2.2- Revue de la littérature
Plusieurs études ont été menées
ces dernières décennies tant au Cameroun, en Afrique que dans le
reste du monde sur la domestication des arbres fruitiers locaux et
médicinaux, les produits forestiers non-ligneux et leur importance, la
distribution et les utilisations de Irvingia, la commercialisation des
PFNL et enfin sur l'organisation des filières et les stratégies
commerciales.
2.2.1- ICRAF et la domestication des arbres fruitiers
locaux et médicinaux
L'ICRAF devenu « World
Agroforestry Centre » depuis 2002 est un organisme autonome à
but non lucratif fondé en 1977 et dont le siège est à
Nairobi (Kenya). L'ICRAF travaille entre autres dans la zone des tropiques
humides d'Afrique Centrale et de l'Ouest. Cet organisme est
représenté au Cameroun par le projet IRAD/ICRAF, fruit de la
coopération avec le gouvernement camerounais. Depuis sa mise sur pied
en 1987, le projet IRAD/ICRAF a développé jusqu'à ce jour
deux thèmes de recherche. Le premier thème était le
développement des jachères améliorées entre 1987 et
1998. Le deuxième thème encore d'actualité qui est la
domestication des arbres fruitiers et médicinaux locaux, a
été développé depuis 1997. Cette domestication
englobe les cinq axes de recherche suivants : l'amélioration du
germoplasme ; le développement des agroforêts ; le
marketing ; l'extension des techniques de domestication et enfin la
formation et le renforcement des capacités.
La domestication des arbres fruitiers locaux et leur
intégration dans les divers agroforêts sont des
éléments importants de la stratégie d'amélioration
de la terre en Afrique (Sanchez et Leakey, 1997). Elle consiste en une
production à grande échelle des espèces
agroforestières par une transformation génétique de la
plante sauvage compte tenu des besoins et des désirs du paysan ainsi que
des forces du marché.
La gestion durable des ressources forestières doit
être liée à leur domestication. Dans la zone
forestière de basses terres humides d'Afrique centrale et de l'ouest, la
recherche participative sur la domestication des arbres fruitiers locaux utiles
à l'homme et menacés de disparition suivi par ICRAF est un
processus qui s'est déroulé jusqu'ici en cinq (5) étapes
pour son introduction en milieu paysan (Tchoundjeu et al., 1997).
- La première étape était
l'identification et la prioritisation des espèces pour la domestication.
Il s'agissait dans cette étape, de sélectionner avec les
paysans, certaines espèces dans le but de satisfaire les besoins et les
attentes de ces derniers (Franzel et al., 1996). Quelques
espèces identifiées à ce jour par ordre de priorité
décroissant sont: Irvingia gabonensis (Andok); Dacryodes
edulis (safou); Chrysophyllum albidum (star apple);
Ricinodendron heudelotii (Njansang) et Garcinia kola (Bitter
cola).
- La deuxième étape était
concentrée autour de la collecte du matériel
végétal et la multiplication des espèces
sélectionnées à grande échelle.
- La troisième étape était
l'évaluation des clones en milieu paysan; le but visé ici
étant de détecter des gènes ou des qualités
supérieures pouvant constituer des variations génétiques
en plus ou en moins entre les individus.
- La quatrième étape était
concentrée sur le transfert des génotypes supérieurs aux
paysans.
- La cinquième étape a consisté à
évaluer et à adapter des techniques de propagation avec les
paysans
2.2.2- Les Produits Forestiers Non-Ligneux et leur
importance
Selon Chabot (1997), Tchatat et al., (1999), le terme
`'Produits Forestiers Non Ligneux'' (PFNL) englobe les biens et les services
commerciaux ou de subsistance destinés à la consommation humaine
et industrielle et provenant de ressources renouvelables et de la biomasse de
la forêt. Ces PFNL sont sensés permettre une augmentation des
revenus réels et des emplois aux ménages ruraux. Il peut s'agir
d'aliments d'origine végétale ou animale, de combustibles, de
médicaments, des produits issus d'animaux qui peuvent être utiles
comme les plumes, les fourrures, le miel, la résine ou encore le latex,
mais aussi des services de conservation et de loisir fournis par les arbres
(Chabot, 1997 : 2).
La récolte des PFNL fait partie intégrante de la
vie de plusieurs centaines de millions de personnes vivant sous le couvert ou
à proximité des forêts tropicales. Ces forêts
tropicales couvrent 20% des terres de la planète et fournissent beaucoup
de PFNL (Simons, 1996). L'économie rurale repose en partie sur la
vente de ces ressources forestières. Chabot (1997) précise que
ces produits forestiers non ligneux sont générateurs d'emplois et
de revenus pour les familles souvent démunies.
Les PFNL sont importants pour la sécurité
alimentaire et sont commercialisés sur les marchés nationaux et
internationaux, permettant de soutenir des zones rurales (Chabot, 1997 :
16). Dans ces zones rurales comme l'a noté Aube (1996), les femmes
semblent être plus impliquées que les hommes dans les
activités relatives aux PFNL et il est toujours difficile de quantifier
le marché des PFNL qui sont généralement peu
organisés et dont la commercialisation est peu ou pas
contrôlée.
2.2.3- Distribution et utilisations de
Irvingia
Plusieurs espèces d'Irvingia existent dans la
zone des tropiques humides d'Afrique (Vivien et Faure, 1985, 1996).
Irvingia gabonensis est l'espèce la plus répandue dans
la zone forestière humide du Cameroun (c'est-à-dire dans les
forêts sempervirentes, semi-caduques et de transition). Irvingia
se distribue de la Casamance (Sénégal) en Angola (Vivien et
Faure, 1985, 1996 ; Ayuk et al., 1999). Elle est présente
dans les forêts humides et chaudes des vallées d'Afrique de
l'ouest et d'Afrique centrale. En Afrique centrale, elle pousse au Cameroun
(sauf en forêt de montagne), au Gabon, en République
Centrafricaine et au Congo (Brazzaville). D'après FAO (1982), cette
espèce semble ne pas avoir d'exigences édaphiques
particulières, pour autant qu'il ne s'agisse pas de fonds humides ou de
terrains marécageux.
Irvingia spp, communément appelé
manguier sauvage, appartient à la famille des Irvingiaceae.
C'est un grand arbre pouvant atteindre et dépasser 40 mètres de
haut pour un diamètre allant jusqu'à 1,2 mètres (Ayuk
et al., 1999 ; Vivien et Faure, 1985 ; FAO,1982). Sa cime
est très développée; les branches sont très
ramifiées; le couvert est épais. La période de
fructification de l'espèce I. gabonensis va de
Février en Mars et celle de production est pendant la saison des pluies,
entre Juillet et Septembre (Ainge et Brown, 1998). Son fruit ressemble
à une petite mangue «domestiquée», d'abord vert puis
jaune à maturité. Le fruit mur de l'arbre Irvingia
comme le présente la photo 1 a une pulpe charnue très fibreuse.
Il est jaune et pèse en moyenne 200g. Il contient un noyau aplati,
couvert de fibrilles et contenant une graine jaune ou rouge. Le poids moyen du
noyau sec est de 15g (Vivien et Faure, 1996). On consomme la pulpe fibreuse du
fruit frais et on brise la noix pour en extraire l'amande. Cette amande peut
facilement être séparée en deux parties.
Photo 1 : Fruits mûrs d'Irvingia (Photo
ICRAF, 2004)
En 2000, Ndoye et al. ont relevé que
Irvingia est le PFNL commercialisé par le plus grand nombre de
négociants. L'amande est la partie la plus prisée de l'arbre et
elle est très oléagineuse. Les amandes fraîches
d'Irvingia sont riches en lipides, en protides, en glucides et
contiennent de la vitamine A et C comme le présente le tableau 1.
Tableau 1: Composition approximative (%) des amandes
fraîches d'Irvingia
Humidité
|
Lipides
|
Hydrates de carbone
|
Cendres
|
Protéines
|
Fibres
|
Vit. C mg/100 g
|
Vit. A mg/100 g
|
11,9
|
51,32
|
26,02
|
2,46
|
7,42
|
0,86
|
9,24
|
0,63
|
Source: Ntam, 2000 :26
L'amande de Irvingia est un condiment très
savoureux utilisé dans les soupes (Ayuk et al., 1999 ;
Chabot, 1997). Elle constitue une importante source de revenus pour les
agriculteurs de la zone de forêt humide (ZFH) du Cameroun. Les amandes
d'Irvingia peuvent être concassées et utilisées
pour remplacer ou compléter l'arachide dans l'alimentation des habitants
des forêts. Elles sont utilisées comme épaississant dans
les soupes ou comme additif alimentaire et constituent largement le produit
forestier le plus vendu en Guinée équatoriale (Terry et Obama,
2000). Elles forment également la base de sauces pouvant être
conservées de 3 à 4 jours en dehors d'un
réfrigérateur. L'amande de Irvingia peut
également être broyée et utilisée dans la
fabrication d'une pâte appelée «dika bread» au
Gabon. Les amandes également peuvent être utilisées comme
source d'huile pour fabriquer le savon (Ayuk et al., 1999 ;
Atangana et al., 2001). Pour le bétail, d'après FAO
(1982) le tourteau a une valeur alimentaire sensiblement égale à
celle du tourteau de cocotier.
Selon Djomo (2001), l'arbre Irvingia peut être
aussi utilisé à des fins médicinales. L'écorce par
exemple est utilisée pour soigner la hernie, les diarrhées, la
fièvre jaune et la dysenterie.
2.2.4- La commercialisation des PFNL
2.2.4.1- Définition du système de
commercialisation
Le système de commercialisation des produits
alimentaires est le mécanisme primaire de coordination des
activités de production, de distribution et de consommation dans la
chaîne alimentaire. Dans ce contexte, le marketing inclut les
activités d'échange associées au transfert du droit de
propriété sur les produits, les arrangements institutionnels pour
faciliter ces activités (Cadilhon et al., 2002).
D'après Foundjem Tita (2000), le marketing des produits
agricoles est défini comme un pont entre les producteurs et les
consommateurs ; encore plus comme une distribution physique et
économique mise en place pour faciliter le mouvement et l'échange
des denrées des champs vers le marché. Le système de
marketing pratiqué dans différentes zones de production favorise
l'atomisation des prix de vente, provoquant ainsi une variation des prix dans
les marchés urbains. Selon Tollens (1997), la variation des prix dans
les marchés urbains peut être réduite en établissant
des marchés de gros ou de collecte. Dans l'analyse de ce type de
marchés dans les villes africaines, il a été établi
que le rôle et l'avantage de ces marchés de gros sont qu'ils
regroupent en un point déterminé l'entière demande et
offre d'une production donnée (Tollens, 1997). Ceci permet l'obtention
d'un prix unique d'équilibre fixé dans les conditions de
transparence du marché, d'où une réduction des coûts
de transactions.
2.2.4.2- Les contraintes liées à la
commercialisation
Les problèmes rencontrés par les producteurs et
les commerçants d'un produit dans un système donné peuvent
être en partie dus à eux-mêmes. En effet, Nyongou (1992)
dans l'analyse de la variation des prix de plantains à Douala a
montré que cette situation non favorable du marché émane
de la désorganisation des producteurs et des vendeurs. Les
commerçants des produits agricoles sont peu spécialisés
comme le démontre Epouhe (1990). En raison de la saisonnalité
des productions, les vendeurs sont obligés de vendre plusieurs produits
(Engola Oyep, 1997). Ce n'est qu'avec l'expérience que ces derniers
déterminent le produit le plus recommandable en considérant les
conditions de l'offre, de demande et de conservation.
2.2.4.3- Le commerce des amandes de
Irvingia
Le développement de l'exploitation commerciale des PFNL
est actuellement considéré par un certain nombre de chercheurs
aussi bien comme un moyen pour améliorer les conditions de vie des
populations rurales que comme une approche appropriée pour la
conservation des forêts (Zeh Ondo, 1998). En Afrique centrale et de
l'ouest, la plupart des produits forestiers non ligneux sont
commercialisés et vendus de manière informelle dans les
marchés, souvent en bordure des forêts ou dans le marché du
village. Les produits forestiers dont la demande est importante comme les
amandes d'Irvingia sont achetés par des grossistes dans les
marchés de village, où ils sont nettoyés, emballés
et acheminés vers les marchés urbains (Ladipo, 2000).
Pour les amandes sèches d'Irvingia telles que
présentées à la photo 2, certaines caractéristiques
générales de qualité communes aux consommateurs et aux
commerçants, peuvent être prises en compte. Parmi ces
caractéristiques, la taille de l'amande, son épaisseur, sa
couleur, sa maturité, ainsi que la présence de tâches ou
son état abîmé influencent la préférence des
consommateurs (Ladipo, 2000).
Photo 2 : Amandes sèches d'Irvingia
(Photo Tsafack, sept. 2004)
Le commerce international des amandes d'Irvingia du
Cameroun en 1995 et 1996 pour le Gabon, la Guinée équatoriale, le
Nigéria et la République centrafricaine a été
évalué par Ndoye et al. (2000) à plusieurs
millions de francs CFA. Les quantités commercialisées dans la
ZFH du Cameroun sont importantes comme le présente le tableau 2.
Tableau 2: Volume et valeur d'Irvingia
commercialisé au Cameroun en 1995 et 1996.
Année
|
Vente sur l'échantillon
interviewé
|
Quantité (Kg)
|
Valeur (F CFA)
|
1995
|
36.390
|
43.000.000
|
1996
|
34.400
|
47.534.600
|
Source : Ndoye et al.,
2000 : 221
2.2.5- L'organisation des filières et les
stratégies commerciales
2.2.5.1- Filière et organisation des
marchés
Moustier et Leplaideur (1999) présentent la
filière comme une succession des opérations qui, partant en amont
d'un produit, aboutit en aval, après plusieurs stades de transfert dans
le temps, l'espace et la forme, à un produit fini au niveau du
consommateur. La filière se définie aussi comme l'ensemble des
agents économiques qui contribuent directement à la production
puis à la transformation et à l'acheminement jusqu'au
marché de réalisation d'un même produit. L'organisation
est nécessaire à la commercialisation des produits comme le note
Moustier (1998) dans une étude sur la filière des produits
vivriers et organisation des échanges. L'organisation ici est
définie comme la coordination des activités de production, de
commerce, de consommation et de l'ensemble des services nécessaires
à l'échange (transport, transformation, stockage, tri,
crédit, etc.). Il s'agit d'une coordination dans l'espace des zones de
production, de collecte, de distribution et de consommation. Il s'agit d'une
coordination de l'enchaînement des fonctions d'intermédiation,
également de la coordination socio-économique des
décisions des différents acteurs des filières dont les
intérêts, parfois contradictoires, sont toujours
interdépendants. L'organisation permet de sécuriser
l'accès à l'ensemble des ressources nécessaires à
l'échange, notamment l'information, le pouvoir de négociation, le
crédit.
Les initiatives d'organisation des producteurs pour la
commercialisation d'un produit sont souvent motivées par un certain
nombre de faits à savoir sortir de l'enclavement ; se soustraire
à l'emprise des commerçants ; améliorer le revenu des
producteurs et enfin exploiter le potentiel collectif rassemblé au sein
des groupements (Inter-Réseaux, 1998).
L'organisation fait appel à la concertation des acteurs
pour la commercialisation. La concertation est un processus d'échange
en vue d'instaurer un dialogue entre les acteurs qui doit permettre la
résolution collective d'un problème et améliorer
l'efficacité d'une filière (Inter-Réseaux, 1998). Il fait
appel aux notions de complémentarité et de gestion des
intérêts. En matière de commercialisation, la concertation
doit pouvoir contribuer à la diminution des risques encourus aux
différents maillons de la chaîne.
Selon Moustier (1998), on peut distinguer les organisations
assurant la coordination verticale entre les différentes fonctions en
aval de la production. C'est l'exemple des organisations entre producteurs et
commerçants. On peut aussi distinguer les organisations assurant la
coordination horizontale entre acteurs d'une même fonction, c'est le cas
d'organisations de producteurs, de commerçants. Toutefois la
coordination horizontale et la coordination verticale sont liées.
2.2.5.2- Les stratégies de commercialisation
des produits agricoles et forestiers non ligneux
Les organisations de producteurs ou de commerçants
permettent à ces derniers de faire face aux problèmes qu'ils
rencontrent dans la commercialisation. Temple et Dury (2003) montrent que pour
maîtriser l'instabilité et les fluctuations de prix des produits
vivriers dans les marchés au Cameroun, les grossistes passent des
accords avec les opérateurs. De manière dominante, ces accords
sont d'abord passés avec les paysans, les collecteurs ruraux. Ils
portent principalement sur la vente à crédit puis sur le prix de
réalisation de la transaction.
Une autre stratégie consiste pour les grossistes
à se coordonner entre eux. Par des accords sur les prix d'achat (les
grossistes dans une même zone s'entendent pour ne pas acheter en dessus
d'un certain prix), sur les prix de vente auprès des détaillants,
sur la location en commun de camions, ou sur la participation à des
tontines (Temple et Dury, 2003).
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