d. Trois
catégories d'outrages.
· Des outrages
verbaux courants :
Ces injures arrivent en tête avec 51,65%. Il s'agit
ici d'insultes. Les exemples abondent, il peut s'agir d'un citoyen
mécontent venant insulter le maire en le tenant responsable de ses
problèmes. Suite à ces «interventions de police«, le
maire se retrouve souvent au beau milieu de conflits. Les protagonistes sont
alors rarement ravis de le voir s'immiscer dans leur altercation et cherchent
souvent à le faire partir, en l'insultant.
A Grand en 1845 Le maire Étienne Gérard mis au
courant d'un conflit se rend chez Nicolas Henry, afin de faire cesser les
menaces et les injures que faisait Étienne Maugras à ses
beaux-parents. « Étant arrivé, nous avons entendu le
dit sieur Étienne Maugras, cultivateur demeurant à Grand, qui
était à l'entrée de la maison du sieur Louis Henry son
beau-père et qui disait en s'adressant à sa
belle-mère : vieille garce, toutes les fois que tu passeras
dans la grange je te f....rai de mon pied au cul, sur ce, je l'engageais
à se taire, aussitôt il est venu à moi comme un furieux me
disant, qu'est-ce que je venais me mêler de choses qui ne me regardent
pas, et que si j'avais entré dans la grange, il m'aurais foutu de son
pied au cul et que si on ne m'avait fait grâce je me serais pas maire de
la commune de Grand, et beaucoup d'autres injures entre autres qu'il se foutait
de moi etc. etc.63(*) ». Nous avons ici affaire à un
outrage caractérisé à un représentant de l'Etat et
pourtant le juge ne sanctionne le gendre que de cinq journées de
prison.
Dans une grande majorité de cas le maire est
outragé au cours d'un conflit entre particuliers qu'il tente de
résoudre. Ces outrages sont courants et de natures diverses.
· Les
outrages par geste et/ou les menaces menaces de mort :
Les intimidations vont de la menace de violence physique,
aux menaces de mort. Cette catégorie comprend 40,35% des outrages faits
aux maires. Les menaces de mort doivent être perçues avant tout
comme une technique d'intimidation et non pas la préméditation
d'un meurtre, nous n'avons en effet trouvé aucun cas de maire
assassiné. Il est évident que certaines menaces moins graves sont
plus que des avertissements, mais la plupart ne sont que des paroles, les
menaces de mort constituant le degré maximum de violence verbale.
Sociologiquement, ces menaces sont à
interpréter comme des mises en garde. Cette manière violente de
marquer son territoire est une réponse à une intervention du
maire ressentie comme une atteinte du « moi » cher à
Robert Muchembled64(*).
Ce dernier écrit à propos des rites de contact que « lors
d'une rencontre, [...] les êtres humains respectent des rituels
d'interaction. Devant un public qui les juge, ils ne peuvent déclencher
de but en blanc un combat : ils doivent annoncer leur intention, se placer en
position de loyauté vis-à-vis de leurs futurs adversaires, tout
en lui faisant perdre la face. Des signaux verbaux, sous forme de plaisanterie
et de moquerie, ainsi que des défis symboliques, prépare
l'agression physique ultérieure65(*) ».
Erving Goffman estime que le «face to face« (face
à face) est au coeur de l'ordre d'interaction. Ce sociologue estime
qu'un individu « garde la face lorsque la ligne d'action qu'il suit,
manifeste une image de lui-même consistante66(*) ». Toute personne,
et les élus en tête, doivent « s'assurer du maintien
d'un certain ordre expressif, ordre qui régule le flux des
évènements, importants ou mineurs [...]. Dans notre
société lorsqu'un individu montre ce scrupule d'abord par devoir
envers lui-même, on parle de fierté ; quand c'est par devoir
envers les instances sociales plus large dont il reçoit l'appui, on
parle d'honneur 67(*)». Goffman précise enfin, que la
dignité est la faculté de maîtriser son corps et ses
émotions. Le maire, s'il veut conserver son autorité ne peut
laisser de tels comportements impunis, il s'empresse donc de les communiquer au
procureur. Il n'est pas exclu que le maire se fasse lui-même justice
étant donné que son acte aura peu de chance d'aller devant les
tribunaux puisqu'il en est le correspondant local.
Dans la majorité des pièces d'archives
étudiées la menace de mort est à interpréter
justement comme ce besoin de faire perdre la face à un adversaire contre
lequel on sait bien qu'il est difficile de s'attaquer. A Punerot, au mois de
juin 1842, Pierre Vaconnet outrage publiquement par parole et par menace le
maire, ainsi que le garde forestier dans l'exercice de leurs
fonctions en déclarant que « s'il avait un fusil et
qu'il rencontre un maire, il n'irait pas plus loin... Il ne les manquerait pas,
quand même ce serait en 10 ans, et que s'il pouvait les tenir dans un
coin, ainsi que le garde forestier il leur casserait la gueule, et en outre en
traitant le maire de Polignac, de fripon et de canaille68(*) ». Voilà le genre
de menaces auxquelles sont confrontés les représentants
municipaux. On peut donc penser que ces derniers devaient posséder des
qualités physiques et psychologiques supérieures pour assumer de
telles fonctions.
· Les
outrages par paroles et agression :
L'agression physique est la forme d'outrage la plus violente
mais aussi la moins répandue. On ne l'a rencontrée que deux fois.
Les violences physiques contre les élus sont moins répandues que
les violences verbales car elles sont plus graves et plus fortement
sanctionnées. L'article 228 du code pénal prévoit que
« tout individu qui, même sans arme, et sans qu'il en soit
résulté de blessures, aura frappé un magistrat dans
l'exercice de ses fonctions, ou à l'occasion de cet exercice, sera puni
d'un emprisonnement de deux à cinq ans. Si cette voie de fait a eu lieu
à l'audience d'une cour ou d'un tribunal, le coupable sera puni du
carcan69(*) ». Cette
peine est logiquement plus importante que celle des outrages par paroles qui
durent de un mois à deux ans.
Les deux seules agressions physiques laissent à
supposer un certain respect pour l'intégrité physique des
élus. La première de ces deux agressions se produit à
A Avranville, l'adjoint Etienne est victime d'une agression
dans l'exercice de ses fonctions. Le 18 juin 1836, le maire et son adjoint
étaient réunis chez le dit Etienne avec plusieurs hommes, quand
« Marie Rose Jannot est venue en toute hâte nous dire que
devant la maison de Jeannot Nicolas aîné on battait Antoine Luc et
antoine luc son fils ; de suite nous nous sommes transporté au lieu
indiqué nous avons vu les sieurs Labbé qui tenant le dit Antoine
Luc père en lui relevant le menton avec le poing et parraissait avoit
recu des coups nous les avons sommé au nom de la loi de se
tenir, au même instant, le sieur Jean Baptiste Gene dit à
Etienne adjoint que cela ne le regardait pas et qu'il se foutait de la police
qu'il l'en merdait qu'il n'avait pas de droit avant 9 heures du soir en lui
lançant un coup de sa main sur l'estomac ensuite le reculant le jetant
en arrière sur du bois et lui donnant beaucoup de coup sur la
tête une quinzaine de coups de poings70(*) ». L'agresseur n'est
finalement puni que de quinze jours de prisons et de seize francs d'amende.
Un deuxième exemple se produit à
Tignécourt71(*).
Dans la pratique les peines pour outrage sont légères et ne sont
certainement pas dissuasives. Les atteintes physiques aux élus dans le
canton de Coussey n'en restent pas moins anecdotiques, et démontrent un
respect grandissant pour le maire dont l'autorité devient de plus en
plus acceptée. Le rôle de médiateur du chef de village, est
depuis longtemps reconnu, notamment dans les règlements
infrajudiciaires, ce qui accroît le respect porté au maire et aux
adjoints.
* 63 AD Vosges, 22u83, Grand,
1845.
* 64 MUCHEMBLED, R, La
violence au village, Sociabilité et comportements populaires en
Artois du XVème au XVIIème siècle, Brepols, 1998,
p 144-179.
* 65 MUCHEMBLED, R, op.
cit., p 253.
* 66 GOFFMAN, E, Les rites
d'interaction, Paris, Les Editions de Minuit, 1974, p 10.
* 67 GOFFMAN, E, op.
cit., p 13.
* 68 AD Vosges, 22u82,
Punerot, 1842.
* 69 Code Pénal, art,
228.
* 70 AD Vosges, 22u81,
Avranville, 1839.
* 71 AD Vosges, 22u45,
Tignécourt, 1810.
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