces cas
extrêmes, bien des situations internes peuvent demeurer hors du champ de
compétence que le Conseil de sécurité peut s'assigner. La
situation en Algérie, le comportement dictatorial de tel ou tel
dirigeant recourant à une répression brutale et
systématique de ses opposants, par la torture ou les disparitions, ne
font pas ou n'ont pas fait l'objet d'actions spécifiques du conseil de
sécurité dans le cadre du chapitre VII. De telles situations ne
seraient donc pas susceptibles d'entraîner la saisine de la Cour par le
Conseil de sécurité. On peut également rappeler, à
cet égard, que l'implication de l'ONU au Cambodge a bien davantage
résulté, dans un premier temps, de la volonté de la
Communauté internationale de sanctionner l'invasion vietnamienne du
territoire cambodgien, condamnée par elle comme acte d'agression, que de
mettre un terme au crime de génocide perpétré par les
dirigeants khmers rouges que, pourtant, l'agression vietnamienne contribua
à faire cesser.
Cet aspect aléatoire de la saisine de la Cour par le
Conseil de sécurité est d'autant plus regrettable qu'elle est de
nature à conférer à la Cour des compétences que ne
permettent pas les deux autres modalités de saisine et de lui
conférer une meilleure universalité.
En effet, la saisine de la Cour pénale internationale,
soit par un Etat partie, soit par le Procureur de la Cour, suppose que soit
Partie au Traité (article 12) les deux ou l'un seulement des deux Etats
suivants :
- " l'Etat sur le territoire duquel le comportement en
cause s'est produit ou, si le crime a été commis à bord
d'un navire ou d'un aéronef portant pavillon ou l'immatriculation
de l'Etat en question " ;
- ou "
l'Etat dont la personne accusée de crime est un national ".
Il ressort de cet article 12§2 du statut que ces
conditions restrictives ne sont pas nécessaires lorsque c'est le Conseil
de sécurité qui est l'auteur de la saisine. Cela signifie donc,
a contrario, que le Conseil peut saisir la Cour de crimes survenus sur
le territoire d'un Etat non partie ou commis par les ressortissants d'un tel
Etat. L'extension des compétences de la Cour en une telle occurrence est
considérable, puisqu'elle exclurait tout risque d'impunité du ou
des auteurs de crimes selon qu'ils auraient eu pour théâtre de
leurs agissements, ou pour nationalité, respectivement celui ou celle
d'un Etat qui aurait refusé la juridiction de la Cour pénale
internationale.
Au demeurant cette disposition est logique : si le Conseil de
sécurité a agi, ou s'apprête à agir dans le cadre du
chapitre VII de la charte, le recours à la Cour pénale
accompagnera vraisemblablement une action de rétablissement ou de
maintien de la paix engagée ou projetée. A cet égard, les
compétences de la Cour s'apparenteraient davantage à celles
reconnues aux tribunaux spéciaux ou ad hoc
créés par voie résolutoire par le Conseil de
sécurité -qui crée alors une obligation pour tous les
Etats- pour juger les auteurs de crimes commis en Yougoslavie ou au Rwanda.
La compétence de la Cour se limite aux crimes les plus graves du droit
international. Cette compétence exclut d'autres violations des droits de
l'homme qui ne constitueraient pas des crimes du droit international,
même si la violation de ces droits obéit à une politique
étatique. Les violations considérées comme ne constituant
pas des crimes internationaux, relèveraient ainsi des mécanismes
internationaux de contrôle et surveillance et du droit pénal
interne des Etats.
De surcroît, à prendre en compte les principes qui gouvernent la
CPI, il y a lieu de se demander si la CPI est une juridiction
complémentaire ou subsidiaire.
Le principe de complémentarité entre la CPI et les juridictions
pénales nationales est consacrée dès le préambule
(paragraphe 10) et réaffirmé à l'article 1er du
statut de Rome. Dans un même souffle, les rédacteurs du statut
affirment qu'il « est le devoir de chaque Etat de soumettre à
sa juridiction criminelle les responsables des crimes
internationaux »
[112] chaque
Etat se vit ainsi confié le devoir - en même temps
reconnaître le droit- de juger, par son système judiciaire
national les responsables de ces crimes susceptibles de relever de la
compétence de la Cour.
La Cour tient donc un rôle explicitement complémentaire aux
juridictions nationales, apparaissant comme un recours dans le cas, et
seulement dans le cas où tel ou tel Etat faillirait,
délibérément ou non, à cette obligation de
faire justice. En effet, elle ne pourra intervenir si une juridiction interne
exerce sa compétence
[113]. Elle
devient un mécanisme de soutien aux juridictions nationales en
difficulté, car elle ne peut intervenir que dans le cas de mauvaise
volonté d'un Etat ou dans le cas d'incapacité en raison de
l'effondrement ou de l'indisponibilité de l'appareil
judiciaire.
Cette complémentarité est à comparer au principe de
primauté reconnu aux deux tribunaux pénaux internationaux [ad
hoc] qui leur permet de procéder au dessaisissement d'une juridiction
nationale à leur profit et auquel celle-ci ne pourrait s'opposer.
Dans le cadre du statut de Rome, la souveraineté judiciaire de chaque
Etat partie est donc reconnue, en même temps que son obligation à
l'encontre du ou des auteur(s) de crimes impliquant sa compétence
juridictionnelle. Ce n'est qu'à défaut d'une telle action que
pourrait alors intervenir la Cour.
[114]
Cependant, le statut recèle trois limitations ponctuelles à la
souveraineté étatique, ce qui est une bonne chose en apparence.
La première limitation découle des règles de
compétence de la Cour. Celle-ci peut en effet s'estimer
compétente, si un crime international a été commis sur le
territoire d'un Etat partie ou s'il l'a été par le
ressortissant d'un Etat partie. Il se peut donc que le ressortissant d'un Etat
non partie au statut ayant, par exemple, commis un crime de guerre sur le
territoire d'un Etat partie soit admis devant la CPI. De sorte qu'un Etat qui
n'a pas souscrit à la convention peut, à travers le sort
judiciaire réservé à son ressortissant devant la CPI,
être malgré tout lié par un texte sans qu'il ait, à
aucun moment, accepté de souscrire aux dispositifs et donné
son consentement à être lié par le statut. Il va sans dire
que cette limitation a été très déterminante dans
le refus des Etats-Unis de voter pour le statut de Rome. Bien plus,
lorsqu'on observe la puissance des Etats anti-CPI dans le monde, il y a de
bonnes raisons d'exprimer des inquiétudes quant au fonctionnement
efficace, mieux à la survie de cette institution.
La seconde limitation concerne l'exercice de la souveraineté
judiciaire interne. Malgré la priorité reconnue aux juridictions
nationales, un Etat a-t-il toute latitude pour exonérer
éventuellement les coupables des crimes internationaux ? Il semble
que non.
En effet, la combinaison des articles 17 et 20 du statut,
relatifs respectivement au principe de complémentarité et au
principe non bis in idem permet à la Cour de disposer d'une
faculté d'appréciation de la recevabilité d'une affaire
dont elle est saisie et qui aurait fait objet d'une décision nationale
d'amnistie. Le principe de complémentarité pourrait s'appliquer
si la Cour estimait que l'amnistie aurait été prononcée
« dans le dessein de soustraire la personne concernée
à sa responsabilité pénale ».
Mais remarquons que, non seulement il est difficile de
déterminer le mobile qui a poussé un Etat à accorder
l'amnistie, mais aussi la difficulté peut se situer dans le cadre du
processus de réconciliation nationale engagé par
certains vers la voie de la démocratie
(cas de la République Démocratique du Congo). Or, sous
prétexte de la poursuite de la réconciliation nationale, une
impunité pure et simple risquerait d'être consacrée
à l'égard des bénéficiaires de la mesure d'amnistie
qui, pourtant, auraient commis des crimes devant faire l'objet de poursuites de
la CPI.
Mieux encore, ces situations sont laissées à
l'appréciation du procureur. Il a la faculté de ne pas ouvrir une
enquête « parce que poursuivre ne servirait pas les
intérêts de la justice compte tenu de toutes les circonstances, y
compris la gravité du crime et les intérêts des victimes
[115].
L'idée en soi est certes bonne. Mais il est facile de se rendre compte
que le procureur se voit ainsi confier un mandat beaucoup plus politique que
judiciaire qui viserait à sauvegarder la mise en place de telles
démarches de réconciliation qui peuvent être une
étape indispensable à l'établissement de la
démocratie
[116]. Rien que
cet exemple prouve que la CPI aura du mal à établir une ligne de
démarcation entre la politique et le judiciaire. Ce qui serait du reste
un handicap pour son fonctionnement efficace puisqu'elle risque de faire les
frais des manipulations politiques.
La troisième limitation à la souveraineté des Etats
intervient dans le cadre de la saisine de la Cour par le Conseil de
Sécurité.
La CPI a besoin, comme les tribunaux ad hoc, de la coopération des Etats
pour fonctionner et ce, particulièrement en matière
d'arrestation, de remise des personnes poursuivies, d'obtention d'informations
et de témoignages
[117]. Or, nous
savons que la CPI ne dispose pas de force de police lui permettant une totale
autonomie dans ses fonctions. C'est pourquoi le statut consacre un chapitre
à cette nécessaire coopération des Etats
[118] devant
être incluse dans les législations nationales
[119]. Il
risque cependant d'être difficile de faire coopérer un Etat ayant
été déclaré incompétent, incapable ou de
mauvaise foi par la Cour. Par exemple, les Etats visés pourront tenter
de mettre en échec la justice internationale en créant leurs
propres procédures servant à exonérer leurs ressortissants
menacés de poursuites devant la Cour. Comble du ridicule, c'est que
certains Etats déploient visiblement leur force pour barrer la route
à la CPI. C'est le cas des Etats-Unis qui ont signé avec certains
Etats des accords bilatéraux « d'impunité »ou
encore la proposition, par la France, de l'article 124 du statut de Rome
qui dispose :
« nonobstant les dispositions de l'article 12 ,
paragraphe 1, un Etat qui devient partie au présent statut peut
déclarer que pour une période de sept ans à compter de
l'entrée en vigueur du statut à son égard, il n'accepte
pas la compétence de la Cour en ce qui concerne la catégorie de
crimes visés à l'article 8 lorsqu'il est allégué
qu'un crime a été commis sur son territoire ou par ses
ressortissants. Ce qui équivaudrait à notre sens, à la
consécration de l'impunité pendant sept ans.
Il est certes vrai que le statut de Rome prévoit que le défaut de
coopération des Etats sera référé par la Cour
à l'assemblée des Etats parties
[120]. Le
statut est par contre silencieux sur les mesures qui peuvent être prises
pour un refus de coopération. Cette coopération semble
n'être qu'une obligation formelle, car aucune véritable sanction
n'est prévue pour contrer un refus éventuel opposé par un
Etat à une demande de la CPI.
Un Etat réticent à coopérer avec la Cour, en
dépit de l'obligation qui lui est faite par le statut a-t-il beaucoup
à craindre d'une prise d'actes de ce refus par la Cour et de sa
transmission par celle-ci à l'assemblée des Etats parties ?
Puisque les compétences étatiques sont le droit commun et que la
Cour a un vital besoin de la coopération des Etats pour son
fonctionnement, il nous semble qu'elle devrait être qualifiée de
subsidiaire et non de complémentaire. Ce qui diminue sa
crédibilité, sinon son efficacité.
Paragraphe II. Possibilités offertes à
la Cour pour sa juridiction
Quoique poursuivant des objectifs universels dans la répression des
crimes internationaux, la CPI demeure malgré tout incompétente
à l'égard de plusieurs crimes qui jusqu'aujourd'hui demeurent
impunis alors qu'ils méritent pourtant d'être poursuivis.
Toutefois, quoiqu'étant complémentaire des tribunaux nationaux,
la Cour pénale internationale ne permettra pas que les Etats
parties restent sans punir les responsables des crimes internationaux, le
Statut de la Cour lui conférant un pouvoir de contrôle sur
l'action des tribunaux nationaux. Ainsi, le principe "nul ne peut être
jugé deux fois pour les mêmes crimes " subit une exception
importante lorsque la Cour pénale constate :
a. que le procès
entamé par un tribunal national avait pour objectif de soustraire
l'accusé de crimes de droit international de toute responsabilité
pénale, c'est-à-dire, lorsqu'un tribunal national cherche
à consacrer une impunité judiciaire,
b. lorsque le procès
n'avait pas été conduit avec impartialité.
Si une telle juridiction internationale a été
créée par les Etats, ce n'était simplement pas à
cause de leur bonne volonté visant à mettre en place des
règles objectives de droit international qui leur seraient imposables.
Si la Cour a été créée c'est grâce à
la lutte tenace du mouvement des citoyens, à la lutte des victimes ainsi
qu'à l'action de plusieurs ONGs, réclamant en forme permanente la
punition des responsables des crimes de droit international.
Il est important de tenir également compte du contexte
international dans lequel la Cour est créée. Le processus dit de
mondialisation est également accompagné d'une dégradation
générale dans le domaine du respect des droits de l'homme et des
droits humains économiques et sociaux, des guerres d'agression, de
sanglants conflits internes. Et des crimes internationaux continuent
d'être commis. L'impunité en réalité a atteint la
limite de ce qui est tolérable et supportable. Comme l'a remarqué
Monique Chemillier-Gendreau, dans ce contexte de mondialisation, la demande de
droit devient intense
[121].
La Cour est donc destinée à combler les lacunes
et les insuffisances du droit international et du droit interne. Le
préambule de son Statut remarque particulièrement que sa
création a pour objectif de mettre un point final à
l'impunité à travers la punition des responsables des violations
graves du droit international.
Prima facie, tous les défenseurs des droits de
l'homme et d'autres mouvements de citoyens qui ont lutté et qui
continuent à lutter contre l'impunité dans toutes ses formes ne
sauraient que s'en réjouir. Comme il a été indiqué
ci-dessus, la nouvelle Cour Pénale Internationale vient combler, sur le
plan juridique, un vide sur le plan institutionnel pénal : elle est un
organe permanent, composé par des juges indépendants des Etats et
chargé d'appliquer le droit international. Ainsi, la Cour disposerait de
l'indépendance et de l'autonomie nécessaire afin d'exercer
pleinement sa juridiction sur les délits prévus par son Statut.
En ce qui concerne son caractère permanent, il s'agit là d'une
différence de fond avec tous les autres tribunaux qui l'ont
précédé, notamment ceux de Nuremberg et Tokyo, le Tribunal
Pénal International pour le Rwanda (d'ailleurs le premier tribunal mis
en place pour juger les responsables des crimes commis dans un pays du tiers
monde) et le Tribunal Pénal pour l'ex- Yougoslavie
[122], tous
ad hoc.
En marge de plusieurs défaillances que regorge le statut de Rome, des
dangers réels guettent la CPI. C'est le cas des attitudes
négatives de certains pays à son égard. Pour illustrer
cette affirmation, nous nous proposons d'analyser la position américaine
quant à ce.
SECTION II. ANALYSE CRITIQUE DE LA
POSITION
AMERICAINE CONTRE LA CPI
Depuis le 17 juillet 1998, date à laquelle les
Etats-Unis ont voté contre le Statut créant la première
Cour pénale internationale (CPI) permanente, ces derniers ont
réussi à construire un arsenal juridique et politique complexe
visant à garantir que jamais leurs nationaux ne seraient poursuivis ou
jugés par la CPI.
Paragraphe I. Le gouvernement américain dit
craindre des plaintes sans
fondement et teintées
d'arrière-pensées politiques dirigées contre
ses
nationaux
Faut-il rappeler que la CPI n'a pas de compétence
rétroactive et ne pourra ainsi connaître que des crimes commis
après son entrée en vigueur à savoir, le 1er
juillet 2002 ?
Comment ne pas concevoir les démarches
américaines comme des tentatives de donner « carte blanche »
aux dirigeants, militaires et civils américains impliqués dans le
contre terrorisme et autres opérations militaires sur des
théâtres extérieurs, en leur octroyant une garantie - en
amont - que tout " débordement " ou " dommage collatéral " sera
couvert par une immunité absolue empêchant toute poursuite
pénale ailleurs que devant des juridictions américaines.
Faut-il rappeler également que la CPI sera
gouvernée par le principe de complémentarité qui
confère aux juridictions nationales la primauté de poursuite et
de jugement des crimes relevant de la compétence de la Cour à
savoir le génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de
guerre ?
Le principe de complémentarité de la CPI avec
les juridictions nationales met les Etats-Unis à l'abri d'un jugement
des criminels américains par la CPI. La Cour est compétente
uniquement lorsque les Etats refusent ou sont incapables de traduire les
criminels en justice, lorsque l'ordre judiciaire est défaillant. En
effet, en vertu de l'article 17 relatif à la recevabilité, une
affaire est jugée irrecevable par la Cour lorsque « l'affaire fait
l'objet d'une enquête ou de poursuites de la part d'un Etat ayant
compétence en l'espèce, à moins que cet Etat n'ait pas la
volonté ou soit dans l'incapacité de mener véritablement
à bien l'enquête ou les poursuites » ou encore si, «
l'affaire a fait l'objet d'une enquête de la part d'un Etat ayant
compétence en l'espèce et que cet Etat a décidé de
ne pas poursuivre la personne concernée, à moins que cette
décision ne soit l'effet du manque de volonté ou de
l'incapacité de l'Etat de mener véritablement à bien des
poursuites ».
Il n'est donc pas nécessaire pour l'Etat qui veut
soustraire ses nationaux au risque de les voir comparaître devant la Cour
pour les crimes de la compétence de la CPI, d'entrer dans des accords
bilatéraux sur le fondement de l'article 98 du Statut. Il lui suffit,
chaque fois qu'un de ses nationaux fait l'objet d'une telle plainte, de le
faire comparaître devant son propre système judiciaire, et la CPI,
constatant, soit qu'une enquête ou des poursuites sont en cours, soit
qu'après enquête, une décision de ne pas poursuivre a
été prise ou enfin qu'un jugement est déjà
intervenu, déclarera, appliquant le principe de
complémentarité, que l'affaire est irrecevable devant elle.
De plus, le Statut, contient précisément des
garanties efficaces contre les plaintes abusives. Il s'agit notamment :
- de la Chambre préliminaire qui " assume
dès la phase de l'instruction le contrôle des actes du Procureur
". La Chambre préliminaire doit obligatoirement donner son autorisation
préalable à l'ouverture d'une procédure à
l'initiative du procureur, elle contrôle le recueil des preuves par le
Procureur et elle contrôle le respect des garanties reconnues par le
Statut aux personnes arrêtées ;
- des mesures de protection des informations
relevant de la sécurité nationale des Etats ; - des
mesures générales de protection des témoins permettant
notamment d'assurer la confidentialité de certains témoignages et
qui peuvent s'appliquer aux témoins particuliers que sont les personnels
des opérations de maintien de la paix ;
- des garanties judiciaires dont
bénéficient les suspects et les accusés à tous les
stades de la procédure ;
- de la procédure prévue pour
l'examen par la Cour de la recevabilité des plaintes.
Dans ce contexte, comment ne pas mettre en doute la
volonté américaine affichée de poursuivre, en tout
état de cause, les nationaux américains devant leurs propres
tribunaux ?
Faut-il enfin rappeler que le statut de Rome vise à
s'appliquer à tous de manière égale, sans aucune
distinction fondée sur la qualité officielle ?
L'article 27 du Statut prévoit qu'aucune
immunité ne sera reconnue et cela même pour les chefs d'Etat ou de
gouvernements. En conséquence, une quelconque exonération
à la compétence de la Cour apparaîtrait en contradiction
totale avec le texte et l'esprit du Statut.
Paragraphe II. Un arsenal juridique complexe
visant l'impunité des
nationaux américains
Analysé dans sa globalité, cet arsenal ne
saurait être distingué des moyens mis en oeuvre par les
Américains pour lutter contre le terrorisme. Ces démarches
s'effectuent parallèlement sur le plan de la politique
intérieure, la diplomatie internationale et bilatérale :
- La loi ASPA, initiée sous l'administration Clinton
par les conservateurs du Sénat américain, va dessiner les
contours de cet objectif en affirmant le refus des Etats-Unis de
coopérer avec la CPI. Critiquant les fondements juridiques de la Cour,
la loi fait fi du droit international et rend compte de l'unilatéralisme
américain sur la scène internationale en tentant d'imposer aux
Etats son point de vue sur la Cour par l'utilisation de moyens de pressions qui
dérivent de la supériorité économique, politique et
militaire des Etats-Unis(A).
- En marge de leur position prise sur le plan de la
politique intérieure, les Etats-Unis continuent leur travail de sape de
la compétence de la Cour dans le cadre de la diplomatie internationale.
Ayant échoué dans leur tentative de négocier une justice
pénale internationale " acceptable " lors des sessions de la Commission
préparatoire pour la CPI, les Etats-Unis utilisent le Conseil de
Sécurité pour assurer un contrôle politique de la
compétence de la Cour. Malgré la forte mobilisation des Etats et
des ONGs contre les positions américaines, le contenu de la
résolution 1422 reste préoccupant offrant une immunité
totale illimitée devant la CPI aux personnels ou responsables
d'opérations de maintien de la paix des Nations Unies, nationaux des
Etats Non Parties à la Cour (B).
- La pression américaine s'exerce également
au cas par cas avec les Etats. Les Etats-Unis tentent de manoeuvrer par le
biais d'accords bilatéraux fondés fallacieusement sur l'article
98 du Statut de Rome pour empêcher toute remise à la Cour d'un
ressortissant américain(C).
[123]
A. L'American Service Members' Protection Act
(ASPA) ou la doctrine américaine
contre la CPI
La loi "American Service Members' Protection Act" (ASPA)
constitue la doctrine publique des Etats-Unis vis-à-vis de la CPI.
Rappelant en préambule les raisons de leur opposition à la Cour,
elle insiste à tort sur le fait qu' " un traité international ne
peut créer des obligations envers un Etat Non Partie " et par
conséquent, " les Etats-Unis refusent toute compétence de la Cour
sur leurs nationaux ".
En substance, cette loi, présentée pour la
première fois le 8 mai 2001 devant la Chambre par le républicain
M. Delay et signée par le Président Bush le 2 août 2002
:
1) Interdit toute coopération américaine avec la
CPI (Section 2004) :
Cette interdiction générale de
coopération avec la Cour s'applique aux tribunaux américains, aux
gouvernements locaux et au gouvernement fédéral. Elle comprend
l'interdiction de transférer vers la Cour toute personne, citoyen
américain ou étranger résident aux Etats-Unis,
présente sur le territoire ; l'interdiction de toute enquête de la
Cour sur le territoire des Etats-Unis ; l'interdiction d'affecter des fonds du
gouvernement américain aux arrestations, détentions, extraditions
ou à la poursuite d'un citoyen américain ou d'un étranger
résidant de façon permanente aux Etats-Unis par la Cour ;
l'interdiction de procéder sur le territoire des Etats Unis à
toute mesure d'instruction liée à une demande
préliminaire, une enquête, une poursuite ou toute autre
procédure de la Cour.
2) Empêche le transfert à la Cour de documents
relevant de la sécurité nationale (Section 2006)
3) Interdit toute assistance militaire avec la plupart des
États ayant ratifié le Statut de Rome (Section 2007) :
Le principe général de cet article dispose que,
un an après l'entrée en vigueur de la Cour, aucune assistance
militaire américaine ne sera fournie à un Etat Partie à la
CPI. Cependant la loi prévoit que certains Etats peuvent être
exemptés conformément à l'intérêt national
américain. Ainsi, la clause de non-assistance n'est pas applicable aux
Etats membres de l'OTAN, aux alliés essentiels bien que non-membres de
l'OTAN (y compris Australie, Egypte, Israël, Japon, Jordanie, Argentine,
République de Corée, Nouvelle Zélande) ainsi que
Taïwan. De même, le Président peut revoir l'interdiction si
l'Etat en question a passé un accord avec les Etats-Unis
conformément à l'article 98 du Statut qui interdirait
explicitement la remise d'un américain à la CPI.
4) Restreint la participation américaine à
certaines opérations de maintien de la paix de l'ONU (Section 2005) :
Il est prévu que le président utilise la voix et
le vote américain au sein du Conseil de sécurité pour
garantir que toutes les résolutions prise dans le cadre du chapitre VI
ou VII de la Charte des Nations Unies autorisant respectivement la mise en
oeuvre d'opérations de maintien de la paix et d'opération de
rétablissement de la paix prévoient une exemption permanente pour
les membres des forces armées américaines d'une poursuite
pénale devant la CPI pour les actions prises en connexion avec
l'opération. La participation des forces armées
américaines ne serait admise que si elle se déroule sur le
territoire d'un Etat non partie au Statut. Le Président des Etats-Unis
peut permettre la participation des troupes américaines à de
telles opérations si l'une des trois conditions suivantes est
respectée : le Conseil de Sécurité garantit par
résolution l'immunité des forces armées américaines
; la CPI ne peut exercer sa compétence sur le territoire des
opérations militaires ou s'il existe un accord du type " Article 98 "
entre les Etats-Unis et le pays où se déroule les
opérations militaires ; l'intérêt national justifie une
telle opération.
5) Soumission de rapports au Congrès :
Prévoit que le Président devrait fournir au
Congrès un rapport détaillant chaque alliance militaire dont les
Etats Unis font partie en précisant à quel degré les
membres des forces armées américaines pourraient, dans le
contexte d'une opération militaire dirigée par cette alliance,
être placées sous le contrôle opérationnel
d'officiers étrangers soumis à la compétence de la CPI en
tant que nationaux d'un Etat partie à la Cour et en évaluer le
risque pour les forces armées américaines (Section 2009).
6) ASPA ou « Hague Invasion Act »
Autorise le Président à utiliser " tous les
moyens nécessaires et appropriés " pour libérer un citoyen
américain détenu par la CPI, d'où le surnom de " Hague
Invasion Act " (Section 2008).
Pendant l'été 2001 et jusqu'aux
évènements du 11 septembre 2001, les parlementaires à
l'origine de la loi décident de lier l'autorisation du Sénat sur
le paiement des arriérés américains à l'ONU
à la loi anti-CPI. Le 13 septembre, deux jours après les attaques
terroristes sur New York et Washington, le député Tom DeLay
décide finalement de renoncer à s'opposer au paiement des
arriérés dû par les Etats-Unis et les députés
acceptent donc le paiement sans le conditionner à l'adoption de la loi
Helms-Delay
[124].
Le 10 septembre, la loi anti-CPI est révisée
pour inclure des prérogatives présidentielles permettant de lever
certaines des interdictions prévues par la loi ASPA.
Le 25 septembre, une lettre du Département d'Etat
informe Jesse Helms du soutien du gouvernement à la loi
révisée.
Le 28 novembre le sénateur républicain Henry
Hyde fait passer en dernière minute un amendement à la loi de
finance 2002 pour la Défense qui interdit toute coopération avec
la CPI.
[125]
Après de nombreux amendements, la version finale de la loi inclue une
grande autorité de dispense du Président, et insiste sur le fait
qu'aucune de ses dispositions ne peut interférer avec l'autorité
constitutionnelle du Président de décider de la politique
étrangère.
Enfin, un dernier amendement à la loi (" Amendement
Dodd ", Section 2015) permet aux Etats-Unis de coopérer aux efforts
internationaux, y compris avec la CPI, pour mener devant la justice des
ressortissants étrangers accusés de génocide, crimes de
guerre ou crimes contre l'humanité tels que Saddam Hussein, Slobodan
Milosevic, Ben Laden ou autres membres d'Al Quaida ou de Jihad islamique.
Remarquons seulement qu'entre immunité pour leurs ressortissants et
lutte anti-terroriste, l'intérêt national " permet toutes les
contradictions
[126].
Le 2 août 2002, George W. Bush a signé l'ensemble
de lois constituant l'ASPA. Cette dernière est donc devenue une loi
américaine
[127].
La doctrine américaine vis-à-vis de la Cour est
donc inscrite dans le droit interne. Mais les Etats-Unis doivent aussi
s'assurer qu'aucun de leurs nationaux, civil, diplomate ou militaire, se
trouvant en dehors du territoire américain, ne pourra être "
inquiété " par la Cour. C'est pourquoi, la négociation
d'une résolution au sein du Conseil de Sécurité pour
limiter la compétence de la CPI à leur égard et
l'établissement d'accords bilatéraux pour éviter toute
remise à la Cour de ressortissants américains viennent
compléter l'ASPA sur le plan international.
B - La résolution 1422 du Conseil de
Sécurité
La Résolution 1422 adoptée par le Conseil de
Sécurité à sa 4572ème séance, le
12 juillet 2002 dispose:
" Le Conseil de Sécurité,
Prenant acte de l'entrée en vigueur, le 1er juillet
2002, du Statut de la Cour pénale internationale, fait à Rome le
17 juillet 1998 (le Statut de Rome), soulignant l'importance que revêtent
les opérations de maintien de la paix des Nations Unies pour la paix et
la sécurité internationales ; Notant que tous les Etats ne
sont pas parties au Statut de Rome ; Notant que les Etats parties au
statut de Rome ont choisi d'accepter la compétence de la Cour
conformément au tatut et en particulier au principe de
complémentarité ; Notant que les Etats qui ne sont pas
parties au statut de Rome continueront de s'acquitter de leurs
responsabilités devant leurs juridictions nationales en ce qui concerne
les crimes internationaux ; Considérant que les opérations
établies ou autorisées par le Conseil de sécurité
de l'Organisation des Nations Unies ont pour mission de maintenir ou de
rétablir la paix et la sécurité internationales;
Considérant en outre qu'il est dans l'intérêt de la paix et
de la sécurité internationales de faire en sorte que les Etats
Membres soient en mesure de concourir aux opérations
décidées ou autorisées par le Conseil de
sécurité ; Agissant en vertu du Chapitre VII de la Charte
des Nations Unies ;
1. Demande, conformément à l'article 16 du
Statut de Rome, que, s'il survenait une affaire concernant des responsables ou
des personnels en activité ou d'anciens responsables ou des personnels
d'un Etat contributeur qui n'est pas partie au Statut de Rome à raison
d'actes ou d'omissions liés à des opérations
établies ou autorisées par l'Organisation des Nations Unies, la
Cour pénale internationale, pendant une période de 12 mois
commençant le 1er juillet 2002, n'engage ni ne mène aucune
enquête ou aucune poursuite, sauf si le Conseil de sécurité
en décide autrement ;
2. Exprime l'intention de renouveler, dans les mêmes
conditions, aussi longtemps que cela sera nécessaire la demande
visée au paragraphe 1, le 1er juillet de chaque année, pour une
nouvelle période de 12 mois ;
3. Décide que les Etats Membres ne prendront aucune
mesure qui ne soit pas conforme à la demande visée au paragraphe
1 et à leurs obligations internationales ;
4. Décide de rester saisi de la question. "
Le combat mené par les Etats-Unis contre la CPI au sein
du Conseil de Sécurité ne demande plus à être
démontré.
Depuis la mi-juin 2002, Washington tentait d'introduire
auprès du Conseil de Sécurité des dispositions visant
à exclure de la compétence de la CPI tout personnel ressortissant
d'un Etat non partie au Statut engagé dans des opérations de
maintien de la paix de Nations Unies et, au premier chef, les nationaux
américains. Pour faire face à l'opacité des
procédures du Conseil de sécurité, le Canada a, à
trois reprises, demandé que soit organisée une séance
ouverte. Après avoir essuyé deux refus, cette session s'est
finalement tenue le 10 juillet 2002.
Bien que la majorité des Etats se soit auparavant
prononcée contre la proposition américaine et contre la
possibilité pour le Conseil de Sécurité de rouvrir le
Statut de la CPI, les Etats ont voté le 12 juillet 2002 une
résolution qui se veut un compromis. Qualifiée de " compromis
historique " ou de " victoire " par certains, cette résolution aboutit
en réalité à la banalisation d'une justice à la
carte et à octroyer l'immunité absolue pendant une période
de un an pour les ressortissants d'Etats non parties au Statut dans le cadre
d'opérations de maintien de la paix. De plus, cette décision est
renouvelable chaque année au 1er juillet, date anniversaire de la
création de la CPI.
Ainsi, la résolution 1422 altère la
compétence de la Cour en se portant en violation de l'article 16 du
Statut de Rome qui permet au Conseil de Sécurité de surseoir
à une enquête ou à la poursuite d'une personne mais ce, au
cas par cas et de façon limitée. En outre, cette
résolution ouvre dangereusement la porte à d'autres modifications
de conventions internationales par une décision politique du Conseil de
Sécurité.
Soit dit en passant, la résolution 1422 du Conseil de
sécurité a été commentée et condamnée
par plusieurs institutions, tant au niveau international qu'au niveau
européen.
Ainsi, la Sous-Commission de la promotion et de la protection
des droits de l'homme du Conseil Economique et Social des Nations Unis a
adopté la résolution 2002/4 le 13 août 2002 dans laquelle
elle a déclaré déplorer « vivement l'immunité
de principe accordée en vertu de la résolution 1422 (2002) du 12
juillet 2002 du Conseil de sécurité aux ressortissants
d'États parties ou non au Statut, qui participent à des
opérations décidées ou autorisées par le Conseil de
sécurité, en vue de maintenir ou de rétablir la paix et la
sécurité internationales ».
De même, la résolution 1422 a été
condamnée par le Parlement européen dans une résolution
datée du 26 septembre 2002 (résolution (2002)0449) en ces
termes:
« Le Parlement européen, [...]
C. Regrettant la résolution 1422 du Conseil de
sécurité de l'ONU adoptée le 12 juillet 2002 sur les
actions lancées ou autorisées par les Nations unies, aux termes
de laquelle la CPI ne doit pas effectuer d'enquêtes ou de poursuites
concernant des actes ou des omissions commis par des fonctionnaires actuels ou
anciens ou du personnel d'un Etat contributif qui ne serait pas partie prenante
au statut de Rome pendant la période d'un an commençant le 1er
juillet 2002 et pouvant être renouvelée chaque premier juillet
pour une période supplémentaire de 12 mois [...]
1. souligne qu'aucun accord d'immunité ne doit
permettre de laisser impunie une personne accusée de crimes de guerre,
de crimes contre l'humanité ou de génocide ... ».
Pourtant, les Etats-Unis sont allés plus loin encore
dans leur entreprise de destruction de la CPI en instrumentalisant l'article 98
du Statut de Rome.
C. L'instrumentalisation de l'article 98 du statut de
Rome par les Etats-Unis
1. Le mécanisme juridique de l'article 98.
L'article 98 du Statut de Rome dispose que :
" 1. La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une
demande de remise ou d'assistance qui contraindrait l'État requis
à agir de façon incompatible avec les obligations qui lui
incombent en droit international en matière d'immunité des
États ou d'immunité diplomatique d'une personne ou de biens d'un
État tiers, à moins d'obtenir au préalable la
coopération de cet État tiers en vue de la levée de
l'immunité.
2. La Cour ne peut poursuivre l'exécution d'une
demande de remise qui contraindrait l'État requis à agir de
façon incompatible avec les obligations qui lui incombent en vertu
d'accords internationaux selon lesquels le consentement de l'État
d'envoi est nécessaire pour que soit remise à la Cour une
personne relevant de cet État, à moins que la Cour ne puisse au
préalable obtenir la coopération de l'État d'envoi pour
qu'il consente à la remise. "
L'article 98 du Statut de Rome de la Cour pénale
internationale (CPI) porte sur les conflits d'obligation concernant le
régime de coopération du Statut. Des tensions peuvent surgir, par
exemple, lorsqu'un Etat partie au Statut est contraint, par une demande de la
Cour, d'arrêter une personne, mais ne peut obtempérer sans violer
une autre obligation de droit international, comme, par exemple, le respect de
l'immunité de cette personne. De fait, lorsqu'il est établi
qu'une norme de droit international existante rend illégal le fait qu'un
pays se conforme à la demande de coopération de la Cour, cette
dernière, a priori, n'émettra pas la demande.
Mais, si un Etat lève ses immunités, une demande
de coopération de la Cour ne placera plus l'Etat en question dans une
position d'illégalité si celui-ci obtempère à la
demande. Le paragraphe 1 de l'article 98 prévoit en effet que la Cour
peut entrer en négociations avec un Etat tiers en vue d'obtenir un
renoncement de ses droits. Il ne revient pas à l'Etat de décider
si sa mise en conformité avec la demande de coopération constitue
une violation d'une autre norme de droit international, mais à la Cour.
Cependant, conformément à la Règle 195 (1) du
Règlement de Procédure et de Preuve, un Etat peut informer la
Cour qu'il constate un problème dans le cadre de l'article 98 et
soumettre les informations nécessaires. Tout Etat tiers impliqué
peut aussi soumettre des informations. Ainsi, la Cour disposera d'une base
factuelle appropriée pour trancher .
En clair, alors qu'un Etat Partie pourrait avoir l'obligation
de remettre à la Cour un ressortissant américain, ce dernier sera
par ces accords transféré devant les juridictions
américaines. Ces accords altèrent donc la compétence de la
Cour.
L'article 98 du Statut de Rome ne devait empêcher la CPI
d'exiger la coopération ou la remise que dans des circonstances rares et
circonscrites.
2. L'instrumentalisation américaine de l'article 98
du Statut
Depuis la fin juillet 2002, les Etats-Unis ont approché
de nombreux pays européens, latino-américains, du Sud-Est
asiatique et océaniens, ainsi qu'Israël, dans le but de signer avec
ces Etats des accords bilatéraux garantissant le non transfert des
ressortissants américains devant la CPI, estimant qu'ils peuvent
être la cible de procès à motivation politique
réclamés par des pays " hostiles ". Au total, environ 180
démarches auraient été entreprises.
Dans ce contexte, le Secrétaire d'Etat américain
Colin Powell a écrit personnellement aux gouvernements européens
le 16 août 2002 pour les presser de signer de tels accords « le plus
tôt possible », sans attendre que l'Union Européenne
n'ait finalisé sa position officielle. Washington s'est par ailleurs
plaint que la Commission européenne eut demandé aux pays
candidats à l'adhésion à l'Union Européenne (UE) de
ne pas signer d'accords de dérogation tant que les Quinze n'auraient pas
finalisé leur position quant à ce. Jusque février
2003 , dix-sept Etats, l'Ouzbékistan, la République
dominicaine, la Mauritanie, le Timor Oriental, Israël, les Iles Marshall,
Palau, la Roumanie, le Tadjikistan et le Honduras, Micronésie, Gambie,
El Salvador, Sri lanka, Inde et Népal avaient déjà
signé officiellement des accords avec les Etats-Unis dans le cadre de
l'article 98. Il est extrêmement difficile de contrôler de tels
accords qui se concluent le plus généralement dans le silence
[128].
Voici un modèle d'accords bilatéraux de type "
article 98 " :[...]
« 2. Les ressortissants d'un Parti au présent
Traité présents sur le territoire de l'autre Etat Parti, ne
doivent pas, en l'absence du consentement exprès de la première
Partie : a) être transférés à la CPI.
b) être transférés à une autre
entité ou à un Pays tiers, dans le but d'être
transférés devant la CPI. 3. Lorsque les Etats-Unis extradent,
remettent ou transfèrent une personne ressortissant de l'autre Partie
à l'accord vers un pays tiers, les Etats-Unis s'engagent à ne pas
accepter la remise ou le transfert de cette personne à la Cour
pénale internationale par le pays tiers, sauf en cas de consentement
exprès du Gouvernement de X.
4. Lorsque le Gouvernement de X extrade, remet ou
transfère une personne ressortissant des Etats-Unis d'Amérique
vers un pays tiers, le Gouvernement de X s'engage à ne pas accepter la
remise ou le transfert de cette personne à la Cour pénale
internationale par un pays tiers, sauf en cas de consentement exprès du
Gouvernement des Etats-Unis. »
Un paragraphe additionnel est inclus dans les accords pour les
pays qui ne sont pas parties au ou signataires du Statut de Rome.
Par ailleurs, « Chaque Partie accepte, sous
réserve de ses obligations juridiques internationales, de ne
délibérément faciliter, consentir à ou
coopérer aux efforts de toute partie ou tout Etat tiers d'extrader,
remettre ou transférer une personne ressortissant de l'autre Partie
à l'accord à la Cour pénale internationale. »
[129].
Tous les experts juridiques gouvernementaux,
académiques ou non gouvernementaux, consultés à ce jour
par la Coalition internationale des ONG pour la CPI
[130]
s'accordent pour dire que les accords bilatéraux recherchés,
exemptant spécifiquement les ressortissants américains de la
compétence de la Cour sur la base de l'article 98 paragraphe 2 du Statut
de Rome, ne sont pas permis par cet article.
La ratification d'un tel accord placerait les Etats dans une
situation de violation du droit international et les Etats Parties en
contravention avec leurs obligations vis-à-vis du Statut de Rome.
Selon l'article 32 de la Convention de Vienne sur le droit des
traités, il peut être fait appel à des moyens
complémentaires d'interprétation, et notamment aux travaux
préparatoires et aux circonstances dans lesquelles le traité a
été conclu, lorsqu'une interprétation spécifique
conduirait " à un résultat qui est manifestement absurde ou
déraisonnable ".
Les accords conclus dans le sens de l'interprétation
américaine de l'article 98 (2) conduiraient à un tel
résultat absurde et déraisonnable, en permettant à des
Etats non parties de violer le principe fondamental du Statut de Rome selon
lequel quiconque - quelle que soit sa nationalité - commet un crime de
génocide, des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre
sur le territoire d'un Etat partie, est soumis à la compétence de
la CPI. L'objectif général et la raison d'être du Statut de
Rome sont de faire en sorte que les responsables des crimes les plus graves
soient amenés devant la justice dans tous les cas, en premier lieu par
les Etats, mais en dernier recours par la CPI. Ainsi, tout accord qui
empêche la CPI d'exercer sa fonction complémentaire d'agir
lorsqu'un Etat n'a pas la capacité ou la volonté de le faire,
fait échec à l'objet et à la raison d'être du
Statut. La Convention de Vienne sur le droit des traités vient renforcer
la conclusion que l'approche américaine sur l'article 98 est
déraisonnable, en stipulant qu' " un traité doit être
interprété de bonne foi suivant le sens ordinaire à
attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la
lumière de son objet et de son but "
[131].
De plus, les dispositions de l'article 98 (2) ne permettent
pas le type d'accord en faveur desquels les Etats-Unis font pression. En effet,
les accords " article 98 " proposés par les Etats-Unis cherchent
à empêcher la remise à la Cour plutôt qu'à
permettre le retour de personnes aux Etats-Unis. De fait, ces propositions
cherchent à amender les termes du traité en effaçant
effectivement le concept clé d' " Etat d'envoi " de l'article 98 (2). De
plus, les propositions américaines tendent à nier à l'Etat
d'origine de la remise son pouvoir de consentement.
Les Etats qui envisagent un accord dans le cadre de l'article
98 qui n'exempterait que les ressortissants américains et non leurs
propres ressortissants, comme dans le cas de la Roumanie, ne s'en trouvent pas
moins dans une situation de violation de leurs obligations internationales .
Les accords conclus dans le cadre de l'article 98 ont un effet
destructeur à la fois sur le processus global de ratification du Statut
de Rome et sur le droit international de manière générale.
Ils s'inscrivent en totale contradiction avec celui-ci.
Cette instrumentalisation n'a pas manqué de susciter
des vives réactions de par le monde. Elle a été
dénoncée par diverses institutions au niveau européen.
Le 25 septembre 2002, l'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe a exprimé ses inquiétudes quant aux accords
d'immunité américains:
«[...] 9. En outre, l'Assemblée est
profondément préoccupée par les efforts
déployés par certains Etats pour saper l'intégrité
du traité de la CPI et notamment pour conclure des accords
bilatéraux visant à soustraire leurs responsables, leur personnel
militaire et leurs ressortissants à la juridiction de la Cour («
accords d'immunité »).
10. L'Assemblée considère que ces « accords
d'immunité » ne sont pas acceptables en vertu du droit
international régissant les traités, notamment la Convention de
Vienne sur le droit des traités, qui stipule que les Etats doivent
s'abstenir d'actes qui priveraient un traité de son objet et de son
but.
11. L'assemblée rappelle que les Etats parties au
Statut de Rome ont l'obligation générale de coopérer
pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle
mène pour les crimes relevant de sa compétence (article 86) et
que le Statut s'applique à tous de manière égale, sans
aucune distinction fondée sur la qualité officielle (article 27).
Elle estime que les « accords d'immunité » ne sont pas
compatibles avec ces dispositions.»
[132].
Condamnant ainsi les accords d'immunité conclus avec
les Etats-Unis, l'Assemblée a appelé les pays membres et
observateurs du Conseil de l'Europe à ne pas ratifier les accords
bilatéraux en poursuivant:
« [...]14. En conséquence, l'Assemblée
demande : [...]
iii. à tous les Etats membres et observateurs du
Conseil de l'Europe :[...] c. de refuser de conclure des «accords
d'immunité» bilatéraux qui compromettraient ou limiteraient
de quelque manière que ce soit leur coopération avec la Cour dans
les enquêtes et poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant
de sa compétence... »
Le 26 septembre 2002, le Parlement européen condamnait
également les accords conclus avec les Etats-Unis en affirmant sans
ambiguïté:
« Le Parlement européen, [...]
3. croit fermement que les Etats parties à la CPI et
les Etats signataires ont, selon le droit international, l'obligation de ne pas
contrarier l'objectif du Statut de Rome [...] et que les Etats parties doivent
coopérer pleinement avec la Cour en vertu de l'article 86 du statut de
Rome, les empêchant ainsi de souscrire des accords d'immunité qui
permettent à certains citoyens d'échapper à la juridiction
des Etats ou de la Cour pénale internationale, de porter atteinte
à l'efficacité de la CPI et de nuire à son rôle de
juridiction complétant la juridiction des Etats et de pièce
maîtresse de la sécurité collective globale... »
[133].
Cependant, le 30 septembre 2002, le Conseil de l'Union
Européenne a adopté une position commune sur cette question et
n'a pas rejeté fermement de tels accords.
Le
Conseil a en effet dégagé des principes directeurs «
relatifs aux arrangements entre un Etat partie au Statut de Rome de la CPI et
les Etats-Unis concernant les conditions de remise d'une personne à la
Cour ». Loin de condamner de tels accords, les principes
dégagés par l'Union Européenne (UE), censés
préserver l'intégrité du Statut et garantir le respect des
obligations incombant aux Etats membres, consacrent en fait la
légalité des accords d'immunité
[134].
Il sied de faire remarquer que seul contre tous, les Etats-Unis sont loin de
perdre le combat contre la CPI. S'il est d'une évidence
irréfutable qu'ils sont la plus grande puissance mondialement reconnue,
nous pensons qu'il faut avoir le courage d'avouer qu'il y a là de bonnes
raisons de s'inquiéter sur la viabilité de la CPI ou tout au
moins son bon fonctionnement ; car on le voit bien la CPI ne cesse de
subir la forte opposition des Etats-Unis.
CONCLUSION GENERALE
En résumé, cette étude qui a porté sur l'analyse
critique des règles de compétence de la CPI a
été scindée en trois principaux chapitres.
Le premier chapitre intitulé « aperçu historique de la
justice pénale internationale » a fait un survol succinct sur
les principales juridictions internationales de répression qui ont
déjà existé. Ainsi donc, ses quatre sections ont
traité, tour à tour, des tribunaux militaires internationaux de
Nuremberg et de Tokyo (section 1), de la cour internationale de justice
(section 2), du tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie
(section 3) et du Tribunal pénal international pour le Rwanda (section
4).
Le deuxième chapitre s'est, quant à lui, penché sur
l'analyse des règles de compétence de la CPI. Comme le premier
chapitre, le deuxième a aussi été subdivisé en
quatre sections qui ont respectivement porté sur l'étude des
compétences temporelle et personnelle (section 1), de la
compétence territoriale (section 2), de la compétence
matérielle (section 3) et de la compétence ex-officio du
procureur (section 4).
Rappelons que c'est dans ce chapitre que l'on a
évoqué la problématique du principe de
complémentarité en vue de critique.
En définitive, le troisième chapitre intitulé
« les compétences de la CPI à l'épreuve de la
théorie et de la pratique » s'est orienté sur l'analyse
des dangers qui guettent la CPI quant à son fonctionnement, mieux
à sa viabilité.
Pour ce faire, en deux sections il a été
analysé les considérations théoriques (section 1) et
critiqué la position américaine contre la CPI (section 2).
Le moins que l'on puisse dire à l'issue de cette étude, c'est que
le statut de Rome a créé une juridiction pénale
internationale permanente : la CPI.
Mais au regard des difficultés auxquelles elle est appelée
à faire face, il y a lieu de remettre en cause sa viabilité ou
tout au moins son fonctionnement efficace. Ceci est d'autant plus vrai que pour
faciliter l'adhésion au traité de Rome, la CPI n'exercera sa
juridiction qu'à l'égard des crimes commis postérieurement
à l'entrée en vigueur de son statut
[135].
De ce fait, il est facile de constater que plusieurs crimes pourtant
définis par le statut de Rome vont échapper à la
juridiction de la CPI pour la simple raison qu'ils ont été commis
avant le 1er juillet 2002, date de l'entrée en vigueur du
statut de Rome. De ce point de vue, nous pensons que la création des
tribunaux pénaux ad hoc à l'instar du TPIY et du TPIR reste
nécessaire pour pallier à cette défaillance de la non
rétroactivité dont souffre la CPI.
Aussi, le domaine de compétence ratione materiae de la Cour
est directement relié au maintien de la paix et de la
sécurité internationales. La compétence est minimale et
restreinte à un noyau dur des crimes internationaux
[136]. A ce
niveau, il est souhaitable que lors de la prochaine conférence de
révision, les Etats parties au traité conviennent sur l'inclusion
d'autres crimes abominables comme l'anthropophagie, par exemple, dans le champ
des crimes internationaux. Ceci pour permettre de circonscrire le mieux
possible tous les crimes qui choquent la morale universelle.
Plus, la compétence de la Cour étant encore jusque là
suspendue en ce qui concerne l'agression, il s'avère plus qu'urgent que
les Etats s'entendent sur la définition de ce crime en vue de donner
plus de crédit à cette jeune juridiction.
Mieux, autant dire que les craintes exprimées par certains pays,
notamment les Etats-Unis quant à la compétence ex-officio du
procureur de la CPI ne trouvent pas leur justification puisque, même s'il
peut ouvrir une enquête de sa propre initiative, ledit procureur doit
être autorisé par la chambre préliminaire. Ce
contrôle de la chambre préliminaire est une garantie et non la
moindre pour les Etats qui redoutent les compétences du procureur, sous
prétexte qu'elles seraient sujettes à des manipulations
politiques contre leurs ressortissants ; toujours est-il que le Conseil de
Sécurité de l'ONU se voit reconnaître un droit de saisine
fondé sur le chapitre VII (paix et sécurité
internationales) et ce, sans l'obligation de coopération
générale demandée aux Etats parties
[137].
Qu'arrivera-t-il lorsque certains membres du Conseil de Sécurité
décideront de s'opposer à la saisine ? Certaines
difficultés sont à prévoir étant donné que
deux membres importants du Conseil de Sécurité (les Etats-Unis et
la Chine) refusent d'adhérer au traité et, par le fait
même, de reconnaître la CPI. Plus aberrant encore, c'est que les
Etats-Unis ont même lancé une guerre contre la CPI visiblement en
vue de l'handicaper.
Pour ces motifs et bien d'autres encore que nous avons analysés tout au
long de cette étude, nous estimons qu'il n'est pas dénué
de sens d'affirmer que la CPI a, d'entrée de jeu, une compétence
affaiblie et soumise et dont la complémentarité avec les
juridictions nationales ressemble à une subsidiarité.
Ceci mêlé à cela nous pousse à douter du bon
fonctionnement de la CPI, voire de sa viabilité.
Il convient cependant de reconnaître que la
communauté internationale doit se féliciter de l'adoption
à Rome le 17 juillet 1998, à l'issue de la Conférence
diplomatique, du statut d'une Cour Pénale Internationale (CPI). C'est
l'aboutissement d'un long processus qui a commencé avec le tribunal
spécial pour juger l'Empereur Guillaume II après la
première guerre mondiale, prévu par le traité de
Versailles mais qui n'a jamais vu le jour, en passant par le Tribunal de
Nuremberg puis celui de Tokyo après la deuxième guerre mondiale
pour aboutir à la création du Tribunal pénal international
pour l'ex-Yougoslavie et celui pour le Rwanda.
Près d'un siècle donc, marqué par deux
conflits internationaux et de nombreux conflits régionaux et locaux ou
des guerres civiles qui ont tellement choqué la conscience humaine,
s'est écoulé pour que le monde se rende compte qu'il est devenu
impossible de continuer à accepter l'impunité.
Toutefois, comme on le sait, l'adoption de ce statut a
été très difficile et des compromis ont dû
être faits, des points ont été laissés en suspens.
L'alternative qui s'offrait était soit un statut faible acceptable par
le plus grand nombre d'Etats soit un statut fort, acceptable par peu
d'États. Le texte adopté est le résultat d'un compromis et
laisse ouvert un certain nombre de questions. Aussi une Commission
préparatoire a été chargée de compléter pour
le 30 juin 2000, les tâches techniques restées en suspens et
d'élaborer les règles de procédure et de preuve de la Cour
et une Conférence de révision doit avoir lieu sept ans
après l'entrée en vigueur du statut.
Néanmoins, le statut de Rome est un texte nécessaire.
Après les précédents de Nuremberg et de Tokyo, la
création récente de deux tribunaux pénaux internationaux
pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda a constitué un nouveau signal fort
adressé par la communauté internationale à ceux qui
entendaient perpétrer les crimes les plus graves en se prévalant
d'alibis fussent-ils ethniques, hégémoniques ou politiques dans
le cadre des systèmes dictatoriaux qui les plaçaient en marge des
valeurs fondatrices de la société internationale.
Somme toutes, nous pouvons affirmer sans ambages que la création de la
CPI ne mettra sans doute pas, à elle seule, un terme à ces
tragédies humaines dont l'actualité témoigne à quel
point leur prévention est difficile. Elle pourra cependant
démontrer une volonté partagée de mettre fin
à l'impunité choquante de leurs auteurs ; pour cette seule
raison, le statut de Rome constitue un progrès important dans la
quête d'une affirmation plus soutenue du « plus jamais
ça ».
BIBLIOGRAPHIE
I.
OUVRAGES
- ALIOUNE
TINE, La Cour Pénale Internationale : l'Afrique face
au défi de l'impunité, Dakar-Yoff, éd. Raddho,
2000
- ANDRE
GUICHAOUA, Les crises politiques au Burundi et au Rwanda (1993/1994),
Lille, Université des Sciences et Technologie, 1995
- EGEUNE
NTAGANDA, « De la paix collective à la justice
répressive », in De la paix à la justice, Cahier
du centre de gestion des conflits, n°6, Butare, 2002
- MARIE DUPUY
P., Droit international public, Paris, Dalloz, 1998
- NGUYEN
QUOC DINH et ALAIN PELLET, Droit international public, Paris,
LGDJ, 1999
- SERGE SUR,
« Vers une Cour Pénale Internationale », in
La convention de Rome entre les ONGs et le Conseil de
Sécurité., 1 R.G.D.I., 1999
- YVES TERNON,
L'État criminel -- Les génocides au XXe Siècle,
Paris, éd. le Seuil, 1995
II.
REVUES
- LAITY KAMA,
« Le Tribunal pénal international pour le Rwanda et la
répression des crimes de guerre », in Les Nations
Unies et le droit international humanitaire, Actes du Colloque
international à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'ONU,
Paris, éd. Pedone, 1996
- MUTOY MUBIALA,
« Le Tribunal international pour le Rwanda », in Revue
générale de droit international public, (s.l), vol. 99,
1995
- BADINTER
ROBERT,
Projet de loi
constitutionnelle relatif à la cour pénale internationale
(n°318/1998-99) Paris, Sénat Conventions de Genève de
1949
- MONIQUE
CHEMILLIER-GENDREAU , " L'ordre juridique international une chimère ? ",
in Le Monde Diplomatique, juillet 1999
- Pascal KAMBALE,
« attaques des Etats-Unis contre la Cour Pénale
Internationale : l'Afrique doit consolider sa résistance», in
Moniteur de la Cour Pénale Internationale, New York,
23ème édition, février 2003
- Journal
« Le Monde » du 04 août 1998
III.
RAPPORTS, RESOLUTIONS ET STATUTS
- BRANA
PIERRE,
Rapport sur le
projet de loi autorisant la ratification de la Convention portant statut de la
Cour pénale internationale (n°2141/ 15 février 2000),
Paris, Assemblée nationale
- Charte des
Nations Unies
- Convention de
Vienne sur le droit de traité
- Conventions de
Genève de 1949
- La loi American
Service Members' Protection Act
- La
résolution dans la Revue générale de droit
international public, vol. 98, 1994
- Pacte de la
Société Des Nations
- Rapport de la
commission de droit international sur les travaux de sa
quarante-sixième session sur le projet de statut d'une cour criminelle
internationale, Assemblée générale, 1er
septembre 1994, Doc. Off., A/49/355
- Rapport du
secrétaire général au Conseil de sécurité,
S/1995/134 du 13 janvier 1995
-
Résolution 3414 du 14 décembre 1974
-
Résolution 1422 du Conseil de sécurité du 12 juillet
2002
-
Résolution du parlement européen 0449 du 26 septembre 2002
- Série
Livres bleus des Nations Unies, volume VII "Les Nations Unies et les droits de
l'homme, 1945-1995", Numéro de vente: F.95.I.21
- Statut de la
Cour pénale internationale
- Statut de
Rome
- Statut du
Tribunal Militaire International de Nuremberg
- Statut du
Tribunal Militaire International de Tokyo
- Statut du
Tribunal Pénal International pour l'ex-Yougoslavie
- Statut du
Tribunal pour le Rwanda
IV.
SITES- INTERNET
-
http://www.diplomatie
judiciare.com/DJ/Statuttpir.html
-
http://www.diplomatiejudiciaire.com/CPI/CPI.htm
-
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
-
http://www.iccnow.org/documents/otherissuesimpunityagreem.html
-
http://www.iccnow.org/html/pressjuly1francais.pdf
-
http://www.ictr.org/wwwroot/FRENCH/basicdocs/statute_f.htm
-
http://www.itlos.org/
-
http://www.la-croix.com/
-
http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/kosovo/uck
-
http://www.senat.fr/rap/I98-318/I98-3181.html#toc23
-
http://www.un.org/french/aboutun/charte6.htm
-
http://www.un.org/french/aboutun/statut.htm
-
http://www.un.org/french/law/los/unclos/closindx.htm
-
http://www.un.org/ictr/
-
http://www.un.org/icty/
-
http://www.un.org/icty/basic/statut/statute_con-f.htm
-
http://www.un.org/law/icc/
-
http://www.un.org/law/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf
-
http://www.un.org/law/icc/statute/french/rome_statute/f/.pdf
-
http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/11_fr.htm
-
http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/p_genoci_fr.htm
TABLE DES MATIERES
EPIGRAPHE.................................................................................................I
DEDICACE..............................................................................................II
REMERCIEMENTS................................................................................................................III
SIGLES ET
ABREVIATIONS......................................................................IV
INTRODUCTION
GENERALE......................................................................1
I.
ETAT DE LA
QUESTION.....................................................................1
II.
PROBLEMATIQUE...........................................................................3
III.
HYPOTHESE......................................................................................6
IV.
INTERET DU
SUJET.............................................................................7
V.
METHODOLOGIE DU
TRAVAIL.............................................................8
VI.
DELIMITATION DU
SUJET................................................................8
VII.
SUBDIVISION SOMMAIRE DU
TRAVAIL.............................................9
CHAPITRE I. APERCU HISTORIQUE DE LA JUSTICE PENALE
INTERNATIONALE...............................................................10
SECTION I. LE TRIBUNAL MILITAIRE DE NUREMBERG ET
LE
TRIBUNAL MILITAIRE DE TOKYO..................................14
Paragraphe I. Compétence
temporelle.............................................15
Paragraphe II. Compétence
territoriale............................................15
Paragraphe III. Compétence
matérielle............................................15
Paragraphe IV. Appréciation
critique.............................................17
SECTION III. LA COUR INTERNATIONALE DE
JUSTICE........................21
Paragraphe I. Compétence
contentieuse..........................................22
Paragraphe II. Compétence
consultative..........................................23
Paragraphe III. La CIJ et le droit international
public..........................24
A.
Confinement aux conflits limités et marginaux
................24
B. Concurrence
d'autres modes de règlement pacifique des différends
...........................................................25
Paragraphe IV. Appréciation
critique.............................................26
SECTION III. LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR L'EX-
YOUGOSLAVIE............................................................26
Paragraphe I. Compétence territoriale et
temporelle.............................27
Paragraphe II. Compétence personnelle et
matérielle............................27
Paragraphe III. Compétences
concurrentes.......................................29
Paragraphe IV. Appréciation
critique.............................................30
SECTION IV. LE TRIBUNAL PENAL INTERNATIONAL POUR LE
RWANDA...................................................................31
Paragraphe I. Compétence
temporelle.............................................33
Paragraphe II. Compétences territoriale et
personnelle.........................33
Paragraphe III. Compétence
matérielle...........................................33
Paragraphe IV. Appréciation
critique.............................................34
CHAPITRE II. ETUDE DES REGLES DE COMPETENCE DE LA COUR
PENALE
INTERNATIONALE.................................................................38
SECTION I. COMPETENCES TEMPORELLE ET
PERSONNELLE.................40
SECTION II. COMPETENCE
TERRITORIALE.......................................43
SECTION III. COMPETENCE
MATERIELLE..........................................44
SECTION IV. COMPETENCE EX OFFICIO DU
PROCUREUR...................48
CHAPITRE III. LES COMPETENCES DE LA CPI A L'EPREUVE DE
LA THEORIE
ET DE LA
PRATIQUE.............................................................53
SECTION I. CONSIDERATIONS
THEORIQUES.....................................53
Paragraphe I. La saisine, par le Conseil de
sécurité, de la Cour Pénale
Internationale, confère a celle-ci des pouvoirs
importants....54
Paragraphe II. Possibilités offertes à la Cour
pour sa juridiction..............60
SECTION II. ANALYSE CRITIQUE DE LA POSITION
AMERICAINE
CONTRE LA
CPI...........................................................62
Paragraphe I. Le gouvernement américain dit craindre
des plaintes sans
fondement et teintées
d'arrière-pensées politiques dirigées contre ses
nationaux...........................................................................62
Paragraphe II. Un arsenal juridique complexe visant
l'impunité des
nationaux
américains...............................................64
A. L'American Service Members' Protection Act (ASPA) ou la
doctrine américaine contre la
CPI.....................................65
B - La résolution 1422 du Conseil de
Sécurité ...........................68
C. L'instrumentalisation de l'article 98 du statut de Rome par
les
Etats-Unis................................................................70
CONCLUSION
GENERALE.........................................................................77
BIBLIOGRAPHIE.....................................................................................81
TABLE DES
MATIERES...........................................................................83
![]()
[1] TINE
A., La Cour Pénale Internationale : l'Afrique face
au défi de l'impunité, Dakar-Yoff, éd. Raddho, 2000,
p.14
[2] GUICHAOUA
A., Les crises politiques au Burundi et au Rwanda (1993/1994), Lille,
Université des Sciences et Technologie, 1995, pp. 523 à 531
[3] TINE
A., op.-cit., p.13
[4] In Journal
« Le Monde » du 04 août 1998, cité
par TINE A., op.-cit., p.13
[5] Article 11
du statut de Rome
[6] NTAGANDA
E., « De la paix collective à la justice
répressive », in De la paix à la justice, Cahier
du centre de gestion des conflits, n°6, Butare, 2002, p.30
[7] NTAGANDA E.
op.-cit.,p 31
[8] SUR
S., « Vers une Cour Pénale Internationale Ó
La convention de Rome entre les ONGs et le Conseil de Sécurité
», in Revue Générale de Droit International., 1999,
p.30
[9] Article 17
du statut de Rome
[10]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/CPI/CPI.htm
[11] Ibidem
[12]
PIERRE B.,
Rapport sur le
projet de loi autorisant la ratification de la Convention portant statut de la
Cour pénale internationale (n°2141/ 15 février 2000),
Paris, Assemblée nationale
[13]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
[14]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
[15] Ibidem
[16]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
[17] Ibidem
[18] TINE A.,
op.-cit., p. 19
[19]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
[20] TINE
A., op.-cit., p.19
[21]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
[22]
Ibidem
[23]
http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/p_genoci_fr.htm
[24]
http://www.un.org/icty/basic/statut/statute_con-f.htm
[25]
http://www.ictr.org/wwwroot/FRENCH/basicdocs/statute_f.htm
[26]
http://www.un.org/law/icc/statute/french/rome_statute/f/.pdf
[27]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
[28]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
[29] Ibidem
[30] Ibidem
[31] Ibidem
[32]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
[33] Ibidem
[34] Ibidem
[35]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
[36] Ibidem
[37] Ibidem
[38]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html:
Le Procès de Nuremberg (1947) par le professeur VABRES D. de,
magistrat français aux procès de Nuremberg, dont il a fait une
des meilleures analyses.
[39]
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
[40] Ibidem
[41]
http://www.un.org/french/aboutun/charter.htm:
La Cour internationale de Justice constitue l'organe judiciaire principal des
Nations Unies. Elle fonctionne conformément à un Statut
établi sur la base du Statut de la Cour permanente de Justice
internationale et annexé à la Charte des Nations Unies dont il
fait partie intégrante.
[42]
http://www.un.org/french/aboutun/charter.htm
[43] Ibidem
[44] Ibidem
[45]
http://www.un.org/french/aboutun/charter.htm
[46]
http://www.un.org/french/aboutun/charte6.htm
[47]
http://www.un.org/french/aboutun/statut.htm
[48]
http://www.un.org/french/aboutun/charter.htm
[49] Ibidem
[50]
http://www.un.org/french/aboutun/charter.htm
[51] Ibidem
[52]
http://www.un.org/french/aboutun/charter.htm
[53] Ibidem
[54]
http://www.itlos.org/
[55]
http://www.un.org/french/law/los/unclos/closindx.htm
[56] DUPUY P.
M., Droit international public, Paris, Dalloz, 1998 et DINH N. Q. et
PELLET A., Droit
international public, Paris, LGDJ, 1999
http://www.itlos.org/
[57]
Série Livres bleus des Nations Unies, volume VII "Les Nations Unies et
les droits de l'homme, 1945-1995", Numéro de vente: F.95.I.21)
[58] Article 8
du statut du TPIY. cf. la Compétence ratione loci et compétence
ratione temporis
[59] Article
premier du statut du TPIY. Cf. Compétence du Tribunal international
[60] Article 6
du statut du TPIY. Cf. la Compétence ratione personae
[61] Article 7
du statut du TPIY. Cf. la Responsabilité pénale individuelle
[62] Ibidem
[63]
Article 2 du statut du TPIY. Cf. les Infractions graves aux
Conventions de Genève de 1949
[64] Article 3
du statut du TPIY. Cf. les Violations des lois ou coutumes de la guerre
[65] Article 4
du statut du TPIY. Cf. le Génocide
[66] Article 5
du statut du TPIY. Cf. les Crimes contre l'humanité
[67] Article 9
du statut du TPIY. Cf. les Compétences concurrentes
[68]
http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/kosovo/uck
[69]
http://www.monde-diplomatique.fr/cahier/kosovo/uck
[70] Ibidem
[71]GUICHAOUA
A., op.-cit., pp. 523 à 531 ; lire aussi TERNON Y.,
L'État criminel -- Les génocides au XXe
Siècle, Paris, éd. le Seuil,
1995.
[72]Voir le
texte de la résolution dans la Revue générale de droit
international public, vol. 98, 1994, p. 1066.
[73]Communication
du président KAMA L., « Le Tribunal pénal international pour
le Rwanda et la répression des crimes de guerre », in Les
Nations Unies et le droit international humanitaire, Actes du Colloque
international à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'ONU,
Paris, éd. Pedone, 1996, pp. 249-258.
[74] KAMA L.,
op.-cit, pp. 249-258.
[75] MUBIALA
M., « Le Tribunal international pour le Rwanda », in Revue
générale de droit international public, (s.l), vol. 99, 1995,
p. 948
[76] Rapport du
secrétaire général au Conseil de sécurité,
S/1995/134 du 13 janvier 1995.
[77]
http://www.diplomatie
judiciare.com/DJ/Statuttpir.html
[78] Ibidem
[79]
Cité par MUTOY MUBIALA, op. cit., p. 938.
[80] Article 8
du statut du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie
[81] Article 7
du statut du Tribunal pour le Rwanda
[82] Article 8
du statut du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie
[83] Article 7
du statut du Tribunal pour le Rwanda
[84] NTAGANDA
E., op.-cit., p.27
[85] ibidem
[86] Article 6
du statut du Tribunal pour l'ex-Yougoslavie, lire aussi à ce sujet les
critiques de NTAGANDA E., op.-cit., p. 27
[87] Lire
à ce sujet NTAGANDA E. , op.-cit, p.27
[88]
L'expression est de PELLET A., cité par NTAGANDA E.,
op.-cit., p.28
[89] Extraits
tirés de La CROIX, http://www.la-croix.com/
[90] Article 7
du statut de Nuremberg :
http://www.diplomatiejudiciaire.com/DJ/Londres3.html
[91] Ibidem
[92]
http://www.un.org/law/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf
[93]
http://www.iccnow.org/html/pressjuly1francais.pdf
[94] Ibidem
[95]
http://www.iccnow.org/html/pressjuly1francais.pdf
[96]
http://www.la-croix.com/
[97] Article
5.1 du
statut
de Rome.
[98] Article
5.2 du Statut de Rome
[99]
http://www.un.org/law/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf
[100] Ibidem
[101]
DUBRULLE C., extrait tiré de LA CROIX, France, 27 mars 2003,
http://www.la-croix.com/
[102] Article 7
du Statut de la Cour pénale internationale
[103]
http://www.unhchr.ch/french/html/menu3/b/11_fr.htm
[104]
http://www.un.org/law/icc/statute/french/rome_statute(f).pdf
[105] ROBERT
B.,
Projet de loi
constitutionnelle relatif à la cour pénale internationale
(n°318/1998-99) Paris, Sénat ;
http://www.senat.fr/rap/I98-318/I98-3181.html#toc23
[106] La
question de la création du Tribunal Pénal international pour
l'Ex- Yougoslavie doit être l'objet d'un traitement prudent. En effet, si
le Tribunal a été crée par décision des Etats
membres du Conseil de sécurité de l'ONU, sous l'impulsion des
membres permanents de l'OTAN, c'est avant tout un acte politique destiné
à donner un exemple à tous les Etats qui s'opposent à la
domination occidentale. Cette affirmation est confirmée par le fait
qu'aucun responsable civil ou militaire de l'OTAN, qui pourtant à
travers de son action de violation de l'article 2 § 4 de la charte de
l'ONU, a commis des crimes de guerre (plusieurs violations des dispositions de
la Convention de Genève).
[107]
KAMBALE K. P., « attaques des Etats-Unis contre la Cour
Pénale Internationale : l'Afrique doit consolider sa
résistance», in Moniteur de la Cour Pénale
Internationale, New York, 23ème édition,
février 2003, p.10
[108] Comme
exemple, nous pouvons citer la façon dont le Conseil de
sécurité a entravé l'action de la Cour Internationale de
Justice dans l'affaire de la demande de mesures conservatoires introduites par
la Libye contre les Etats-Unis, le Royaume Uni et la France. En effet,
à quelques jours seulement de la décision publique de la Cour
Internationale de Justice, et craignant que cet organe ne se prononce en faveur
de la demande libyenne, d'ailleurs extrêmement bien fondée en
droit, les Etats- Unis ont convoqué le Conseil de sécurité
avec l'objectif clair de paralyser l'action de la Cour Internationale de
Justice. Ce geste illicite et honteux du Conseil de sécurité, qui
en plus a agi en dehors de ses compétences, a effectivement
empêché la cour d'ordonner les mesures conservatoires qui
s'imposaient. Ce même scénario de manipulation n'est pas à
écarter dans le cas de la Cour pénale internationale.
[109]
http://www.senat.fr/rap/I98-318/I98-3181.html#toc23
[110]
http://www.iccnow.org/documents/otherissuesimpunityagreem.html
[111] Chapitre
VII de la Charte des Nations Unies
[112]
Paragraphe 6 du préambule du statut de Rome
[113] Article
17 du statut de Rome.
[114] NTAGANDA
E., op.-cit., p.31
[115] Articles
86 -102 du statut de Rome
[116]
NTAGANDA E. op.-cit., p.32
[117] Ibidem
[118] Article
86 du statut de Rome
[119] Article
88 du statut de Rome
[120] Articles
87 ( 7 ) et 112 ( 2 ) (f) du statut de Rome
[121]
CHEMILLIER-GENDREAU M., " L'ordre juridique international une chimère ?
", in Le Monde Diplomatique, juillet 1999.
[122] Ce
Tribunal international n'a d'ailleurs traduit en justice aucun des responsables
de l'OTAN et des gouvernements qui ont été accusés de
crimes contre l'humanité et crimes de guerre. Le dossier d'accusation a
été écarté, de manière
suspecte et accélérée par la Procureur Carla Del Ponte,
attitude partisane qui jette un discrédit soulevant de sérieux
doutes sur son impartialité.
[123]
http://www.iccnow.org/documents/otherissuesimpunityagreem.html
[124]
httpÓ//www.iccnow.org/documents/otherissuesimpunityagreem.html
[125] Ibidem
[126]
httpÓ//www.iccnow.org/documents/otherissuesimpunityagreem.html
[127]
httpÓ//www.iccnow.org/documents/otherissuesimpunityagreem.html
[128]
KAMBALE K. P., op.-cit, p.10
[129]
http://www.iccnow.org/documents/otherissuesimpunityagreem.html
[130] Ibidem
[131] Article
31 (1) de la Convention de Vienne sur le droit des traités, nous
soulignons
[132]
http://www.iccnow.org/documents/otherissuesimpunityagreem.html
[133]
http://www.iccnow.org/documents/otherissuesimpunityagreem.html
[134]
http://www.iccnow.org/documents/otherissuesimpunityagreem.html
[135] Article
11 du statut de Rome
[136] NTAGANDA
E. , op.-cit., p.30
[137] NTAGANDA
E. op.-cit., p.30
|