d. Variables et
évolutions au sein des coteries.
Les amitiés ne sont jamais figées, pour se
perpétuer, elles doivent s'entretenir, nous avons vu avec quelle
facilité la bonne entente entre voisin peut se muer en de vives
querelles, il en va de même avec les amitiés au sein du
village.
En 1826, à l'atelier de Charles Desprez, Etienne et
son frère Charles se disputent violemment avec le maire François
Grojean qui travaille avec eux. La querelle éclate à propos du
travail réalisé, Alexandre se saisit d'un maillet et s'en sert
pour agresser François qui porte immédiatement plainte309(*). Seize ans plus tard un
scandale éclate au village, l'instituteur Chevillot battrait ses
élèves, l'affaires est révélée par le maire.
Parmi les témoins à charge, on retrouve Etienne Desprez310(*), celui qui avait
frappé le maire seize ans plus tôt témoigne en sa faveur
pour faire tomber Chevillot l'ennemi intime du maire. Ces retournement de
situations sont assez rares, la tendance est plutôt à la
permanence dans les relations villageoise à Grand.
Les amitiés au sein du village, nous l'avons vu,
reposent sur quelques personnages influents et des familles de
propriétaires. Cependant si certains membres d'une famille sont
alliés à d'autres il n'en va pas de même pour la
totalité de la famille, lorsque les enfants s'établissent en
fondent de nouveaux foyers, ils peuvent s'éloigner de leur famille voir
même devenir ennemis, à l'image des frères Biez311(*).
Les frères ne se choisissent pas toujours les
même amis, Alexandre Durand fait partie de la coterie numéro deux.
Il est un allié indéfectible du maire, mais ses frères
Vincent et Etienne sont amis avec l'instituteur du village. Vincent Durand en
1840 témoigne en faveur de Chevillot, l'ennemi du maire. Etienne, le
troisième frère témoigne lui aussi en faveur de
l'instituteur contre le maire Grojean en 1842. Il existe quelques exemples de
ce type, mais en général les ressortissants d'une même
famille s'allient aux mêmes personnes ou au moins n'en sont pas ennemies.
e. Grojean et l'affaire de
1840.
· Grojean contre Chevillot.
Suite à l'étude approfondie des relations au
sein du village de Grand, on observe nettement deux coteries et peut-être
un troisième clan soutenant l'instituteur du village. Les divers clans
interagissent entre eux à diverses reprises, ces relations
conflictuelles se limitent pour la plupart à un seul individu du clan,
on n'observe pas d'affrontements directs entre factions comme François
Ploux les décrit dans le Quercy312(*). Cependant un conflit durable entre deux habitants
du village permet d'observer le fonctionnement des diverses alliances.
L'antagonisme du maire Grojean et de l'instituteur Chevillot est
particulièrement intéressant313(*).
Le maire Grojean est en conflit depuis plusieurs
années avec l'instituteur du village Etienne Chevillot qui lui conteste
son autorité et l'outrage régulièrement. En juillet 1837,
l'instituteur se dispute avec le maire en lui rétorquant,
«- je ne vous reconnais aucune qualité314(*) ». Lors du
procès le maire alors plaignant ne trouve que deux témoins,
Joseph Marchand et sa femme ainsi que Jean-Baptiste Rollet. Le prévenu
de son côté peut compter sur le soutient de sa femme, mais
celui-ci se révèlera insuffisant puisque l'instituteur sera
condamné.
· L'affaire des placards.
Trois ans plus tard en 1840, un nouveau conflit éclate
entre les deux hommes, puis dégénère en entrainant une
partie du village à témoigner en faveur du maire ou de
l'instituteur. Le jugement produit ainsi quinze témoins à charges
et onze à décharge. Ce conflit a pour origine un conflit de
personnes, l'instituteur est visiblement jaloux du maire.
En 1840, Etienne Chevillot est prévenu d'avoir
affiché des placards, monsieur Jeanson, le maire de Liffol-le-Grand est
alors délégué par le comité d'arrondissement pour
enquêter sur l'instituteur. Parallèlement le maire de Grand est
dénoncé de « faire le métier de marchand
d'avoine, de bois et de chasseur315(*) ». Cette dénonciation est la
bienvenue pour Etienne Gérard, un opposant au maire et ami de Chevillot
qui affiche un placard signé, où il se plaint du maire qui aurait
ourdi un complot contre Chevillot. Sur son affiche il décrit
l'instituteur comme ayant plus d'amis que le maire et que de nouvelles
malveillances contre Chevillot sont imminentes. La « course au
amis » est déterminante il s'agit ici de réunir le plus
de témoins possibles en sa faveur pour gagner le procès.
Quelques jours plus tard, le 19 avril 1840 le maire publie la
date de l'arrivée de Jeanson pour son enquête. Chevillot se sent
menacé, et « un instant après a été
cloué au-dessus de cette affiche deux autres qui ont été
apposé de la part de l'instituteur, invitant les petits et les grands de
se présenter le jour de l'enquête pour déposer en faveur de
Chevillot316(*) ».
Le 21 avril, Jeanson arrive à Grand et se rend
à la mairie pour les besoins de son enquête. Le liffolois dans son
rapport décrit le climat ; «- une grande exaspération
s'était manifestée dans cette commune le 21 du présent
mois pendant une partie du temps qu'a duré mon enquête au sujet de
l'instituteur, deux membres du conseil municipal avaient été
insultés et avaient été obligés à se sauver
et M. le maire lui-même avait été l'objet de la
grossièreté de plusieurs personnes qui lui avaient manqué
au point que si des individus ne s'étaient employés à le
secourir dans le moment ( Jacques François, Alexandre Desprez et Nicolas
Marchal), il y avait eu aurait sans doute quelques actes de violence contre
lui317(*) ».
Pendant l'enquête Étienne Gérard, Charles
Bertrand et Étienne Chevillot réunissent leurs partisans pour
réunir le maximum de signatures sur la place publique du village, quand
soudain deux conseillers municipaux passant par hasard « furent
assaillis par la foule de telles sorte qu'ils furent obligés de se
sauver et de se réfugier dans l'église318(*) ».
Les trois agitateurs forcent ensuite la porte de la mairie, le
conseil municipal et le maire de Liffol se réfugient eux aussi dans
l'église. « Le tumulte passé François Grojan
tente une sortie mais il est aussitôt assailli par les trois individus
dénommés ci-dessus (Chevillot, Bertrand, Gérard), une
personne dans la foule s'élance sur le maire mais elle est
aussitôt ramené chez elle319(*) ».
Cet épisode révèle les jeux d'alliances,
Chevillot dispose de deux « lieutenants » qui sont ;
Etienne Gérard et Charles Bertrand. L'affiche qu'Etienne placarde pour
récolter des signatures a été réalisée par
François Cottenot, son beau-frère. Lors de son procès
l'instituteur compte dix soutiens320(*).
Le maire quand à lui, semble disposer d'un plus gros
réseau de soutien321(*), trois membres de son groupe témoignent en sa
faveur, ainsi qu'une bonne part de son conseil municipal, et neuf
sympathisants. Sa suprématie de témoins lui permet de faire
condamner l'instituteur et ses amis à 100 francs d'amende et à un
mois de prison.
· L'affaire de 1842.
Deux ans après les
« émeutes », le maire et l'instituteur s'affrontent
à nouveaux en Justice. Le maire accuse l'instituteur de maltraiter ses
élèves. Cette affaire produit à nouveau de nombreux
témoins ; huit contre Chevillot et treize en sa faveur. Parmi les
membres habituels du réseau Chevillot, on peut citer François
Tabouret et Etienne Durand, Elophe Melcion un témoin favorable à
Grojean dans l'affaire des placards semble avoir changé de camps
puisqu'il apparaît dans les soutiens de Chevillot dans cette affaire. Le
maire est lui épaulé par son lieutenant habituel François
Guerre et par Marchal Nicolas un autre habitué.
Les témoins sont moins nombreux dans ce procès
car seuls les élèves et leurs parents témoignent ce qui
écrème les réseaux traditionnels des deux camps. Cette
fois c'est l'instituteur qui gagne et qui est finalement relaxé.
Cet affrontement incessant entre les deux individus permet
d'observer le jeu des alliances et les stratégies mise en place pour
gagner un procès en se basant sur son réseau de solidarité
pour gagner un procès.
Les réseaux de solidarité sont finalement plus
actifs dans l'entraide que dans l'affrontement avec d'autres familles. Les
conflits d'individus soutenus, montrent que les coteries défendent les
leurs au moment des procès en témoignant en leur faveur. Le
maire, premier représentant de l'Etat au village, dispose de moyens
d'actions importants, il apparaît comme un chef de clan. Charismatique,
il n'est cependant pas à l'abri de ses opposants qu'il tente de museler
par ses réseaux d'amitiés.
* 309 AD Vosges, 22u69, Grand,
1826.
* 310 AD Vosges, 22u82, Grand,
1842.
* 311 (Cf : p 129).
* 312 PLOUX F, op., cit.
* 313 (Cf : Annexes
d'illustration, Annexe XVI. Procès auxquels participent
François Grojean. p 200).
* 314 AD Vosges, 22u82,
* 315 Ibid.
* 316 Ibid.
* 317 Ibid.
* 318 Ibid.
* 319 Ibid.
* 320 Etienne Durand, la
femme de Dutrône, Christophe Morlot, Nicolas Tabouret, Jean
François Victor Cottenot, Anne Marie Ledone, Joséphine Saleur,
Joseph Georgin, Christophe Morlot et que Victor Léonard.
* 321 Amis proches :
Jean-Baptiste Pelletier, François Guerre, Alexandre Durand.
Membres du conseil municipal : Pierre Maugras
(conseiller municipal), Elophe Melcion (conseiller municipal), François
Laurencier.
Autres témoins : Emilie Michel (domestique du
maire), Alexandre Desprez, Alexandre Durand, Nicolas Marchal, Charles Henri
Minette, Louis Napoléon Gaillot (garde champêtre), Pierre Laurent,
Vincent Durand.
|